Cass. 3e civ., 14 juin 1995, n° 93-16.036
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Beauvois
Rapporteur :
M. Chapron
Avocat général :
M. Lucas
Avocats :
Me Choucroy, SCP Célice et Blancpain, SCP Nicolay et de Lanouvelle, Me Vincent, Me Odent, SCP Peignot et Garreau, Me Parmentier
Sur le premier moyen du pourvoi principal de la société Tunzini (TNEE) :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 26 janvier 1993), qu'en 1972-1975, la société Natiobail a fait construire un établissement de thalassothérapie sous la maîtrise d'oeuvre du Bureau d'études techniques du bâtiment et de l'urbanisme (BETBU) et de la société civile d'engenering médical (SCEM), la société Socotec étant chargée d'une mission de contrôle ;
que M. A..., entrepreneur principal, aux droits duquel se trouvent les consorts A..., assuré auprès du Groupe des assurances nationales (GAN), a sous-traité les travaux de carrelage des piscines à la société ARSOL, assurée auprès de la SMABTP, ceux d'étanchéité aux sociétés SIKA et SPAPA et ceux de captage des eaux en mer à la société Tunzini Nessi entreprise d'équipement (TNEE) aux droits de laquelle se trouve la société Tunzini, laquelle a fait intervenir la société SERMAR ;
qu'après réception, la société Natiobail, invoquant des désordres, a assigné les constructeurs en réparation ;
qu'il s'en est suivi divers recours en garantie ;
qu'en cause d'appel, la société ARSOL a assigné la SMABTP en intervention forcée et garantie ;
Attendu que la société Tunzini fait grief à l'arrêt de la condamner au titre des désordres affectant l'installation de captage d'eau en mer, alors, selon le moyen, "1 ) que le sous-traitant, qui n'est pas contractuellement lié au maître de l'ouvrage, n'est pas tenu envers celui-ci d'une obligation de conseil ;
qu'en décidant du contraire, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ;
2 ) qu'en toute hypothèse, la cour d'appel constate, d'une part, qu'une entreprise était intervenue en qualité d'entrepreneur général, et, d'autre part, que le BETBU et la SCEM s'étaient vu confier respectivement une mission complète d'architecte et une mission de maître d'oeuvre ;
qu'elle ne pouvait dès lors considérer que la société Tunzini, dont il n'est pas relevé qu'elle ait eu une compétence spéciale en matière de pose de canalisation en mer, ni qu'elle ait commis une faute dans l'exécution des travaux qui lui avaient été confiés, avait engagé sa responsabilité pour avoir réalisé des ouvrages non protégés qui ne pouvaient qu'être détruits, sans attirer l'attention du maître de l'ouvrage à cet égard ;
qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a donc violé l'article 1382 du Code civil" ;
Mais attendu que la cour d'appel a légalement justifié sa décision de ce chef en retenant que la société Tunzini avait commis des fautes en omettant d'appeler l'attention du maître de l'ouvrage sur les risques encourus et en réalisant des ouvrages non protégés qui ne pouvaient qu'être détruits ;
Sur le second moyen du pourvoi principal de la société Tunzini :
Attendu que la société Tunzini fait grief à l'arrêt d'écarter la responsabilité de la société SERMAR dans les désordres affectant l'installation de captage d'eau, alors, selon le moyen, "que la cour d'appel constate que la pose des canalisations sur les fonds marins a été effectuée par la société SERMAR ;
qu'en énonçant pourtant que cette dernière société n'est pas intervenue dans le cadre d'un contrat de louage d'ouvrage ou de sous-traitance vis-à -vis de la société Tunzini mais d'un contrat de location de personnel, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs, en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations d'où il résultait que la société SERMAR, à laquelle la société Tunzini s'était adressée en raison de sa compétence particulière dans les travaux en mer, était liée à cette dernière par un contrat de sous-traitance et, par suite, a violé l'article 1779 du Code civil ;
2 ) qu'en toute hypothèse, la cour d'appel, qui constate que la pose des canalisations sur les fonds marins avait été effectuée, non par la société Tunzini, mais par la société SERMAR, ne pouvait écarter l'existence entre ces sociétés d'un contrat de sous-traitance, lequel n'exclut pas toute possibilité de contrôle de l'entrepreneur sur son sous-traitant, sans rechercher si le personnel de la société SERMAR était sous la subordination de la société Tunzini et priver ainsi sa décision de base légale au regard de l'article 1779 du Code civil" ;
