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Décisions

ADLC, 29 juin 2016, n° 16-DCC-96

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

relative à la prise de contrôle exclusif de la société LIUF par la société Apax Partners MidMarket

ADLC n° 16-DCC-96

28 juin 2016

L’Autorité de la concurrence,

Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 3 juin 2016, relatif à l’acquisition du contrôle exclusif de la société LIUF par la société Apax Partners MidMarket, formalisée par un contrat d’acquisition d’actions en date du 15 avril 2016 ; Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;

Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l’instruction ;

Adopte la décision suivante :

I. Les entreprises concernées et l’opération.

1. Apax Partners MidMarket SAS (ci-après, « APMM ») est une société de capital investissement. Par le biais des fonds d’investissement dont elle assure la gestion, APMM contrôle des entreprises actives dans les secteurs de l’enseignement, des télécoms, des solutions logicielles pour centres d’appels, des produits apéritifs, de la sécurité incendie et de l’expertise en assurance. En matière d’enseignement, APMM contrôle le groupe INSEEC, dont les activités ce concentrent sur l’enseignement supérieur et la formation professionnelle, dans les domaines du commerce/gestion et de la communication. Le groupe INSEEC comprend les écoles suivantes : INSEEC Grande Ecole, ECE, MSC & MBA, INSEEC Wine & Spirits Institute, CEFAS/CESNI, INSEEC Bachelor, Sup de Pub, Sup Career, INSEEC Luxury Institute, INSEEC Executive Education, SFEAS, IUM et Créa Genève.

2. La société LIUF SASU (ci-après, « LIUF ») est la holding d’un groupe d’enseignement supérieur privé et de formation professionnelle. Le groupe LIUF regroupe cinq écoles dans le domaine du commerce et de la gestion, des écoles d’ingénieurs et des sciences politiques : ESCE, EBS, ECE, IFG et HEIP.

3. L’opération, formalisée par un contrat d’acquisition d’actions en date du 15 avril 2016, consiste en l’acquisition par les fonds Apax France VIII-A et Apax France VIII-B, gérés par APMM, de l’intégralité des actions et des droits de vote de LIUF.

4. En ce qu’elle se traduit par la prise de contrôle exclusif de LIUF par APMM, l’opération notifiée constitue une concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce.

5. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d’affaires total hors taxes sur le plan mondial de plus de 150 millions d’euros (APMM : […] d’euros pour l’exercice clos au 31 décembre 2015 ; LIUF : […] d’euros pour le même exercice). Chacune de ces entreprises a réalisé en France un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros (APMM : […] d’euros pour l’exercice clos au 31 décembre 2015 ; LIUF : […] d’euros pour le même exercice). Compte tenu de ces chiffres d’affaires, l’opération ne relève pas de la compétence de l’Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.

II. Délimitation des marchés pertinents

6. Les parties sont simultanément actives dans le domaine de l’enseignement supérieur, sur les marchés de la formation initiale (A) et de la formation professionnelle continue (B).

A. LES MARCHÉS DE LA FORMATION INITIALE

1. MARCHÉ DE SERVICES

7. La pratique décisionnelle de l’Autorité1 a envisagé quatre segmentations distinctes : (i) selon la nature du cycle de formation, entre formation à temps plein et formation par alternance, (ii) selon le domaine de formation, (iii) selon la durée du cycle des études, et (iv) selon le statut de l’établissement, entre enseignement public et enseignement privé. a) Segmentation selon la nature du cycle de formation

8. L’Autorité a opéré une distinction entre la formation initiale à temps plein et la formation par alternance, qui combine périodes en entreprises et en organismes de formation.

9. La pratique décisionnelle a souligné que les étudiants issus du secondaire optant pour l’alternance recherchent avant tout une formation rémunérée. L’étudiant en alternance a en effet le statut de salarié et perçoit l’alternance comme un moyen d’obtenir un financement pour ses études. La demande de formation à temps plein est de nature différente : l’étudiant diffère son entrée sur le marché du travail et consent un investissement de long terme.

10. L’Autorité a également relevé les différences de positionnement des organismes de formation. Les offreurs de formations initiales ne proposent pas toujours une offre sur le mode de l’alternance. L’offre de formations en alternance et à temps plein implique par ailleurs une organisation différente (effectifs séparés, aménagements pédagogiques, désignation d’un tuteur ou d’un maître d’apprentissage pour les étudiants alternants, etc.).

b) Segmentation selon le domaine de formation

11. L’Autorité a opéré une segmentation en fonction des filières de formation. Du point de vue de la demande, le choix d’une spécialité conduit le demandeur à ne considérer que les écoles et universités offrant une formation dans ce domaine. De plus, la structure de l’offre diffère par domaine. Certains domaines comme les matières littéraires, la préparation aux métiers de l’enseignement, de la recherche, sont l’apanage de l’université publique et ne sont pas proposées par des instituts de formations privés pour des raisons historiques ou de débouchés professionnels. Inversement, dans certaines spécialités, l’offre du secteur public paraît structurellement insuffisante voire inexistante (classes préparatoires aux études d’ostéopathie, kinésithérapie, écoles d’art ou de journalisme, etc.)2.

12. En ce qui concerne plus spécifiquement le domaine du commerce et de la gestion d’entreprise, où les activités des parties se chevauchent, la pratique décisionnelle retient une segmentation supplémentaire, entre grandes écoles et autres écoles de commerce. La réputation des grandes écoles auprès des recruteurs les rend en effet peu substituables avec les autres acteurs du marché. L’attractivité des grandes écoles de commerces (HEC, ESSEC, ESCP, etc.) confère à ces acteurs un important pouvoir de marché vis-à-vis des étudiants et une hausse de leurs frais de scolarité n’aurait probablement pas pour effet de diminuer le nombre de candidats aux concours d’entrée de ces écoles. Par leur positionnement, ces acteurs cherchent à être concurrentiels aussi bien vis-à-vis d’établissements internationaux de renom (Harvard Business School, Stanford etc.) que des autres écoles de commerce françaises.

c) Segmentation selon la durée du cycle d’études

13. Outre le domaine de spécialisation, la pratique décisionnelle segmente le marché selon la durée du cycle d’études. La durée des études constitue en effet un paramètre important dans les choix d’orientation des étudiants. Couramment exprimée en années post-baccalauréat (Bac+2, Bac+3, etc.), la durée des formations renvoie à un niveau de qualification facilement identifiable par les recruteurs comme par les étudiants, et auquel correspondent des types d’emploi et des prétentions salariales sur le marché du travail.

14. En matière d’investissement éducatif, différentes études ont relevé que le comportement des individus pourrait être modélisé comme le résultat d’un calcul coûts-avantages pondéré par leur probabilité de réussite, sous contraintes des données sociologiques individuelles3 . Ce phénomène d’auto-sélection conduit certains étudiants à privilégier une formation courte afin d’accéder plus rapidement au marché du travail, d’autres préfèreront investir dans une formation plus longue ou maximiser leurs chances de réussite en passant par une classe préparatoire. Il ressort d’études statistiques menées auprès des bacheliers choisissant des cycles courts de type BTS ou DUT, une vraie motivation pour des études courtes4. La distinction entre études longues et études courtes semble être un critère déterminant du point de vue de la demande.

15. Dans le domaine du commerce et de la gestion d’entreprise, les écoles proposent deux catégories de diplôme, de niveau Bac +3 (pouvant dans certains cas aller jusqu’au Bac +4) généralement intitulés « Bachelor of Business Administration » (ci-après, « BBA ») et de niveau Bac +5, de type Master. d) Segmentation entre enseignement public et enseignement privé.

16. Enfin, la pratique décisionnelle segmente les marchés de la formation initiale et par alternance selon le statut de l’établissement, entre enseignement public et enseignement privé.

17. L’Autorité considère d’abord que l’écart important entre les frais de scolarité entre établissements public et privé constitue un indice de non substituabilité et de non appartenance au même marché. Une part importante des bacheliers écarte d’ailleurs les cycles offerts par l’enseignement privé au seul motif des frais de scolarité.

