Livv
Décisions

Cass. com., 7 mars 2018, n° 16-24.851

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

Cass. com. n° 16-24.851

6 mars 2018


Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu en matière de référé, que le 4 février 2015, à la suite d'un contrôle opéré dans les locaux de la société Bella, qui a pour activité le commerce en gros d'articles en cuir importés de Chine, l'administration des douanes a mis en retenue, sur le fondement des articles L. 521-14 et L. 716-8 du code de la propriété intellectuelle, des marchandises paraissant contrefaire les marques Chanel, Gucci et Hermès ; que les représentants des sociétés exploitant ces marques ont confirmé le caractère contrefaisant de certaines de ces marchandises ; que par procès-verbal du 17 février 2015, les agents des douanes ont notifié à la société Bella une infraction douanière de détention irrégulière de marchandises soumises à justificatifs d'origine communautaire et ont procédé à la saisie des articles contrefaisants ; que la société a assigné en référé l'administration des douanes aux fins d'annulation de la saisie douanière et de restitution des marchandises sous astreinte, faute pour les titulaires des droits sur les marques litigieuses d'avoir saisi la justice dans le délai de dix jours ouvrables qui leur était imparti ;

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l'article 323 du code des douanes, ensemble les articles L. 521-14 et L. 716-8 du code de la propriété intellectuelle ;

Attendu que pour ordonner la mainlevée de la saisie pratiquée par l'administration des douanes et la restitution des marchandises, l'arrêt relève qu'aux termes des articles L. 521-14 et L. 716-8 du code de la propriété intellectuelle, la mesure de retenue est levée de plein droit à défaut, pour le titulaire du droit, dans le délai de dix jours ouvrables à compter de la retenue de marchandises, de justifier auprès des services douaniers soit de mesures conservatoires décidées par la juridiction civile, soit de s'être pourvu par la voie civile ou correctionnelle et d'avoir constitué les garanties destinées à l'indemnisation éventuelle du détenteur de marchandises ; qu'il retient que l'administration des douanes ne rapporte pas la preuve que les sociétés Chanel, Gucci et Hermès, pour lesquelles elle a effectué la retenue, ont introduit une action en justice dans le délai de dix jours ;

Qu'en statuant ainsi, alors que la détention irrégulière de marchandises soumises à justificatifs d'origine communautaire caractérise une infraction douanière et autorise les services des douanes à procéder à la saisie de ces marchandises, peu important que celles-ci aient été ou non préalablement retenues, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et sur le moyen, pris en sa seconde branche :

Vu l'article 342 du code des douanes ;

Attendu que pour ordonner la mainlevée de la saisie pratiquée par l'administration des douanes et la restitution des marchandises, l'arrêt relève que selon l'article 323, paragraphe 2, du code des douanes, la saisie est autorisée en cas de constatation d'une infraction douanière ; qu'il retient qu'il résulte du procès-verbal de saisie que les agents des douanes se sont fondés exclusivement sur les déclarations des sociétés Chanel, Gucci et Hermès pour considérer que les marchandises étaient contrefaisantes, et qu'en l'absence de constatations directes, à cet égard, de l'administration des douanes, celle-ci ne pouvait légitimement procéder à la saisie des marchandises en invoquant la commission d'un délit douanier d'importation sans déclaration de marchandises prohibées ;

Qu'en statuant ainsi, alors que les infractions douanières peuvent être prouvées par tous moyens et qu'elle avait relevé que les agents des douanes avaient recueilli les déclarations des titulaires des droits de propriété intellectuelle confirmant le caractère contrefaisant des produits en cause, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette l'exception d'incompétence soulevée par l'administration des douanes, l'arrêt rendu le 13 septembre 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la société Bella aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer au directeur général des douanes et droits indirects et au contrôleur principal des douanes de la brigade de surveillance intérieure des douanes de X... la somme globale de 3 000 euros ; rejette les autres demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du sept mars deux mille dix-huit.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour le directeur général des douanes et droits indirects, le ministre de l'économie et des finances, le contrôleur principal des douanes de la brigade de surveillance intérieure des douanes de X....

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR ordonné la mainlevée de la saisie pratiquée par l'administration des douanes le 17 février 2015 à l'encontre de la société Bella, d'AVOIR ordonné la restitution de la marchandise saisie selon procès-verbal du 17 février 2015, d'AVOIR condamné l'administration des douanes à payer à la société Bella la somme de 5.000 euros à titre de provision à valoir sur le préjudice de manque à gagner qui sera fixé par le jugement à venir sur le fond et d'AVOIR rejeté toute autre demande plus ample ou contraire ;

AUX MOTIFS QU'en application de l'article 809 alinéa 1er du code de procédure civile, le juge peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; qu'en l'occurrence, au vu des pièces communiquées par l'appelante : - procès-verbal de mise en retenue douanière du 4 février 2015 précisant que les agents des douanes procèdent à la retenue des marchandises trouvées dans l'entrepôt de la société Bella, sur le fondement des articles L. 716-8 et L. 521-14 du code de la propriété intellectuelle, sur demande d'intervention des sociétés Chanel, Gucci et Hermès, - procès-verbal en date du 17 février 2015 à 14 h, de fin de retenue de certaines marchandises au titre des articles précités et de restitution desdites marchandises, - procès-verbal en date du 17 février 2015 à 14 h 30, dressé « suite à la retenue de contrefaçon du 4 février 2015 au titre des articles L716-8 et L521-14 du code de la propriété intellectuelle et après expertise des sociétés Chanel, Gucci et Hermès, il est demandé au salarié de la société Bella de présenter les justificatifs communautaires pour les marchandises déclarées contrefaisantes par les sociétés représentant les marques Chanel, Gucci et Hermès » et notifiant à la société Bella les infractions de détention irrégulière de marchandises soumises à justificatifs, prévues par les articles 38, 38-4, 215, 215 bis, 419 et 414 du code des douanes, il ressort que ces procès-verbaux rapportent le déroulement chronologique de la procédure de retenue effectuée sur le fondement du code de la propriété intellectuelle, puis de la procédure de saisie effectuée sur le fondement d'infraction douanière ; que la société Bella conteste la validité de la saisie qui s'est effectuée sur des marchandises pour lesquelles elle soutient que la retenue douanière aurait dû être levée de plein-droit ; que la cour observe qu'aux termes des articles L. 521-14 et L. 716-8 du code de la propriété intellectuelle, la mesure de retenue est levée de plein-droit à défaut, pour le titulaire du droit, dans le délai de dix jours ouvrables à compter de la retenue de marchandises, de justifier auprès des services douaniers soit de mesures conservatoires décidées par la juridiction civile, soit de s'être pourvu par la voie civile ou correctionnelle et d'avoir constitué les garanties destinées à l'indemnisation éventuelle du détenteur de marchandises ; qu'en l'occurrence, l'administration des douanes qui affirme dans ses conclusions que ses services ont agi dans le cadre d'un contrôle inopiné, ce que contredit le procès-verbal du 4 février 2015, ne rapporte pas la preuve que les sociétés Chanel, Gucci et Hermès pour lesquelles elle a effectué la retenue, ont introduit une action en justice dans le délai de dix jours ; que, par ailleurs, concernant la mesure de saisie, elle est autorisée selon l'article 323 paragraphe 2 du code des douanes, en cas de constatation d'une infraction douanière ; qu'or, il résulte du procès-verbal de saisie que les agents des douanes se sont fondés exclusivement sur les déclarations des sociétés Chanel, Gucci et Hermès pour considérer que les marchandises étaient contrefaisantes et constituaient ainsi des marchandises prohibées au sens du code des douanes ; que dans ces conditions, en l'absence de constatations directes du caractère contrefait des marchandises, l'administration des douanes ne pouvait légitimement procéder à la saisie de ces marchandises en invoquant la commission d'un délit douanier d'importation sans déclaration de marchandises prohibées ; qu'il s'en déduit que la saisie constitue un trouble manifestement illicite pour la société Bella ; que la mainlevée de la saisie doit donc être prononcée ; et que l'ordonnance de référé doit être réformée en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à mainlevée de la saisie pratiquée le 17 février 2015 et à référé sur les autres demandes ; que la société Bella fait valoir qu'elle subit un préjudice du fait qu'elle n'a pas pu commercialiser les marchandises saisies et évalue son manque à gagner à 20.000 euros ; que s'il n'est pas contestable que la saisie est la cause d'un préjudice commercial pour la société Bella, en revanche, cette dernière n'apporte aucun autre élément de preuve du bien-fondé de l'évaluation que les procès-verbaux douaniers sus-visés ; qu'au vu du nombre et de la description des marchandises qui ont fait l'objet de la saisie annulée, la provision à valoir sur le préjudice, dans l'attente du jugement à venir sur le fond, sera fixée à 5.000 euros, somme au paiement de laquelle l'administration des douanes sera condamnée ; qu'en raison de la mainlevée de la saisine, il y a lieu d'ordonner la restitution des marchandises ;

1°) ALORS QUE l'administration des douanes est en droit de saisir des marchandises suspectées de contrefaçon faisant l'objet d'une retenue douanière sur le fondement de la constatation d'une infraction douanière, alors même que le titulaire des droits de propriété intellectuelle lésés n'a pas introduit une action aux fins de voir constater le caractère contrefaisant de ces marchandises ; qu'en considérant que l'administration des douanes ne pouvait légitimement procéder à la saisie des marchandises litigieuses qui faisaient l'objet d'une retenue douanière dans la mesure où elle ne rapportait pas la preuve de ce que les sociétés Chanel, Gucci et Hermès, pour lesquelles la retenue avait été opérée, avaient introduit une action en justice tendant à voir constater le caractère contrefaisant de ces marchandises dans un délai de dix jours à compter de cette retenue, quand une telle saisie pouvait être réalisée de manière autonome, comme en l'espèce, sur le seul fondement de la constatation d'une infraction douanière de détention irrégulière de marchandises soumises à justificatif, sans qu'il soit nécessaire que les sociétés Chanel, Gucci et Hermès, titulaires des marques suspectées de contrefaçon, aient introduit une action aux fins de voir constater une telle contrefaçon, la cour d'appel a violé l'article 323 du code des douanes et les articles L. 521-14 et L. 716-8 du code de la propriété intellectuelle ;

2°) ALORS QUE les infractions douanières peuvent être prouvées par tous moyens ; qu'en affirmant que l'administration des douanes ne pouvait légitimement procéder à la saisie des marchandises litigieuses en tant qu'elles étaient contrefaisantes en se fondant exclusivement sur les déclarations des sociétés Chanel, Gucci et Hermès et en l'absence de constatations directes du caractère contrefait de ces marchandises, quand l'administration des douanes pouvait caractériser les contrefaçons ayant entraîné la saisie sur le fondement exclusif des déclarations des titulaires des marques concernées, seuls aptes à déceler les signes distinctifs et secrets employés par celles-ci pour se protéger d'actes de contrefaçon, la cour d'appel a violé l'article 342 du code des douanes.