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Décisions

CA Versailles, 19eme ch., 25 janvier 2008, n° 06/07347

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

CA Versailles n° 06/07347

24 janvier 2008

Selon contrat en date du 2 avril 2003, les Sociétés DRIVER et SITOUR, co-maîtres de l'ouvrage, ont passé commandé à la Société AEDIFI, entreprise principale, de divers travaux à exécuter en vue de la réhabilitation du bâtiment industriel sis 82, rue de Montigny à ARGENTEUIL, pour un montant total de 419.554 € HT.

Une partie de ces travaux, correspondant au lot électricité, a, suivant contrat verbal, confirmé par une lettre d'engagement du 12 mai 2003, été confiée par la Société AEDIFI à la Société ENTREPRISE D'INGENIERIE ET REALISATION ELECTRIQUES (ci-après EIREL).

Ces travaux d'électricité ont fait l'objet d'une situation no 1, laquelle a été adressée à la Société AEDIFI le 15 juillet 2003 pour un montant de 51.240,72 € , à régler au 14 août 2003.

Une procédure collective a été ouverte par jugement du 15 juillet 2003 à l'encontre de la Société AEDIFI; la Société EIREL a déclaré sa créance entre les mains de Maître MANDIN, mandataire liquidateur.

C'est dans ces circonstances que, consécutivement à une mise en demeure adressée aux maîtres de l'ouvrage le 16 octobre 2003 et restée infructueuse, la Société EIREL, se prévalant des dispositions des articles 12 et 14-1 de la loi du 31 décembre 1975, a, par acte du 3 juin 2004, assigné les Sociétés DRIVER et SITOUR en paiement de la somme principale de 51.240,72 € , majorée des intérêts légaux et d'une indemnité de procédure.

Pour s'opposer à cette demande, les défenderesses ont fait valoir que le contrat liant les Sociétés AEDIFI et EIREL est une convention de co-traitance dont elles n'avaient pas été tenues informées, et que la Société AEDIFI avait manqué à ses obligations en ne faisant pas agréer la Société EIREL par les maîtres de l'ouvrage.

Par jugement du 14 septembre 2006, le Tribunal de Commerce de PONTOISE a condamné solidairement les Sociétés DRIVER et SITOUR à payer à la Société ENTREPRISE D'INGENIERIE ET REALISATION ELECTRIQUES (EIREL) la somme de 51.240,72 € TTC, augmentée des intérêts au taux légal augmenté de 7 points à compter du 16 octobre 2003, ce avec capitalisation des intérêts, et majorée d'une indemnité de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, et débouté les parties de leurs autres et plus amples demandes.

Les Sociétés DRIVER et SITOUR ont interjeté appel de cette décision.

Elles indiquent avoir appris seulement le 7 août 2003 que les Sociétés AEDIFI et EIREL avaient signé le 15 mai 2003 un contrat de co-traitance qui n'avait jamais été notifié ni porté à leur connaissance.

Elles précisent que les Sociétés DRIVER et EIREL se sont alors mises d'accord pour que les travaux non terminés par la Société AEDIFI puissent être poursuivis par la signature de bons de commande.

Elles font valoir que les conditions de la mise en oeuvre des dispositions de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 ne sont pas réunies, dès lors que les prestations réalisées par la Société EIREL, ayant consisté en la mise en conformité de l'installation électrique, ne peuvent être qualifiées de travaux de bâtiment ou de travaux publics exécutés par un sous-traitant.

Elles soutiennent que la cause du préjudice subi par la Société EIREL est née, non de l'omission des prescriptions de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975, mais d'une part de l'existence du contrat de co-traitance qui avait été dissimulé aux appelantes d'autre part de l'action directe tardive et infructueuse diligentée par la partie adverse.

Elles relèvent que la société intimée ne les a pas mises en demeure, pendant l'exécution des travaux, de régler les factures impayées, et elles précisent que la mise en demeure qui leur a été adressée le 16 octobre 2003, n'a pas été adressée à Maître MANDIN, es qualités de mandataire liquidateur de la Société AEDIFI.

Elles soulignent qu'à la date à laquelle elles ont été destinataires de la mise en demeure, elles ne disposaient plus d'aucune somme au profit de la Société AEDIFI, ce qui rend inopérante l'action directe engagée par la partie adverse en violation des dispositions de l'article 13 de la loi 31 décembre 1975.