18. De plus, l’enseignement supérieur privé est perçu par certains demandeurs comme plus qualitatif dans la manière d’encadrer l’étudiant, de suivre sa progression, de lui enseigner un savoir plus professionnalisant et moins théorique qu’à l’université. Ces spécificités font que certaines familles, notamment dans la filière commerce/gestion, s’adressent presque automatiquement au secteur privé.

19. Toutefois, l’Autorité relève que l’identification des acteurs qui relèvent du secteur privé est difficile tant les statuts juridiques (établissement de droit public, structures associatives, consulaires, sociétés de droit privé, etc.) et les situations (reconnaissance ou non par l’État, homologation ou non des diplômes délivrés, subventionnement public, etc.) sont hétérogènes. La perception des demandeurs est également très floue. Par conséquent, la pratique décisionnelle se fonde sur le seul critère du niveau des frais de scolarité en distinguant l’enseignement supérieur dispensé par les universités (incluant les IUT) et les lycées publics (classes préparatoires aux grandes écoles, sections de techniciens supérieurs) du reste de l’enseignement supérieur.

2. MARCHÉ GÉOGRAPHIQUE

20. La pratique décisionnelle considère que si une délimitation nationale peut être retenue pour les segments hautement sélectifs du marché de l’enseignement supérieur (grandes écoles notamment), la situation paraît différente pour les autres segments de marché. Elle se fonde à cet égard sur les analyses menées auprès des publics intéressés par une formation courte qui montrent que l’attachement à l’environnement géographique d’origine est un des critères de choix de l’étudiant parmi les établissements offrant la spécialité souhaitée5. L’Autorité conduit ainsi une double analyse, aux niveaux national et régional. Au niveau régional, elle a notamment regroupé les académies de Nantes, Rennes et Caen au sein d’un même marché.

21. En l’espèce, l’analyse sera menée au niveau national et au niveau des régions Ile-de-France (académies de Paris, Versailles et Créteil) et Auvergne Rhône-Alpes (académies de Lyon, Grenoble et Clermont Ferrand).

B. LE MARCHÉ DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE CONTINUE

1. MARCHÉ DE SERVICES

22. La formation professionnelle continue s’adresse à des salariés ou des demandeurs d’emploi qui, bien qu’étant les utilisateurs finaux de formations, n’expriment pas souvent une demande directe et ne sont que rarement les acheteurs directs de stages de formation. La demande émane plus fréquemment des entreprises et des collectivités publiques à qui il appartient de définir le profil des publics bénéficiaires6. Les formations suivies par des adultes à des fins professionnelles diffèrent par ailleurs de celles fournies à de plus jeunes publics dans un cadre éducatif, en raison notamment des différences d’âge et d’attentes des stagiaires et les différences qui en découlent en termes de présentation des enseignements7.

23. La pratique décisionnelle a donc opéré une distinction entre la formation professionnelle continue et la formation initiale ou par alternance8. Au sein du marché de la formation professionnelle continue, la pratique décisionnelle nationale a également envisagé de segmenter le marché de la formation professionnelle selon les secteurs d’intervention tout en laissant ouverte la définition précise de ces segments de marché9. Une segmentation entre prestataires privés et publics n’a en revanche pas été jugée opportune10.

2. MARCHÉ GÉOGRAPHIQUE

24. Les principaux opérateurs de formation professionnelle étant nationaux, la pratique décisionnelle nationale a envisagé une délimitation nationale du marché de la formation professionnelle11. Une délimitation géographique plus restreinte a également été considérée au motif que certains bassins d’emploi ont des besoins de formation particuliers (zones touristiques notamment) et que la demande de formation des petites et moyennes entreprises est plus susceptible de considérer les offres de formation au niveau local.

III. Analyse concurrentielle

25. Les effets de l’opération sur les marchés de la formation initiale (A) et de la formation professionnelle continue (B) sont analysés successivement ci-après.

