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Décisions

CA Nancy, 1re ch. civ., 7 juin 2021, n° 20/02052

NANCY

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

ACR (SARL)

Défendeur :

CR Habitat (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cunin-Weber

Conseillers :

Mme Geoffroy, M. Firon

TGI Nancy, du 6 déc. 2019, n° 17/02028

6 décembre 2019

EXPOSÉ DU LITIGE

Selon devis accepté le 25 octobre 2013, Mme Anne Gisèle R. veuve I. a confié à la SAS CR Habitat la réalisation d'une terrasse et du bardage du soubassement de sa maison située [...] pour un montant total de 20000 euros TTC, dont un coût de 17840 euros HT pour le soubassement.

Ces travaux ont été réalisés par la SARL ACR et l'ouvrage a été réceptionné le 9 juillet 2014.

La SAS CR Habitat a établi une facture en date du 16 juin 2014 d'un montant de 20000 euros TTC, acquittée par Mme R., tandis que la SARL ACR facturait sa prestation à la SAS CR Habitat le 10 juillet 2014.

Des plaquettes du parement posées par la SARL ACR sont tombées à plusieurs reprises, conduisant cette dernière à intervenir pour les recoller.

Le 15 décembre 2014, Mme R., constatant une nouvelle chute de plaques, sollicitait la SAS CR Habitat afin qu'elle y remédie définitivement.

En raison de la persistance du désordre, Mme R. a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Nancy aux fins d'expertise, laquelle fut ordonnée par décision du 24 novembre 2015 et confiée à M. Jean-Marie C..

Par ordonnance du 9 février 2016, les opérations d'expertise ont été déclarées communes et opposables à la SARL ACR.

Le rapport d'expertise a été déposé le 7 décembre 2016.

Par acte d'huissier du 30 mai 2017, Mme R. a fait assigner la SAS CR Habitat devant le tribunal de grande instance de Nancy aux fins d'obtenir l'indemnisation de ses préjudices.

Par acte d'huissier du 29 septembre 2017, la SAS CR Habitat a appelé en intervention forcée la SARL ACR, aux fins de condamnation de cette dernière à la garantir.

Les deux procédures ont été jointes par ordonnance du 21 novembre 2017.

Par jugement contradictoire du 6 décembre 2019, le tribunal de grande instance de Nancy a :

- condamné la SAS CR Habitat à payer à Mme R. les sommes suivantes :

- 15000 euros HT, majorée de la TVA en vigueur au jour du jugement,

- 2000 euros en réparation du préjudice de jouissance et moral,

- condamné la SAS CR Habitat à payer à Mme R. la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SARL ACR à payer à la SAS CR Habitat la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SAS CR Habitat aux entiers dépens comprenant ceux de la procédure de référé et le coût de l'expertise judiciaire,

- condamné la SARL ACR à garantir la SAS CR Habitat de toutes les condamnations prononcées à son encontre en principal, frais et dépens,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

- ordonné l'exécution provisoire.

Se fondant sur les conclusions du rapport d'expertise judiciaire, le premier juge a indiqué que les désordres affectant le revêtement du soubassement n'étaient pas de nature décennale et il en a conclu que seule la responsabilité contractuelle de droit commun pouvait être retenue.

Il a rappelé que l'entrepreneur est débiteur d'une obligation de résultat et qu'il était contractuellement tenu, vis-à-vis du maître de l'ouvrage, des fautes commises par ses sous-traitants. Le soubassement présentant un vice, il en a déduit que la SAS CR Habitat avait manqué à son obligation de résultat envers Mme R. et devait l'indemniser de son entier préjudice.

Compte tenu des conclusions du rapport d'expertise judiciaire, il a retenu un coût de 15000 euros HT, devant être majoré de la TVA en vigueur à compter de la décision, pour la dépose et la pose d'un nouveau revêtement identique.

S'agissant du préjudice de jouissance et du préjudice moral, il a relevé que l'expert judiciaire estime la durée des travaux à trois semaines, et que la maison de Mme R. présente un désordre esthétique depuis six ans.

S'agissant de l'appel en garantie, le tribunal a rappelé que le sous-traitant est tenu contractuellement à l'égard de l'entrepreneur d'une obligation de résultat, ainsi que d'une obligation de conseil. Il a relevé que l'expert a considéré que l'exécution défectueuse des travaux était la seule cause des désordres et que l'entreprise ayant posé les revêtements du soubassement en était la seule responsable. Il a considéré que la SARL ACR, spécialisée dans la maçonnerie, si elle estimait que ce revêtement ne pouvait pas être installé sur le support qu'elle considérait comme inadapté, devait en informer l'entrepreneur principal, alors qu'elle ne démontrait pas avoir émis la moindre réserve.

Le premier juge a ajouté que la SARL ACR contestait l'estimation par l'expert du coût du remplacement du revêtement, alors qu'elle n'avait adressé aucun dire à ce sujet et qu'elle ne fournissait pas d'éléments chiffrés pour cette reprise.

