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Décisions

ADLC, 14 janvier 2016, n° 16-DCC-04

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

relative à la prise de contrôle exclusif par MM. [X] de 39 magasins de commerce de détail à dominante alimentaire

ADLC n° 16-DCC-04

13 janvier 2016

L’Autorité de la concurrence,

Vu le dossier de notification adressé au service des concentrations le 27 novembre 2015 et déclaré complet le 4 janvier 2016, relatif à la prise de contrôle exclusif par MM. [X] de 39 magasins de commerce de détail à dominante alimentaire, formalisée par un accord de principe en date du 19 novembre 2015 ;

Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;

Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l’instruction ;

Adopte la décision suivante :

 

I. Les entreprises concernées et l’opération

1. MM. [X] contrôlent la holding familiale Jadasag Finance et quinze sociétés : Maillodis, Cledis, Les 5 fermes, Villierdis, Sablondis, Undistrib, Rivka, Celial, SDC, Murdis, Sodisnel, Paris Temple, Sodimar, Cedileu, Ouest-Bazars, qui exploitent des points de vente de distribution à dominante alimentaire sous les enseignes Galeries Gourmandes, Les 5 fermes, Simply Market (Groupe Auchan), Franprix et Leader Price (Groupe Casino) situés en Ile de France.

2. La société Franprix Leader Price Holding (ci-après « FPLPH ») est une filiale du groupe Casino Guichard Perrachon dont le principal objet est la prise de participation dans des sociétés exploitant des magasins sous les enseignes Franprix et Leader Price. Le groupe Casino, acteur français de la distribution à dominante alimentaire, gère un parc de plus de 12 000 magasins (hypermarchés, supermarchés, magasins de proximité, magasins discompteurs) sous enseignes notamment Franprix, Géant Casino, Casino Supermarché, Petit Casino, Spar, Vival, Monoprix et Leader Price. Il est également présent dans le secteur de la distribution sur internet de produits non alimentaires avec l’enseigne Cdiscount. Le groupe Casino est contrôlé par la société Euris, elle-même contrôlée par M. Jean-Charles Naouri.

3. Les cibles de l’opération sont 39 magasins de commerce de détail à dominante alimentaire exploités sous enseigne Franprix ou Leader Price, d’une surface comprise entre 280 et 1 300 m² et contrôlés actuellement exclusivement par le groupe Casino. Ces magasins sont situés à Perpignan (66), Castelnaudary et Limoux (11), Le Bourget et Le Raincy (93), Saint-Nom-la-Bretèche (78), Cannes (06), Villiers-sur-Marne (94), Nice, Grasse et Vallauris (06), Saint-Priest-en-Jarez, Saint-Etienne et Montrond-les-Bains (42), Pierrelatte (26), Marseille (13), Alès (30), Les Pennes Mirabeau (13), Grillon (84), Aubenas (07), Dagneux, Arbent et Bourg-en-Bresse (01), Nîmes (30), Saint-Genis-Laval, Saint-Foy-les-Lyon et Anse (69), Aoste (38), Ganges et Saint Jean de Vedas (34), Lognes (77), Montfavet (84), Arles (13), Chambéry (73), Salaise-sur-Sanne (38), Orange (84), Manosque (04) et Seynod (74).

4. Aux termes de l’accord de principe conclu entre FPLPH et MM. [X] le 19 novembre 2015, la société Holdimag sera créée par les deux groupes au plus tard le 31 janvier 2015 et acquerra le contrôle exclusif sur les 39 sociétés cibles. A l’issue de l’opération, Holdimag sera détenue à 51 % par MM. [X], par l’intermédiaire de leur holding Jadasag Finance, et à 49 % par FPLPH. Le Président de Holdimag sera désigné sur proposition de MM. [X], qui désignera […] membres sur […] au conseil de surveillance. Celui-ci adoptera à la majorité simple les décisions stratégiques, notamment relatives au budget et à l’ouverture/cession/fermeture de magasins. Pour sa part, le groupe Casino disposera d’un droit d’information et d’audit et d’une faculté de rachat des titres détenus par Jadasag Finance dans Holdimag1. En l’état des accords des parties, cette faculté constitue, pour le groupe Casino, une option dont l’exercice n’est pas contraint et conditionné à la survenance de faits générateurs hors du contrôle de Casino ou exerçable, au plus tôt, à partir du […]. Dans ces conditions, les droits conférés au groupe Casino ne sont pas de nature à lui conférer une influence déterminante sur Holdimag2.

