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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 19 mai 2010, n° 08/23943

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Robin

Défendeur :

123 Multimedia Limited (Sté), 3614 (SARL), Index Multimedia (Sté), Association Union Des Photographes Createurs (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pimoulle

Conseillers :

Mme Chokron, Mme Gaber

Avoués :

SCP Baufume-Galland-Vignes, SCP Fisselier - Chiloux - Boulay

Avocats :

Me Challamel, Me Hasbanian, Me Lagarde

TGI Paris, du 25 nov. 2008, n° 05/16115

25 novembre 2008

Vu le jugement contradictoire du 25 novembre 2008 rendu par le tribunal de grande instance de Paris (3ème chambre 1ère section),

Vu les appels interjetés par Marc ROBIN le :

-19 décembre 2008, à l'encontre de la société INDEX MULTIMEDIA, venant aux droits de la société 123 MULTIMEDIA, et des sociétés 3614 et 123 MULTIMEDIA LIMITED,

-24 décembre 2008, à l'encontre de la société 123 MULTIMEDIA LIMITED,

Vu l'ordonnance de jonction des deux procédures d'appel du 16 mars 2009,

Vu les dernières conclusions du 4 février 2010, signifiées à nouveau le 22 février 2010, de l'appelant,

Vu les conclusions d'intervention volontaire du 9 février 2010 de l'association UNION DES PHOTOGRAPHES CREATEURS (UPC), à titre accessoire,

Vu les dernières conclusions du 2 mars 2010 des sociétés INDEX MULTIMEDIA, anciennement dénommée 123 MULTIMEDIA, 3614 et 123 MULTIMEDIA LIMITED, intimées, et incidemment appelantes,

Vu l'ordonnance de clôture du 16 mars 2010,

SUR CE, LA COUR,

Il est expressément renvoyé pour un plus ample exposé des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures échangées par les parties en appel.

Il sera simplement rappelé que Marc ROBIN, photographe publicitaire, a réalisé, par l'intermédiaire d'une société de droit hongrois la société EBEL Kft, à la demande de la société 123 Multimedia (actuellement dénommée Index Multimedia) qui entendait offrir un service de téléchargement sur téléphone portable de photographies des positions du Kamasutra, une série de 48 photographies et 74 vidéogrammes (vidéos) d'un couple nu de mannequins et deux factures concernant la réalisation <<d'une série de photos à thème 'Kamasutra'>> ont été adressées les 3 et 24 mars 2003 par la société EBEL à 123 Multimedia pour le règlement de deux acomptes d'un forfait de 5.000 euros comprenant : <<honoraires>> photographe (s) et << honoraires mannequins, coiffeur/maquilleur, décor, location studio/lumière, production>>.

Ayant eu connaissance, en octobre 2004, d'une exploitation de ces photographies et vidéos par la société 123 Multimédia et certaines de ses filiales, dont la société 3614, Marc ROBIN et la société EBEL ont notamment fait constater par procès-verbal d'huissier de justice du 7 juillet 2005 l'offre en vente sur un site web de téléchargement « magikmobile.com » animé par 123 Multimedia et sa filiale 123 Multimédia Limited des photographies, puis, dûment autorisés par ordonnance présidentielle du 15 juillet 2005, ont fait pratiquer une saisie contrefaçon le 18 août 2005 dans les locaux des sociétés 123 Multimédia et 3614, qui a notamment permis d'établir l'existence de téléchargements de 82 photographies depuis mai 2003.

C'est dans ces conditions, que Marc ROBIN et la société EBEL ont en particulier fait assigner les 12, 13 et 14 septembre 2005 les sociétés 123 Multimédia, 3614 et 123 Multimédia Limited en contrefaçon de droits d'auteur et atteinte aux droits du producteur, devant le tribunal de grande instance de Paris, étant précisé que la société EBEL paraît avoir ensuite été radiée du registre des sociétés et que le juge de la mise en état a constaté le 31 janvier 2007, à l'égard d'autres sociétés assignées, le désistement, l'incompétence du tribunal ou la nullité de l'acte introductif d'instance.

Le jugement entrepris, du 25 novembre 2008, a essentiellement :

-débouté Marc ROBIN et la société EBEL de leurs demandes,

-dit que la société Index Multimédia (venant aux droits de 123 Multimédia) est titulaire des droits sur les photographies ayant fait l'objet des factures des 3 et 24 mars 2003 et des vidéogrammes y afférent,

-dit que Marc ROBIN a engagé sa responsabilité délictuelle à l'égard des sociétés Index Multimédia et 3614 en ayant exploité par le biais de la société Mobibase les photographies ainsi facturées sans l'autorisation de la société Index Multimédia,

-condamné en conséquence Marc ROBIN à payer aux sociétés Index Multimédia et 3614 la somme globale de 55.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'exploitation des photographies sur le site internet [...], et prononcé une mesure d'interdiction d'exploitation sous astreinte,

-débouté les sociétés Index Multimédia, 123 Multimédia Ltd et 3614 de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, et condamné Marc ROBIN à leur payer à chacune 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile (CPC).

Marc ROBIN conteste cette décision comme déniant ses droits d'auteur et réitère ses demandes telles que formées en première instance pour atteinte à ses droits patrimoniaux et moraux ainsi que pour ses frais irrépétibles de procédure.

Les société intimées sollicitent la confirmation des condamnations prononcées en première instance à l'encontre de Marc ROBIN et demandent de dire :

-à titre subsidiaire, qu'elles ont régulièrement acquis les droits d'exploitation des photographies et vidéos en cause en s'acquittant de la facture émise par la société EBEL comportant les 'honoraires photographes' et qu'il n'est pas rapporté la preuve d'une atteinte au droit moral de Marc ROBIN ni du montant du préjudice total allégué par ce dernier (de 700.000 euros) qui devrait être réduit au regard du résultat d'exploitation,

-en tout état de cause, que Marc ROBIN a commis une faute en exploitant par le biais d'un de leur concurrent direct (la société MOBIBASE) les photographies commandées et payées par la société INDEX MULTIMEDIA, ordonner en conséquence une mesure d'interdiction d'exploitation sous astreinte et leur allouer 55.000 euros en réparation de l'exploitation parasitaire des photographies en cause, outre une indemnité de 30.000 euros pour procédure abusive et de 10.000 euros au titre de l'article 700 du CPC.

L'UPC intervient en cause d'appel, faisant essentiellement valoir que la motivation du jugement entrepris ainsi que les moyens des intimées portent atteinte à ses intérêts statutaires et que Marc ROBIN a fait des choix esthétiques méritant la protection du droit d'auteur.

Cette intervention volontaire à titre accessoire, qui s'appuie sur les prétentions de Marc ROBIN est recevable, ce qui n'est au demeurant pas sérieusement contesté, dès lors que l'association UPC, qui a notamment pour objet de défendre les droits d'auteur des photographes, a intérêt à soutenir l'appelant.

Les premiers juges ont estimé que les photographies et vidéogrammes litigieux, illustrant le thème Kamasutra ne constituaient pas une oeuvre originale, et n'étaient donc pas des oeuvres de l'esprit protégeables par le droit d'auteur.

Les intimées sollicitent la confirmation de cette analyse, estimant que :

-Marc ROBIN n'est intervenu que comme technicien, ses prestations n'ayant pas pour objet de faire transparaître sa personnalité artistique mais devant répondre à des exigences éditoriales de la société 123 Multimédia, laquelle conteste formellement avoir proposé le 4 novembre 2003 d'acquérir ses droits et rappelle que son seul cocontractant était la société EBEL,

-la comparaison avec d'autres représentations du Kamasutra et notamment celles reproduites dans un ouvrage de 1994 d'une sexologue américaine (Anne HOOPER) permet de constater l'absence d'originalité des photographies en cause et que le visionnage des vidéos démontre cette même absence d'originalité.

Sur les droits d'auteur

Il sera relevé que la société 123 Multimédia ne peut sérieusement prétendre avoir donné toutes les directives de création au photographe par l'intermédiaire de la société EBEL, alors que si la société EBEL lui a demandé le 20 février 2003 de mettre au point avec le photographe <<tous les problèmes de décors, de poses, de lumières...>> aucun élément ne permet de considérer que des instructions, autres que des directives générales, aient pu être données, qu'il n'est pas dénié que les photographies et vidéos ont effectivement été réalisées par Marc ROBIN, lequel a fait connaître ses besoins puisque la société EBEL indiquant à 123 Multimedia dans un des mails du 20 février 2003 qu'il était << impossible de coupler les prises de vue>> car le photographe <<a besoin d'une lumière différente pour la vidéo>>, tandis que la société 123 Multimedia ne justifie d'aucune compétence en matière de prise de vue.