Elles ajoutent que les dispositions de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 ne sont en l'occurrence pas remplies, faute par la Société EIREL de justifier qu'elles auraient donné le moindre consentement à son agrément et à l'acceptation de ses conditions de paiement.

Par voie de conséquence, elles demandent à la Cour, en infirmant le jugement entrepris, de débouter la Société EIREL de toutes ses prétentions, et de la condamner au paiement de la somme de 6.000 € en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La Société ENTREPRISE D'INGENIERIE ET REALISATIONS ELECTRIQUES (EIREL) conclut à la confirmation du jugement déféré.

Elle réitère s'être vu confier, en sous-traitance, l'exécution du lot électricité se rapportant au marché qui avait été conclu entre les sociétés appelantes en qualité de maîtres de l'ouvrage et la Société AEDIFI, laquelle lui en a sous-traité la réalisation.

Elle observe que les Sociétés SITOUR et DRIVER ont elles-mêmes admis, au cours de l'expertise judiciaire diligentée à leur initiative, qu'elle était intervenue en tant que sous-traitante de la Société AEDIFI, et non en qualité de co-traitante.

Elle soutient qu'en application de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975, il appartenait aux appelantes de veiller à ce que la Société AEDIFI leur déclare la présence de la Société EIREL, même après la fin des travaux, ce qu'elles n'ont pas fait, commettant ainsi une faute qui la prive d'une garantie de paiement, et donc de la certitude d'être réglée de ses travaux.

Elle explique que l'obligation des appelantes au paiement des sommes qui lui sont dues résulte d'une part des stipulations du contrat de sous-traitance, d'autre part de l'action directe qu'elle a régulièrement mise en oeuvre en application de l'article 12 de la loi du 31 décembre 1975.

Elle précise qu'en toute hypothèse, cette obligation au paiement trouve son fondement dans l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975, dans la mesure où la Société SITOUR, maître d'ouvrage, qui connaissait l'intervention de la société intimée sur le chantier, aurait dû mettre la Société AEDIFI en demeure de s'acquitter de ses obligations.

Elle souligne que les appelantes avaient nécessairement connaissance de son intervention sur le chantier, ainsi que le démontre la demande d'acompte adressée par elle directement aux maîtres d'ouvrage le 21 mai 2003, donc avant l'ouverture de la procédure collective à l'encontre de la Société AEDIFI prononcée le 15 juillet 2003.

Elle demande à la Cour, en ajoutant à la décision entreprise, de condamner solidairement les appelantes à lui verser la somme de 10.000 € à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive et dilatoire, outre, à la charge de chacune d'entre elles, une indemnité de 5.000 € en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 11 octobre 2007.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur la qualification de contrat de sous-traitance :

Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1975 :

"Au sens de la présente loi, la sous-traitance est l'opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant tout ou partie de l'exécution du contrat d'entreprise ou du marché public conclu avec le maître de l'ouvrage";

Considérant qu'il résulte de l'article 15 que : "Sont nuls et de nul effet, quelle qu'en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui auraient pour effet de faire échec aux dispositions de la présente loi";

Considérant qu'en l'occurrence, il est acquis aux débats que les Sociétés AEDIFI et EIREL étaient liées entre elles par une "commande de travaux co-traités" en date du 15 mai 2003, en vertu de laquelle l'Entreprise EIREL s'est engagée à réaliser dans un délai de trois mois les travaux d'électricité pour le prix de 111.802,40 € HT;

Considérant qu'il est constant que ces travaux d'électricité se rapportaient aux travaux de réhabilitation du bâtiment industriel, objet de la lettre d'engagement de travaux signée le 2 avril 2003 par les Sociétés DRIVER/SITOUR, maîtres d'ouvrage, et la Société AEDIFI ;

Mais considérant que, pour pouvoir être retenue, la qualification de co-traitance aurait impliqué que les Sociétés DRIVER et SITOUR, maîtres d'ouvrage, soient parties à ce contrat de "travaux co-traités" dans le cadre d'une relation tripartite avec les Sociétés AEDIFI et EIREL;

Or considérant que tel n'est pas le cas en l'espèce, puisque les sociétés appelantes sont demeurées étrangères à ladite convention qui a d'ailleurs apparemment été portée à leur connaissance pour la première fois à réception du courrier de la Société EIREL en date du 7 août 2003;

Considérant qu'au demeurant, pour sa part, la Société EIREL n'était pas partie au contrat principal du 2 avril 2003 en vertu duquel les Sociétés DRIVER/SITOUR ont passé commande à la Société AEDIFI des divers travaux afférents à la réhabilitation de leur bâtiment industriel;

Considérant que, d'ailleurs, le document intitulé "situation de chantier concernant la Société EIREL en date du 1er août 2003", et revêtu de la signature des Sociétés DRIVER/SITOUR, comporte la précision que :

"Compte tenu de la défaillance de la Société AEDIFI concernant le chantier référencé ci-dessus, la Société EIREL, non agréée par le maître d'ouvrage, mais sous-traitante de la Société AEDIFI, présente une demande de règlement de travaux aux Sociétés DRIVER/SITOUR";

Considérant que, dès lors, il apparaît que, nonobstant la qualification erronée de co-traitance donnée par les parties à leur propre convention, la Société EIREL a réalisé les travaux afférents au lot électricité en sous-traitance de la Société AEDIFI au sens de l'article 1er susvisé de la loi du 31 décembre 1975;

Considérant qu'il s'ensuit que c'est à bon droit, et sans encourir le grief de dénaturation, que le Tribunal a requalifié la convention litigieuse en contrat de sous-traitance ;

Sur la demande en paiement sur le fondement du contrat et de l'action directe :

Considérant qu'aux termes de la convention liant les Sociétés AEDIFI et EIREL, il est stipulé que cette dernière devra établir une situation mensuelle d'avancement "qui lui sera réglée directement par le maître d'ouvrage";

Mais considérant que, dans la mesure où la loi du 31 décembre 1975 sur la sous-traitance est applicable au présent litige, les modalités en vertu desquelles le sous-traitant entend se faire payer directement par le maître d'ouvrage doivent respecter les dispositions d'ordre public de cette loi ;

Or considérant que les documents produits aux débats ne mettent nullement en évidence que la Société EIREL aurait été acceptée par les Sociétés DRIVER/SITOUR et que ses conditions de paiement auraient été agréées par ces dernières ;

Considérant que la société intimée ne peut donc prétendre à un paiement direct au sens de l'article 6 de la loi susvisée ;

Considérant qu'il ne résulte pas davantage des éléments de la cause que les maîtres d'ouvrage auraient manifesté la volonté non équivoque d'accepter la Société EIREL en qualité de sous-traitant et d'agréer les conditions de paiement du contrat de sous-traitance conclu entre les Sociétés AEDIFI et EIREL ;

Considérant qu'il s'ensuit que cette dernière n'est pas fondée à se prévaloir des dispositions de l'article 12 de la loi du 31 décembre 1975 en vertu desquelles le sous-traitant a une action directe contre le maître de l'ouvrage en cas de défaillance de l'entrepreneur principal ;

Sur la demande en paiement sur le fondement de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 :

Considérant qu'à titre préalable, il est constant que les dispositions de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 s'appliquent aux : "contrats de travaux de bâtiment et de travaux publics" ;

Considérant qu'en l'occurrence, il s'infère des documents produits aux débats que les travaux d'électricité réalisés en sous-traitance par la Société EIREL s'inscrivent dans le cadre d'une opération de rénovation et de restructuration des locaux des Sociétés DRIVER/SITOUR sis 82 rue de Montigny à ARGENTEUIL, dont l'exécution avait été confiée à la Société AEDIFI, entrepreneur principal ;

Considérant que cette opération, loin de se limiter à une intervention à l'intérieur d'un bâtiment en vue de recevoir des machines ou autres matériels, fait obligatoirement appel aux techniques du bâtiment et se rapporte donc à des travaux de bâtiment ;

Considérant que, dès lors, elle entre dans le champ d'application de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 ;

Considérant qu'aux termes de l'article 14-1 de cette loi, "le maître de l'ouvrage doit, s'il a connaissance de la présence sur le chantier d'un sous-traitant n'ayant pas fait l'objet des obligations définies à l'article 3, mettre l'entrepreneur principal en demeure de s'acquitter de ces obligations" ;

Or considérant que les sociétés appelantes avaient nécessairement connaissance de l'intervention de la Société EIREL sur le chantier, puisqu'elles ont été destinataires d'une demande d'acompte qui leur a été adressée directement par cette dernière le 21 mai 2003, soit avant l'ouverture de la procédure collective prononcée à l'encontre de la Société AEDIFI ;