Mais attendu que la cour d'appel a légalement justifié sa décision de ce chef en retenant, sans contradiction, que la preuve n'était pas rapportée de ce que la société SERMAR était intervenue en vertu d'un contrat de louage d'ouvrage ou de sous-traitance, mais qu'elle était liée à la société Tunzini par une convention de location de personnel et qu'aucune faute n'était établie à son encontre ;
Sur le moyen unique du pourvoi provoqué du GAN :
Attendu que le GAN fait grief à l'arrêt de le condamner à garantir les consorts A..., alors, selon le moyen, "1 ) qu'en énonçant qu'il résultait des pièces versées aux débats, notamment d'un courrier du 26 février 1980 que le GAN n'avait pas fait état "de 1979 à 1985" de causes de non garantie, quand ledit courrier informait M. A... que celui-ci ayant sous-traité les travaux d'étanchéité à la société SPAPA, ceux d'étanchéité des piscines à la société SIKA et le lot de revêtement des sols à la société ARSOL, aucune garantie ne lui était acquise, les ouvrages sous-traités n'étant pas couverts, conformément aux dispositions de l'article 1er 01 b des conditions générales de la police d'assurance et, qu'en outre, certains des désordres affectant des canalisations, la garantie du GAN n'était pas plus susceptible de s'appliquer, ces ouvrages ayant été réalisés suivant un marché de voies et réseaux divers ne constituant pas une activité de bâtiment telle que définie à l'annexe 1 de la police "individuelle de base", la cour d'appel a dénaturé cet écrit et violé l'article 1134 du Code civil ;
2 ) qu'en énonçant que le GAN n'avait nullement soutenu, entre les années 1979 et 1985, qu'il ne devait pas de garantie à M. A... quand un courrier du 30 janvier 1980, dont la lettre précédemment évoquée du 26 février 1980 se bornait à reprendre les termes, démontrait le contraire, la cour d'appel l'a dénaturé et violé l'article 1134 du Code civil ;
3 ) qu'en retenant que les polices d'assurances produites par le GAN ne faisaient aucunement apparaître une clause obligatoire de direction du procès quand la police complémentaire de groupe stipulait en son article 15 qu'"en cas de contestation judiciaire, l'assureur aura seul la direction de la procédure, les assurés lui donnant, dès à présent, tous pouvoirs nécessaires à cet égard, et s'engageant à les renouveler en tant que besoin", la cour d'appel a dénaturé cet écrit et violé l'article 1134 du Code civil ;
4 ) que seule la direction sans réserve, par l'assureur, de la procédure suivie contre l'assuré en connaissance des circonstances pouvant exclure sa garantie, vaut renonciation de sa part à se prévaloir d'exceptions de non garantie ;
que la cour d'appel qui, en tout état de cause, constate que le GAN a émis des réserves quant à sa garantie ne pouvait le condamner à garantir M. A... des condamnations mises à sa charge sans méconnaître ses propres énonciations et violer l'article L. 113-17 du Code des assurances" ;
Mais attendu qu'ayant retenu, sans dénaturation que le GAN, après avoir émis des réserves expresses et alors qu'il ne pouvait plus ignorer les causes de non garantie, avait, en conduisant la procédure, manifesté son intention de ne pas tenir compte des réserves formulées auparavant et d'accorder sa garantie, la cour d'appel a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision de ce chef ;
Mais sur le premier moyen du pourvoi de la SMABTP :
Vu l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que, pour condamner la SMABTP à garantir la société ARSOL de toutes les condamnations mises à sa charge, l'arrêt retient qu'il résulte des expertises et de la constitution devant le Tribunal du même avocat pour la SMABTP et pour la société ARSOL, la preuve de ce que la SMABTP avait dirigé la procédure au nom et pour le compte de la société ARSOL jusqu'au prononcé du jugement, sans l'informer de ce qu'elle n'entendait pas la garantir ;
Qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la SMABTP faisant valoir qu'elle n'avait eu connaissance de la cause de non garantie qu'après le jugement, en décembre 1985, lorsque la société ARSOL avait déclaré avoir sous-traité les travaux, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen du pourvoi de la SMABTP :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné la SMABTP à garantir la société ARSOL des condamnations mises à sa charge, l'arrêt rendu le 26 janvier 1993, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;
remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence.