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Décisions

CE, 7eme et 2eme sous-sect. réunies, 19 novembre 2004, n° 231103

CONSEIL D'ÉTAT

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Genevois

Rapporteur :

M. Julien Boucher

Rapporteur public :

M. Casas

Avocat :

SCP LESOURD ; ODENT

CE n° 231103

18 novembre 2004

Vu la requête, enregistrée le 8 mars 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la SOCIETE NATIONAL WESTMINSTER BANK, dont le siège est ..., agissant par l'un de ses liquidateurs amiables, M. X..., domicilié en cette qualité audit siège ; la SOCIETE NATIONAL WESTMINSTER BANK demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 21 novembre 2000 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille 1°) a annulé le jugement du 24 avril 1998 par lequel le tribunal administratif de Nice a condamné la Société des autoroutes Esterel-Côte d'Azur-Provence-Alpes (Escota) à lui verser une somme de 646 956,00 F (98 627,81 euros), assortie des intérêts de droit, en règlement de deux créances que lui a cédées la Société d'études, de réalisations industrielles, commerciales et financières internationales (Sericofi) dans le cadre de l'exécution du marché de construction de l'auvent de la gare de péage autoroutière de La Turbie (Alpes-Maritimes), 2°) l'a condamnée à restituer cette somme à la société Escota ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le titre II de la loi du 28 pluviôse an VIII ;

Vu la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975, modifiée notamment par l'ordonnance n° 2000-916 du 19 septembre 2000 ;

Vu la loi n° 81-1 du 2 janvier 1981 modifiée ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Julien Boucher, Auditeur,

- les observations de la SCP Lesourd, avocat de la SOCIETE NATIONAL WESTMINSTER BANK et de Me Odent, avocat de la société Autoroutes Esterel-Côte d'Azur-Provence-Alpes,

- les conclusions de M. Didier Casas, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un marché en date du 2 octobre 1991, la Société de l'autoroute Esterel-Côte d'Azur (Escota), aujourd'hui dénommée Société des autoroutes Esterel-Côte d'Azur-Provence-Alpes, a confié à la Société d'études, de réalisations industrielles, commerciales et financières internationales (Sericofi) la construction de l'auvent de la gare de péage autoroutière de La Turbie (Alpes-Maritimes) ; que, par deux bordereaux datés des 9 mars et 23 avril 1992, la société Sericofi a, en application des dispositions de la loi du 2 janvier 1981 facilitant le crédit aux entreprises, aujourd'hui codifiées aux articles L. 313-23 et suivants du code monétaire et financier, cédé à la SOCIETE NATIONAL WESTMINSTER BANK deux créances qu'elle estimait détenir sur la société Escota au titre de deux états d'acompte établis dans le cadre de l'exécution du marché en cause, pour des montants respectifs de 497 105,51 F (75 783,25 euros) et 149 851,10 F (22 844,65 euros) ; que, par deux courriers parvenus à leur destinataire les 18 mars et 29 avril 1992, la SOCIETE NATIONAL WESTMINSTER BANK a notifié ces cessions à la société Escota et lui a demandé de procéder à leur acceptation ; que, cette dernière société ayant refusé une telle acceptation et s'étant abstenue de procéder au paiement demandé à l'échéance, la SOCIETE NATIONAL WESTMINSTER BANK a saisi le tribunal administratif de Nice, qui, par un jugement du 24 avril 1998, a condamné la société Escota à lui verser une somme correspondant au montant des créances cédées, assortie des intérêts de droit ; que, toutefois, par un arrêt du 21 novembre 2000, la cour administrative d'appel de Marseille, saisie de l'appel interjeté par la société Escota contre ce jugement, l'a annulé et a condamné la SOCIETE NATIONAL WESTMINSTER BANK à procéder à la restitution des sommes perçues pour son exécution ; que cette dernière société se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 21 novembre 2000 ;

Considérant qu'aucune disposition du code des marchés publics ni aucune autre disposition n'a pour objet ou pour effet de rendre ce code applicable, de façon générale, aux marchés des sociétés d'économie mixte ; qu'il en va ainsi des marchés des sociétés d'économie mixte concessionnaires de travaux autoroutiers, alors même que, lorsqu'ils sont passés pour l'exécution de tels travaux, ils sont soumis aux règles du droit public ; que, dès lors, la SOCIETE NATIONAL WESTMINSTER BANK est fondée à soutenir qu'en déduisant de la seule qualité de concessionnaire de travaux autoroutiers de la société Escota que le marché passé entre celle-ci et la société Sericofi était soumis au code des marchés publics, la cour administrative d'appel de Marseille a commis une erreur de droit ; qu'il y a lieu, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, d'annuler, pour ce motif, l'arrêt attaqué ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond par application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Sur les conclusions de la requête d'appel de la société Escota :

Considérant, en premier lieu, que, ainsi qu'il a été dit plus haut, le code des marchés publics n'est pas applicable aux marchés passés par les sociétés d'économie mixte concessionnaires de travaux autoroutiers pour l'exécution de tels travaux ; qu'à supposer même que les clauses du marché passé entre les sociétés Escota et Sericofi aient entendu soumettre son exécution aux règles résultant de ce code, cette circonstance n'a pu avoir pour effet de rendre opposables à la SOCIETE NATIONAL WESTMINSTER BANK, qui n'est pas partie à ce marché, les dispositions du dernier alinéa de l'article 189 du code précité imposant, dans sa rédaction alors en vigueur, la production de l'exemplaire unique du marché à l'appui de la notification, par l'établissement de crédit cessionnaire, de la cession intervenue à son profit ;

que, dès lors, le moyen tiré, par la société Escota, de ce que la notification des cessions de créances litigieuses par la SOCIETE NATIONAL WESTMINSTER BANK aurait été irrégulière faute pour cette formalité d'avoir été respectée, ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 6 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2000-916 du 19 septembre 2000 : Le sous-traitant qui a été accepté et dont les conditions de paiement ont été agréées par le maître de l'ouvrage, est payé directement par lui pour la part du marché dont il assure l'exécution (...) ; que ces dispositions, incluses dans le titre II de la loi, sont, en vertu de son article 4, applicables notamment aux marchés passés par les entreprises publiques, au nombre desquelles figure la société Escota, dont le capital était, à la date de passation du marché l'unissant à la société Sericofi, majoritairement détenu par des personnes morales de droit public ; qu'il en va de même de l'article 9 de la même loi, aux termes duquel : La part du marché pouvant être nantie par l'entrepreneur principal est limitée à celle qu'il effectue personnellement. / Lorsque l'entrepreneur envisage de sous-traiter une part du marché ayant fait l'objet d'un nantissement, l'acceptation des sous-traitants prévues à l'article 3 de la présente loi est subordonnée à une réduction du nantissement à concurrence de la part que l'entrepreneur se propose de sous-traiter ; que la limitation, par ces dispositions, de la part du marché pouvant être nantie par l'entrepreneur principal doit être regardée comme concernant également les cessions consenties par celui-ci en application des dispositions de la loi du 2 janvier 1981 aujourd'hui codifiées aux articles L. 313-23 et suivants du code monétaire et financier ; que, toutefois, si la société Escota fait valoir que les travaux auxquels se rapportent les créances cédées à la SOCIETE NATIONAL WESTMINSTER BANK par la société Sericofi ont été en partie sous-traités par cette dernière à la société Charpentes et couvertures de la Méditerranée (C.C.M.), cette circonstance n'est pas de nature à justifier le rejet de la demande de paiement présentée par l'établissement de crédit cessionnaire, dès lors qu'il n'est pas contesté que les travaux ainsi sous-traités ne sont pas au nombre de ceux pour l'exécution desquels la société C.C.M. a été acceptée comme sous-traitante en vertu d'une annexe à l'acte d'engagement du marché et n'ont fait, préalablement à la cession des créances litigieuses, l'objet d'aucune acceptation de la part du maître de l'ouvrage ;

Considérant, enfin, que la circonstance que la société Escota, à qui il appartenait, contrairement à ce qu'elle soutient, de procéder d'elle-même au paiement des sommes dont elle restait redevable dans le cadre du règlement du marché en cause, a été saisie, dans ce cadre, de réclamations émanant de diverses autres sociétés intervenues à l'occasion de l'opération de travaux publics litigieuse n'est pas davantage, par elle-même, et en l'absence de toute précision sur la portée de ces réclamations, de nature à justifier légalement le refus de paiement opposé à la SOCIETE NATIONAL WESTMINSTER BANK ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Escota n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice l'a condamnée à verser à la SOCIETE NATIONAL WESTMINSTER BANK une somme de 646 956,00 F (98 627,81 euros), assortie des intérêts de droit ; que ses conclusions tendant à la restitution, avec intérêts, des sommes versées par elle en exécution de ce jugement ne peuvent, par suite, et en tout état de cause, qu'être rejetées ;

Sur les conclusions reconventionnelles présentées par la SOCIETE NATIONAL WESTMINSTER BANK devant la cour administrative d'appel de Marseille :

Considérant que, si la SOCIETE NATIONAL WESTMINSTER BANK demande que la société Escota soit condamnée à lui verser une somme de 20 000,00 F (3 048,98 euros) à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, il ne résulte pas de l'instruction que, contrairement à ce qui est soutenu, l'appel de cette dernière société ait été formé exclusivement dans un but dilatoire ; que, par suite, les conclusions reconventionnelles présentées par la SOCIETE NATIONAL WESTMINSTER BANK doivent être rejetées ;

Sur les conclusions de la société Escota tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SOCIETE NATIONAL WESTMINSTER BANK, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme de 3 000 euros que la société Escota demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;


D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille en date du 21 novembre 2000 est annulé.

Article 2 : Les conclusions de la requête d'appel de la société Escota et ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions reconventionnelles présentées devant la cour administrative d'appel de Marseille par la SOCIETE NATIONAL WESTMINSTER BANK sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE NATIONAL WESTMINSTER BANK, à la société Escota, au ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et au ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer.