CA Montpellier, 3eme ch. civ., 3 juin 2021, n° 16/05104
MONTPELLIER
Arrêt
Infirmation
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par M. Jacques RAYNAUD, Président, et par Mme Camille MOLINA, Greffière.
EXPOSE DU LITIGE
Le 6 juin 2012, la SCI Jumali a conclu avec M. Roberto U., architecte, un contrat de maîtrise d'oeuvre pour la construction d'une maison individuelle sise [...].
M. Roberte U. a résilié le contrat d'architecte.
Le chantier a été repris par la SASU Fenêtre Verte intervenant comme entreprise générale.
La SASU Fenêtre Verte a par la suite abandonné le chantier, ainsi que le constatait un huissier de justice le 23 septembre 2013.
En vue du paiement d'une partie du prix du marché, une lettre de change d'un montant de 15 000 euros a été tirée par la SASU Fenêtre Verte le 30 juillet 2013 à échéance du 2 octobre 2013, lettre de change acceptée par la SCI Jumali.
Par jugement du 21 octobre 2013, la SASU Fenêtre Verte a été placée en liquidation judiciaire avec désignation de Me D. en qualité de mandataire liquidateur.
Par acte d'huissier du 15 juillet 2015, Me D., en qualité de liquidateur de la SASU Fenêtre Verte, a fait assigner la SCI Jumali devant le tribunal de commerce de Montpellier aux fins de la voir condamner à lui payer cette lettre de change d'un montant de 15 000 euros.
Par jugement du 15 juin 2016, le tribunal de commerce a :
' dit la lettre de change régulière ;
' dit que le contrat entre la SCI Jumali et la SASU Fenêtre Verte était régulier et que Me Christine D. en qualité de liquidateur de la SASU Fenêtre Verte était fondée à recevoir la lettre de change ;
' condamné la SCI Jumali à payer à Me Christine D., en qualité de liquidateur de la SASU Fenêtre Verte, la somme de 15 000 euros au titre de la lettre de change papier créée le 30/07/2013 à échéance du 02/10/2013 avec intérêts au taux légal à compter de l'échéance de l'effet ;
' condamné la SCI Jumali à payer à Me Christine D., en qualité de liquidateur de la SASU Fenêtre Verte, la somme de 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
' condamné la SCI Jumali aux entiers dépens de l'instance liquidés et taxés à la somme de 82,08 euros toutes taxes comprises ;
' dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
La SCI Jumali a interjeté appel total de ce jugement le 28 juin 2016.
Vu les dernières conclusions de la SCI Jumali remises au greffe le 11 mars 2021 ;
Vu les dernières conclusions de Me D., en qualité de liquidateur de la SASU Fenêtre Verte, remises au greffe le 10 mars 2021 ;
MOTIFS DE L'ARRÊT
A titre liminaire, il convient de rappeler que, conformément aux dispositions du troisième alinéa de l'article 954 du code de procédure civile, les demandes tendant simplement à voir « constater », « rappeler » ou « dire et juger » ne constituent pas des demandes en justice visant à ce qu'i1 soit tranché sur un point litigieux mais des moyens, de sorte que la cour n'y répondra pas dans le dispositif du présent arrêt.
La régularité formelle de la lettre de change n'est pas discutée par les parties dans leurs écritures, sauf pour la SCI Jumali de soutenir que l'article L.511-8 et suivant du code de commerce exigerait que la lettre de change soit endossée par la SASU Fenêtre Verte.
En l'espèce, l'examen de la lettre de change papier versée au dossier montre en effet qu'elle est parfaitement régulière et comporte l'ensemble des mentions obligatoires, étant précisé que l'endossement de la lettre n'est qu'une faculté pour le tireur.
La SASU Fenêtre Verte, tireur de la lettre qui en est restée porteur, est donc parfaitement fondée à en demander le paiement par le tiré, la SCI Jumali.
Contrairement à la position soutenue par Me D. dans ses écritures, l'inopposabilité des exceptions prévue par l'article L. 512-12 du code de commerce ne vaut pas à l'égard du tiré accepteur qui peut toujours se prévaloir, à l'égard du tireur, des exceptions fondées sur leurs rapports personnels pour apporter la preuve de l'absence de provision.
