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Décisions

ADLC, 21 juin 2019, n° 19-DCC-117

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

relative à la prise de contrôle conjoint d’un fonds de commerce de détail à dominante alimentaire par la société Oxydis aux côtés de l’Association des Centres Distributeurs E. Leclerc

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme de Silva

ADLC n° 19-DCC-117

21 juin 2019

L’Autorité de la concurrence,

Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 17 mai 2019 relatif à la prise de contrôle conjoint d’un fonds de commerce de détail à dominante alimentaire par la société Oxydis aux côtés de l’Association des Centres Distributeurs E. Leclerc, formalisée par une promesse d’achat du fonds de commerce en date du 8 avril 2019 conclue entre la société Socamil et la société Distribution Casino France et par la déclaration de substitution en date du 16 avril 2019 par laquelle la société Oxydis se substitue à la société Socamil ;

Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;

Vu les éléments complémentaires transmis par les parties notifiantes au cours de l’instruction ; Adopte la décision suivante :

I. Les entreprises concernées et l’opération

A. LES ENTREPRISES CONCERNÉES

1. LES ACQUÉREURS ET LA CIBLE

1. La société Oxydis (ci-après « Oxydis ») est une société par actions simplifiée, créée pour les besoins de l’opération, qui a pour objet l’exploitation d’un établissement commercial de commerce de détail. Elle est contrôlée par M. Boissonade, lequel exploite également un hypermarché sous l’enseigne E. Leclerc, situé à Carcassonne (11).

2. L’Association des Centres Distributeurs E. Leclerc (ci-après, l’« ACDLec ») est l’organe qui définit la stratégie du mouvement E. Leclerc, dont sont adhérentes toutes les personnes physiques qui dirigent les sociétés d’exploitation de magasins E. Leclerc. L’ACDLec détermine notamment les conditions d’agrément au mouvement E. Leclerc et signe les contrats d’enseigne (ou « de panonceau ») dont doivent être titulaires les exploitants de magasins de commerce de détail E. Leclerc.

3. Le magasin cible est un hypermarché exploité sous l’enseigne Géant Casino, situé à Carcassonne  (11)  d’une  surface  de vente  de  4 725m²,  détenu  par  la   société   Distribution Casino France (ci-après, « DCF »), filiale de la société Casino Guichard- Perrachon.

2. LE CONTRÔLE DES ENTITÉS CONCERNÉES

4. Il est soutenu dans le dossier de notification de l’opération que l’ACDLec n’exerce aucun contrôle sur Oxydis et n’exercera aucun contrôle sur le magasin cible après l’opération. Selon les parties notifiantes, ce dernier serait donc exclusivement contrôlé par M. Boissonade et l’opération notifiée consisterait en la prise de contrôle exclusif du magasin cible par

M. Boissonade, par l’intermédiaire de Oxydis.

5. Néanmoins, à l’issue de l’opération, le fonds de commerce cible sera détenu par Oxydis, laquelle est conjointement contrôlée, au sens du droit des concentrations par l’ACDLec et

M. Boissonade. En effet, comme l’Autorité de la concurrence l’a relevé dans de précédentes décisions1, les obligations que l’ACDLec fait peser sur les sociétés d’exploitation des magasins

E. Leclerc, telles que Oxydis, lui permettent d’exercer une influence déterminante sur celles-ci. Cette analyse de l’influence déterminante exercée par l’ACDLec est transposable à la présente opération, au vu des documents contractuels liant Oxydis à l’ACDLec2.

B. L’OPÉRATION

6. L’opération, formalisée par  une  promesse  d’achat  du  fonds   de  commerce  en  date  du   8 avril 2019 entre la société Socamil et DCF, ainsi que par la déclaration de substitution en date du 16 avril 2019 par laquelle Oxydis se substitue à la société Socamil, consiste en l’acquisition par Oxydis de l’hypermarché sous enseigne Géant Casino situé 2, avenue du Souvenir Français, à Carcassonne (11). Oxydis, créée pour les besoins de l’opération, est une société par action simplifiée dans le cadre de dispositions conformes aux statuts-types E. Leclerc, adhérente de l’ACDLec et ayant vocation à être titulaire d’un contrat de panonceau E. Leclerc par l’intermédiaire de M. Boissonade3. La centrale d’achat des centres distributeurs E. Leclerc Socamil, les sociétés d’exploitation Saint Aunes, So.Di.Gar, Gaillac Distribution, Sodimaz, Lecadis et Monsieur Parnot, détenant chacun une participation au sein du capital de la société Oxydis, dont plusieurs au titre du parrainage décrit aux points 9 et 10 de la décision n° 19-DCC- 63 précitée, qui s’appliquent également à la présente situation, l’ACDLec sera en mesure d’exercer un contrôle conjoint sur la nouvelle société.

7. En ce qu’elle se traduit par la prise de contrôle conjoint du magasin cible par Oxydis aux côtés de l’ACDLec, l’opération constitue une concentration au sens de l’article L. 430- 1 du code de commerce.

8. Les entreprises concernées exploitent des magasins de commerce de détail et réalisent ensemble un chiffre d’affaires hors taxes total sur le plan mondial de plus de 75 millions d’euros (mouvement E. Leclerc : [≥ 75 millions] d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 20184 ;

M. Boissonade : [≥ 75 millions] d’euros pour l’exercice clos le 30 septembre 2018 ; le magasin cible : [≤ 75 millions] d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2017). Deux au moins de ces entreprises réalisent en France un chiffre d’affaires supérieur à 15 millions d’euros dans le secteur du commerce de détail (mouvement E. Leclerc : [≥ 15 millions] d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 20185 ; M. Boissonade : [≥ 15 millions] d’euros pour l’exercice clos le  30 septembre 2018 ; le  magasin  cible :  [≥  15  millions]  d’euros  pour  l’exercice  clos  le  31 décembre 2017). Compte tenu de ces chiffres d’affaires, l’opération ne relève pas de la compétence de l’Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle relatifs au commerce de détail mentionnés au II de l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatives aux concentrations économiques.

II. Délimitation des marchés pertinents

A. LES MARCHÉS AMONT DE L’APPROVISIONNEMENT

1. MARCHÉS DE PRODUITS

9. En ce qui concerne les marchés de l’approvisionnement, la Commission européenne6 a retenu l’existence de marchés de dimension nationale par grands groupes de produits, délimitation suivie par les autorités nationales7.

10. Il n’y a pas lieu de remettre en cause cette délimitation à l’occasion de la présente opération.

2. MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES

11. Du point de vue géographique, la pratique décisionnelle constante des autorités de concurrence considère que les marchés de l'approvisionnement sont de dimension nationale8.

12. Il n’y a pas lieu de remettre en cause la pratique décisionnelle à l’occasion de la présente opération.

B. LES MARCHÉS AVAL DE LA DISTRIBUTION DE DETAIL A DOMINANTE ALIMENTAIRE

1. MARCHÉS DE PRODUITS

13. En ce qui concerne la vente au détail des biens de consommation courante, la pratique décisionnelle9 distingue six catégories de commerce de détail de biens de consommation courante, en utilisant plusieurs critères, notamment la taille des magasins, leurs techniques de vente, leur accessibilité, la nature du service rendu et l’ampleur des gammes de produits proposés : (i) les hypermarchés (magasins à dominante alimentaire d’une surface légale de vente supérieure à 2 500 m²), (ii) les supermarchés (entre 400 et 2 500 m²), (iii) le commerce spécialisé, (iv) le petit commerce de détail (moins de 400 m²), (v) les maxi-discompteurs, (vi) la vente par correspondance. La pratique décisionnelle précise toutefois que les seuils de surfaces doivent être utilisés avec précaution, et peuvent être adaptés au cas d’espèce, car des magasins dont la surface est située à proximité d’un seuil, soit en-dessous, soit au-dessus, peuvent se trouver en concurrence directe avec les magasins d’une autre catégorie.

14. Les autorités de concurrence considèrent que, si chaque catégorie de magasin conserve sa spécificité, il existe une concurrence asymétrique entre certaines de ces catégories. Pour la province, elles distinguent ainsi10 : (i) un marché comprenant uniquement les hypermarchés, et

(ii) un marché comprenant les supermarchés et les formes de commerce équivalentes (hypermarchés, hard-discount et magasins populaires) hormis le petit commerce de détail (moins de 400 m²).

15. En l’espèce, le point de vente cible exploité par DCF sous enseigne Géant Casino dispose d’une surface de vente de 4 725 m² et entre donc dans la catégorie des hypermarchés. L’opération sera donc analysée sur le marché des hypermarchés.

2. MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES

16. Les autorités de concurrence ont examiné les effets des concentrations dans le secteur de la distribution de détail à dominante alimentaire au niveau local, correspondant à la zone de chalandise associée à chaque magasin, et dont l’étendue est fonction du temps de transport pour le consommateur.

17. L’Autorité de la concurrence a souligné que, pour les magasins dont la superficie est supérieure à 2 500 m², les conditions de la concurrence s’appréciaient sur deux zones différentes :

- un premier marché où se rencontrent la demande des consommateurs d’une zone et l’offre des hypermarchés auxquels ils ont accès en moins de 30 minutes de déplacement en voiture et qui sont, de leur point de vue, substituables entre eux ;

- et un second marché où se rencontrent la demande de consommateurs et l’offre des supermarchés et formes de commerce équivalentes situés à moins de 15 minutes de temps de déplacement en voiture. Ces dernières formes de commerce peuvent comprendre, outre les supermarchés, les hypermarchés situés à proximité des consommateurs et les magasins discompteurs11.

18. L’Autorité précise toutefois de façon constante que ces délimitations sont susceptibles d’évoluer au cas par cas, en fonction des caractéristiques de la zone locale, puisque d’autres critères peuvent être pris en compte pour évaluer l’impact d’une concentration sur la situation de la concurrence sur les marchés de la distribution de détail, ce qui peut conduire à affiner, au cas d’espèce, les délimitations usuelles présentées ci-dessus.

19. Au cas d’espèce, le fonds de commerce cible entrant dans la catégorie des hypermarchés, l’analyse concurrentielle sera menée d’une part, sur le marché incluant uniquement les hypermarchés dans un rayon de 30 minutes et, d’autre part, sur le marché incluant les hypermarchés, les supermarchés et formes de commerce équivalentes situés dans un rayon de 15 minutes de temps de trajet en voiture autour du fonds de commerce cible.

III. Analyse concurrentielle

A. LES MARCHÉS AMONT DE L’APPROVISIONNEMENT

20. En ce qui concerne les marchés amont de l’approvisionnement, l’opération ne concerne qu’un seul magasin dont le montant des achats totaux représente une part marginale du marché de l’approvisionnement12.

21. La puissance d’achat du mouvement E. Leclerc n’est donc pas susceptible d’être renforcée, tous produits confondus comme par catégories de produits, à l’issue de l’opération.

B. LES MARCHÉS AVAL DE LA DISTRIBUTION

22. Sur le marché comprenant les hypermarchés situés dans une zone correspondant à un temps de trajet de 30 minutes à partir du magasin cible, ce dernier représente [10-20] % des surfaces de vente et les hypermarchés à l’enseigne E. Leclerc en représentent [30-40] %, soit une part de marché cumulée estimée à [50-60] %. À l’issue de l’opération, les magasins sous enseigne

E. Leclerc feront face à la concurrence des hypermarchés exploités sous deux enseignes indépendantes : Carrefour ([20-30] %) et Casino ([20-30] %).

23. La part de marché cumulée des parties est donc supérieure à 50 %. La présomption de l’existence d’un pouvoir de marché restrictif de concurrence conféré à un opérateur, lorsqu’un

 

 

 

 

tel seuil de part de marché est dépassé, est toutefois réfutable, comme les lignes directrices précitées le rappellent13.

24. En l’espèce, le concurrent le plus proche du magasin cible est un magasin sous enseigne Carrefour de 6 500 m², situé à 6 minutes en voiture du magasin cible. À 12 minutes du magasin cible se situe un autre hypermarché sous enseigne Casino d’une surface de 6 606 m². Ces deux concurrents sont de taille suffisante pour exercer une forte pression concurrentielle sur le magasin cible. Toute augmentation unilatérale de prix, ou toute réduction de la qualité des services offerts aux consommateurs, est susceptible de se traduire par un report de la demande vers ces deux concurrents.

25. Par ailleurs, sur ce marché, l’Autorité relève que l’opération ne se traduit pas par la diminution du nombre d’enseignes, le consommateur continuant à bénéficier de trois enseignes concurrentes : E. Leclerc, Carrefour et Casino.

26. Sur le marché comprenant les supermarchés et formes de commerce équivalentes situés dans une zone de 15 minutes en voiture autour du magasin cible, ce dernier représente [10-20] % des surfaces de vente et les points de vente à l’enseigne E. Leclerc en représentent [10-20] %, soit une part de marché cumulée estimée à [20-30] %. À l’issue de l’opération, les magasins sous enseigne E. Leclerc feront face à la concurrence de nombreux points de vente, exploités sous six enseignes indépendantes : Casino ([20-30] %), Carrefour ([20-30] %), Intermarché ([10- 20] %), Lidl ([5-10] %), Système U ([5-10] %), et Aldi ([0-5] %).

27. Il résulte de ce qui précède que l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence tant sur les marchés aval de la distribution.

DÉCIDE

Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 19-126 est autorisée.

 

NOTES :

1 Voir les décisions de l’Autorité de la concurrence n° 16-DCC-211 du 13 décembre 2016 relative à la prise de contrôle conjoint d’un fonds de commerce de la société Sodix par l’Association ACDLec aux côtés de la société Lacdis, n° 19-DCC-63 du 9 avril 2019 relative à la prise de contrôle conjoint d’un fonds de commerce de détail à dominante alimentaire par la société Thegadis aux côtés de l’Association des Centres distributeurs E. Leclerc et n° 19-DCC-105 du 24 mai 2019 relative à la prise de contrôle conjoint d’un fonds de commerce de détail à dominante alimentaire par la société Saint-Grégoire Distribution aux côtés de l’Association des Centres Distributeurs E. Leclerc.

2 Voir les paragraphes 6 à 17 de la décision n° 19-DCC-63 du 9 avril 2019 relative à la prise de contrôle conjoint d’un fonds de commerce de détail à dominante alimentaire par la société Thegadis aux côtés de l’Association des Centres Distributeurs E. Leclerc.

3 M. Boissonade est titulaire d’un contrat de panonceau mentionnant l’exploitation de la société TLPM, conclu le 19 décembre 2017. Si le contrat de panonceau existant ne mentionne pas l’exploitation d’Oxydis, il ne fait aucun doute que la société Oxydis a vocation à être affiliée au Mouvement E. Leclerc et à figurer à l’avenir sur le contrat de panonceau E. Leclerc.

4 L’ACDLec exerçant un contrôle conjoint sur certains magasins à l’enseigne E. Leclerc, 50 % du chiffre d’affaires des magasins a été affecté à l’ACDLec aux fins du calcul du chiffre d’affaires, conformément aux dispositions des paragraphes 186 et 187 de la communication consolidée de la Commission européenne.

5 L’ACDLec exerçant un contrôle conjoint sur certains magasins à l’enseigne E. Leclerc, 50 % du chiffre d’affaires des magasins a été affecté à l’ACDLec aux fins du calcul du chiffre d’affaires, conformément aux dispositions des paragraphes 186 et 187 de la communication consolidée de la Commission européenne.

6 Voir, par exemple, les décisions de la Commission européenne M.1684 du 25 janvier 2000 Carrefour / Promodès et M.2115 du 28 septembre 2000 Carrefour / GB.

7 Voir notamment les décisions du ministre dans le secteur de la distribution de détail à dominante alimentaire : C2005-98 Carrefour/Penny Market du 10 novembre 2005, C2006-15 Carrefour/ Groupe Hamon du 14 avril 2006, C2007-172 relative à la création de l’entreprise commune Plamidis du 13 février 2008 et C2008-32 Carrefour/SAGC du 9 juillet 2008, ainsi que les décisions n° 16-DCC-53 et n° 16-DCC- 211 précitées.

8 Voir notamment les décisions COMP/M.1684,COMP/M.4096, n° 16-DCC-53 et n° 16-DCC-211 précitées.

9 Voir, par exemple, les décisions n° 16-DCC-211, n° 19-DCC-63 et n° 19-DCC-105 précitées.

10 Id.

11 Id.

12 L’ACDLec a notifié récemment la prise de contrôle conjoint de sept autres points de ventes qui ont fait l’objet de sept décisions distinctes. Le risque de renforcement de la puissance d’achat du Mouvement E. Leclerc, en tant qu’acteur sur les marchés de l’approvisionnement, a été étudié en tenant compte de ces huit opérations.

13 Lignes directrices de l’Autorité de la concurrence, paragraphe 397.