ADLC, 12 avril 2016, n° 16-DCC-52
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
relative à la prise de contrôle exclusif de la société Goûters Magiques par le groupe Norac
L’Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé au service des concentrations le 28 janvier 2016 et déclaré complet le 30 mars 2016, relatif à la prise de contrôle exclusif de la société Goûters Magiques par le groupe Norac, formalisée par un contrat de cession d’actions en date du 29 juin 2015 ;
Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;
Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l’instruction ;
Adopte la décision suivante :
I. Les entreprises concernées
1. Norac est une société anonyme qui détient plusieurs dizaines de filiales, principalement actives dans le secteur de l’industrie agro-alimentaire et plus spécifiquement les activités de snacking (frais et ultra-frais), de traiteur et légumes préparés, et de boulangerie et viennoiseries industrielles, dont Goûters Magiques, co-contrôlée avec le groupe agro-alimentaire Galapagos.
2. Goûters Magiques est une société par actions simplifiée qui détient les filiales Christian Faure Entreprise, Le Ster, Gaillard Pâtissier et Armor Délices1, spécialisées dans la fabrication et la commercialisation de produits de pâtisseries industrielles2. Goûters Magiques est actuellement détenue à 40,2 % par Norac, à 40,2 % par le groupe Galapagos, le capital restant étant détenu par trois actionnaires financiers (CM-CIC Investissement, Unexo et Idia Développement) chacun à hauteur de 6,52 %. La création de l’entreprise commune Goûters Magiques par Norac et Galapagos avait donné lieu à une autorisation du ministre de l’économie en août 20073.
3. La présente opération, formalisée par un contrat de cession des actions de Galapagos à Norac, en date du 29 juin 2015, porte ainsi la participation de Norac dans le capital de Goûters Magiques de 40,2 % à 80,4 %. Le solde du capital restera détenu dans les mêmes proportions par les trois associés financiers historiques de Goûters Magiques, CM-CIC Investissement, Unexo et Idia Développement, ces derniers n’étant pas en mesure d’exercer une influence déterminante sur les décisions stratégiques de Goûters Magiques.
4. En ce qu’elle se traduit par le passage d’un contrôle conjoint à un contrôle exclusif par Norac sur Goûters Magiques et ses quatre filiales, l’opération notifiée constitue une concentration au sens de l’article L.430-1 du code de commerce.
5. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d’affaires total hors taxes sur le plan mondial de plus de 150 millions d’euros (Norac : […] d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2014 ; Goûters Magiques : […] d’euros pour le même exercice). Deux au moins de ces entreprises réalisent en France un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros (Norac : […] d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2014 ; Goûters Magiques : […] d’euros pour le même exercice). Compte tenu de ces chiffres d’affaires, l’opération ne relève pas de la compétence de l’Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au point I de l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. La présente opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.
II. Délimitation des marchés pertinents
6. Les parties sont simultanément présentes dans le secteur de la boulangerie, viennoiserie et pâtisserie industrielle.
A. LES MARCHES DE PRODUITS
7. Dans le secteur de la boulangerie, viennoiserie et pâtisserie industrielle (ci-après « BVP »), la pratique décisionnelle opère une première distinction entre (i) la boulangerie (pains et substituts du pain), (ii) la viennoiserie (croissants, pains au chocolat, pains aux raisins, chaussons, etc.) et (iii) la pâtisserie ; ainsi qu’une sous-segmentation entre les produits frais et les produits surgelés4. S’agissant de ce dernier marché, seul concerné par la présente opération, la pratique décisionnelle nationale5 a considéré qu’une distinction entre la biscuiterie industrielle et la pâtisserie industrielle (ou de conservation) apparaissait pertinente, tout en laissant la question ouverte.
8. Par ailleurs, une segmentation supplémentaire en fonction du type de recette ou de spécialité a été envisagée. En effet, les pâtisseries de conservation regroupent des produits divers, tels que les madeleines, les crêpes, les gaufres, les quatre-quarts, les cakes, les « brownies », les gâteaux du type mini-fourrés ou les spécialités régionales, comme les galettes bretonnes.
9. Les autorités de concurrence nationales ont toutefois souligné, du côté de l’offre, l’existence d’une substituabilité entre ces différentes recettes dans la mesure où les lignes de production des pâtisseries de conservation peuvent être facilement utilisées pour la réalisation des différentes recettes. La modification de l’outil de production des pâtisseries de conservation se traduit essentiellement par une substitution de moules, qui, en fonction du format requis nécessite un investissement de 30 000 à 80 000 euros, ce qui reste un investissement d’une portée limitée comparativement au coût total d’une chaîne de fabrication qui varie entre 500 000 euros et 5 millions d’euros.
10. Du côté de la demande, la pratique décisionnelle a considéré, tout en laissant la question ouverte, que le consommateur final arbitrait très largement entre les différents produits composant la catégorie pâtisserie industrielle.
11. Enfin, la segmentation de ces marchés en fonction du canal de distribution (GMS, RHF) ainsi que de leur positionnement commercial s’agissant du canal des GMS (MDF, MDD, MPP) a également été envisagée.
12. En tout état de cause, la question de la délimitation précise de ces marchés peut être laissée ouverte dans la mesure où les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurent inchangées.
B. LES MARCHES GEOGRAPHIQUES
13. Dans le domaine alimentaire, les autorités de la concurrence considèrent traditionnellement les marchés comme ayant une dimension nationale6. Les préférences, les goûts et les habitudes des consommateurs, les différences de prix, des variations de parts de marché des opérateurs dans les différents pays, et la forte présence de marques nationales justifient généralement cette délimitation.
14. Dans le secteur de la BVP, la pratique décisionnelle7 a ainsi retenu une dimension nationale pour le marché de la pâtisserie industrielle qu’il n’y a pas lieu, au cas d’espèce, de remettre en cause.
III. L’analyse concurrentielle 15. Norac et Galapagos ayant décidé de dénouer leur partenariat commercial établi en 2007 avec la création de Goûters Magiques, l’opération consiste en un passage d’un contrôle conjoint à un contrôle exclusif de Norac sur Goûters Magiques. 16. Le passage d’un contrôle conjoint à un contrôle exclusif n’est généralement pas susceptible de modifier significativement les conditions de l’exercice de la concurrence. Néanmoins, l’analyse concurrentielle doit être menée en tant compte de la position des parties sur les marchés, de leur renforcement éventuel à l’issue de l’opération, et de leurs incitations à modifier leurs comportements concurrentiels. Dans certains cas, qui impliquent notamment des parties en situation de concurrence avant la concentration, le passage d’un contrôle conjoint à un contrôle exclusif a fait l’objet d’un examen approfondi8.
17. Au cas d’espèce, Norac n’était pas actif sur les mêmes marchés que Goûters Magiques avant l’opération. Toutefois, Norac étant actif sur les marchés connexes de la boulangerie industrielle, de la viennoiserie industrielle et de la pâtisserie industrielle fraîche et que Goûters Magiques détient une part de marché importante sur le segment des crêpes sous MDF (environ [50-60] %), l’opération est susceptible d’entrainer des effets congloméraux. En effet, l’incitation de Norac à lier les ventes de ces produits de BVP à destination des GMS ou de la RHF est susceptible de changer à l’issue de l’opération.
18. Tout risque concurrentiel peut toutefois être écarté pour plusieurs raisons. Premièrement, la part de marché de Norac sur les marchés de la boulangerie et de la viennoiserie industrielle sur lesquels il est seul actif est inférieure à 25 %, quelle que soit la segmentation envisagée. Seul Goûters Magiques détient une position en valeur importante, estimée à environ [50- 60] % sur le segment des crêpes sous MDF que plusieurs nouveaux entrants ont par ailleurs pénétré en 2015 : Paysan Breton, Saint-Michel et Bonne Maman.
19. Deuxièmement, Norac fait face à de nombreux concurrents qui disposent de marques à la notoriété équivalente sur les marchés des produits de BVP, tels que, par exemple, Harry’s et Jacquet pour la boulangerie industrielle, Harry’s, Pasquier ou La fournée dorée pour la viennoiserie industrielle et Brossard/Jacquet (marques Savane et Brossard), Groupe Saint Michel (marques Saint-Michel et Bonne Maman), Mondelez (marques Lu et Milka) ou Pâtisserie Gourmande (marque Ker-Cadelac) pour la pâtisserie industrielle .
20. Troisièmement, les GMS et la RHD détiennent, pour ces produits, un contre-pouvoir suffisant pour contrebalancer l’effet de détention d’une gamme élargie de produits de BVP qui n’apparaît pas être un avantage concurrentiel décisif dans ce secteur où plusieurs concurrents, comme Brossard, Jacquet, Pasquier ou Groupe Saint Michel, détiennent également des gammes de produits étendues.
21. Compte tenu de ces éléments, l’opération n’est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur les marchés des produits de la BVP, en particulier par le biais d’effets congloméraux.
DECIDE
Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 16-022 est autorisée.
NOTES
1 A l’exception de la société Christian Faure Entreprises détenue à 99,98 %, toutes les filiales de Goûters Magiques sont détenues à 100 %. Goûters Magiques détient également, par le biais en particulier de sa filiale Le Ster, les sociétés Whaou ! Sport (sans activité) et SCI du Marais (détentrice de l’immobilier industriel).
2 Goûters Magiques exerce également, de façon plus marginale, une activité de biscuiterie industrielle qui ne sera pas poursuivie à l’issue de l’opération.
3 C-2007-109/ Lettre du ministre de l’économie, des finances et de l’emploi du 27 août 2007, au conseil des sociétés Galapagos et Norac, relative à une concentration dans le secteur de la fabrication et commercialisation de pâtisseries industrielles.
4 Voir notamment les lettres du ministre n° C2006-53 du 24 mai 2006 au conseil des sociétés Ardem et Soufflet et C2008-51 du 15 juillet 2008, aux conseils de la société Vandemoortele et la décision de l’Autorité n°11-DCC-56 du 4 avril 2011 relative à la prise de contrôle exclusif du groupe BCS par le groupe Neuhauser.
5 Voir notamment les lettres du ministre C2006-115 du 8 décembre 2006 aux conseils de la société Biscuiterie de la Baie du Mont Saint Michel et C2007-109 précitée, et les décisions de l’Autorité n°10-DCC-173 du 29 novembre 2010 relative à la prise de contrôle exclusif du groupe Mom par LBO France Gestion et n° 13-DCC-151 du 29 octobre 2013 relative à la prise de contrôle exclusif du Groupe Européenne des Desserts par Equistone Partners Europe SAS.
6 Voir notamment les décisions de l’Autorité n°09-DCC-48 dans le secteur des produits Traiteur, n°10-DCC-21 dans le secteur des légumes et champignons, n°10-DCC-60 dans le secteur des crèmes glacées.
7 Voir la lettre du ministre C2006-115 et la décision de l’Autorité n°10-DCC-173 précitées.
8 Voir notamment les décisions de l’Autorité n° 11-DCC-34 du 25 février 2011 relative à l’acquisition du contrôle exclusif de Ne Varietur par GDF Suez et n° 13-DCC-90 du 11 juillet 2013 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Monoprix par la société Casino Guichard-Perrachon.