ADLC, 28 juin 2016, n° 16-DCC-98
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
relative à la prise de contrôle exclusif deThales-Raytheon Systems par Thales
L’Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé au service des concentrations le 25 mai 2016, relatif à la prise de contrôle exclusif de la société Thales-Raytheon Systems Company SAS par la société Thales, formalisée un contrat de cession et un accord de restructuration en date du 24 mai 2016 ;
Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;
Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l’instruction ;
Adopte la décision suivante :
I. Les entreprises concernées et l’opération
1. Thales, société-mère du groupe Thales, est active dans les secteurs des satellites et sous-systèmes associés, des équipements aéronautiques pour avions civils et militaires, des systèmes de défense aérienne, des systèmes de communication militaires et des systèmes et équipements de sécurité maritime. Thales est contrôlée conjointement par l’Etat français (qui détient 25,97 % de son capital et 36,04 % des droits de vote) et le groupe Dassault (24,9 % du capital et 28,67 % des droits de vote)1.
2. Thales-Raytheon Systems Company SAS (ci-après, « TRS ») est une société contrôlée conjointement par les groupe Thales et Raytheon2. TRS est active dans les secteurs des systèmes de commandement et de contrôle des opérations aériennes, d’une part, et des systèmes de commandement et de contrôle des opérations portant sur le champ de bataille, d’autre part.
3. Aux termes d’un contrat de cession et d’un accord de restructuration en date du 24 mai 2016, Thales acquerra l’intégralité des actions de TRS. En ce qu’elle se traduit par la prise de contrôle exclusif de TRS par Thales, l’opération notifiée constitue une concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce.
4. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d’affaires hors taxe total sur le plan mondial de plus de 150 millions d’euros (Thales : 14 milliards d’euros pour l’exercice clos au 31 décembre 2015 ; TRS : 290 millions d’euros pour le même exercice). Chacune de ces entreprises a réalisé en France un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros (Thales : 3,3 milliards d’euros pour l’exercice clos au 31 décembre 2015 ; TRS : […] d’euros pour le même exercice). Compte tenu de ces chiffres d’affaires, l’opération ne relève pas de la compétence de l’Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.
II. Délimitation des marchés pertinents
5. Les parties sont toutes deux présentes dans le secteur de la production de matériel de communication militaire. TRS est active sur les marchés des radars et centres AO/C2 (« air operations command and control ») ainsi que sur ceux des radars et centres portant sur le champ de bataille.
6. Le groupe Thales pour sa part est actif sur le marché des radars de contre-batterie. En outre, il est présent sur le marché aval des systèmes de missile intégrés.
A. SECTEURS DES SYSTEMES AO/C2 ET PORTANT SUR LES CHAMPS DE BATAILLE
1. SYSTEMES AO/C2
7. Les systèmes AO/C2 sont des systèmes de surveillance au sol utilisés pour protéger une vaste zone géographique (par exemple, un pays) contre toutes les menaces aériennes. Au sein des systèmes de communications militaires de surface, la Commission a relevé deux marchés propres aux systèmes AO/C23 selon qu’il s’agit de radars de surveillance de longue portée ou de centres de contrôle et de commande des opérations aériennes.
8. Les radars des systèmes AO/C2 sont des radars de surveillance aérienne de longue portée qui ont pour fonction de collecter des informations à partir d’images aériennes. Ces radars transmettent les informations collectées aux centres AO/C2, via des systèmes de communication. Les centres et systèmes de contrôle et de commande des opérations aériennes ont pour leur part la fonction d’analyser les informations reçues des radars AO/C2 et de définir en fonction de ces dernières les armes appropriées.
9. La pratique décisionnelle a également segmenté chacun de ces marchés selon que les systèmes AO/C2 sont commercialisés dans le cadre de programmes de développement ou sur catalogue.
2. SYSTEMES PORTANT SUR LE CHAMP DE BATAILLE
10. La pratique décisionnelle considère que les systèmes portant sur les champs de bataille (« battlefield systems ») constituent un marché distinct au sein duquel il convient de distinguer les systèmes de défense aérienne tactique et les radars de contre-batterie4.
11. A l’image des systèmes AO/C2, les systèmes de défense aérienne tactique sont composés de radars et de centres. En revanche, ces systèmes diffèrent des systèmes AO/C2 en ce que leurs radars sont souvent mobiles et d’une portée inférieure à 40 km. Par comparaison, les radars des systèmes AO/C2 sont généralement fixes et d’une portée d’environ 400/500 km.
12. Les radars de contre-batterie (« weapon locating radars ») détectent et localisent la source de la munition entrante (ex : tir de mortiers) et engagent directement un contre-feu en vue de supprimer cette source. Les radars de contre-batterie, ne participant pas aux mêmes missions que celles des systèmes de défense aérienne tactique, en sont bien souvent indépendants et déconnectés. Ils sont dès lors fournis indépendamment de ces systèmes.
13. De même que pour les systèmes AO/C2 la pratique décisionnelle a également segmenté chacun de ces marchés selon que les systèmes portant sur les champs de bataille sont commercialisés dans le cadre de programmes de développement ou sur catalogue.
3. MARCHES GEOGRAPHIQUES
14. Pour l’analyse des marchés des systèmes AO/C2 et portant sur les champs de bataille, la pratique décisionnelle retient une dimension nationale, étendue à l’Espace économique européen (« EEE ») ou mondiale.
15. En tout état de cause, il n’est pas nécessaire, en l’espèce, de trancher la question de la délimitation exacte des marchés, les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurant inchangées quelle que soit la délimitation retenue.
B. MARCHE AVAL DES SYSTEMES MISSILES INTEGRES
16. Selon les parties notifiantes, le marché des systèmes missiles intégrés se situerait à l’aval de ceux sur lesquels TRS SAS est active et comprendrait (i) les systèmes de défense aérienne et défense anti-missile balistique intégrée, (ii) les systèmes de défense aérienne à courte portée et (iii) les systèmes de défense aérienne à très courte portée.
17. Pour l’analyse de ces marchés, les parties proposent de retenir une dimension géographique nationale, étendue à l’Espace économique européen ou mondiale.
18. En tout état de cause, il n’est pas nécessaire, en l’espèce, de trancher la question de la délimitation exacte des marchés, les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurant inchangées quelle que soit la délimitation retenue.
III. Analyse concurrentielle
19. Les sociétés Thales et TRS ne sont pas présentes sur les mêmes marchés du secteur de la production de matériel de communication militaire. L’opération n’est donc pas de nature à porter atteinte à la concurrence par le biais d’effets horizontaux. Les parties sont toutefois actives sur des marchés connexes qui seront étudiés au titre de l’analyse des effets verticaux et congloméraux.
A. ANALYSE DES EFFETS VERTICAUX
20. Une concentration verticale peut restreindre la concurrence en rendant plus difficile l’accès aux marchés sur lesquels la nouvelle entité sera active, voire en évinçant potentiellement les concurrents ou en les pénalisant par une augmentation de leurs coûts. Ce verrouillage peut viser les marchés aval, lorsque l’entreprise intégrée refuse de vendre un intrant à ses concurrents en aval, ou les marchés amont, lorsque la branche aval de l’entreprise intégrée refuse d’acheter les produits des fabricants actifs en amont et réduit ainsi leurs débouchés commerciaux. Cependant, la pratique décisionnelle considère en principe qu’un risque d’effet vertical peut être écarté dès lors que la part de marché de l’entreprise issue de l’opération sur les marchés concernés ne dépasse pas 30 %.
21. En l’espèce les marchés sur lesquels TRS est active sont situés à l’amont du marché des systèmes missiles intégrés sur lequel opère Thales. Sur ce marché, les parties estiment que Thales dispose de [30-40] % de parts de marché en France, de [10-20] % dans l’Espace économique européen et de [0-5] % dans le monde. En matière de systèmes missiles intégrés Thales fait face à la concurrence d’opérateurs significatifs tels que MBDA ([70-80] % de part de marché en France, [60-70] % dans l’EEE), Kongsberg ([5-10] % de part de marché en France), Almaz Antey ([30-40] % au niveau mondial) et Raytheon ([20-30] % de part de marché au niveau mondial).
22. En tout état de cause, il n’existe pas d’interaction notable entre ce marché et les marchés sur lesquels TRS est active. Les systèmes missiles intégrés sont en effet composés essentiellement par les armes et les missiles, d’une part, et n’incorporent que très marginalement les produits fabriqués par TRS, à savoir les centres AO/C2, d’autre part. A cet égard, les parties évaluent à environ [5-10] % la proportion des centres AO/C2 dans les systèmes missiles intégrés.
23. Par conséquent, l’opération n’est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence par le biais d’effets verticaux.
B. ANALYSE DES EFFETS CONGLOMERAUX
24. Les effets congloméraux sont susceptibles de se produire lorsque la présence simultanée d’une entreprise sur des marchés présentant des liens de connexité lui permet de s’appuyer sur la position qu’elle occupe sur l’un de ces marchés pour évincer ou affaiblir la position de ses concurrents sur l’autre marché. Des effets restrictifs de concurrence pourront ainsi apparaître lorsqu’une concentration permet de lier commercialement les ventes ou les achats des éléments constitutifs du regroupement de façon à verrouiller le marché et à évincer les concurrents.
25. En l’espèce, les radars de contre-batterie, bien qu’appartenant au secteur des systèmes portant sur le champ de bataille avec les systèmes de défense aérienne tactique, présentent à l’égard de ces derniers de telles dissimilitudes fonctionnelles et techniques qu’ils sont fournis indépendamment des systèmes de défense aérienne tactique. La mise en œuvre d’une stratégie de vente liée à l’issue de l’opération apparaît donc peu vraisemblable. Par ailleurs, sur ces marchés la nouvelle entité restera soumise à la concurrence d’opérateurs significatifs tels que BEL et Raytheon.
26. Par conséquent, l’opération n’est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence par le biais d’effets congloméraux.
DECIDE
Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 16-089 est autorisée.
NOTES
1 Voir la décision de la Commission européenne n°COMP/M.5426 du 10 mars 2009.
2 Voir la décision de la Commission européenne n°COMP/M.2079 du 30 mars 2001.
3 Décision précitée.
4 Ibidem.