Cass. com., 12 mars 1996, n° 93-15.518
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Paris, 28 janvier 1993) que la Société mécanique automobile de l'Est (la SMAE) a confié à la société Bureau d'études de mécanique (le BEM) la réalisation de divers travaux sur le site de son usine; que le BEM a sous-traité plusieurs marchés à d'autres sociétés, parmi lesquelles la Société industrielle des techniques de l'électricité (la société Sitélec); qu'à la suite de la mise en redressement judiciaire du BEM et des réclamations adressées à la SMAE par les sous-traitants, celle-ci a fait consigner la somme dont elle se reconnaissait débitrice entre les mains d'un séquestre, puis a assigné le BEM et les entreprises sous-traitantes afin qu'il soit statué sur les réclamations qui lui étaient présentées; que la société Sitélec, dont le Tribunal avait rejeté l'ensemble des demandes, a relevé appel de cette décision et intimé la SMAE, l'administrateur judiciaire et le représentant des créanciers du BEM, ainsi que la société Brochot, au profit de laquelle un plan de cession du BEM avait été arrêté;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que la société Sitélec reproche à l'arrêt d'avoir rejeté la demande en paiement qu'elle avait formée à l'encontre de la SMAE, sur le fondement de l'action directe du sous-traitant contre le maître de l'ouvrage, alors, selon le pourvoi, d'une part, que les juges du fond ne peuvent dénaturer les conclusions qui leur sont régulièrement soumises, que la société Sitélec soutenait, à titre principal, que "vainement on lui reprocherait de ne pas avoir procédé à une mise en demeure préalable de l'entrepreneur principal"; qu'en décidant que cette société ne contestait pas le non-respect de la formalité de la mise en demeure, la cour d'appel a violé l'article 4 du nouveau Code de procédure civile; et alors, d'autre part, que la mise en demeure qu'exige l'article 12 de la loi du 31 décembre 1975 est caractérisée par un acte comprenant une interpellation suffisante et que, lorsque l'entrepreneur principal est en liquidation des biens, la production au passif de celui-ci tient lieu de mise en demeure; qu'en se bornant, dès lors, à affirmer que les exigences de l'article 12, alinéa 1er, n'avaient pas été respectées, sans justifier, ni que la lettre du 2 juin 1989 adressée, avant la mise en redressement judiciaire de l'entrepreneur principal, à l'administrateur ad hoc de celui-ci, et dénoncée le même jour au maître de l'ouvrage, ni que la production de la créance ne contenaient pas une interpellation équivalent à une mise en demeure, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 12, alinéa 1er, de la loi du 31 décembre 1975;
Mais attendu qu'ayant relevé que la lettre adressée le 2 juin 1989 au BEM par la société Sitélec se bornait à lui communiquer le montant des créances dont celle-ci estimait être titulaire à son encontre, la cour d'appel, qui a fait ressortir qu'un tel courrier était dépourvu de tout caractère interpellatif, a pu décider qu'il ne constituait pas une mise en demeure; qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la première branche du moyen; que celui-ci ne peut être accueilli;
Sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que la société Sitélec reproche encore à l'arrêt d'avoir rejeté la demande en paiement qu'elle avait formée à l'encontre de la SMAE, en réparation du préjudice qu'elle estimait avoir subi, résultant de ce que cette dernière société, en tant que maître de l'ouvrage, n'avait pas mis l'entrepreneur principal en demeure de s'acquitter de ses obligations de faire accepter le sous-traitant et agréer les conditions de paiement du contrat de sous-traitance, alors, selon le pourvoi, d'une part, que l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 ne comporte pas de distinction entre marché public et marché privé; qu'en écartant l'application de ce texte au motif que le marché était un marché privé, la cour d'appel a violé l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975; et alors, d'autre part, que constituent des travaux de bâtiment des travaux qui font appel aux techniques des travaux de bâtiment ;
que, dès lors, en rejetant l'existence de travaux de bâtiment et en retenant que les travaux effectués par la société Sitélec avaient consisté en l'installation et la modification de machines, sans caractériser que celles-ci ne faisaient pas appel aux techniques des travaux de bâtiment, la cour d'appel a violé l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975;
Mais attendu, d'une part, que les obligations du maître de l'ouvrage dont l'inexécution était invoquée, ne sont prescrites qu'en matière de travaux de bâtiment et de travaux publics; qu'en vérifiant, avant de se prononcer sur la demande du sous-traitant, si les travaux en cause appartenaient à l'une ou à l'autre de ces catégories, la cour d'appel n'a fait qu'appliquer le texte dont la violation est invoquée;
Attendu, d'autre part, qu'ayant relevé que les travaux effectués par la société Sitélec consistaient en l'installation et la modification de machines, la cour d'appel, qui a ainsi fait ressortir que ces travaux ne faisaient pas appel aux techniques des travaux de bâtiment, a pu décider qu'ils ne constituaient pas des travaux de bâtiment;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches;
Sur le troisième moyen :
Attendu que la société Sitélec reproche enfin à l'arrêt d'avoir rejeté la demande en paiement qu'elle avait formée à l'encontre de la société Brochot, alors, selon le pourvoi, que les juges du fond sont tenus d'examiner, même sommairement, les documents qui leur sont soumis; que, pour démontrer la correspondance entre les travaux exécutés par elle pour le compte du BEM et les travaux repris par la société Brochot, cessionnaire de celui-ci, la société Sitélec offrait en preuve diverses factures précisant la nature des travaux exécutés ainsi que des comptes rendus de réunion relatifs au même type de travaux; qu'en s'abstenant d'examiner de tels documents, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile;
Mais attendu que l'arrêt a retenu que les factures produites par la société Sitélec étant antérieures au jugement ayant arrêté le plan de cession du BEM à la société Brochot, celle-ci ne pouvait être tenue de les payer; que ce motif rendait sans objet l'examen comparatif des factures précitées et des travaux du BEM repris par la société Brochot; que le moyen est inopérant;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Sitelec, envers les défendeurs, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le président en son audience publique du douze mars mil neuf cent quatre-vingt-seize.