5. En ce qu’elle se traduit par la prise de contrôle exclusif des 39 magasins cibles par MM. [X] auprès de FPLPH, l’opération notifiée constitue une concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce.

6. Les entreprises concernées exploitent plusieurs magasins de commerce de détail et réalisent ensemble un chiffre d’affaires total sur le plan mondial de plus de 75 millions d’euros (MM. [X] : 73,4 millions d’euros de chiffre d’affaires pour l’exercice clos le 31 décembre 2014 ; cibles : 139 millions d’euros de chiffre d’affaires pour le même exercice). Les entreprises concernées réalisent en France dans le secteur du commerce de détail un chiffre d’affaires supérieur à 15 millions d’euros (MM. [X] : 73,4 millions d’euros de chiffre d’affaires pour l’exercice clos le 31 décembre 2014 ; cibles : 139 millions d’euros de chiffre d’affaires pour le même exercice). Compte tenu des chiffres d’affaires réalisés par les entreprises concernées, l’opération ne relève pas de la compétence de l’Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle relatifs au commerce de détail mentionnés au point II de l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. La présente opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.

 

II. Délimitation des marchés pertinents

7. Selon la pratique constante des autorités nationale3 et européenne4 de concurrence, deux catégories de marchés peuvent être délimitées dans le secteur de la distribution à dominante alimentaire : d’une part, les marchés aval, de dimension locale, qui mettent en présence les entreprises de commerce de détail et les consommateurs pour la vente de biens de consommation et, d’autre part, les marchés amont de l’approvisionnement sur lesquels les entreprises en tant qu’acheteurs sont en contact avec les fabricants des produits, de dimension nationale.

 

A. MARCHÉS AMONT DE L’APPROVISIONNEMENT

8. En ce qui concerne les marchés de l’approvisionnement, la Commission européenne a retenu l’existence de marchés de dimension nationale par grands groupes de produits, délimitation suivie par les autorités nationales5.

9. Il n’y a pas lieu de remettre en cause cette délimitation à l’occasion de la présente opération.

 

B. MARCHÉS AVAL DE LA DISTRIBUTION

1. LES MARCHÉS DE SERVICES

10. En ce qui concerne la vente au détail des biens de consommation courante, les autorités de concurrence, tant communautaires que nationales, ont distingué six catégories de commerce en utilisant plusieurs critères, notamment la taille des magasins, leurs techniques de vente, leur accessibilité, la nature du service rendu et l’ampleur des gammes de produits proposés : (i) les hypermarchés (d’une surface légale de vente supérieure à 2 500 m²), (ii) les supermarchés (magasins à dominante alimentaire d’une surface de vente inférieure à 2 500 m² et supérieure à 400 m²), (iii) le commerce spécialisé, (iv) le petit commerce de détail (moins de 400 m²), (v) les maxi discompteurs, (vi) la vente par correspondance.

11. Au sein du petit commerce de détail6 sont distingués les petits libres-services qui offrent un assortiment étroit de produits courants (une surface inférieure à 120 m²) et les supérettes dont l’offre de produits est un peu plus étendue (une surface comprise entre 120 et 400 m²).

12. Les autorités de concurrence considèrent que, si chaque catégorie de magasin conserve sa spécificité, il existe une concurrence asymétrique entre certaines de ces catégories. Elles distinguent ainsi :

- un marché comprenant uniquement les hypermarchés ; et

- un marché comprenant les supermarchés et les formes de commerce équivalentes (hypermarchés, hard-discount et magasins populaires) hormis le petit commerce de détail (moins de 400 m²).

13. S’agissant du petit commerce de détail, la pratique décisionnelle a également souligné l’existence d’une relation concurrentielle asymétrique avec les autres formes de commerce. Dans certaines configurations géographiques, un hypermarché, un supermarché ou un magasin de hard-discount de plus de 400 m² peut être habituellement utilisé par certains consommateurs comme un magasin de proximité, en substitution d’une supérette, tandis que la réciproque n’est pas vraie. Ainsi, si les hypermarchés et les supermarchés exercent une vive concurrence sur le petit commerce de détail (moins de 400 m²), la réciproque n’est presque jamais vérifiée. Les magasins de proximité subissent donc la concurrence des autres magasins de proximité ainsi que des supermarchés, des magasins discompteurs et des hypermarchés.

