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Décisions

Cass. 3e civ., 29 mai 1991, n° 89-13.504

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocats :

M. Choucroy, SCP Boré et Xavier, SCP Le Prado

Paris, du 10 janv. 1989

10 janvier 1989

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 janvier 1989), que la société d'habitations à loyer modéré Le Logement à bon marché, devenue société Aedificat, a, le 28 juin 1982, chargé la société Rheins et Debout, entrepreneur général, de la construction de 80 logements ; qu'après avoir conclu, le 7 juillet 1982, avec le Crédit industriel et commercial (CIC), une convention de cession de créance professionnelle dans le cadre de la loi n° 81-1 du 2 janvier 1981, par quatre opérations d'escompte notifiées au maître de l'ouvrage les 14 février, 3 mars, 14 mars et 7 avril 1983, la société Rheins et Debout a, par un contrat du 12 janvier 1983, approuvé par la société Aedificat le 15 mars 1983, sous-traité le lot terrassement à la société Leclercq, actuellement en liquidation de biens ; qu'ayant exécuté une partie des travaux sans recevoir paiement de deux situations émises en janvier et février 1983 pour les montants respectifs de 183 569,08 francs et 135 204 francs, la société Leclercq a, le 22 avril 1983, adressé à la société Rheins et Debout, avant son règlement judiciaire prononcé le 25 avril 1983, la mise en demeure prévue par l'article 12 de la loi du 31 décembre 1975, et la copie de cette mise en demeure au maître de l'ouvrage ; que le CIC s'étant opposé au paiement direct du sous-traitant par la société Aedificat, en faisant valoir sa qualité de cessionnaire de la créance, et cette société n'ayant accepté de verser que 135 204 francs sur les 318 773,08 francs réclamés par le sous-traitant, ce dernier a assigné en paiement de sa créance la société Aedificat, qui a appelé en garantie la société Rheins et Debout et le CIC ; que ce dernier a formé une demande reconventionnelle en paiement de la différence entre le montant des cessions de créances et les sommes perçues à ce titre ;

Attendu que la société Aedificat fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à M. X..., syndic à la liquidation des biens de la société Leclercq, la somme de 318 773,08 francs, alors, selon le moyen, que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer le principe du contradictoire ; qu'il résultait des constatations de l'arrêt que le moyen tiré de l'article 13, alinéa 2, de la loi du 31 décembre 1975 n'avait été soulevé par le syndic du sous-traitant que par des conclusions signifiées le jour de l'ordonnance de clôture rendue le 22 novembre 1988, le même jour que l'audience des débats ; qu'en admettant ce moyen, sans rechercher si les autres parties avaient eu le temps de répondre à ces conclusions, l'arrêt attaqué a violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que la société Aedificat ne justifiant pas avoir usé de la faculté, prévue par l'article 784 du nouveau Code de procédure civile, de demander la révocation de l'ordonnance de clôture, le moyen est irrecevable ;

Sur le deuxième moyen du pourvoi principal :

Attendu que la société Aedificat fait grief à l'arrêt d'avoir statué comme elle l'a fait, alors, selon le moyen, que tout paiement suppose une dette ; qu'il résultait des données du débat et des constatations de l'arrêt qu'une partie de la somme de 318 773,08 francs, constituant la totalité de la créance du sous-traitant, avait été acquittée par le maître de l'ouvrage dans les mains de l'entreprise principale avant l'agrément du sous-traité et la mise en demeure effectuée par le sous-traitant ; que la dette du maître de l'ouvrage ayant été éteinte dans cette mesure et la créance du sous-traitant diminuée d'autant, la cour d'appel, en condamnant le maître de l'ouvrage à payer la totalité de ce qui était dû au sous-traitant, a violé l'article 1235 du Code civil ;

Mais attendu que la cour d'appel a légalement justifié sa décision de ce chef, en retenant exactement que si aux termes de l'article 13, alinéa 2, de la loi du 31 décembre 1975, les obligations du maître de l'ouvrage sont limitées à ce qu'il doit encore à l'entrepreneur principal à la date de la réception de la copie de la mise en demeure, ce texte n'établit aucune distinction suivant l'origine des prestations fournies au titre du marché principal ;

Sur le moyen unique du pourvoi incident :

Attendu que le CIC fait grief à l'arrêt d'avoir, pour décider que le sous-traitant devait être payé par préférence au banquier, cessionnaire de la créance de l'entrepreneur principal sur le maître de l'ouvrage, retenu que le banquier cessionnaire n'avait pas plus de droits que l'entrepreneur principal, alors, selon le moyen, qu'une telle motivation n'aurait pu être fondée que si le CIC avait été un créancier de l'entrepreneur principal et non un cessionnaire de la créance de ce dernier à l'encontre du maître de l'ouvrage, c'est-à-dire un créancier du maître de l'ouvrage, cette cession de créance n'ayant d'ailleurs jamais fait l'objet de réserves de la part de ce dernier et n'ayant jamais été déclarée nulle par une quelconque décision judiciaire en vertu de l'adage fraus omnia corrumpit ;

Mais attendu que l'article 13-1 de la loi du 31 décembre 1975, dans sa rédaction applicable à l'espèce, prévoyant que l'entrepreneur ne peut céder les créances résultant du marché passé avec le maître de l'ouvrage qu'à concurrence des sommes lui étant dues au titre des travaux qu'il effectue personnellement, la cour d'appel, qui a relevé que la société Rheins et Debout ayant cédé au CIC, non seulement cette partie de sa créance sur la société Aedificat, mais également la partie correspondant aux travaux sous-traités, le CIC ne pouvait opposer à la société Leclercq aucun droit sur les sommes dues par la société Aedificat pour ces derniers travaux, a légalement justifié sa décision de ce chef ;

Mais sur le troisième moyen du pourvoi principal :

Vu l'article 1153 du Code civil ;

Attendu que, pour fixer au 22 avril 1983 le point de départ des intérêts au taux légal sur le montant de la condamnation prononcée contre le maître de l'ouvrage au profit du sous-traitant, l'arrêt retient que cette date est celle de la mise en demeure ;

Qu'en statuant ainsi, alors que l'envoi de la copie de la mise en demeure notifiée à l'entrepreneur principal ne constitue pas, à l'égard du maître de l'ouvrage, une sommation de payer au sens de l'article 1153 du Code civil, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a fixé au 22 avril 1983 le point de départ des intérêts au taux légal sur le montant de la condamnation prononcée contre la société Aedificat au profit de M. X..., ès qualités, l'arrêt rendu le 10 janvier 1989, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rouen