ADLC, 23 mai 2016, n° 16-DCC-75
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
relative à l’acquisition de la société Becquet SAS par la société Domoti SAS
L’Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 15 avril 2016, relatif à l’acquisition de la société Becquet SAS par la société Domoti SAS, formalisée par une lettre d’offre et un projet de contrat de cession d’actions en date du 28 janvier 2016 ;
Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;
Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l’instruction ;
Adopte la décision suivante :
I. Les entreprises concernées et l’opération
1. Domoti est une société par actions simplifiées active dans le secteur de la vente à distance par le biais de quatre catalogues spécialisés : « Confort et Vie » (essentiellement destinés aux séniors), « ID Homme » (idées cadeaux pour hommes), « L’Atelier de Lucie » (broderie, point de croix, canevas et tricot) ainsi que « Temps L » (objets pour la maison). Domoti est détenue et contrôlée par ses trois associés fondateurs Ms. Tiberghien, Willot et Flipo. Elle offre à travers ses catalogues et sites Internet des produits dits « de confort » pour les séniors, des ustensiles de cuisine, des produits de bazar (entretien de la maison) et de décoration ainsi que du linge de maison (13 % de son chiffre d’affaires).
2. Becquet est une société par actions simplifiée unipersonnelle active dans le secteur de la vente à distance sur catalogue spécialisé et site Internet, essentiellement de linge de maison (86 % de son chiffre d’affaires).
3. L’opération consiste en l’acquisition de l’intégralité des actions de Becquet par Domoti. En ce qu’elle se traduit par la prise de contrôle exclusif de Becquet par Domoti, l’opération constitue une concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce.
4. Les entreprises concernées ont réalisé ensemble un chiffre d’affaires hors taxes consolidé sur le plan mondial de plus de 150 millions d’euros (Domoti : 77,3 millions d’euros pour l’exercice clos le 30 juin 2015 ; Becquet : 82,2 millions d’euros pour pour l’exercice clos le 31 décembre 2014). Chacune de ces entreprises a réalisé en France un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros (Domoti : 68,3 millions d’euros pour l’exercice clos le 30 juin 2015 ; Becquet : 81,1 millions d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2014). Compte tenu de ces chiffres d’affaires, l’opération ne relève pas de la compétence de l’Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.
II. Délimitation des marchés pertinents
5. L’opération emporte un chevauchement dans le secteur de la distribution au détail de produits non alimentaires.
A. LES MARCHES AVAL DE LA DISTRIBUTION DE PRODUITS NON ALIMENTAIRES
1. LES MARCHES DE PRODUITS
6. La pratique décisionnelle tant nationale qu’européenne distingue d’une part le commerce de détail alimentaire, et d’autre part le commerce de détail non alimentaire1. En l’espèce, les parties à l’opération sont uniquement présentes dans le secteur de la distribution de vente à distance de produits non alimentaires.
a) Segmentation par famille de produits
7. S’agissant de la distribution de produits non alimentaires, les autorités de concurrence tant nationale qu’européenne2 distinguent traditionnellement autant de marchés qu’il existe de familles de produits et ont ainsi retenu seize familles de produits : les vêtements pour femme, les vêtements pour homme, les vêtements pour enfant, les sous-vêtements, les chaussures, les produits de cuir, les textiles de sport, les chaussures de sport, l’électronique, les gros appareils électriques, les petits appareils électriques, les produits de décoration et de jardinage, le linge de maison, l’éclairage, les jouets et le mobilier. L’autorité communautaire précise en effet qu’au sein de chacun des marchés ainsi définis, la concurrence varie significativement en raison du degré de spécialisation d’un nombre important d’acteurs sur une ou plusieurs familles.
8. Au cas d’espèce, les parties à l’opération sont simultanément actives essentiellement sur la catégorie du linge de maison et de manière plus marginale, sur celles des produits de décoration, l’éclairage et le mobilier.
b) Segmentation par canal de distribution
9. Les autorités de concurrence se sont à plusieurs reprises interrogées sur la pertinence d’une segmentation dans le secteur de la vente au détail de produits non alimentaires entre la vente à distance (« VAD ») d’une part et la vente en magasins d’autre part3, la VAD comprenant l’ensemble des canaux de distribution spécifiques à ce mode de commercialisation (internet, catalogues et autres).
10. L’Autorité de la concurrence a noté, dans son avis relatif au fonctionnement concurrentiel du commerce électronique4, que les enseignes traditionnelles adaptent leurs stratégies commerciales pour tenir compte de la croissance des ventes par internet en adoptant un modèle de distribution « multi-canal » regroupant un réseau de boutiques et un site de vente en ligne. Dans ce cadre, soit elles créent leur propre site internet sur lequel elles proposent, en complément des produits proposés en magasin, certains produits spécifiques à des prix spécifiques (on parle alors de distributeurs « click & mortar »), soit elles créent des sites pure player.
