CA Paris, Pôle 1 ch. 5, 15 juillet 2022, n° 22/11262
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Viae France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Brunet
Avocats :
Me Lacaze, Me Lesueur
EXPOSE DU LITIGE :
Et après avoir appelé les parties lors des débats de l'audience publique du 13 Juillet 2022 :
Mesdames [X] et [D] [C] et Messieurs [V], [W] et [U] [C] (les consorts [C])ont donné à bail commercial à la société par actions simplifiées unipersonnelle VIAE FRANCE des locaux moyennant un loyer annuel de 160 000 euros, hors charges et hors taxes, payable trimestriellement d'avance, ce par acte sous seing privé du 2 juin 2021.
Les bailleurs ont accordé à la société une franchise de loyers de six mois à charge pour celle-ci de réaliser des travaux d'aménagement.
Par acte d'huissier du 19 novembre 2021 remis à personne morale, les consorts [C]ont fait délivrer à la société VIAE FRANCE un commandement de payer, visant la clause résolutoire insérée au bail, pour une somme de 20 833 euros au titre de l'arriéré locatif.
Par acte d'huissier du 28 janvier et 21 mars 2022, les consorts [C] ont fait assigner la société VIAEFRANCE devant la juridiction des référés du tribunal judiciaire de Paris.
Par ordonnance de référé rendue le 25 mai 2022, le président du tribunal judiciaire de Paris a :
- constaté l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail à la date du 20 décembre 2021 ;
- ordonné, à défaut de restitution volontaire des lieux dans les 48 heures de la signification de la présente ordonnance puis sous astreinte provisoire de 500 euros par jour de retard durant trois mois, l'expulsion de la SASU VIAE FRANCE et de tout occupant de son chef des lieux situés à [Adresse 1], si besoin avec le concours de la force de publique et l'assistance d'un serrurier ;
- dit, en cas de besoin, que les meubles se trouvant sur les lieux seront remis aux frais de la personne expulsée dans un lieu désigné par elle et qu'à défaut, ils seront laissés sur place ou entreposés en un autre lieu approprié et décrits avec précision par l'huissier chargé de l'exécution, avec sommation à la personne expulsée d'avoir à les retirer dans un délai de quatre semaines à l'expiration duquel il sera procédé à leur mise en vente aux enchères publiques, sur autorisation du juge de l'exécution, ce conformément à ce que prévoient les dispositions du code des procédures civiles d'exécution sur ce point ;
- fixé à titre provisionnel l'indemnité d'occupation due par la SASU VIAE FRANCE, à compter de la résiliation du bail et jusqu'à la libération effective des lieux par la remise des clés ou l'expulsion, à une somme égale au montant du loyer contractuel, outre les taxes, charges et accessoires ;
- condamné par provision la SASU VIAE FRANCE, à payer en deniers ou quittances aux consorts[V], [X], [W], [D] et [U] [C], la somme de 115.465,87 euros correspondant aux loyers, charges, taxes, autres accessoires et indemnités d'occupation au 1er avril 2022 (deuxième trimestre 2022inclus), avec intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation ;
- condamné la SASU VIAE FRANCE aux entiers dépens, en ce compris le coût du commandement de payer visant la clause résolutoire en date du 19 novembre 2021 ;
- condamné la SASU VIAE FRANCE à payer aux consorts [V], [X], [W], [D] et [U] [C], la somme de1.200 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- rejeté toute autre demande plus ample ou contraire.
La société VIAE France a interjeté appel de cette décision le 24 juin 2022.
Par acte du 30 juin 2022, elle a assigné les consorts [C] devant le premier président de la cour d'appel de Paris en référé aux fins d'arrêt de l'exécution provisoire. Elle demande au premier président de la cour d'appel statuant en référé de :
- arrêter l'exécution provisoire att achée la décision du 25 mai 2022 du tribunal judiciaire de Paris ;
- condamner in solidum [V], [X], [W], [D] et [U] [C] à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civil ainsi qu'en tous les dépens.
A l'audience du 13 juillet 2022, elle a réitéré et soutenu oralement les termes de son assignation.
Aux termes de leurs conclusions visées par le greffier et soutenues oralement le 13 juillet 2022, les consorts [C] demandent au premier président de la cour d'appel de Paris de :
- les juger recevables et bien fondés en leurs demandes ;
- juger que la société VIAE FRANCE ne justifie pas de l'existence d'un moyen d'annulation ou de réformation de l'ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris en date du 25 mai 2022 (RG n° 22/51662) ;
- juger que la société VIAE FRANCE ne prouve pas que l'exécution provisoire de l'ordonnance des référés du 25 mai 2022 (RG n° 22/51662) risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives qui se sont révélées postérieurement à la date de son délibéré ;
- débouter la société VIAE FRANCE de l'ensemble de ses demandes ;
- condamner la société VIAE FRANCE à leur verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société VIAE FRANCE aux entiers dépens de l'instance.
SUR CE,
Sur la demande de suspension de l'exécution provisoire
La société VIAE FRANCE soutient que l'exécution provisoire doit être arrêtée car il existe des moyens sérieux d'annulation et de réformation de l'ordonnance et qu'elle subirait des conséquences manifestement excessives en raison de cette exécution provisoire. S'agissant des moyens sérieux d'annulation et de réformation de l'ordonnance, elle fait valoir que le principe de la contradiction n'a pas été respecté, que les conditions de la procédure de référé n'étaient pas réunies et qu'elle remplissait les conditions lui permettant d'obtenir des délais. Concernant les conséquences de l'exécution provisoire, elle invoque une situation économique relativement difficile et une altération de manière grave et profonde de son organisation si l'exécution provisoire de la décision n'était pas suspendue. Elle ajoute que les actionnaires de la holding du groupe VIAE en France, la société VIAE GROUPE SA, ont décidé d'augmenter son capital.
Les consorts [C] font valoir en premier lieu que la société qui a comparu sans conclure n'a pas fait valoir d'observations sur l'exécution provisoire de sorte qu'elle n'est recevable à obtenir l'arrêt de l'exécution provisoire qu'en raison de l'existence d'un moyen sérieux d'annulation ou de réformation et de conséquences manifestement excessives révélées postérieurement au 25 mai2022. Ils soutiennent l'absence de moyens sérieux de réformation, le principe de la contradiction ayant été selon eux respecté ainsi que les conditions du référé, la société n'ayant pas formulé de demande de délai et la juridiction lui ayant permis de justifier d'un paiement afin de lui accorder des délais de paiement. Ils font valoir une absence de conséquences manifestement excessives pour la société et des conséquence excessives les concernant en cas de suspension de l'exécution provisoire en ce que le loyer constitue une créance alimentaire pour un d'entre eux, handicapé à plus de 80%.
Aux termes de l'article 514-3 du code de procédure civile, dans sa version applicable aux instances introduites devant les juridictions du premier degré à compter du 1er janvier 2020, qu'en cas d'appel, le premier président peut être saisi afin d'arrêter l'exécution provisoire de la décision lorsqu'il existe un moyen sérieux d'annulation ou de réformation et que l'exécution risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives. La demande de la partie qui a comparu en première instance sans faire valoir d'observations sur l'exécution provisoire n'est recevable que si, outre l'existence d'un moyen sérieux d'annulation ou de réformation, l'exécution provisoire risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives qui se sont révélées postérieurement à la décision de première instance.
Les conséquences manifestement excessives s'apprécient en ce qui concerne les condamnations pécuniaires par rapport aux facultés de paiement du débiteur et aux facultés de remboursement de la partie adverse en cas d'infirmation de la décision assorti e de l'exécution provisoire.
Le risque de conséquences manifestement excessives suppose un préjudice irréparable et une situation irréversible en cas d'infirmation.
En l'espèce, la décision assorti e de l'exécution provisoire est une ordonnance de référé. Par application des dispositions de l'article 514-1 du code de procédure civile, le juge ne peut écarter l'exécution provisoire de droit lorsqu'il statue en référé. Dès lors, l'obligation de faire valoir des observations en première instance sur l'exécution provisoire à peine d'irrecevabilité ne peut pas être opposée à la société VIAE FRANCE puisqu'en tout état de cause, le juge ne pourrait pas écarter l'exécution provisoire.
S'agissant des moyens sérieux invoqués par la société VIAE France, aux termes des dispositions combinées des articles 14 et 16 du code de procédure civile, nulle parti e ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée et le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement. Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations.
Un moyen sérieux ne peut pas être retenu au titre d'un manquement au principe de la contradiction alors qu'il résulte des dires concordants des parti es, des termes de l'ordonnance de référé et des pièces produites aux débats que :
- l'affaire a été évoquée à deux reprises les 14 mars et 11 avril 2022 ;
- la société VIAE FRANCE a été appelée à ces deux audiences ;
- elle ne conteste pas ne pas avoir conclu comme l'indiquent les consorts [C] et ses dires sont repris dans l'ordonnance de référé ;
- la juridiction a renvoyé l'affaire à l'audience du 11 avril 2022 afin de lui permettre de s'acquitter de sa dette locative puis à cette audience, a refusé un nouveau renvoi mais a autorisé une note en délibéré avant le 9 mai 2022, l'affaire étant mise en délibéré jusqu'au 25 mai, afin de permettre à la société de justifier de ce paiement ;
- la société a adressé le 23 mai 2022 un courriel au service des référés du tribunal judiciaire de Paris afin d'indiquer qu'un virement venait d'être effectué le jour-même sur le compte Carpa de son conseil et de solliciter une réouverture des débats ;
- le paiement est parvenu sur le compte du gestionnaire du bailleur le 25 mai, pour la somme de 1544,58 euros et le 27 mai, pour une somme de 64 583 euros, les consorts [C] ayant indiqué par courriel du 24 mai 2022 à 21 heures ne pas avoir reçu de paiement.
Ainsi, la société VIAE FRANCE a été à même de présenter son argumentation au cours de deux audiences, ses dires ont été pris en compte et elle a bénéficié d'un renvoi afin de s'acquitter de sa dette puis d'un délai supplémentaire pour ce faire dans le cadre d'une note en délibéré qu'elle a adressée à la juridiction au-delà de la date fixée.
La société VIAE FRANCE soutient ensuite que les conditions du référé n'étaient pas réunies dans la mesure où une contestation sérieuse tenant à la mauvaise foi des bailleurs dans la mise en œuvre de la clause résolutoire existait.
Aux termes de l'article 834 du code de procédure civile dans sa rédaction applicable au litige, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend. Il résulte de l'article 835 du même code que le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Par application des dispositions de l'article L. 145-41 du code de commerce, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai. Les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.
En l'espèce, il ressort des pièces produites aux débats que :
- le bail commercial conclu entre les parties stipule une clause résolutoire prévoyant qu'un mois après un commandement de payer ou après une sommation d'exécuter demeurés infructueux, le bail sera résilié de plein droit conformément aux dispositions de l'article L. 145-41 du code de commerce précité ;
- un commandement de payer a été signifié le 19 novembre 2021 et la juridiction des référés a été saisie par un acte d'huissier du 28 janvier 2022 soit plus d'un mois après le caractère infructueux non contesté de ce commandement ;
- un relevé de compte est joint à ce commandement de payer et ce dernier mentionne le délai d'un mois au terme duquel la résiliation de plein droit produit effet ;
- le bail commercial sti pule que la franchise consenti e au titre d'une participation de la société aux travaux d'aménagement porte sur les six premiers mois de loyer en principal ce qui exclut les charges locatives ;
- il stipule également que le preneur s'oblige à payer trimestriellement et d'avance le loyer en quatre termes égaux notamment le premier octobre de chaque année.
En outre, la société VIAE FRANCE ne conteste ni la validité du commandement de payer ni le montant de la somme sollicitée. Un moyen sérieux ti ré d'une assignation délivrée un mois seulement après que le premier loyer a commencé à courir ne peut pas être retenu alors qu'aux termes du bail, le loyer du mois de décembre 2021 était exigible à compter du premier octobre2021. Enfin, les échanges de courriels produits par la société sont inopérants pour démontrer que les consorts [C]ont engagé cette procédure afin de libérer les locaux en vue d'une vente.
En dernier lieu, compte tenu de ce qui précède sur le déroulement de la procédure, la société VIAEFRANCE ne peut pas valablement soutenir qu'elle n'a pas pu bénéficier de délais de paiement.
Dès lors, il sera retenu qu'il n'existe pas de moyen sérieux d'annulation ou de réformation de l'ordonnance de référé.
S'agissant des conséquences manifestement excessives que l'exécution de la décision risquerait d'entraîner, la société VIAE FRANCE indique seulement qu'une expulsion aurait pour conséquence d'altérer de manière grave et profonde son organisation sans caractériser précisément au regard de son activité et de son organisation, ces conséquences.
Ces éléments commandent de rejeter la demande d'arrêt de l'exécution provisoire.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
La société VIAE FRANCE, partie perdante, sera tenue aux dépens et condamnée à payer aux consorts [C] la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle sera déboutée de sa demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS
Rejetons la demande d'arrêt de l'exécution provisoire de l'ordonnance de référé du 25 mai 2022 du président du tribunal judiciaire de Paris formée par la société VIAE FRANCE,
Condamnons la société VIAE FRANCE à verser à Mesdames [X] et [D] [C] et Messieurs [V], [W] et[U] [C] la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboutons la société VIAE France de sa demande au titre des frais irrépétibles.
Condamnons la société VIAE FRANCE aux dépens.
ORDONNANCE rendue par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parti es en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.