14. Compte tenu de la surface réduite des magasins alimentaires parisiens, la pratique décisionnelle considère par ailleurs qu’il existe à Paris une substituabilité plus grande qu’en province entre le petit commerce de proximité (dont la surface totale est inférieure à 400 m²) et les supermarchés et hypermarchés implantés à proximité. Au regard de ces caractéristiques, la pratique décisionnelle a adopté une approche spécifique en estimant que le marché pertinent à Paris comprend ainsi tous les formats de commerces généralistes : petit commerce de détail, supermarchés, magasins populaires, magasins de hard-discount et hypermarchés.

15. En l’espèce, l’opération envisagée concerne 31 magasins à dominante alimentaire d’une surface de vente comprise entre 400 m² et 2 500 m², et 8 magasins à dominante alimentaire d’une surface de vente inférieure à 400 m² (mais supérieure à 120 m²), tous situés en dehors de Paris.

 

2. LES MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES

16. S’agissant des supermarchés, il ressort de la pratique décisionnelle7 que les conditions de la concurrence s’apprécient généralement sur une zone où se rencontrent la demande des consommateurs et l’offre des supermarchés et formes de commerce équivalentes situés à moins de 15 minutes de temps de déplacement en voiture.

17. Cependant, la pratique décisionnelle a analysé des zones correspondant à un trajet en voiture de 10 minutes autour des supermarchés situés en proche banlieue parisienne et des zones correspondant à un trajet en voiture de 10 et 15 minutes autour des supermarchés situés en grande couronne ou dans les grandes villes de province8.

18. S’agissant du petit commerce de détail, la pratique décisionnelle a précisé que cette catégorie « se caractérise par une clientèle composée majoritairement de personnes habitant à moins de 500 mètres du point de vente, se rendant à pied sur le lieu de ventes et réalisant des achats de faible montant »9. Dans plusieurs décisions récentes, les effets d’opérations de concentration concernant des points de vente d’une surface inférieure à 400 m² ont été examinés dans des zones de chalandise correspondant à un temps de déplacement de 10 minutes à pied10.

19. En l’espèce, l’opération concerne : (i) 29 points de vente d’une surface de vente supérieure ou égale à 400 m² situés en province (hors grandes villes) et en grande couronne (ii) 2 points de vente d’une surface de vente supérieure ou égale à 400 m² situés dans une grande ville de province (Marseille), et (iii) 8 points de vente à dominante alimentaire d’une surface de vente inférieure à 400 m² (mais supérieure à 120 m²) situés en province et en Ile-de-France (hors Paris).

20. Il n’y a pas lieu de remettre en cause ces délimitations dans le cadre de la présente opération.

 

III. Analyse concurrentielle

A. MARCHÉ AMONT DE L’APPROVISIONNEMENT

21. En ce qui concerne les marchés amont de l’approvisionnement, il convient d’indiquer que l’opération est limitée à 39 magasins déjà sous enseigne du groupe Casino et s’approvisionnant déjà auprès du groupe Casino. L’acquisition n’est donc pas susceptible de renforcer la puissance d’achat du groupe Casino, tous produits confondus comme par grands groupes de produits.

22. Par conséquent, l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché amont de la distribution.

 

B. MARCHÉ AVAL DE LA DISTRIBUTION A DOMINATION ALIMENTAIRE

23. L’opération n’emporte aucun chevauchement d’activité en dehors de Villiers-sur-Marne (94) où est situé un magasin cible d’une surface de 280 m² et où MM. [X] détiennent un point de vente de distribution à dominante alimentaire sous enseigne Simply Market (Groupe Auchan) d’une surface de 1 053 m2.

24. Sur le marché comprenant les supermarchés et formes de commerce équivalentes situés dans une zone de chalandise de 10 minutes à pied autour du magasin situé 42 rue du Général de Gaulle à Villiers-sur-Marne (94), deux points de vente sont présents outre le Franprix cible, à savoir un magasin sous enseigne Simply Market détenu par MM. [X] et un point de vente exploité sous enseigne G20. Cependant, trois magasins supplémentaires se situent à proximité immédiate de la bordure de zone (moins de 5 minutes à pied supplémentaires), sous enseignes Lidl, Cocci (Francap) et 8 à Huit (Carrefour). En prenant en compte ces magasins, les parties disposeront d’une part de marché de [40-50] % ([10-20] % pour le magasin cible) et feront face à la concurrence de Lidl ([30-40] %), Francap ([10-20] %) et Carrefour ([0-5] %), les concurrents disposant globalement d’un plus grand nombre de magasins.

