Cass. 3e civ., 22 novembre 2000, n° 98-17.923
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Beauvois
Rapporteur :
Mme Lardet
Avocat général :
M. Guérin
Avocats :
Me Foussard, SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin
Sur le pourvoi formé par la société civile immobilière (SCI) La Traye, dont le siège social est Chalet L'Andelire, 73350 Champagny-en-Vanoise,
en cassation d'un arrêt rendu le 27 avril 1998 par la cour d'appel de Chambéry (Chambre civile, 1re Section), au profit de M. Mustapha X..., demeurant ...,
défendeur à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Sur le premier moyen :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 27 avril 1998), que la société civile immobilière La Traye (la SCI) a confié à la société Somabat les lots "gros oeuvre" et "charpente, couverture et maçonnerie" dans l'extension d'un bâtiment à usage d'hôtel ; que cette dernière a chargé, le même jour, par un contrat expressément qualifié par les parties de "sous-traitance", M. X... de l'exécution des travaux de maçonnerie, gros oeuvre et voies et réseaux divers ; qu'après mise en liquidation judiciaire de la société Somabat, M. X..., qui n'avait pas été réglé par cette société du solde de ses travaux, a assigné la SCI en paiement de dommages-intérêts fondés sur l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 ;
Attendu que la SCI fait grief à l'arrêt d'accueillir la demande, alors, selon le moyen, que pour déterminer s'ils étaient en présence d'un contrat de sous-traitance ou d'un contrat ayant pour objet de mettre de la main-d'oeuvre à la disposition de l'entreprise principale, les juges du fond devaient rechercher si la société Somabat n'était pas en mesure de donner directement des instructions au personnel de l'entreprise X..., chargée de l'exécution des travaux ; que faute d'avoir procédé à cette recherche, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des articles 1134, 1787 et 1382 du Code civil, ensemble l'article 1er de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 ;
Mais attendu qu'ayant relevé que le prix convenu, global et forfaitaire n'avait pas été calculé en fonction du seul coût de la main-d'oeuvre, que M. X... avait contractuellement la responsabilité de la conduite des travaux et de la sécurité du chantier, ce pourquoi il lui avait été imposé une obligation d'assurance responsabilité civile et décennale, des pénalités en cas de retard, et une retenue de garantie cautionnable de 5 %, et que son indépendance effective dans ses rapports avec la société Somabat était encore établie par les courriers de cette entreprise lui rappelant "de mener à bien le chantier en prenant toutes dispositions nécessaires" et par la présence sur ce chantier d'un chef d'équipe salarié de son entreprise, la cour d'appel, qui a pu en déduire que M. X... était intervenu en qualité de sous-traitant, a, sans être tenue de procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes, légalement justifié sa décision de ce chef ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que la SCI fait grief à l'arrêt d'accueillir la demande, alors, selon le moyen :
1 / que constitue une faute le fait pour le sous-traitant, qui n'a pas eu connaissance d'une acceptation par le maître de l'ouvrage et de l'agrément des conditions de paiement, de ne pas s'inquiéter, auprès du maître de l'ouvrage, de l'existence d'une acceptation ainsi que d'un agrément des conditions de paiement, alors même qu'il peut craindre de ne pas être payé par l'entrepreneur principal ; qu'en décidant le contraire, motif pris du silence de la loi, bien que l'obligation de diligence pesant sur le sous-traitant l'oblige à alerter le maître de l'ouvrage et à lui envoyer à tout le moins une copie de la mise en demeure adressée à l'entrepreneur principal et restée sans effet, les juges du fond ont violé les articles 1382 du Code civil et 12 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 ;
2 / que, faute d'avoir recherché si l'intervention de M. X... auprès du maître de l'ouvrage, et notamment la dénonciation de la mise en demeure adressée à l'entrepreneur principal, naurait pas été de nature à provoquer une démarche du maître de l'ouvrage pour faire respecter par l'entrepreneur principal les obligations découlant de l'article 3 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975, les juges du fond, qui n'ont pas mis la Cour de Cassation en mesure d'exercer son contrôle quant à l'existence d'un lien de causalité, ont privé leur décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
3 / que, faute d'avoir recherché, comme il leur était demandé, si M. X... n'avait pas commis une faute, au moins sur le terrain de la négligence, pour avoir tardé à établir sa dernière situation, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil, ensemble les articles 3 et 12 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 ;
Mais attendu que la cour d'appel, qui n'était tenue ni de procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes, ni de répondre à des arguments dépourvus de portée juridique, a légalement justifié sa décision de ce chef en relevant à bon droit que l'article 12 de la loi du 31 décembre 1975 ne crée à la charge du sous-traitant exerçant l'action de l'article 14-1 de cette loi aucune obligation dont la violation constituerait une faute, et que si ce sous-traitant se trouvait privé de l'action directe et de la garantie d'une caution ce n'était pas par suite d'un éventuel manquement de sa part qui aurait pu résulter de l'absence d'avis de mise en demeure donné au maître de l'ouvrage, mais en raison de la faute préalable de ce maître de l'ouvrage qui avait eu connaissance de sa présence sur le chantier dès le début des travaux et qui n'avait pas mis l'entrepreneur principal en demeure de s'acquitter des obligations mises à sa charge par l'article 3 de ladite loi ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que la SCI fait grief à l'arrêt d'accueillir sa demande, alors, selon le moyen :
1 / que, lorsque le maître de l'ouvrage commet une faute, pour ne s'être pas assuré du respect par l'entrepreneur principal de ses obligations, le préjudice susceptible d'être invoqué par le sous-traitant est constitué par la perte de la chance qu'il avait d'être payé ; une réparation intégrale du préjudice final est exclue ; qu'à cet égard déjà, l'arrêt attaqué a été rendu en violation de l'article 1382 du Code civil ;
2 / qu'à supposer que le sous-traitant non agréé soit fondé à agir à l'encontre du maître de l'ouvrage, sur le fondement des règles de la responsabilité délictuelle, en tout état de cause, il ne peut prétendre, au titre de la réparation de son préjudice, à une somme supérieure à la créance qu'il a à l'encontre de l'entrepreneur principal, après compensation avec les sommes dont il est lui-même redevable à l'égard de l'entrepreneur principal à raison de l'exécution du contrat, et notamment à raison des manquements à ses propres obligations ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé l'article 1382 du Code civil ;
3 / qu'il importe peu que le prix des travaux ayant fait l'objet de la sous-traitance ait été fixé à 344 234,85 francs, dans le cadre de la procédure collective ouverte à l'encontre de l'entrepreneur principal, dès lors qu'il n'a pas été constaté qu'à l'occasion de la fixation du montant de la créance, il a été statué sur les sommes dues par le sous-traitant à l'entrepreneur principal au titre des inexécutions du marché de sous-traitance ; d'où il suit que l'arrêt est entaché d'un défaut de base légale au regard des articles 1382 et 1351 du Code civil ;
4 / qu'en tout état de cause, le maître de l'ouvrage, qui fait l'objet d'une action en responsabilité délictuelle, peut se prévaloir du solde de la créance du sous-traitant, après compensation avec les sommes dues par le sous-traitant à l'entrepreneur principal, nonobstant l'absence de contrat, dès lors que seul le préjudice effectivement éprouvé par le sous-traitant peut donner lieu à réparation ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, que la SCI n'ayant pas soutenu dans ses conclusions d'appel que le préjudice du sous-traitant était la perte d'une chance, le moyen est, de ce chef, nouveau, mélangé de fait et de droit et, partant, irrecevable ;
Attendu, d'autre part, qu'ayant relevé que le sous-traitant, dont la présence était connue du maître de l'ouvrage dès le début des travaux, avait subi, par la faute de ce dernier qui l'avait privé, outre de l'action directe, de la garantie très efficace constituée par la caution personnelle et solidaire d'un établissement agréé, un préjudice correspondant à la créance que ce sous-traitant détenait encore sur l'entrepreneur principal, celle-ci définitivement fixée par jugement sur la base des conclusions d'un expert, la cour d'appel a légalement justifié sa décision de ce chef en accordant à M. X... la réparation de son préjudice dont elle a souverainement apprécié le montant ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.