Il a souligné qu'il ne résultait pas du contrat liant Mme R. et la SAS CR Habitat que cette dernière s'était vue confier une maîtrise d'oeuvre et il en a conclu que la SARL ACR devait être déclarée entièrement responsable du désordre affectant le revêtement du soubassement et devait donc être condamnée à garantir la SAS CR Habitat de toutes les condamnations prononcées à son encontre.

Par déclaration reçue au greffe de la cour, sous la forme électronique, le 15 octobre 2020, la SARL ACR a relevé appel de ce jugement.

Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour sous la forme électronique le 8 février 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la SARL ACR demande à la cour de :

- réformer le jugement entrepris,

- dire n'y avoir lieu à appel en garantie des condamnations mises à la charge de l'intimée,

- déclarer la SAS CR Habitat intégralement responsable des dommages subis par le maître de l'ouvrage,

- mettre à la charge des intimées une indemnité de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les dépens.

Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour sous la forme électronique le 22 décembre 2020, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la SAS CR Habitat demande à la cour de :

- la recevoir en son appel et l'en déclarer bien fondée,

- confirmer le jugement rendu le 6 décembre 2019 par le tribunal de grande instance de Nancy en ce qu'il a :

- condamné la SARL ACR à lui payer la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SARL ACR à la garantir de toutes les condamnations prononcées à son encontre en principal, frais et dépens,

À titre reconventionnel,

- condamner la SARL ACR au paiement d'une amende civile de 3000 euros en application de l'article 559 du code de procédure civile pour appel abusif,

- condamner la SARL ACR à lui payer la somme de 3000 euros à titre de dommages et intérêts pour la procédure d'appel abusive,

- condamner la SARL ACR aux dépens et à lui payer la somme de 3000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour sous la forme électronique le 30 décembre 2020, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Mme R. demande à la cour de :

- constater qu'aucune demande n'a été formée en appel à son encontre,

- condamner la SARL ACR à lui payer la somme de 3000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure d'appel abusive,

- condamner la SARL ACR aux dépens et à lui payer la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 22 mars 2021.

L'audience de plaidoirie a été fixée au 12 avril 2021 et le délibéré au 7 juin 2021.

MOTIFS DE LA DÉCISION

SUR LES DEMANDES PRINCIPALES

Sur la garantie de la SARL ACR

Il n'est pas contesté que les désordres affectant le revêtement du soubassement n'étant pas de nature décennale, seule la responsabilité contractuelle de droit commun peut être retenue. L'entrepreneur étant débiteur d'une obligation de résultat, il est responsable envers le maître de l'ouvrage des fautes commises par ses sous-traitants.

En l'espèce, le soubassement présentant un vice, la SAS CR Habitat a manqué à cette obligation de résultat envers Mme R. et doit l'indemniser de son entier préjudice.

Le premier juge, au regard du rapport d'expertise judiciaire, a à juste titre retenu un coût de 15000 euros HT devant être majoré de la TVA en vigueur pour la dépose et la pose d'un nouveau revêtement identique.

S'agissant du préjudice de jouissance et du préjudice moral, tenant compte de travaux durant trois semaines et d'un désordre esthétique depuis six ans, il a justement condamné la SAS CR Habitat à payer à Mme R. la somme de 2000 euros.

S'agissant de la SARL ACR, cette dernière confirme avoir exécuté la partie du soubassement à l'origine du dommage. Or, comme l'a relevé le tribunal, il résulte du rapport d'expertise judiciaire que l'exécution défectueuse des travaux est la seule cause des désordres et que l'entreprise ayant posé les revêtements du soubassement en est la seule responsable.

La SARL ACR rétorque que son intervention n'a pas préalablement donné lieu à l'établissement d'un sous-traité conformément aux dispositions de l'article premier de la loi du 31 décembre 1975. Elle ajoute que la SAS CR Habitat avait la qualité de maître d'oeuvre. Elle en déduit qu'il ne s'agit pas d'un véritable sous-traité mais d'un simple contrat d'entreprise et que la SAS CR Habitat a conservé la maîtrise des travaux.

Cependant, le tribunal a justement relevé qu'il ne résulte pas du contrat liant Mme R. et la SAS CR Habitat que cette dernière se serait vue confier une maîtrise d'oeuvre.

En outre, le contrat de sous-traitance est un contrat d'entreprise consensuel qui n'exige le respect d'aucune forme pour sa validité, ce contrat n'étant pas obligatoirement écrit et la preuve du sous-traité étant libre contre la partie ayant la qualité de commerçant, comme en l'espèce. Les dispositions légales protectrices relatives à l'agrément du maître de l'ouvrage et à l'existence d'une caution personnelle et solidaire sont édictées afin de garantir le paiement du sous-traitant, mais leur non-respect ne permet pas de conclure à l'inexistence d'un contrat de sous-traitance. Ce dernier suppose l'indépendance et l'absence de subordination de celui exécutant le travail, son personnel devant conserver une autonomie dans la réalisation des travaux confiés.

En l'espèce, la SARL ACR ne prouve pas que les matériaux lui auraient été imposés et qu'elle n'aurait pas eu le choix des modalités techniques d'exécution. Elle expose d'ailleurs elle-même que le contrat conclu entre Mme R. et la SAS CR Habitat ne lui a pas été communiqué et elle ne peut soutenir sans autre démonstration que les modalités d'exécution étaient préalablement définies de façon intangible. Il doit donc être considéré qu'elle disposait d'une indépendance dans la réalisation de ces travaux et qu'un contrat de sous-traitance la liait à la SAS CR Habitat.

Le sous-traitant est tenu contractuellement à l'égard de l'entrepreneur d'une obligation de résultat, ses travaux devant être exempts de vice, conformes aux engagements contractuels, aux réglementations en vigueur et aux règles de l'art. Et même si le maître de l'ouvrage n'a pas accepté le sous-traitant, ni agréé les conditions de paiement, ce sous-traitant demeure tenu envers l'entrepreneur principal de l'obligation contractuelle de livrer, exempt de vices, l'ouvrage dont il a reçu ou dont il réclame le paiement. Il est également débiteur d'une obligation d'information et de conseil à l'égard de l'entrepreneur principal dès lors qu'il a une compétence supérieure à ce dernier dans son domaine d'intervention.

En l'espèce, le premier juge a à juste titre considéré que la SARL ACR, spécialisée dans la maçonnerie, aurait dû informer la SAS CR Habitat de ce que le revêtement envisagé ne pouvait pas être installé sur le support qu'elle jugeait inadapté, mais qu'elle ne démontrait pas avoir émis la moindre réserve.

La SARL ACR ne prouve pas davantage que les matériaux lui auraient été imposés. Cette dernière expose d'ailleurs elle-même que le contrat conclu entre Mme R. et la SAS CR Habitat ne lui a pas été communiqué et elle ne peut donc prétendre sans le démontrer que les modalités techniques d'exécution étaient préalablement définies de façon intangible.

S'agissant d'un éventuel partage de responsabilité entre la SARL ACR et la SAS CR Habitat, cette dernière, entrepreneur principal, ne disposait pas de compétences supérieures à celle de son sous-traitant dans les travaux confiés. Il ne peut pas davantage lui être reproché de ne pas avoir répercuté à son sous-traitant des informations essentielles pour la réalisation des travaux, ni de s'être immiscée dans l'exécution de ces travaux.

Dès lors, c'est à tort que la SARL ACR prétend que sa garantie due à la SAS CR Habitat devrait être limitée à la remise en place des plaques qui se sont détachées, au motif que la reprise totale relèverait d'un problème de conception de l'ouvrage, et non d'exécution, imputable à la SAS CR Habitat.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a déclaré la SARL ACR entièrement responsable du désordre affectant le revêtement du soubassement et l'a condamnée à garantir la SAS CR Habitat de toutes les condamnations prononcées à son encontre.

Sur les demandes présentées pour appel abusif

L'exercice d'une action en justice constitue en principe un droit et ne dégénère en abus que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équipollente au dol.

En l'espèce, ces conditions ne sont pas remplies concernant l'appel interjeté par la SARL ACR à l'encontre de la SAS CR Habitat. Cette dernière sera donc déboutée de ses demandes d'amende civile et de dommages et intérêts.

En revanche, la SARL ACR a intimé Mme R. dans cette procédure d'appel alors qu'elle ne présente aucune demande à son encontre, pas davantage que la SAS CR Habitat.

Il y a là une erreur grossière équipollente au dol et la SARL ACR sera condamnée à payer à Mme R. la somme de 2000 euros à titre de dommages et intérêts.

Enfin, il n'appartient pas à la cour de statuer sur les demandes de 'constatation' ou de 'donner acte' qui ne sont pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile.

SUR LES DÉPENS ET L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE

Les dépens engagés par Mme R. contre la SAS CR Habitat l'ont été en raison de l'exécution défectueuse des travaux par la SARL ACR.

En conséquence, contrairement à ce que prétend cette dernière, c'est à juste titre que le premier juge a condamné la SARL ACR à garantir la SAS CR Habitat de toutes les condamnations prononcées à son encontre, y compris concernant les dépens, dont ceux de la procédure de référé et le coût de l'expertise judiciaire, ainsi que la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La SARL ACR succombant dans la présente procédure, le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a condamnée à payer à la SAS CR Habitat la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Y ajoutant, la SARL ACR sera condamnée aux dépens de la procédure d'appel, à payer à Mme R. et la SAS CR Habitat, chacune, la somme de 2000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel, et elle sera déboutée de sa propre demande présentée sur ce même fondement.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire et en dernier ressort, prononcé par mise à disposition au greffe,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Nancy le 6 décembre 2019 ;

Y ajoutant,

Condamne la SARL ACR à payer à Mme Anne Gisèle R. la somme de 2000 euros (deux mille euros) à titre de dommages et intérêts pour procédure d'appel abusive ;

Déboute la SAS CR Habitat de ses demandes d'amende civile et de dommages et intérêts pour procédure d'appel abusive ;

Condamne la SARL ACR à payer, au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel :

- la somme de 2000 euros (deux mille euros) à Mme Anne Gisèle R. ;

- la somme de 2000 euros (deux mille euros) à la SAS CR Habitat ;

Déboute la SARL ACR de sa demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SARL ACR aux dépens d'appel.