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Décisions

Cass. com., 30 novembre 2004, n° 01-16.581

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tricot

Paris, 1re ch. G, du 19 sept. 2001

19 septembre 2001

Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (Chambre commerciale, financière et économique, 24 janvier 1995, Bull. Civ. IV, n° 27), que par délibération de ses actionnaires réunis en assemblée générale extraordinaire le 5 juillet 1986, la société Champagnes Giesler (la société Giesler) a décidé d'apporter à la société en commandite par actions Champagne X... (la société X...), constituée à cette même date, son fonds de commerce ainsi que la participation majoritaire qu'elle détenait au sein du capital de la société Marne et Champagne ; que le 5 septembre 1988, M. Y..., actionnaire minoritaire de la société Giesler, invoquant un abus de majorité, a demandé en justice l'annulation de la délibération du 5 juillet 1986 et de la société X... ainsi que des dommages-intérêts ;

Sur la recevabilité des moyens, contestée par la défense :

Attendu que la société Giesler et les autres défendeurs soutiennent que les sociétés X... et Marne et Champagne ayant fusionné par décisions du 21 décembre 1998 avec effet rétroactif au 1er janvier 1998 et M. Y... s'étant désisté de l'action en annulation qu'il avait engagée à l'encontre de cette fusion, ce dernier n'est plus recevable à poursuivre l'annulation de la société X... puisque, de toute façon, la fusion de cette société avec la société Marne et Champagne ne peut plus être remise en cause ;

Mais attendu que ces circonstances ne sont pas de nature à faire disparaître l'intérêt de M. Y... à soutenir les critiques qu'il formule à l'encontre de l'arrêt attaqué ; que les moyens sont recevables ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. Y... fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré prescrites les actions en annulation alors, selon le moyen :

1 ) que la censure qui s'attache à un arrêt de cassation est limitée à la portée du moyen qui lui sert de base et laisse subsister les dispositions non attaquées par le pourvoi, sauf dans les cas d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire ; que la cassation partielle de l'arrêt de la cour d'appel de Reims du 1er février 1993 n'a pas porté sur le chef de dispositif de cet arrêt, rejetant la fin de non-recevoir tirée de l'application de la prescription de six mois de l'article L.. 235-9, alinéa 2, du Code de commerce ; que le rejet de cette fin de non-recevoir, qui ne présentait aucun lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire avec le chef de dispositif cassé, était donc irrévocable ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel de renvoi a violé les articles 625, 638 du nouveau Code de procédure civile et 1351 du Code civil ;

2 ) que la prescription de six mois de l'article L. 235-9, alinéa 2, du Code de commerce ne s'applique pas à l'action en nullité, fondée notamment sur des irrégularités de procédure, dirigée contre les décisions du conseil d'administration et de l'assemblée générale d'une société ; que la cour d'appel a violé le texte précité par fausse application ;

3 ) que la prescription de six mois de l'article L. 235-9, alinéa 2, du Code de commerce ne s'applique qu'aux actions en nullité d'une fusion ou d'une scission de sociétés, définies par l'article L. 236-3 comme une opération qui entraîne la dissolution sans liquidation des sociétés qui disparaissent et la transmission universelle de leur patrimoine aux sociétés bénéficiaires ; que cette prescription ne s'applique pas à une cession partielle d'actif, peu important que cette opération, qui n'entraîne pas la disparition d'une société, ait été soumise, par la volonté des fondateurs de la société bénéficiaire de l'apport, au régime juridique des fusions et des scissions issu des dispositions des articles L. 236-16 à L. 236-21 du Code de commerce ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les articles L. 235-9, alinéa 2, et L. 236-22 du Code de commerce ;

4 ) que la prescription de six mois des actions en nullité d'une fusion ou d'une scission de société ne court qu'à compter de la date de la dernière inscription au registre du commerce et des sociétés rendue nécessaire par l'opération ; qu'en statuant de la sorte, sans aucune constatation sur la date de la dernière inscription au registre du commerce rendue nécessaire par l'opération litigieuse, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 235-9 du Code de commerce ;

5 ) qu'en ne répondant pas à ses conclusions, qui faisaient valoir que la fraude qui entache les délibérations attaquées est en tout état de cause exclusive de l'application de la prescription de six mois, l'action ne pouvant être soumise à une courte prescription lorsqu'elle a pour fondement une faute équipollente au dol, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, que si l'arrêt de la cour d'appel de Reims a, dans ses motifs, rejeté la fin de non-recevoir tirée de l'application de la prescription de l'article L. 235-9 du Code de commerce, cette motivation , qui n'est pas reprise dans le dispositif de l'arrêt, n'est pas revêtue de l'autorité de la chose jugée ;

Attendu, en deuxième lieu, que la cour d'appel retient à bon droit que le délai de prescription abrégée de six mois prévu par l'article L. 235-9 du Code de commerce est applicable aux actions tendant à l'annulation d'une opération d'apport partiel d'actif, lorsque celle-ci a été placée sous le régime des scissions ; qu'il importe peu à cet égard que la cause de nullité invoquée réside dans un abus de majorité ou dans des irrégularités de procédure affectant les décisions prises par le conseil d'administration ou par l'assemblée générale de l'une des sociétés participant à l'opération ;

Et attendu, en troisième lieu, qu'en retenant comme point de départ de la prescription la date de l'entrée en vigueur de la loi du 5 janvier 1988, l'arrêt a ainsi constaté que la dernière inscription au registre du commerce et des sociétés rendue nécessaire par l'opération était antérieure à cette date ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Mais sur le second moyen, pris en ses deuxième et troisième branches :

Vu l'article 1833 du Code civil ;

Attendu que la résolution d'une assemblée d'actionnaires prise contrairement à l'intérêt social et dans l'unique dessein de favoriser des membres de la majorité au détriment de membres de la minorité constitue un abus de majorité et engage la responsabilité de ses auteurs ;

Attendu que pour écarter l'abus de majorité et rejeter les demandes de dommages-intérêts formées par M. Y..., l'arrêt se borne à retenir que l'opération réalisée répondait au but légitime d'assurer, eu égard au grand âge de M. X..., la pérennité de l'entreprise en faisant appel pour la diriger à des personnes étrangères aux actionnaires, que le choix de la société en commandite par actions était licite et adapté au but poursuivi, que l'interposition d'associés commandités n'a pas eu d'incidence réelle sur l'architecture du groupe X... puisque la société Giesler se voyait attribuer 99,68 % du capital de la nouvelle société, que M. Y... ne détenant que 51 actions de la société Marne et Champagne et ne disposant, nonobstant son siège d'administrateur, d'aucune possibilité de peser réellement sur les décisions, la création et l'interposition de la société X... n'a en rien amoindri son influence, que la chute du chiffre d'affaires et des résultats de la société Giesler consécutive à l'opération d'apport n'est pas la marque d'un manque à gagner mais la simple conséquence comptable de sa transformation en holding, dès lors que les résultats de l'activité commerciale transférée ne pouvaient plus être constatés dans ses comptes mais dans ceux de la société X..., que les bénéfices comptabilisés dans cette société entraînent une augmentation de la valeur des titres de la société Giesler qui ne peut être traduite dans les comptes de celle-ci, les principes comptables ne permettant pas une réévaluation des titres de participation et qu'en dépit de la décote susceptible d'affecter la valeur de ces titres du fait de la diminution des prérogatives de la direction et des actionnaires de la société Giesler consécutive à l'introduction d'une structure intermédiaire de gestion, il ne saurait être utilement soutenu que l'opération a eu pour effet de transformer la société mère en une "coquille vide" ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, alors qu'elle constatait qu'à la suite de l'opération litigieuse, la société Giesler, devenue associée commanditaire de la société X..., s'était trouvée dépourvue de l'exercice direct de prérogatives de direction de cette société et que, de 1986 à 1988, son chiffre d'affaires était tombé de 88 983 631 francs à 295 815 francs et son bénéfice de 33 176 108 francs à 251 531 francs, caractérisant ainsi l'atteinte porté à l'intérêt de la société Giesler, et sans rechercher, comme elle était invitée à le faire, si l'opération n'avait pas eu en réalité pour objet de favoriser les associés majoritaires de la société Giesler, qui s'étaient octroyé la qualité d'associés commandités et, partant, le pouvoir de décider de la répartition des bénéfices issus de la société Marne et Champagne, au détriment de M. Y..., associé minoritaire de la société Giesler, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté les demandes de dommages-intérêts formées par M. Y..., l'arrêt rendu le 19 septembre 2001, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.