ADLC, 10 mars 2016, n° 16-DCC-40
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
relative à la prise de contrôle exclusif par le groupe Carrefour de quatre magasins de commerce de détail à dominante alimentaire
L’Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 11 février 2016, relatif à la prise de contrôle exclusif par le groupe Carrefour de quatre magasins de commerce de détail à dominante alimentaire, formalisée par deux promesses unilatérales d’achat en dates du 28 septembre 2015 et du 3 décembre 2015 ;
Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;
Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l’instruction ;
Adopte la décision suivante :
I. Les entreprises concernées et l’opération
1. Les sociétés CSF et Carrefour Proximité France sont des filiales à 100 % de la société Carrefour SA, société à la tête du groupe Carrefour qui est actif dans le secteur du commerce de détail à dominante alimentaire ainsi que dans la distribution en gros à dominante alimentaire en France et dans le reste du monde. Carrefour est présent dans 34 pays avec plus de 12 000 magasins sur quatre continents (Europe, Amérique du Sud, Afrique et Asie). En France, le groupe Carrefour exploite plus de 5 500 magasins (hypermarchés, supermarchés, commerce de proximité, cash and carry), sous enseignes Carrefour, Carrefour Market, Carrefour City, Carrefour Contact, Carrefour Express, Carrefour Montagne, Huit à 8, Marché Plus, Proxi, Promocash. Le groupe Carrefour dispose également d’une activité de drive et de différents sites marchands sur internet, l’un alimentaire (Ooshop) et l’autre non alimentaire (On Line Carrefour).
2. Carrefour conclut également avec des sociétés exploitant des magasins de commerce de détail à dominante alimentaire des contrats d’enseigne et d’approvisionnement qui leur permettent d’exploiter leurs points de vente sous l’une des enseignes du groupe Carrefour, de s’approvisionner auprès de ses centrales d’achat, de bénéficier de fournisseurs référencés par Carrefour et des conditions d’achat du groupe, et de bénéficier enfin de services offerts par Carrefour.
3. Les cibles de l’opération sont quatre supermarchés sous enseigne Match, situés dans le département du Haut-Rhin (68), à Kaysersberg, et dans le département du Nord (59), à La Madeleine, Roubaix et Valenciennes.
4. L’opération, formalisée par deux promesses unilatérale d’achat, consiste en la cession des fonds de commerce de ces quatre magasins par la société Supermarchés Match aux sociétés Carrefour Proximité France (Kaysersberg, La Madeleine et Roubaix) et CSF (Valenciennes).
5. En ce qu’elle se traduit par la prise de contrôle exclusif de 4 magasins de commerce de détail à dominante alimentaire par le groupe Carrefour, l’opération notifiée constitue une opération de concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce.
6. Les entreprises concernées exploitent plusieurs magasins de commerce de détail et réalisent ensemble un chiffre d’affaires total hors taxes sur le plan mondial de plus de 75 millions d’euros (Carrefour : 76 milliards d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2014 ; les cibles : 15,5 millions d’euros pour le même exercice). Les entreprises concernées réalisent en France dans le secteur du commerce de détail un chiffre d’affaires total hors taxes supérieur à 15 millions d’euros (Carrefour : 37 milliards d’euros ; les cibles : 15,5 millions d’euros). Compte tenu de ces chiffres d’affaires, l’opération ne relève pas de la compétence de l’Union Européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au point II de l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. La présente opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique. II. Délimitation des marchés pertinents
7. Les marchés concernés par l’opération relèvent du secteur de la distribution à dominante alimentaire.
8. Selon la pratique décisionnelle des autorités nationale1 et européenne2 de concurrence, deux catégories de marchés peuvent être délimitées dans le secteur de la distribution à dominante alimentaire : d’une part, les marchés aval, de dimension locale, qui mettent en présence les entreprises de commerce de détail et les consommateurs pour la vente de biens de consommation et, d’autre part, les marchés amont de l’approvisionnement, sur lesquels les entreprises en tant qu’acheteurs sont en contact avec les fabricants des produits, de dimension nationale.
A. MARCHÉS AVAL DE DISTRIBUTION
1. LES MARCHÉS DE SERVICES
9. S’agissant de la vente au détail de biens de consommation courante, la pratique décisionnelle3 a distingué six catégories de commerces en utilisant plusieurs critères, notamment la taille des magasins, leurs techniques de vente, leur accessibilité, la nature du service rendu et l’ampleur des gammes de produits proposés : (i) les hypermarchés, (ii) les supermarchés, (iii) le commerce spécialisé, (iv) le petit commerce de détail, (v) les maxi-discompteurs, (vi) la vente par correspondance. 10. Les hypermarchés sont usuellement définis comme des magasins à dominante alimentaire d’une surface de vente égale ou supérieure à 2 500 m², les supermarchés comme des magasins à dominante alimentaire d’une surface de vente inférieure à 2 500 m² et supérieure à 400 m² et les supérettes comme des magasins à dominante alimentaire d’une surface de vente inférieure à 400 m² et supérieure à 120 m²4.
11. S’agissant des magasins de proximité à dominante alimentaire, la pratique décisionnelle a précisé qu’il convenait d’analyser les conditions dans lesquelles le marché fonctionne effectivement, notamment le fait que, dans un certain nombre de configurations géographiques, un hypermarché, un supermarché ou un magasin de maxi-discount peut être habituellement utilisé par certains consommateurs comme un magasin de proximité, en substitution d’une supérette, tout en précisant que la réciproque n’est pas vraie5.
12. En l’espèce, les quatre magasins cibles ont une surface de vente comprise entre 400 m² et 2 500 m² et entrent donc dans la catégorie des supermarchés.
2. DÉLIMITATION GÉOGRAPHIQUE
13. Dans ses décisions récentes6 relatives à des opérations concernant des hypermarchés ou des supermarchés, l’Autorité de la concurrence a rappelé qu’en fonction de la taille des magasins concernés, les conditions de la concurrence devaient s’apprécier sur deux zones différentes :
- un premier marché où se rencontrent la demande des consommateurs d’une zone et l’offre des hypermarchés auxquels ils ont accès en moins de 30 minutes de déplacement en voiture et qui sont, de leur point de vue, substituables entre eux ;
- un second marché où se rencontrent la demande des consommateurs et l’offre des supermarchés et formes de commerce équivalentes situés à moins de 15 minutes de temps de déplacement en voiture. Ces dernières formes de commerce peuvent comprendre, outre les supermarchés, les hypermarchés situés à proximité des consommateurs et les magasins discompteurs.
14. D’autres critères peuvent néanmoins être pris en compte pour évaluer l’impact d’une concentration sur la situation de la concurrence sur les marchés de la distribution de détail, ce qui peut conduire à affiner, au cas d’espèce, les délimitations usuelles présentées ci-dessus.
15. En l’espèce, les quatre magasins cibles entrant dans la catégorie des supermarchés, l’analyse concurrentielle sera menée sur le marché incluant l’ensemble des hypermarchés et formes de commerce équivalentes (supermarchés, hard discount et magasins populaires) situés à moins de 15 minutes des magasins de Kaysersberg (68), La Madeleine (59), Roubaix (59) et Valenciennes (59).
B. MARCHÉS AMONT DE L’APPROVISIONNEMENT
16. En ce qui concerne les marchés amont de l’approvisionnement, la Commission européenne a retenu l’existence de marchés de dimension nationale par grands groupes de produits, délimitation suivie par les autorités nationales7.
17. Il n’y a donc pas lieu de remettre en cause cette délimitation à l’occasion de la présente opération.
III. Analyse concurrentielle
A. MARCHÉS AVAL DE LA DISTRIBUTION A DOMINANTE ALIMENTAIRE
18. Sur le marché comprenant l’ensemble des hypermarchés, supermarchés et formes de commerce équivalentes situés dans un rayon de 15 minutes en voiture autour du point de vente de Kaysersberg (68), le magasin cible représente 5 % de l’ensemble des surfaces de vente à dominante alimentaire. Toutefois aucun autre magasin contrôlé par Carrefour ne figurant dans cette zone, l’opération n’entraine aucune modification de la structure de la concurrence sur ce marché.
19. Sur le marché comprenant l’ensemble des hypermarchés, supermarchés et formes de commerce équivalentes situés dans un rayon de 15 minutes en voiture autour du point de vente de La Madeleine (59), le magasin cible représente 0,76 % des surfaces de vente. La part de marché du groupe Carrefour à l’issue de l’opération s’élèvera à 38,5 %, le groupe détenant dans cette zone dix sept autres magasins (37,7 %). Les principaux concurrents de Carrefour dans cette zone sont Auchan (21,4 %), Intermarché (8,9 %), le groupe Casino (7,1 %), Cora/Match/Francap (12,2 %), Leclerc (2,3 %), Aldi (4,1 %) et Lidl (5,2 %).
20. Sur le marché comprenant l’ensemble des hypermarchés, supermarchés et formes de commerce équivalente situés dans un rayon de 15 minutes en voiture autour du point de vente de Roubaix (59), le magasin cible représente 0,5 % des surfaces de vente. La part de marché du groupe Carrefour à l’issue de l’opération s’élèvera à 17,6 %, le groupe détenant dans cette zone huit autres magasins (17,1 %). Les principaux concurrents de Carrefour dans cette zone sont Cora/Match/Francap (14,8 %), Auchan (33,1 %), Casino (10,1 % de part de marché), Intermarché (5,7 %), Leclerc (4,9 %), Aldi (5,8 %) et Lidl (6,4 %).