Certes, l'action en contrefaçon est subordonnée à la condition que la création, objet de cette action, soit une oeuvre de l'esprit protégeable au sens de la loi, c'est à dire originale.

A cet égard, sans dénier la réalité de contraintes liées à l'objet et à la thématique des photographies et vidéos commandées, Marc ROBIN, fait valoir qu'il a opéré des choix esthétiques et que l'originalité de ses réalisations procède, pour chacune des photographies et vidéos qu'il décrit utilement, de façon détaillée, en cause d'appel (pages 14 à 24 et25 à 35 de ses écritures), de la combinaison des éléments caractéristiques suivants, conférant une unité d'ensemble à son travail :

-la position des mannequins non exclusivement fonction des contraintes du Kamasutra,

-l'angle et le cadrage des photographies et vidéos,

-les effets de contrastes de couleurs et de relief, et le jeu de la lumière et des volumes,

-les expressions des visages et des regards des mannequins.

Il explique, sans être réellement démenti, chaque option retenue pour la mise en valeur du grain de peau et d'une gestuelle tendant à créer une harmonie et éviter toute vulgarité en fonction notamment de choix d'angles de prises de vues plus ou moins plongeants, de face ou de profil, de plans larges ou rapprochés, de cadrages différents et de contrastes d'ombres, qui rendent compte d'un travail propre.

L'examen auquel la cour s'est livré des photographies litigieuses, au regard en particulier des 10 photographies de l'ouvrage produit par les intimées, démontre que si certains éléments sont effectivement connus (couple nu sur un drap blanc ayant souvent les yeux fermés, reproduisant des caresses ou positions du Kamasutra) et que, pris séparément, ils appartiennent au fonds commun de l'univers de l'illustration des <<techniques classiques du plaisir>>, les choix opérés par Marc ROBIN et l'impression visuelle créée par leur combinaison telle que revendiquée, dès lors que l'appréciation de la cour doit s'effectuer de manière globale, en fonction de l'aspect d'ensemble produit par l'agencement des différents éléments et non par l'examen de chacun d'eux pris individuellement, confère aux clichés qu'il a réalisés une physionomie propre qui les distinguent des autres clichés du même genre et qui traduit un parti-pris esthétique empreint de la personnalité de son auteur, malgré les contraintes inhérentes au thème.

Il en est de même des vidéos, qui traduisent par ailleurs le choix de mobilité de la caméra, leur conférant un caractère propre au demeurant non sérieusement contredit, qui indépendamment d'un travail purement technique traduit un effort créatif personnalisé qui n'est pas entièrement guidé par les contraintes de ce type de réalisations, dont il n'est pas prétendu qu'elles ne peuvent être autrement représentées.

En définitive, l'originalité, tant des photographies que des vidéogrammes en cause, est suffisamment établie et la décision entreprise doit donc infirmée de ce chef.

Il s'infère de ces observations que les intimées ne pouvaient reproduire ou exploiter ces oeuvres sans le consentement de l'auteur.

Le tribunal a justement relevé que les factures établies par la société EBEL ne précisent pas le nombre de photographies concerné et ne mentionne pas la réalisation de vidéos. Même si l'exclusion du principe d'une rémunération forfaitaire indifférenciée de l'auteur ne s'applique pas dans les rapports entre les sociétés EBEL et 123 Multimedia, les facturations globales produites qui ne comportent pas le terme « exploitation » ne visent manifestement que l'ensemble des frais de « réalisation » des photographies (frais de prises de vue), incluant les honoraires du photographe, et ne peuvent s'analyser en une cession de droits d'exploitation.

N'est pas plus établie l'existence d'une cession implicite des droits, même si Marc ROBIN ne pouvait ignorer avoir travaillé sur commande de la société 123 Multimedia.

En revanche, le mail du 4 novembre 2003 précité, adressé à la société EBEL, ayant pour objet <<Images videos et photos>>, démontre que la société 123 Multimedia a proposé pour les droits de diffusion sur des mobiles un reversement proportionnel et une durée de licence. Certes les intimées prétendent que cette proposition, qui donne in fine à EBEL une adresse de compte pour <<déposer des images>>, ne pouvait concerner les vidéos et photos Kamasutra de mars 2003 déjà exploitées, la société 123 Multimedia ayant <<par ailleurs>> regretté le 2 mars 2005, dans un mail adressé à l'agent de Marc ROBIN, n'avoir <<pu faire affaire sur l'ensemble>> de son catalogue (après avoir indiqué que les factures d'achat des photos en permettait leur exploitation). Toutefois, ces assertions ne sauraient suffire à démontrer que la société 123 Multimédia, professionnelle de la communication, ait pu réellement croire avoir acquis, nonobstant l'absence de conclusion d'un contrat de licence, les droits de diffusion d'images photos et vidéos par le simple paiement de frais de réalisation des photographies.

En réalité, il est suffisamment démontré que les sociétés intimées dépendant du groupe Index Multimedia, qui ne contestent pas avoir exploité le travail de Marc ROBIN, ne se sont pas assurées de son consentement ce qui caractérise à leur encontre des actes de contrefaçon.

Sur les mesures réparatrices

Les opérations de saisie-contrefaçon et les pièces produites en suite d'une injonction du juge de la mise en état du 23 août 2007 permettent d'établir à 44.467 le nombre de téléchargements réalisés et à 69.544 euros le chiffre d'affaires brut généré par cette exploitation attestée par le commissaire aux compte du groupe, étant observé que ces éléments ne sont pas réellement contredits, même si une autre société a pu postérieurement réaliser une exploitation manifestement plus conséquente (544.473 téléchargements de janvier 2005 à juin 2007), et s'avèrent suffisamment explicités et justifiés.

L'atteinte aux droits patrimoniaux subie par Marc ROBIN, du fait des intimées, sera dès lors justement réparée par l'allocation d'une somme de 7.000 euros.

Il n'est pas sérieusement contesté que Marc ROBIN n'a réalisé que 48 photographies alors que 82 photographies de son illustration du thème Kamasutra ont été exploitées. Dès lors il doit être admis que la différence (34 photographies) résulte nécessairement de captures des vidéos filmées en 2003 par Marc ROBIN du même couple dans un décor identique, ce qui n'est au demeurant démenti par aucune pièce. Une telle utilisation d'images animées en images fixes, même si le nom du photographe n'y est pas associé, porte nécessairement atteinte à l'oeuvre telle que voulue par son auteur et partant à son droit moral, et sera justement réparée par l'octroi d'une indemnité de 3.000 euros.

Dès lors qu'il n'est pas dénié que l'exploitation reprochée a été interrompue ensuite de la saisie contrefaçon, des mesures d'interdiction ou de publication ne sont pas justifiées et ne sauraient être ordonnées.

Sur les autres demandes

Le simple fait pour Marc ROBIN, dont il n'a pas été établi qu'il ait cédé ses droits patrimoniaux aux intimées, d'avoir autorisé l'exploitation, à compter de janvier 2005, des photographies en cause par une société de service de téléchargement concurrente de la société 123 Multimedia, alors que celle-ci avait eu l'idée d'une telle exploitation et payé en mars 2003 les frais de réalisation de ces photographies, ne saurait suffire à caractériser à l'encontre de l'auteur une faute préjudiciable susceptible d'engager sa responsabilité à l'égard des intimées.

L'ensemble des demandes formées à ce titre par ces dernières seront en conséquence rejetées, et le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a retenu que Marc ROBIN avait engagé sa responsabilité délictuelle à l'égard de sociétés Index Multimédia et 3614.

Les intimées, qui succombent en toutes leurs prétentions, ne sauraient obtenir des dommages et intérêts pour procédure abusive.

PAR CES MOTIFS,

Reçoit l'association UNION DES PHOTOGRAPHES en son intervention volontaire à titre accessoire ;

Infirme la décision entreprise en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'elle a retenu que la société 123 Multimédia Ltd ne justifie pas être titulaire de droits sur les photographies litigieuses et en ce qu'elle a débouté les sociétés Index Multimédia, 123 Multimédia Ltd et 3614 leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Statuant à nouveau,

Dit que les sociétés INDEX MULTIMEDIA (anciennement dénommée 123 Multimedia), 3614 et 123 MULTIMEDIA LIMITED ont commis des actes de contrefaçon à l'encontre de Marc ROBIN ;

Les condamne in solidum à payer à Marc ROBIN à titre de dommages et intérêts, en réparation de l'atteinte à :

-ses droits patrimoniaux, la somme de7.000 euros,

-son droit moral, la somme de 3.000 euros ;

Rejette toutes autres demandes des parties contraires à la motivation ;

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamne in solidum les sociétés INDEX MULTIMEDIA, 3614 et 123 MULTIMEDIA LIMITED aux dépens de première instance et d'appel qui pour ces derniers pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.