A. LES MARCHÉS DE LA FORMATION INITIALE

26. Les activités des parties se chevauchent uniquement sur les marchés de la formation initiale dans le domaine du commerce et de la gestion d’entreprise.

27. Sur les marchés des formations commerce/gestion de type Bac+5 en Ile de France, la nouvelle entité détiendra une part de marché de [20-30] % pour la formation à temps plein ([5-10] % pour l’INSEEC et [10-20] % pour le groupe LIUF) et [10-20] % pour la formation en alternance ([10-20] % pour l’INSEEC et [0-5] % pour le groupe LIUF). Sur ces marchés, la nouvelle entité restera confrontée à un nombre important d’opérateurs, parmi lesquels notamment Sudialis ([10-20] % de part de marché pour la formation à temps plein), Ionis ([10-20] % de part de marché pour la formation à temps plein et par alternance), l’ISC ([5- 10] % de part de marché pour la formation à temps plein), Novencia ([5-10] % et [0-5] % de parts de marché pour la formation à temps plein et par alternance) et PPA ([10-20] % de part de marché pour la formation par alternance). Sur les autres marchés, la part de marché de la nouvelle entité n’excèdera pas [10-20] %.

28. Par conséquent, l’opération envisagée n’est pas de nature à affecter la concurrence sur les marchés de la formation à temps plein ou par alternance.

B. LE MARCHÉ DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE CONTINUE

29. Sur le marché de la formation professionnelle continue, la part de marché cumulée des parties n’excède pas [0-5] %, quelle que soit la segmentation envisagée. L’opération n’est donc pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur ce marché.

DECIDE

Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 16-084 est autorisée.

NOTES

1 Voir décision de l’Autorité n°10-DCC-79 du 22 juillet 2010 relative à la prise de contrôle exclusif des sociétés La Compagnie de Formation Chezy (CFC) et Forteam par Duke Street Holdings Ltd.

2 Rapport du député Jérôme Chartier pour le Premier Ministre « Cinq verbes pour l’enseignement supérieur privé » (La Documentation Française, Mai 2005).

3 Voir sur ce sujet les nombreux travaux théoriques et empiriques de l’économie et de la sociologie en matière d’éducation, notamment ceux de Boudon (1970), Mingat et Eicher (1975), Bourdieu et Passeron (1970), Jencks (1070), et Euriat et Thélot(1995).

4 Voir les publications du Ministère de l’Education Nationale - Direction de l’évaluation et de la prospective : « Les étudiants en IUT et STS 2003-2004 », Note d’Information 05.02 ; « L’entrée dans une filière courte après le baccalauréat », Éducation & formations n° 55, janvier[1]mars 2000 et S. Lemaire, « Que deviennent les bacheliers après le bac ? », France, Portrait social 2004-2005, Références-INSEE.

5 Voir les publications de la Direction de l’évaluation et de la prospective du Ministère de l’Education Nationale, précitées.

6 Voir les avis du Conseil de la concurrence n° 00-A-31 du 12 décembre 2000 relatif à une demande d’avis présentée par la Fédération de la formation professionnelle (FFP) et n° 08-A-10 du 18 juin 2008 relatif à une demande d’avis présentée par la Fédération de la formation professionnelle (FFP).

7 Voir décision de la Commission européenne IV/M.1072 - Bertelsmann / Burda / Futurekids.

8 Voir notamment la décision de l’Autorité n°10-DCC-79, précitée.

9 Voir la décision de l’Autorité n°10-DCC-79, précitée, la lettre du Ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi n° C2008-107 du 12 novembre 2008 aux conseils de la société CDC Capital Investissement, relative à une concentration dans le secteur des contrôles techniques de construction et la décision n° 05-D-41 du 18 juillet 2005 relative à des pratiques mises en œuvre par la commission paritaire nationale de l’emploi et de la formation professionnelle des jardineries et graineteries.

10 Voir la décision de l’Autorité n°10-DCC-79, précitée.

11 Voir la décision de l’Autorité n°10-DCC-79, précitée, et la lettre du Ministre de l’économie C2008-107, précitée.