Cass. com., 29 mars 2011, n° 10-17.667
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Favre
Avocats :
Me Le Prado, SCP Odent et Poulet
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 9 mars 2010), que le conseil d'administration de la société anonyme Val d'Yonne Habitat (la société), réuni le 28 octobre 2005, ayant révoqué M. X... de ses fonctions de directeur général, celui-ci, faisant valoir que sa révocation avait été décidée sans juste motif et dans des circonstances constitutives d'abus, a demandé que la société soit condamnée à lui payer des dommages-intérêts ; que cette dernière a reconventionnellement demandé que M. X... soit condamné à l'indemniser du préjudice qu'elle avait subi du fait de détournements commis par un salarié ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société fait grief à l'arrêt d'avoir dit que la révocation de M. X... était abusive et de l'avoir condamnée à lui payer une certaine somme en réparation de son préjudice moral alors, selon le moyen :
1°/ que la révocation du directeur général d'une société peut être décidée à tout moment, sans préavis, ni précision de motifs, lesquels n'ont pas à être communiqués préalablement à l'intéressé par le conseil d'administration ; que le principe du contradictoire et des droits de la défense est respecté lorsque le directeur général a été mis en mesure de présenter ses observations avant la décision de révocation, peu important qu'il assiste ou non à la séance au cours de laquelle la révocation est décidée ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que l'atteinte au principe de la contradiction et aux droits de la défense résultait de l'absence de notification des motifs de la révocation et de l'interdiction qui lui aurait été faite de comparaître devant le conseil d'administration ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article L. 225-55 du code de commerce ;
2°/ que nul ne peut se constituer de preuve à soi-même ; qu'en l'espèce, la société Val d'Yonne Habitat contestait avoir fait interdiction au directeur général de se présenter devant le conseil d'administration ; que la cour d'appel a considéré que la preuve de l'interdiction faite au directeur général de se présenter à la séance du conseil était établie par une lettre de M. X... à M. Y... ; que dès lors, la cour d'appel a violé l'article 1315 du code civil, ensemble la règle selon laquelle nul ne peut se constituer de preuve à soi-même ;
3°/ que lorsque la révocation d'un directeur général est décidée pour un juste motif, les juges ne peuvent lui allouer de dommages-intérêts sans constater que la circonstance constitutive d'abus a causé un dommage distinct de celui résultant de sa révocation ; qu'en l'espèce la cour d'appel, pour allouer à M. X... une somme de 30 000 € à titre de dommages-intérêts, s'est bornée à affirmer que cette somme réparerait le « préjudice moral » subi par M. X..., sans préciser si ce préjudice était distinct de celui résultant de la seule révocation ; que, partant, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant constaté qu'il n'était pas démontré que M. X... avait été avisé des motifs pouvant justifier sa révocation de ses fonctions de directeur général, les juges du fond, devant qui il n'était pas allégué que ce dernier avait été invité à participer à la réunion du conseil d'administration au cours de laquelle cette mesure avait été décidée, en ont justement déduit, abstraction faite du motif surabondant visé par la deuxième branche, que M. X... n'avait pas été mis à même de débattre contradictoirement de ces motifs ;
Attendu, en second lieu, qu'après avoir relevé qu'outre le non-respect du principe de la contradiction, il résultait des circonstances de la cause un manque certain de loyauté et de considération pour la réputation de M. X..., la cour d'appel a indemnisé le préjudice moral causé à celui-ci par l'abus ainsi commis par la société dans l'exercice de son droit de révocation ;
D'où il suit que le moyen, non fondé en ses première et troisième branches, ne peut être accueilli pour le surplus ;
Et sur le second moyen :
Attendu que la société fait encore grief à l'arrêt de l'avoir déboutée de sa demande en réparation du préjudice résultant des détournements alors, selon le moyen, que la cour d'appel a constaté qu'un simple rapprochement des encaissements mentionnés dans le logiciel de gestion locative et ceux enregistrés dans le logiciel de comptabilité aurait permis d'établir l'existence des détournements intervenus ; que cette comparaison constitue une règle comptable dont la cour d'appel a pourtant considéré que le non respect était imputable à M. X... ; que dès lors, en exonérant M. X... de toute responsabilité dans le dommage subi par la société Val d'Yonne Habitat, la cour d'appel n'a pas déduit les conséquences qui s'évinçaient de ses propres constatations et, partant, a violé l'article 1382 du code civil ;
Mais attendu qu'ayant constaté qu'il n'était pas établi que la déficience du contrôle interne imputée à M. X... avait permis les détournements commis en 2004 et 2005 par un salarié ou retardé leur découverte, et retenu qu'aucun lien de causalité ne pouvait, dans ces conditions, être caractérisé entre celle-là et ceux-ci, c'est sans méconnaître les conséquences légales de ses constatations que la cour d'appel s'est prononcée comme elle a fait ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.