11. Les autorités de concurrence, tant nationale qu’européenne, ont cependant jusqu’à présent relevé des différences significatives entre la vente à distance et la vente en magasins, notamment dans la manière dont les distributeurs de la VAD et de la vente « physique » communiquent et acquièrent des clients5. Elles ont ainsi relevé que, du point de vue du consommateur, l’achat en magasin offre la possibilité d’inspecter le produit souhaité et, si besoin, de bénéficier des conseils d’un vendeur spécialisé. De plus, les articles présentés sont, la plupart du temps, disponibles immédiatement. A l’inverse, la VAD présente pour sa part l’avantage de pouvoir réaliser des achats à n’importe quel moment du jour et de la semaine, depuis son lieu de résidence. La Commission6 a ainsi noté que chaque canal de distribution présente divers avantages et inconvénients et répond à des besoins différents des consommateurs. A ce jour, la Commission considère que ces deux canaux sont plus complémentaires que substituables.
12. En l’espèce, les parties à l’opération ne détiennent aucun magasin et ne sont actives que sur le segment de la vente à distance via des sites internet et des catalogues. L’analyse sera donc menée sur les marchés de la vente à distance de biens non alimentaires segmentés par familles de produits (linge de maison, produits de décoration, éclairage et mobilier), marchés distincts de ceux de la vente en magasin. Il sera cependant tenu compte de la pression concurrentielle que la vente en magasin est susceptible d’exercer sur la vente à distance. La question de la délimitation exacte des marchés sera toutefois laissée ouverte, les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurant inchangées quelles que soient les délimitations retenues.
2. LES MARCHES GEOGRAPHIQUES
13. S’agissant de la distribution à distance de produits non alimentaires, les autorités nationales et communautaire ont retenu, dans de précédentes décisions7, une délimitation nationale, eu égard aux différences linguistiques, à l’hétérogénéité des habitudes des consommateurs, ainsi qu’aux coûts et délais de livraison.
14. En l’espèce, l’analyse sera menée sur les marchés français de la vente à distance de biens non alimentaires et selon les catégories de produits concernées du linge de maison, des produits de décoration, de l’éclairage et du mobilier.
B. LES MARCHES AMONT DE L’APPROVISIONNEMENT
1. LES MARCHES DE PRODUITS
15. Les parties à l’opération achètent auprès de différents producteurs les articles qu’ils commercialisent ensuite à destination des particuliers.
16. Dans le secteur de la distribution, la pratique décisionnelle nationale considère que, dans la mesure où les producteurs ne peuvent se convertir facilement dans la fabrication d’autres produits que les leurs, il convient de distinguer autant de marchés qu’il existe de familles de produits. Au cas d’espèce, les différents articles commercialisés par les parties appartiennent aux familles de produits du linge de maison, des produits de décoration, de l’éclairage et du mobilier.
2. LES MARCHES GEOGRAPHIQUES
17. Selon la pratique décisionnelle, les différents marchés de l’approvisionnement en produits non alimentaires sont de dimension nationale8. S’agissant plus particulièrement des marchés de l’approvisionnement en vêtements et chaussures, les marchés ont été définis par les autorités françaises comme étant de dimension mondiale9.
18. En l’espèce, s’agissant des marchés de l’approvisionnement amont, l’analyse sera menée au niveau national et, au surplus, au niveau mondial, pour chacune des familles de produits concernées. En tout état de cause, la question de la délimitation exacte des marchés de l’approvisionnement peut rester ouverte, les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurant inchangées quelles que soient les délimitations retenues.
III. Analyse concurrentielle
19. Les effets de l’opération seront examinés sur les marchés amont de l’approvisionnement ainsi que sur les différents marchés aval de la vente à distance des catégories de produits concernés à savoir : du linge de maison à titre principal (cette activité représentant plus de 80 % de l’activité de la cible) et, plus marginalement, des produits de décoration, de l’éclairage et du mobilier. Domoti offre également à la vente à distance de nombreux produits appartenant à d’autres catégories de produits sur lesquelles les risques d’atteinte à la concurrence peuvent être écartés compte tenu de ses très faibles parts de marché et de l’absence de chevauchement d’activité entre les parties à l’opération.
