CE, 7e et 2e ch. réunies, 2 décembre 2019, n° 425204
CONSEIL D'ÉTAT
Arrêt
Rejet
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par un marché signé le 13 mars 1997, le département de la Haute-Savoie a confié l'exécution des travaux de construction d'une galerie paravalanche sur la route départementale n° 106, à Corbalanche, à la société Bianco, laquelle a sous-traité à la société Seco/DG la réalisation d'une paroi clouée et la pose des tirants et micro-pieux. La société Bianco a transmis au département, le 23 octobre 1998, un projet de décompte général de l'ensemble des travaux de son lot, y compris ceux réalisés par ses sous-traitants, notamment la société DG Entreprise, qui a succédé à la société Seco/DG, intégrant entre autres les surcoûts allégués par cette dernière au titre de l'allongement de la durée des travaux et des demandes de rémunération au titre de travaux supplémentaires. Le décompte général de la société Bianco a été établi le 7 janvier 1999 par le département. Il excluait l'indemnisation demandée et infligeait à l'entrepreneur des pénalités de retard. La société Bianco a contesté ce décompte devant le tribunal administratif de Grenoble qui, par jugement du 23 septembre 2010, a condamné le département à lui verser la somme de 176 696,69 euros correspondant aux seuls travaux supplémentaires qu'elle avait elle-même effectués, à l'exclusion de ceux réalisés par les sous-traitants et des sommes demandées par eux au titre de l'allongement de la durée des travaux. Par un arrêt du 26 avril 2012, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel de la société Bianco contre ce jugement. La société EMJ, liquidateur judiciaire de la société DG Entreprise, s'est pourvue en cassation. Par une décision du 27 mars 2013, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a rejeté ce pourvoi.
2. Il ressort également des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le 9 décembre 2013, la société EMJ a saisi le tribunal administratif de Grenoble d'une demande tendant à la condamnation du département à lui verser la somme de 93 661,77 euros en réparation des préjudices ayant résulté du déroulement du chantier et en rémunération des prestations supplémentaires exécutées pour la livraison de la partie d'ouvrage qu'elle avait réalisée en sa qualité de sous-traitante agréée. Par un jugement du 30 juin 2016, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande. La société Fides, venant aux droits de la société EMJ, se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 30 août 2018 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé contre ce jugement.
3. Aux termes de l'article 6 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, dans sa rédaction applicable au marché litigieux : " Le sous-traitant qui a été accepté et dont les conditions de paiement ont été agréées par le maître de l'ouvrage, est payé directement par lui pour la part du marché dont il assure l'exécution (...) ". Aux termes de l'article 8 de cette loi : " L'entrepreneur principal dispose d'un délai de quinze jours, comptés à partir de la réception des pièces justificatives servant de base au paiement direct, pour les revêtir de son acceptation ou pour signifier au sous-traitant son refus motivé d'acceptation. / Passé ce délai, l'entrepreneur principal est réputé avoir accepté celles des pièces justificatives ou des parties de pièces justificatives qu'il n'a pas expressément acceptées ou refusées (...) ".
4. Aux termes de l'article 186 ter du code des marchés publics, dans sa version alors applicable : " Les mandatements à faire au sous-traitant sont effectués sur la base des pièces justificatives revêtues de l'acceptation du titulaire du marché. / Dès réception de ces pièces, l'administration avise le sous-traitant de la date de réception de la demande de paiement envoyée par le titulaire et lui indique les sommes dont le paiement à son profit a été accepté par ce dernier. Dans le cas où le titulaire d'un marché n'a ni opposé un refus motivé à la demande de paiement du sous-traitant dans le délai de quinze jours suivant sa réception, ni transmis celle-ci à l'administration, le sous-traitant envoie directement sa demande de paiement à l'Administration par lettre recommandée avec avis de réception postal ou la lui remet contre un récépissé dûment daté et inscrit sur un registre tenu à cet effet (...) ".
5. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que, pour obtenir le paiement direct par le maître d'ouvrage de tout ou partie des prestations qu'il a exécutées dans le cadre de son contrat de sous-traitance, le sous-traitant régulièrement agréé doit adresser en temps utile sa demande de paiement direct à l'entrepreneur principal, titulaire du marché, et, dans le cas mentionné au deuxième alinéa de l'article 186 ter du code des marchés publics, au maître d'ouvrage. Une demande adressée après la notification du décompte général du marché au titulaire de celui-ci ne peut être regardée comme ayant été adressée en temps utile.
6. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société DG Entreprise n'a pas présenté de demande de paiement direct destinée au maître d'ouvrage avant que le décompte général ne soit adressé à la société Bianco, titulaire du marché, en janvier 1999. Il suit de là qu'en jugeant que la demande de paiement direct adressée au maître d'ouvrage, en décembre 2013, par la société EMJ, en sa qualité de liquidateur de la société DG Entreprise, était tardive, la cour administrative d'appel de Lyon, qui n'avait pas à rechercher si ce décompte général était devenu définitif, n'a pas commis d'erreur de droit. En statuant ainsi, la cour n'a, par ailleurs et en tout état de cause, pas privé la société Fides d'un recours effectif au sens des articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
7. Enfin, la société Fides ne saurait utilement soutenir que la cour aurait commis une erreur de droit en jugeant que les dispositions de l'article 186 ter du code des marchés publics alors applicable imposaient au sous-traitant d'adresser sa demande de paiement direct à la fois au titulaire du marché et au maître d'ouvrage, dès lors que la cour ne s'est pas fondée sur ce motif surabondant pour rejeter la requête d'appel.
8. Il suit de là que la société Fides n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge du département de la Haute-Savoie qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Fides la somme de 3 000 euros à verser au département de la Haute-Savoie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société Fides est rejeté.
Article 2 : La société Fides versera au département de la Haute-Savoie une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Fides et au département de la Haute-Savoie.
Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur.