Livv
Décisions

Cass. 1re civ., 24 septembre 2009, n° 08-11.112

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bargue

Rapporteur :

Mme Marais

Avocat général :

M. Sarcelet

Avocats :

SCP Delaporte, Briard et Trichet, SCP Waquet, Farge et Hazan

Paris, du 14 nov. 2007

14 novembre 2007

Attendu que, courant 2005, la société Jacky Boy music a réalisé une compilation de dix huit chansons enregistrées par Henri Y... entre 1948 et 1952 qu'elle a commercialisée, au prix d'un euro, auprès de la grande distribution ; qu'estimant que cette commercialisation portait atteinte tant à son droit moral d'artiste-interprète qu'à ses droits d'auteur pour six des chansons reproduites, et dénonçant l'utilisation, sans autorisation, de sa photographie pour illustrer la jaquette du disque, Henri Y... a saisi le juge des référés pour voir ordonner la cessation de cette commercialisation, ainsi que la destruction des stocks et pour solliciter paiement d'une provision à titre de dommages intérêts ; que le juge des référé ayant accueilli ces demandes, la société Jacky Boy music a saisi la juridiction du fond ; qu'Henri Y... étant décédé, le 13 février 2008, Mme Z...A... a repris l'instance ;

Sur le premier moyen pris en ses trois branches :

Attendu que la société fait grief à l'arrêt attaqué (Paris, 14 novembre 2007) d'avoir dit que la compilation portait atteinte au droit moral d'artiste interprète d'Henri Y..., alors, selon le moyen, que :

1° / si le respect dû à l'interprétation de l'artiste en interdit toute altération ou dénaturation, la reproduction non remasterisée et donc fidèle d'un enregistrement original ne saurait en elle-même constituer une altération ou une dénaturation de l'interprétation ; qu'en décidant néanmoins que la reproduction des enregistrements originaux, tombés dans le domaine public, des interprétations de M. Y... portait atteinte au droit moral de ce dernier en raison de la perte de qualité des enregistrements due à l'écoulement du temps, la cour d'appel a violé l'article L. 212 2 du code de la propriété intellectuelle ;

2° / la reproduction d'une interprétation tombée dans le domaine public ne nécessite pas l'accord de l'artiste interprète ; qu'en retenant que la société Jacky Boy music aurait dû recueillir l'autorisation de M. Y... avant de reproduire les interprétations litigieuses qui étaient pourtant dans le domaine public, la cour d'appel a violé les articles L. 211 4 et L. 212-2 du code de la propriété intellectuelle ;

3° / si le respect dû à l'interprétation de l'artiste en interdit toute altération ou dénaturation, la reproduction d'un enregistrement original ne saurait être considérée comme une altération ou une dénaturation de l'interprétation en raison de son faible prix de vente et de ses conditions de vente ; qu'en décidant néanmoins que le contexte de la commercialisation des CD litigieux dans des grandes surfaces pour un prix d'un euro devait être pris en compte, la cour d'appel a violé l'article L. 212 2 du code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu que le droit imprescriptible reconnu à l'artiste-interprète au respect de son interprétation lui permet de s'opposer à toute reproduction altérée de celle-ci, quand bien même l'altération de l'interprétation procéderait de l'enregistrement d'origine et serait appréciée au regard de l'écoulement du temps et de l'évolution des techniques ; qu'ayant constaté que la compilation litigieuse était " d'une qualité sonore de grande médiocrité ", la cour d'appel a caractérisé l'atteinte au droit moral de l'artiste-interprète et par ce seul motif légalement justifié sa décision ;

Sur le deuxième moyen pris en ses trois branches :

Attendu que la société fait encore grief à l'arrêt critiqué d'avoir dit que la compilation portait atteinte au droit moral d'auteur d'Henri Y... alors, selon le moyen, que :

1° / si l'exploitation d'une oeuvre au sein d'une compilation est de nature à porter atteinte au droit moral de l'auteur, requérant alors son accord préalable, lorsqu'elle risque d'altérer l'oeuvre ou de déconsidérer l'auteur, la reproduction non remasterisée d'un enregistrement original ne saurait en elle-même constituer une telle atteinte ; qu'en décidant néanmoins que la reproduction des enregistrements originaux des oeuvres de M. Y... portait atteinte au droit moral de ce dernier en raison de la perte de qualité des enregistrements due à l'écoulement du temps, la Cour d'appel a violé l'article L. 121 1 du code de la propriété intellectuelle ;

2° / si l'exploitation d'une oeuvre au sein d'une compilation est de nature à porter atteinte au droit moral de l'auteur, requérant alors son accord préalable, lorsqu'elle risque d'altérer l'oeuvre ou de déconsidérer l'auteur, la reproduction d'un enregistrement original ne saurait être considérée comme constituant une telle atteinte compte tenu de son faible prix de vente et de ses conditions de vente ; qu'en décidant néanmoins que le contexte de la commercialisation des CD litigieux dans des grandes surfaces pour un prix d'un euro devait être pris en compte, la cour d'appel a encore violé l'article L. 121 1 du code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu que la cour d'appel a justement retenu que la commercialisation d'une compilation d'une qualité sonore de grande médiocrité, vendue au prix dérisoire d'un euro, sans commune proportion au prix du marché, et comme un produit de promotion de la grande distribution, étranger à la sphère artistique, était de nature à déprécier l'oeuvre qui y était reproduite et portait atteinte à la considération de l'auteur et à son droit moral ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen pris en ses trois branches :

Attendu que la société reproche enfin à l'arrêt déféré d'avoir dit que l'utilisation, sans son autorisation d'une photographie représentant Henri Y... sur la pochette du CD de la compilation litigieuse portait atteinte à son droit à l'image alors, selon le moyen, que :

1° / le droit à l'image n'est pas atteint en cas de reproduction d'une photographie posée dans le cadre professionnel et diffusée initialement avec le consentement de l'artiste ; qu'en retenant néanmoins que M. Y... a conféré à son image une valeur économique qui ne saurait être utilisée sans son consentement dans le circuit professionnel et commercial par des tiers, la cour d'appel a violé les principes relatifs au droit à l'image et l'article 9 du code civil ;

2° / si le portrait d'un artiste illustre, photographié dans sa vie professionnelle, ne peut être divulgué dans un but purement publicitaire sans être détourné de sa fin, l'utilisation d'un tel portrait pour illustrer la pochette d'un CD ne constitue pas une atteinte au droit à l'image mais relève de l'activité d'information et de communication ; qu'en retenant néanmoins que M. Y... a conféré à son image une valeur économique qui ne saurait être utilisée sans son consentement dans le circuit professionnel et commercial par des tiers, la cour d'appel a violé l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

3° / il n'y a pas atteinte au droit à l'image d'un artiste dans l'hypothèse d'une utilisation d'illustrations se référant à ses origines et ne faisant que reproduire des faits publics ; qu'en retenant néanmoins que l'utilisation d'un photomontage illustrant ses origines par le recours à des images de palmiers porte atteinte à la personnalité de M. Y..., la cour d'appel a violé les principes relatifs au droit à l'image et de l'article 9 du code civil ;

Mais attendu que chacun ayant le droit de s'opposer à la reproduction de son image hormis le cas de l'exercice de la liberté d'expression, c'est à bon droit que la cour d'appel a décidé que la reproduction de la photographie de l'artiste sur la jaquette d'une compilation, qui constitue un acte d'exploitation commerciale et non l'exercice de la liberté d'expression, était soumise à autorisation préalable et que faute d'avoir été autorisée par l'intéressé, cette reproduction était illicite et portait atteinte au droit à son image ; que par ces seuls motifs la décision est légalement justifiée ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.