Considérant que la preuve de leur connaissance de la présence sur le chantier de l'entreprise sous-traitante résulte encore de la signature par elles du document intitulé : "situation de chantier concernant la Société EIREL en date du 1/08/2003", et en vertu duquel les parties au présent litige ont accepté de faire le point sur l'état d'avancement des travaux réalisés par la Société EIREL, "non agréée par le maître d'ouvrage, mais sous-traitante de la Société AEDIFI" ;

Considérant qu'au demeurant, la société intimée ne peut sérieusement se voir reprocher de n'avoir pas cherché à se faire agréer auprès des sociétés appelantes en qualité de sous-traitante de la Société AEDIFI, puisqu'en application de l'article 14-1 susvisé, il appartenait à ces dernières de s'assurer que l'entrepreneur principal avait respecté l'obligation mise à sa charge par l'article 3 de la loi du 31 décembre 1975 en leur déclarant la présence de la Société EIREL, fût-ce après la fin des travaux ;

Considérant qu'il s'ensuit qu'en ne se conformant pas à cette prescription légale d'ordre public, les Sociétés DRIVER et SITOUR ont commis une faute engageant leur responsabilité quasi-délictuelle envers la Société EIREL, qu'elles ont ainsi privée d'une garantie de paiement ;

Considérant qu'il est admis que l'étendue du dommage devant donner lieu à indemnisation correspond à l'intégralité de la somme restant due au sous-traitant dont les prestations n'ont pas été acquittées en tout ou en partie par l'entrepreneur principal ;

Considérant qu'il y a donc lieu, en confirmant par substitution partielle de motifs le jugement entrepris, de condamner solidairement les Sociétés DRIVER et SITOUR à payer à la Société EIREL la somme principale de 51.240,72 € TTC, correspondant au montant des travaux qui ont été effectués par cette dernière en sous-traitance et qui ne lui ont pas été réglées ;

Considérant que c'est également à bon droit que le Tribunal, faisant une exacte application de l'article L 441-6 du Code de commerce, a dit que cette somme doit porter intérêts au taux légal augmentés de sept points ;

Considérant que, toutefois, s'agissant d'une créance de nature indemnitaire, il convient, en infirmant de ce chef la décision de première instance, de faire courir les intérêts au taux légal, conformément aux dispositions de l'article 1153-1 du Code civil, à compter de la date du prononcé de la décision de première instance ;

Considérant que la capitalisation des intérêts doit en outre être ordonnée, conformément à l'article 1154 du Code civil, par année entière à compter du prononcé de cette décision ;

Sur les demandes complémentaires et annexes :

Considérant que, dans la mesure où les Sociétés DRIVER et SITOUR n'ont pas abusé de leur droit en se défendant à l'action engagée à leur encontre, la Société EIREL doit, ainsi que l'ont exactement retenu les premiers juges, être déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour résistance abusive et dilatoire ;

Considérant que l'équité commande d'allouer à la Société EIREL la somme complémentaire de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Considérant qu'il n'est cependant pas inéquitable que les sociétés appelantes conservent la charge des frais non compris dans les dépens exposés par elles dans le cadre de la présente instance ;

Considérant que le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a condamné les Sociétés DRIVER et SITOUR aux dépens de première instance ;

Considérant que ces dernières, qui succombent en leur recours, doivent être condamnées aux dépens d'appel ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant en audience publique, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

DECLARE recevable l'appel interjeté par les Sociétés DRIVER et SITOUR, le dit mal fondé,

CONFIRME par substitution partielle de motifs le jugement déféré, sauf en ce qu'il a statué sur le point de départ des intérêts au taux légal,

STATUANT À NOUVEAU de ce dernier chef, et Y AJOUTANT,

DIT que la somme principale de 51.240,72 € TTC est assortie des intérêts au taux légal augmentés de sept points à compter du prononcé de la décision de première instance,

ORDONNE la capitalisation des intérêts par année entière à compter du prononcé de cette décision,

CONDAMNE solidairement les Sociétés DRIVER et SITOUR à payer à la Société EIREL la somme complémentaire de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

CONDAMNE solidairement les Sociétés DRIVER et SITOUR aux dépens d'appel, et AUTORISE Maître RICARD, Avoué, à recouvrer directement la part la concernant, conformément à ce qui est prescrit par l'article 699 du Code de procédure civile.

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Jean-François FEDOU, Président et par Madame Sylvie RENOULT, greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.