21. Sur le marché comprenant l’ensemble des hypermarchés, supermarchés et formes de commerce équivalentes situés dans un rayon de 15 minutes en voiture autour du point de vente de Valenciennes (59), le magasin cible représente 3,3 % des surfaces de vente. La part de marché totale du groupe Carrefour à l’issue de l’opération s’élèvera à 35,7 %, le groupe détenant dans cette zone huit autres magasins (32,4 %). Les principaux concurrents de Carrefour dans cette zone sont Auchan (47,2 %), Aldi (6,3 %) et Lidl (7,4 %).
22. Les risques d’atteinte à la concurrence peuvent donc être écartés sur ces marchés.
23. En conséquence, l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés aval de la distribution.
B. MARCHÉS AMONT DE L’APPROVISIONNEMENT
24. En ce qui concerne les marchés amont de l’approvisionnement, l’opération est limitée à quatre magasins ne représentant qu’une partie marginale des parts de marché du groupe Carrefour sur les zones concernées. L’acquisition du contrôle exclusif des quatre fonds de commerce n’est donc pas susceptible de renforcer significativement la puissance d’achat du groupe Carrefour, tous produits confondus comme par grands groupes de produits.
25. Par conséquent, l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence les marchés amont de l’approvisionnement.
DECIDE
Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 16-030 est autorisée.
NOTES
1 Voir notamment la décision de l’Autorité de la concurrence n°12-DCC-48 du 6 avril 2012 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Sofides par la société ITM Entreprises, et la décision n°12-DCC-125 du 27 août 2012 relative à la prise de contrôle conjoint de 28 magasins
de commerce de détail à dominante alimentaire par l’Union des Coopérateurs d’Alsace et l’Association des Centres Distributeurs E. Leclerc. Voir également la décision de l’Autorité de la concurrence n°14-DCC-173 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Dia France SAS
par la société Carrefour France SAS.
2 Voir la lettre du ministre de l’économie n°C2007-172 du 13 février 2008.
3 Voir, par exemple, la décision de l’Autorité de la concurrence 12-DCC-63 du 9 mai 2012 relative à l a prise de contrôle exclusif de la société Guyenne et Gascogne SA par la société Carrefour SA, la décision 13-DCC-90 du 11 juillet 2013 relative à la prise de contrôle exclusif de la
société Monoprix par la société Casino Guichard-Perrachon et la décision 14-DCC-173 précitée.
4 Voir les décisions de l’Autorité de la concurrence n°13-DCC-57 du 10 mai 2013 relative à la prise de contrôle exclusif par la société Franprix Leader Price Holding (groupe Casino) de la société NFL Distribution SAS, n°13-DCC-144 du 28 novembre 2013 relative à la prise de contrôle exclusif par la société Franprix Leader Price Holding (groupe Casino) des sociétés Ardis, Badis, Nidis, Saudis, Eldis, Puidis, Pedis, Cydis, Breadis, Clemendis et Carbudis ainsi que la décision n°14-DCC-146 du 8 octobre 2014 relative à la prise de contrôle exclusif par la société Casino Guichard Perrachon de 63 magasins de commerce de détails à dominante alimentaire.
5 Voir la décision de l’Autorité de la concurrence n°14-DCC-30 du 6 mars 2014 relative à la prise de contrôle exclusif par la société Carrefour Proximité France de 129 magasins de commerce de détail à dominante alimentaire, ainsi que les décisions n°13-DCC-90 du 11 juillet 2013 et n°14-DCC-146 du 8 octobre 2014 précitées.
6 Voir notamment la décision de l’Autorité de la concurrence n°11-DCC-04 du 28 janvier 2011 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Mafical par la société ITM Alimentaire Région parisienne, la décision n°11-DCC-45 du 18 mars 2011 relative à la prise de contrôle exclusif du fonds de commerce de l’hypermarché Cora Desmarais par la société Sodex Desmarais, la décision n°12-DCC-63 et la décision n°14-DCC-173 précitée.
7 Voir notamment les décisions du ministre dans le secteur, C.2005-98 Carrefour/ Penny Market du 10 novembre 2005, C.2006-15 Carrefour/ Groupe Hamon du 14 avril 2006, C.2007-172 relatif à la création de l’entreprise commune Plamidis du 13 février 2008 et C.2008-32 Carrefour/ SAGC du 9 juillet 2008 ; ainsi que les décisions de l’Autorité de la concurrence n°11-DCC-45 et 11-DCC-04 précitées.