25. En conséquence, l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence dans la zone de Villiers-sur-Marne (94).

 

DECIDE

Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 15-226 est autorisée.

 

NOTES :

1 Promesse de vente consentie par Jadasag Finance à FPLPH sur les titres qu’elle détient dans la société contrôlant Holdimag.

2 Les lignes directrices de l’Autorité de la concurrence relatives au contrôle des concentrations précisent en effet que « Pour déterminer si un actionnaire minoritaire dispose d’une influence déterminante, l’Autorité examine, en premier lieu, les droits qui lui sont conférés et leurs modalités d’exercice. Elle tient compte, par exemple (…) de la possibilité de monter dans le capital ultérieurement, soit du fait d’accords particuliers, soit par la détention de titres convertibles en actions, ou encore de l’existence d’options d’achat ; en elles-mêmes, de telles options ne peuvent conférer un contrôle sur la période antérieure à leur exercice, à moins que cette option ne s'exerce dans un proche avenir conformément à des accords juridiquement contraignants, mais elles peuvent venir conforter d’autres indices d’une influence déterminante » (§48).

3 Voir notamment la décision de l’Autorité de la concurrence n°12-DCC-48 du 6 avril 2012 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Sofides par la société ITM Entreprises, et la décision n°12-DCC-125 du 27 août 2012 relative à la prise de contrôle conjoint de 28 magasins de commerce de détail à dominante alimentaire par l’Union des Coopérateurs d’Alsace et l’Association des Centres Distributeurs E. Leclerc. Voir également la décision de l’Autorité de la concurrence n°14-DCC-173.

4 Voir notamment les décisions de la Commission européenne M. 1221, Rewe / Meinl du 3 février 1999 et M. 1684, Carrefour/ Promodès du 25 janvier 2000.

5 Voir notamment les décisions du ministre dans le secteur, C.2005-98 Carrefour/ Penny Market du 10 novembre 2005, C.2006-15 Carrefour/ Groupe Hamon du 14 avril 2006, C.2007-172 relatif à la création de l’entreprise commune Plamidis du 13 février 2008 et C.2008-32 Carrefour/ SAGC du 9 juillet 2008 ; ainsi que les décisions de l’Autorité de la concurrence n°11-DCC-45 et 11-DCC-04 précitées.

6 Voir l’avis du Conseil de la concurrence n°97-A-04 du 21 janvier 1997 relatif à diverses questions portant sur la concentration de la distribution et la décision de l’Autorité de la concurrence n°10-D-08 du 3 mars 2010 relative à des pratiques mises en oeuvre par Carrefour dans le secteur du commerce d’alimentation générale de proximité.

7 Voir notamment les décisions de l’Autorité de la concurrence n°11-DCC-04 du 28 janvier 2011 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Mafical par la société ITM Alimentaire Région parisienne ; la décision n°11-DCC-05 du 17 janvier 2011 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Distri Sud-Ouest par la société Retail Leader Price Investissement ; la décision n°14-DCC-11 du 28 janvier 2014 relative à la prise de contrôle par la société Franprix Leader Price Holding de 47 magasins de commerce de détail à dominante alimentaire Le Mutant et de 22 fonds de commerce de boucherie et les décisions n°12-DCC-63 et n°14-DCC-173 précitées.

8 Notamment, décision 14-DCC-173 du 21 novembre 2014 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Dia France SAS par la société Carrefour France SAS.

9 Voir la décision de l’Autorité de la concurrence n° 11-DCC-05 du 17 janvier 2011 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Distri Sud-Ouest par la société Retail Leader Price Investissement.

10 Voir les décisions de l’Autorité de la concurrence n°12-DCC-112 du 3 août 2012 précitée et n°13-DCC-144 du 28 novembre 2013 relative à la prise de contrôle exclusif par la société Franprix Leader Price Holding (groupe Casino) des sociétés Ardis, Badis, Nidis, Saudis, Eldis, Puidis, Pedis, Cydis, Breadis, Clemendis et Carbudis.