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Décisions

Cass. com., 1 mars 2011, n° 10-13.993

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Avocats :

SCP Piwnica et Molinié, SCP Waquet, Farge et Hazan

Paris, du 14 janv. 2010

14 janvier 2010

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le 21 juin 2005, M. X..., président du conseil d'administration et directeur général de la société Havas, a été révoqué de ces fonctions par le conseil d'administration ; que le 28 juin 2005, un protocole d'accord est intervenu entre la société Havas et M. X..., stipulant notamment le versement par la société Havas d'une indemnité transactionnelle et d'une indemnité de non-concurrence et précisant qu'en contrepartie, M. X... acceptait notamment de renoncer à toutes actions, réclamations et prétentions relatives à la rupture de ses mandats sociaux ; que le même jour, M. X... a contracté un engagement de non-concurrence qui a été annexé au protocole ; que l'assemblée générale des actionnaires de la société Havas ayant, le 12 juin 2006, refusé d'approuver l'accord transactionnel et l'engagement de non-concurrence, cette société a demandé en justice l'annulation de ces accords et la restitution des sommes qu'elle avait versées en exécution de ceux-ci ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société Havas fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande d'annulation du protocole du 28 juin 2005 et de l'avoir condamnée à payer une certaine somme à M. X..., alors, selon le moyen :

1°/ que la révocation d'un président de conseil d'administration peut intervenir à tout moment et n'est abusive que si elle a été accompagnée de circonstances ou a été prise dans des conditions qui portent atteinte à la réputation ou à l'honneur du dirigeant révoqué ou si elle a été décidée brutalement sans respecter le principe de la contradiction ; que l'absence d'inscription de la question de la révocation à l'ordre du jour du conseil d'administration ne suffit pas à rendre cette mesure brutale ; qu'en l'espèce, pour estimer que la révocation de M. X... avait été soudaine et brutale, et en déduire l'existence d'un conflit entre les parties, la cour d'appel s'est bornée à relever que l'ordre du jour du conseil d'administration du 21 juin 2005 ne comprenait aucune question ayant trait à la révocation de son président, qu'après une suspension de séance la révocation de M. X... avait été pour la première fois évoquée et qu'après une seconde suspension une discussion s'était engagée sur les modalités de son départ, qu'aucun autre document ne fait apparaître que cette révocation avait été préalablement envisagée ; qu'en statuant par ces motifs impropres à établir que M. X... n'avait pas été mis en mesure de présenter ses observations préalablement à la décision de révocation, la cour d'appel a violé les articles L. 225-47 et L. 225-55 du code de commerce, ensemble l'article 2044 du code civil ;

2°/ que seul peut être réparé le préjudice trouvant sa cause dans le fait qui donne lieu à responsabilité ; que dans le cas d'une révocation abusive du président du conseil d'administration d'une société anonyme, le dommage réparable est celui souffert à raison des circonstances de la révocation, à l'exclusion du préjudice causé par la révocation elle-même ; qu'en l'espèce, il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que le protocole d'accord du 28 juin 2005 prévoyait le versement par la société Havas à M. X... d'une indemnité de trois millions d'euros " en réparation des préjudices moral, professionnel et de carrière " ; qu'en retenant que les articles L. 225-47 et L. 225-55 du code de commerce ne s'opposaient pas à la conclusion de l'accord transactionnel, la cour d'appel a violé ces textes, ensemble l'article 2044 du code civil ;

Mais attendu, d'une part, que s'étant bornée, sans se prononcer sur l'existence d'un abus commis dans l'exercice du droit de révocation, à relever, par motifs propres et adoptés, que celle-ci était intervenue de manière soudaine et précipitée et qu'il pouvait dès lors exister un conflit entre les parties, la cour d'appel en a exactement déduit que la société Havas ne pouvait invoquer, à l'appui de sa demande de nullité du protocole d'accord du 28 juin 2005, l'absence de litige né ou à naître ;

Et attendu, d'autre part, qu'ayant exactement retenu que les dispositions des articles L. 225-47 et L. 225-55 du code de commerce ne s'opposent pas à la conclusion, entre les parties, d'un accord transactionnel postérieur à la révocation pour mettre fin à un litige, né ou à naître, relatif aux circonstances ou aux conditions de la rupture, et relevé que les parties avaient fait, lors de la conclusion de cet accord, des concessions réciproques effectives et substantielles, la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait, peu important à cet égard que l'accord transactionnel global ait conventionnellement alloué au dirigeant révoqué des indemnités qu'il n'aurait pu obtenir judiciairement ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Mais sur le second moyen, pris en sa deuxième branche :

Vu les articles L. 225-38, L. 225-40 et L. 225-41 du code de commerce ;

Attendu que pour rejeter la demande tendant à la condamnation de M. X... à restituer à la société Havas les sommes qu'il avait perçues en exécution de leurs accords, l'arrêt retient que le conseil d'administration a, le 21 juin 2005, approuvé à l'unanimité la conclusion d'une transaction entre les parties visant expressément les circonstances et les conditions de la révocation de M. X..., que, le 28 juin 2005, lorsque le protocole d'accord et l'engagement de non-concurrence ont été signés, M. X... n'avait plus la qualité de directeur général du fait de sa révocation intervenue quelques jours auparavant et que leur désapprobation par l'assemblée générale une année plus tard ne lui étant pas imputable, aucune conséquence préjudiciable ne peut, en conséquence, être mise à sa charge ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, après avoir constaté que M. X... avait conservé son mandat d'administrateur de la société Havas, ce dont il résultait que le protocole d'accord et l'engagement de non-concurrence constituaient des conventions réglementées, la cour d'appel, qui n'a pas recherché si ces conventions, non approuvées par l'assemblée générale de la société Havas, avaient eu pour cette société des conséquences préjudiciables, n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté les demandes tendant à la restitution des sommes versées au titre des accords conclus le 28 juin 2005, l'arrêt rendu le 14 janvier 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.