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Décisions

Cass. 3e civ., 13 juillet 2022, n° 21-14.394

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Teiller

Rapporteur :

M. Boyer

Avocats :

SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Lesourd

Poitiers, du 09 févr. 2021

9 février 2021

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 9 février 2021), par acte du 15 septembre 2015, la société Erteco France, ensuite absorbée par la société Carrefour proximité France (la société Carrefour), se plaignant d'infiltrations en toiture du bâtiment qui lui avait été donné à bail par la société civile immobilière La Broche (la SCI), dans lequel elle exploitait son activité commerciale, a, après expertise, assigné la bailleresse en exécution forcée de travaux.

2. La société Erteco France a quitté les lieux le 23 janvier 2016.

3. Par acte du 1er mars 2017, la SCI a délivré congé à la société Carrefour avec refus de renouvellement en déniant le statut des baux commerciaux à défaut d'exploitation du fonds de commerce et d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés.

4. Un état des lieux contradictoire a été dressé le 28 septembre 2017, établissant l'existence de nombreuses dégradations commises, après le départ du preneur, par des occupants sans droit ni titre.

5. En cours d'instance, la société Carrefour, modifiant ses demandes, a sollicité, à titre principal, que soit constaté l'accord des parties sur la résiliation amiable du bail moyennant le versement par la bailleresse d'une indemnité de tel montant pour solde de tout compte et, subsidiairement, le prononcé de la résiliation judiciaire aux torts exclusifs de la SCI au 23 janvier 2016 et l'indemnisation de ses préjudices.

6. La SCI, qui a conclu au rejet des demandes, a demandé reconventionnellement réparation de ses divers préjudices, notamment au titre des dégradations constatées dans l'état des lieux de sortie.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

7. La SCI fait grief à l'arrêt de prononcer la résiliation du bail à ses torts exclusifs avec effet au 23 janvier 2016, de la condamner à payer à la société Carrefour une certaine somme au titre de la perte du fonds de commerce, à lui restituer l'intégralité des loyers, charges et taxes payées entre le 23 janvier 2016 et le 30 septembre 2017, ainsi que le dépôt de garantie, et de rejeter ses demandes au titre de la remise en état des locaux, et du paiement d'une indemnité d'occupation, alors :

« 1°/ que le preneur répond des dégradations ou des pertes qui arrivent pendant sa jouissance, à moins qu'il ne prouve qu'elles ont eu lieu sans sa faute ; que la société La Broche faisait valoir qu'à la suite de l'abandon des locaux par la société Carrefour, sans prévenance, au plus tard au mois de janvier 2016, ces derniers avaient été occupés par des tiers, et que le constat d'état des lieux de sortie du 30 septembre 2017 établissait qu'au jour de leur restitution, les locaux avaient été entièrement pillés et vandalisés, le procès-verbal de constat relevant, notamment, que les câbles électriques, réseaux, fluides et gaines d'aération avaient été arrachés, les lieux souillés et couverts d'ordures, les revêtements des sols et des murs ôtés ou cassés, les ouvertures et fermetures, les sanitaires, les cloisons, les baies vitrées, les plafonds, les rideaux métalliques et plusieurs parties des charpentes métalliques détruits ou enlevés, l'immeuble menaçant désormais ruine ; qu'en retenant que l'occupation des lieux par des tiers à l'origine des désordres constatés dans l'état des lieux du 28 septembre 2017 étant intervenue après le départ de la société Carrefour constaté en mars 2016, pour en déduire que le défaut de surveillance des lieux et les dommages causés par des tiers auraient incombé à la bailleresse, et n'auraient pas été imputables à une faute de la société preneuse, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si les locaux donnés à bail n'avaient pas été restitués le 28 septembre 2017, de sorte que la locataire était responsable des dégradations survenues jusqu'à cette date, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1731 et 1732 du code civil ;

2°/ que le preneur répond des dégradations, y compris des aménagements qu'il a réalisés, et dont les parties sont convenues que le bailleur deviendrait propriétaire au terme du bail, dès lors que ces dégradations arrivent pendant sa jouissance ; qu'en affirmant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 1731 et 1732 du code civil ;

3°/ qu'en toute hypothèse, il appartient au preneur d'établir que les dégradations constatées lors de la restitution des lieux ne portent que sur des aménagements qu'il a réalisés, dont le bailleur ne devient propriétaire qu'au terme du bail ; qu'en se bornant à retenir, par des motifs inopérants, que la désignation des lieux en début de bail était inconnue, que la locataire avait réalisé des aménagements, et que les désordres décrits dans l'état des lieux ne portaient que sur des aménagements et non sur la structure du bâtiment, sans constater que la société Carrefour établissait que chacun des désordres décrits aux termes du procès-verbal de sortie des lieux portait sur des aménagements qu'elle avait réalisés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1731 et 1732 du code civil ;

4°/ que le preneur demeure tenu au paiement d'une indemnité d'occupation, après la résiliation du bail, tant que les lieux n'ont pas été restitués en bon état de réparation et qu'il n'a pas exécuté son obligation de répondre des dégradations de la chose louée ; que la société La Broche demandait le paiement d'une indemnité d'occupation à compter du mois de septembre 2017 dès lors que l'état dans lequel les lieux avaient été restitués n'en permettait pas la jouissance ; qu'en la déboutant de cette demande au motif, inopérant, que la résiliation du bail était prononcée à ses torts exclusifs à la date du 23 janvier 2016, la cour d'appel a violé les articles 1731 et 1732 du code civil ;

5°/ que toute dégradation d'un bien constitue, pour son propriétaire, un préjudice ; que la société La Broche faisait valoir que ses locaux, pillés et vandalisés, avaient été totalement dévastés, au point de menacer ruine ; qu'en retenant qu'en tout état de cause, aucun préjudice n'aurait été établi compte tenu de la démolition envisagée et intervenue de l'immeuble, la cour d'appel, qui a statué par un motif impropre à exclure tout préjudice subi par la société La Broche du fait de la totale dévastation des locaux donnés à bail, a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

6°/ qu'en toute hypothèse, en statuant de la sorte, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la destruction de l'immeuble n'en avait pas interdit la jouissance, et si ce n'était pas, précisément, l'état désastreux et dangereux dans lequel les lieux avaient été restitués qui avait conduit à envisager sa démolition, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

7°/ que le juge ne peut refuser d'ordonner l'indemnisation d'un préjudice au seul motif que les pièces produites ne permettent pas de l'évaluer ; qu'en retenant par motif adopté, pour la débouter de sa demande d'indemnisation, que l'estimation établie par un architecte produite par la société La Broche pour chiffrer son préjudice était trop imprécise pour « fonder une indemnisation valable », la cour d'appel a violé l'article 4 du code civil l'article et 1147 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

8. La cour d'appel, qui a prononcé la résiliation du bail à la date du 23 janvier 2016 aux torts exclusifs de la SCI pour manquement à ses obligations de délivrance et de jouissance paisible, a constaté que la société Carrefour avait libéré les lieux à cette date, ce dont la SCI avait été informée.

9. Ayant souverainement retenu que les dégradations constatées lors de l'établissement de l'état des lieux de sortie, le 28 septembre 2017, résultaient de l'occupation ultérieure par des tiers du bâtiment dont le preneur n'avait plus la jouissance du fait du bailleur, de sorte que celles-ci n'étaient pas imputables à la locataire, elle a pu en déduire, sans être tenue de procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes, et abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les deuxième, troisième, cinquième, sixième et septième branches, que les demandes de la SCI au titre de la remise en état des lieux et tendant à voir fixer une indemnité d'occupation à compter du mois de septembre 2017, ne pouvaient être accueillies.

10. Elle a ainsi légalement justifié sa décision.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

11. La SCI fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société Carrefour une certaine somme au titre de la perte du fonds de commerce, alors « que
le juge ne peut fonder sa décision exclusivement sur un document rédigé à la demande de l'une des parties ; qu'en retenant, pour évaluer à la somme de 250 000 euros le préjudice prétendument subi par la société Carrefour du fait de la perte du fonds de commerce, que le montant du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice 2015 s'élevait à la somme de 916 943 euros, au vu d'une seule attestation, établie par un salarié de la demanderesse, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

12. La cour d'appel, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de la valeur probante des pièces soumises à son examen, a pu retenir que le chiffre d'affaires réalisé par la société Carrefour sur l'exercice 2015, mentionné dans une attestation émanant d'un des salariés de celle-ci chargé du contrôle de gestion, qui constituait un élément objectif et vérifiable et dont elle a relevé qu'il n'était pas contesté, pouvait servir de référence à l'estimation du préjudice résultant de la perte du fonds de commerce dont elle a souverainement évalué le montant.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.