Il convient donc d'examiner le moyen soulevé par la SCI Jumali qui invoque la nullité du contrat d'entreprise conclu avec la SASU Fenêtre Verte et le non-respect de ses obligations de constructeur pour s'opposer au paiement de cette lettre de change de 15 000 euros.
Le régime juridique du contrat de construction de maison individuelle sans fourniture de plan de l'article L. 232-1 du code de la construction et de l'habitation s'applique, impérativement et à peine de nullité, à toute opération qui porte sur l'exécution, par le même locateur d'ouvrage, des travaux de gros œuvre, de mise hors d'eau et hors d'air d'un immeuble à usage d'habitation ou d'un immeuble à usage professionnel et d'habitation, ne comportant pas plus de deux logements destinés au même maître de l'ouvrage.
En l'espèce, les parties ne produisent aucun contrat écrit de construction de maison individuelle ni un quelconque contrat d'entreprise.
Le maître de l'ouvrage verse cependant aux débats :
- un compte-rendu d'avancement de chantier du 4 janvier 2013 qui établit que la SASU Fenêtre Verte a réalisé le gros oeuvre de la maison (facturé 177 606 euros TTC) et les menuiseries (facturées 38 332 euros TTC) ;
- un compte-rendu d'avancement de chantier n°2 du 4/01/2013 qui se réfère à un devis prévisonnel de 258 000 euros HT ;
- un constat d'huissier établi le 23 septembre 2013 confirmant que la SASU Fenêtre Verte a bien exécuté les travaux de gros oeuvre, de mise hors d'eau et de mise hors d'air d'une maison d'habitation ;
- des factures émises par la SASU Fenêtre Verte confirmant qu'elle a bien réalisé l'intégralité du gros oeuvre (terrassements, VRD, maçonnerie, toiture).
L'examen de ces pièces établit que la SASU Fenêtre Verte s'est bien engagée envers la SCI Jumali à réaliser l'ensemble des travaux de gros oeuvre, de clos et de couverture qui caractérise un contrat de construction de maison individuelle au sens de l'article L. 232-1 du code de la construction et de l'habitation.
La SASU Fenêtre Verte n'a manifestement pas respecté les dispositions légales d'ordre public prévues par les articles L. 230-1 et suivants du code de la construction et de l'habitation applicables au contrat de construction de maison individuelle puisque ce contrat n'a jamais été formalisé par un écrit signé entre les parties et qu'il ne comporte donc ni les clauses impératives ni les garanties financières requises par la loi dans un but de protection du maître de l'ouvrage.
La SASU Fenêtre Verte ne peut faire échec à la nullité de ce contrat en soutenant que la SCI Jumali a contracté en connaissance de cause, sans rapporter la preuve de ce que le maître de l'ouvrage a renoncé à se prévaloir de la nullité de ce contrat en l'exécutant après avoir eu préalablement connaissance de la violation des dispositions destinées à le protéger.
Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a refusé de prononcer la nullité du contrat au motif erroné que le commencement d'exécution du contrat par la SCI Jumali avait eu, à lui seul, pour effet de couvrir l'irrégularité affectant le contrat de construction de maison individuelle.
En conséquence, la nullité de ce contrat sera prononcée par la cour.
La SCI Jumali est fondée à opposer la nullité de ce contrat pour se défendre de l'action en paiement de la lettre de change de 15 000 euros qui a été tirée en règlement d'une partie du prix de ce contrat.
Me D. sera en conséquence déboutée de toutes ses demandes.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
Prononce la nullité du contrat de construction individuelle conclu entre la SASU Fenêtre Verte et la SCI Jumali ;
Déboute Me D. en qualité de mandataire liquidateur de la SASU Fenêtre Verte de sa demande en paiement de la lettre de change tirée le 30 juillet 2013 sur la SCI Jumali ;
Déboute les parties de leurs plus amples demandes ;
Condamne Me D. en qualité de mandataire liquidateur de la SASU Fenêtre Verte aux dépens ;
Condamne Me D. en qualité de mandataire liquidateur de la SASU Fenêtre Verte à verser la somme de 2 000 euros à la SCI Jumali sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.