A. LES MARCHES AVAL DE LA VENTE A DISTANCE DE PRODUITS NON ALIMENTAIRES
1. LE LINGE DE MAISON
20. S’agissant de la vente au détail de linge de maison, selon les estimations fournies par les parties pour l’année 2015, les parts de marché de Becquet et Domoti sont respectivement de 3 % et de moins de 1 %. La nouvelle entité disposera donc sur ce marché d’une position estimée inférieure à 4 % et restera notamment confrontée à la concurrence des groupes de distribution Carrefour (8,2 %), Auchan (7,3 %), Leclerc (4,8 %) et Ikea (4,7 %) ainsi que de l’opérateur de VAD La Redoute (5,6 %).
21. Sur le seul segment de la vente à distance de linge de maison, les parties à l’opération ont estimé leurs parts de marché en 2015 à 13,4 % et moins de 1 % pour respectivement Becquet et Domoti. La nouvelle entité disposera donc d’une part de marché estimée inférieure à 15 %. Elle y restera confrontée à la concurrence des groupes tels que La Redoute (24,1 %), Françoise Saget / Linvosges (23,3 %), Trois Suisses (15,1 %) et Blancheporte10 (5,2 %).
22. Par conséquent, la présente opération n’est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur le marché français de la vente à distance de linge de maison.
2. LES AUTRES FAMILLES DE PRODUITS
23. Les parts de marché, individuelles et cumulées des parties à l’opération et de la nouvelle entité, s’agissant des familles de produits de décoration, de l’éclairage et du mobilier, resteront inférieures à 5 % quelque soit la segmentation retenue.
24. Par conséquent, l’opération n’est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur les marchés français de la vente à distance de produits de décoration, d’éclairage et de mobilier.
B. LES MARCHES AMONT DE L’APPROVISIONNEMENT
25. Pour chacune des familles de produits concernées (linge de maison, produits de décoration, éclairage et mobilier), la grande majorité des fournisseurs des parties sont des acteurs situés en Inde ou dans d’autres pays d’Asie. Sur ces marchés mondiaux, les parties représentent une part infime du total des approvisionnements.
26. Au niveau national, les parties représentent, pour chacune des familles de produits concernées, moins de 5 % du total des approvisionnements en France.
27. Par conséquent, l’opération n’est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur les marchés amont de l’approvisionnement, segmentés par famille de produits.
DECIDE
Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 16-045 est autorisée.
NOTES
1 Voir les décisions de l’Autorité de la concurrence n° 15-DCC-101 du 30 juillet 2015 relative à la prise de contrôle exclusif de GrosBill SA par mutares AG, n° 14-DCC-28 du 5 mars 2014 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Mistergooddeal SA par le groupe Darty, n° 10-DCC-42 du 25 mai 2010 relative à l’acquisition par la société 3 Suisses International SA de certains actifs de la société La Source, n° 10-DCC-77 du 9 juillet 2010 relative à la prise de contrôle de la société Afibel SAS par la société Damartex SA, ainsi que les décisions de la Commission européenne n° COMP/M.070 – Otto/Gratta du 21 mars 1991, n° COMP/M.080 – La Redoute/Empire du 25 avril 1991 et n° COMP/M.5721 – Otto/Primondo Assets du 16 février 2010.
2 Voir les décisions précitées et notamment la décision n° COMP/M.5721 Otto/Primondo Assets.
3 Voir par exemple les décisions de l’Autorité de la concurrence n°09-DCC-26 du 24 juillet 2009 relative à l’acquisition de la société Camif Collectivités par la société Manutan International, n° 15-DCC-101 du 30 juillet 2015 et n°14-DCC-28 du 5 mars 2014 précitées.
4 Voir l’Avis de l’Autorité de la concurrence relatif au fonctionnement concurrentiel du commerce électronique n°12-A-20 du 18 septembre 2012.
5 Voir par exemple les décisions n°10-DCC-42 du 25 mai 2010 relative à l’acquisition par la société 3 Suisses International SA de certains actifs de la société La Source et n°11-DCC-87 du 10 juin 2011 précitée ainsi que la décision COMP/M.5721 du 16 février 2010 précitée.
6 COMP/M.5721, Otto / Primondo Assets, 16 février 2010 précitée.
7 Voir les décisions n°09-DCC-26 et n°COMP/M.5721 précitées.
8 Voir notamment la décision n° 09-DCC-26 précitée.
9 Voir notamment les lettres du ministre de l’économie n° C2008-004 du 13 février 2008 et n° C2008-016 du 30 avril 2008 ainsi que la décision de l’Autorité de la concurrence n°10-DCC-42 du 25 mai 2010 précitée.
10 Cette société est actuellement en cours de cession.