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Décisions

CE, 7eme et 2eme sous-sect. réunies, 3 mars 2010, n° 304604

CONSEIL D'ÉTAT

Arrêt

Rejet

CE n° 304604

2 mars 2010

Vu la décision du 4 septembre 2009 par laquelle le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a prononcé l'admission des conclusions du pourvoi de la SOCIETE PRESSPALI SPA dirigées contre l'arrêt du 20 février 2007 de la cour administrative d'appel de Douai, en tant seulement que cet arrêt a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Rouen du 10 mars 2005 rejetant ses conclusions indemnitaires au titre des sujétions imprévues causées par la circulation souterraine des eaux ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu le décret n° 76-87 du 21 janvier 1976 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Agnès Fontana, chargée des fonctions de Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de la SOCIETE PRESSPALI SPA et de la SCP Didier, Pinet, avocat du département de Seine-Maritime,

- les conclusions de M. Nicolas Boulouis, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de la SOCIETE PRESSPALI SPA et à la SCP Didier, Pinet, avocat du département de Seine-Maritime,

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le département de la Seine-Maritime a confié au groupement représenté par la société Torno, l'édification d'un viaduc pour le franchissement du grand canal du Havre ; que, par un acte du 16 novembre 1992, ce groupement a sous-traité à la SOCIETE PRESSPALI SPA la réalisation des fondations profondes de cet ouvrage ; que cette société a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner le département de la Seine-Maritime à lui payer des suppléments de dépenses supportés, selon elle, en main d'oeuvre et matériel, pertes et travaux supplémentaires, à raison d'une part d'une plus grande dureté des sols qu'initialement prévu, d'autre part de la découverte en cours de réalisation des travaux d'une nappe en charge non détectée initialement ; que par un jugement du 10 mars 2005, le tribunal administratif de Rouen a rejeté cette demande ; que, par une décision du 4 septembre 2009, le Conseil d'Etat statuant au contentieux n'a admis les conclusions du pourvoi de la SOCIETE PRESSPALI SPA dirigées contre l'arrêt du 20 février 2007 de la cour administrative d'appel de Douai, qu'en tant qu'il s'est prononcé sur les conclusions d'indemnisation au titre des sujétions imprévues causées par la circulation souterraine des eaux ;

Considérant que, pour rejeter la demande d'indemnisation présentée à ce titre par la SOCIETE PRESSPALI SPA, la cour administrative d'appel de Douai s'est fondée sur le fait que l'étude géotechnique complémentaire destinée à s'assurer des caractéristiques du sol, à laquelle l'article 7-7 du fascicule A du cahier des clauses techniques particulières obligeait le groupement à procéder, faisait apparaître des résultats conformes aux conditions effectivement rencontrées par l'entreprise lors de l'exécution des travaux ; qu'en se fondant sur le seul renvoi à une étude complémentaire dont la société requérante ne disposait pas à la date du dépôt de son offre, pour juger que les sujétions invoquées ne présentaient pas un caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et dont la cause était extérieure aux parties, alors que la seule existence, dans le contrat, d'une clause renvoyant à une étude complémentaire ne peut suffire à exclure l'existence de sujétions imprévues, la cour administrative d'appel a entaché son arrêt d'erreur de droit ; que, dès lors la société requérante est fondée à en demander pour ce motif l'annulation, en tant qu'il porte sur les conclusions indemnitaires relatives à l'existence d'une nappe d'eau souterraine ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler, dans cette mesure, l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Sur les fins de non-recevoir opposées par le département de la Seine-Maritime :

Considérant, en premier lieu, que le sous-traitant bénéficiant du paiement direct des prestations sous-traitées a également droit à ce paiement direct pour les travaux supplémentaires qu'il a exécutés et qui ont été indispensables à la réalisation de l'ouvrage, ainsi que pour les dépenses résultant pour lui de sujétions imprévues qui ont bouleversé l'économie générale du marché, dans les mêmes conditions que pour les travaux dont la sous-traitance a été expressément mentionnée dans le marché ou dans l'acte spécial signé par l'entrepreneur principal et par le maître de l'ouvrage ; que, par suite, la fin de non-recevoir soulevée par le département de la Seine Maritime et tirée de ce que les conclusions de la SOCIETE PRESSPALI SPA sont irrecevables comme présentées directement au maitre d'ouvrage sans passer par l'entrepreneur principal doit être écartée ;

Considérant, en second lieu, que le cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés de travaux fait partie des pièces contractuelles régissant les relations entre le maître d'ouvrage et l'entrepreneur principal ; que ses dispositions ne peuvent, dès lors, être opposées au sous-traitant qui n'est pas partie à ce contrat; que, par suite, la fin de non-recevoir soulevée par le département et tirée de ce que les conclusions de la SOCIETE PRESSPALI SPA sont irrecevables, faute pour cette société de s'être soumise aux procédures préalables à la saisine du tribunal administratif prévues par l'article 50 du cahier des clauses administratives générales, auquel le contrat de sous-traitance ne se référait pas, doit également être écartée ;

Sur les demandes indemnitaires fondées sur l'existence de circulations d'eaux souterraines :

Considérant que, si la SOCIETE PRESSPALI SPA fait valoir à l'appui de sa demande d'indemnisation qu'elle a dû exposer des coûts supplémentaires en raison de la présence d'une nappe d'eau souterraine, dont la nature serait différente de celle dont l'existence était mentionnée dans l'étude préalable de 1990, et n'aurait pu de ce fait être connue d'elle avant le dépôt de son offre, il ne résulte pas de l'instruction, notamment du rapport d'expertise qui n'identifie pas la part prise par cette caractéristique géologique dans les surcoûts exposés par cette société, que l'existence de la nappe d'eau souterraine rencontrée par l'entreprise soit la cause directe du préjudice qu'elle invoque ; qu'il suit de là que la SOCIETE PRESSPALI SPA n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande d'indemnisation à ce titre ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge du département de la Seine-Maritime le paiement de la somme que demande la SOCIETE PRESSPALI SPA au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées à ce même titre par le département de la Seine-Maritime ;




D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 20 février 2007 est annulé, en tant qu'il statue sur les conclusions indemnitaires de la SOCIETE PRESSPALI SPA fondées sur les sujétions imprévues tenant à l'existence de circulations d'eaux souterraines.

Article 2 : Les conclusions présentées sur ce point par la SOCIETE PRESSPALI SPA devant la cour administrative d'appel de Douai sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions de la SOCIETE PRESSPALI SPA et du département de la Seine-Maritime tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE PRESSPALI SPA et au département de la Seine-Maritime.