Cass. crim., 6 mai 1986, n° 84-93.696
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 283, 422, 425, 426, 428 et 429 du Code pénal, des articles 2 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré recevable l'action de la Société Vidéo Marc Dorcel et condamné Gérard X... pour contrefaçon de films pornographiques édités par cette Société et contrefaçon de la marque lui appartenant et figurant dans le générique de ces films ;
" aux motifs que l'appréciation de la notion de bonnes moeurs est rendue de plus en plus malaisée par l'évolution des moeurs et des lois, que les textes ont officialisé un système dans lequel la projection des films pornographiques est autorisée, que leur production et leur distribution sont donc licites, que la lecture des scénarios " révèle certes que, dans le cadre du récit d'une histoire plus ou moins élaborée, chacun des films en question est consacré pour une large part à des ébats sexuels de toutes sortes entre personnes de même sexe ou de sexe différents, qu'ils s'agit là évidemment de scènes obscènes et de nature à choquer les sentiments moraux d'une partie du public, ce qui est le propre de la pornographie autorisée par la loi, mais que si elles présentent parfois un caractère de brutalité, l'auteur d'un acte sexuel bousculant les résistances de sa partenaire pour parvenir à ses fins, la violence n'y est pas utilisée systématiquement pour exciter des passions particulièrement malsaines et que l'ensemble ne constitue donc pas un étalage délibéré de violences et de perversions sexuelles dégradantes pour la personne humaine susceptibles d'exclure ces films de la permission légale ", que du reste l'appréciation du degré d'immoralité des oeuvres en question revient à une appréciation de leur mérite contraire à l'article 2 de la loi du 11 mars 1957 ;
" alors qu'une oeuvre ne saurait mériter la protection assurée par les dispositions réprimant la contrefaçon si elle est contraire aux bonnes moeurs ou à l'ordre public, et en particulier si elle constitue un outrage aux bonnes moeurs réprimé par l'article 283 du Code pénal, que, par ailleurs, le législateur n'a nullement entendu, par des dispositions de caractère purement fiscal, rendre licite, par là même, la production et la diffusion de films entrant dans le champ d'application de l'article 283, qu'il appartenait donc à la Cour de rechercher si, abstraction faite de toute considération générale sur l'évolution des moeurs et des lois, les films en cause constituaient un outrage aux bonnes moeurs et qu'il résulte en réalité des propres termes de l'arrêt attaqué que tel était bien le cas en l'espèce ; qu'il s'ensuit que ni le délit de contrefaçon d'oeuvre de l'esprit, ni celui de contrefaçon de la marque utilisée pour l'exploitation de ces films ne sont caractérisés " ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué qu'après avoir fait constater par huissier la commercialisation d'une vidéo-cassette inscrite à son catalogue, la Société Vidéo Marc Dorcel a fait saisir celle-ci par les services de police, dans les locaux de la Société Artmor dont X... est le gérant ; que ce dernier a reconnu l'avoir vendue après l'avoir repiquée au moyen d'un magnétoscope à partir de l'original, et a indiqué qu'il avait procédé de la même manière en ce qui concerne d'autres vidéo-cassettes de la Société V. M. D. ; que seize cassettes appartenant à celle-ci, dont neuf ont été retrouvées et saisies, ont été ainsi frauduleusement enregistrées par la Société Artmor, puis écoulées au prix unitaire de 250 francs, les génériques des films contrefaits portant distinctement la marque V. M. D. ;
Que X... ayant été poursuivi pour contrefaçon de marque et contrefaçon d'oeuvres de l'esprit, le tribunal l'a relaxé en déboutant la partie civile, au motif que les conventions par lesquelles cette dernière avait acquis ses droits de propriété, puis exercé ceux-ci, comportaient un objet illicite dans la mesure où elles se rapportaient à l'édition et à la réalisation d'ouvrages contraires aux bonnes moeurs;
Attendu que pour déclarer le prévenu coupable de contrefaçon de marque, la juridiction du second degré, après avoir analysé les éléments de cette dernière, relève que celle-ci, très visible sur chaque générique des copies illégalement effectuées et sur certains de leurs conditionnements, a été régulièrement déposée par la Société Marc Dorcel qui en est propriétaire ; qu'elle énonce ensuite qu'en elle-même cette marque n'est nullement contraire aux bonnes moeurs et ne revêt donc aucun caractère immoral ou illicite ; que les droits revendiqués par la partie civile découlent, non pas d'un contrat qui présenterait un tel caractère, mais directement de la loi et du dépôt précité ; que X... n'ayant obtenu aucune autorisation pour reproduire ladite marque, il est établi qu'il a apposé frauduleusement cette dernière et que ce fait entre dans les prévisions de l'article 422-1° du Code pénal ;
Attendu que pour retenir également la prévention de contrefaçon d'oeuvres de l'esprit la même juridiction, réfutant la thèse du prévenu, expose les raisons pour lesquelles elle estime que le travail impliqué par la réalisation des films litigieux représente une création intellectuelle faisant partie des oeuvres de l'esprit, dans la large acception donnée à cette expression par l'article 3 de la loi du 11 mars 1957, sur la propriété littéraire et artistique dont l'article 2 entend " protéger les droits des auteurs sur ces oeuvres, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite et la destination ; que cette disposition interdit aux juges de subordonner l'application de ce texte à des considérations relatives à une morale essentiellement variable selon les lieux et les époques " ;
Attendu que la Cour d'appel, analysant ensuite les dispositions de l'article 283 du Code pénal invoquées par X... pour contester les poursuites exercées à son encontre, souligne en citant divers exemples, que le législateur n'a pas défini la notion assez fluctuante de " bonnes moeurs ", qui " se réfère implicitement à celle de morale sexuelle ", et l'a laissée à l'appréciation des magistrats au regard des constantes modifications constatées en la matière ;
Attendu qu'en venant alors au domaine du cinéma, les juges d'appel retracent l'évolution législative qui a abouti à la réglementation appliquée actuellement, notamment sur le plan fiscal, aux films pornographiques, cette réglementation impliquant que sont devenues licites la production, y compris sur bandes magnétiques, et la distribution de ces films, ainsi que la projection publique de ceux-ci dans des salles spécialisées, sous les conditions imposées par la loi, entre autres quant à l'indication de leur caractère pornographique, symbolisé par la lettre X, et leur interdiction aux mineurs de 18 ans ;
Attendu que la juridiction du second degré examine enfin le contenu des vidéo-cassettes contrefaites par X... ; qu'à cet égard elle énonce que l'ensemble " ne constitue pas un étalage délibéré de violences et de perversions sexuelles dégradantes pour la personne humaine qui serait susceptible d'exclure de la permission légale ces réalisations ; qu'en conséquence, dès l'instant où la production de ces dernières n'est pas illicite, les contrats en vertu desquels la Société V. M. D. exerce, en étant à même d'invoquer un intérêt légitime juridiquement protégé, les droits, régulièrement déposés qu'elle tient de la loi susvisée du 11 mars 1957, ne le sont pas davantage ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs la Cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;
D'où il suit que le moyen, ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.