ADLC, 20 novembre 2017, n° 17-DCC-09
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
relative à la prise de contrôle conjoint d’un ensemble immobilier par la Caisse des Dépôts et Consignations et le groupe Artea
L’Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 20 décembre 2016, relatif à la prise de contrôle conjoint d’un ensemble immobilier par la Caisse des Dépôts et Consignations et le groupe Artea, formalisée par un projet de statuts, un projet de pacte d’associés et une déclaration d’intention de la Caisse des Dépôts et Consignations et du groupe Artea en date du 20 décembre 2016 ;
Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;
Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l’instruction ;
Adopte la décision suivante :
I. Les entreprises concernées et l’opération
1. Artea est la société holding du groupe Artea (ci-après « Artea »), principalement actif dans les secteurs de la construction et location d’immeubles de bureaux et locaux commerciaux. Artea est contrôlée par monsieur Philippe Baudry.
2. La Caisse des Dépôts et Consignations (ci-après, « la CDC ») est un établissement public à statut légal spécial, régi par les articles L. 518-2 et suivants du code monétaire et financier, qui remplit des missions d’intérêt général en appui des politiques publiques conduites par l’État et les collectivités locales, et qui exerce des activités ouvertes à la concurrence. Celles-ci sont regroupées autour de quatre pôles : (i) l’environnement, (ii) l’immobilier par l’intermédiaire des filiales Société Nationale Immobilière et Icade, (iii) l’investissement et le capital investissement et (iv) les services. Créée par la loi du 28 avril 1816, la CDC est placée « sous la surveillance et la garantie de l’autorité législative », ce mode de gouvernance étant destiné à assurer l’autonomie de cette institution qui gère des fonds privés nécessitant une protection particulière1.
3. La cible de l’opération est un ensemble de bâtiments à construire constitué de deux pôles et situés dans la zone dénommée « parc d’Activités de Lesquin, Fretin et Sainghin-en-Melantois » à Lesquin (59), d’une superficie totale d’environ […]m² (ci-après « l’ensemble immobilier »).
4. Cet ensemble immobilier étant acquis au terme d’un contrat de vente en l’état futur d’achèvement (ci-après « VEFA »), il ne génèrera donc, au jour de l’acquisition, aucun chiffre d’affaires auprès de tiers. L’immeuble fait toutefois déjà l’objet d’un bail en l’état futur d’achèvement (« BEFA »), signés pour une durée de [….] ans avec la société [X], portant sur des surfaces à usage de bureaux d’une superficie locative d’environ […]m². L’immeuble est donc un actif devant générer à court terme et de façon certaine un chiffre d’affaires.
5. L’opération notifiée consiste en l’acquisition de l’ensemble immobilier cible par la société Arteparc [France], créée pour les besoins de l’opération. Cette société est détenue à hauteur de 60 % du capital et des droits de vote par Artea et à hauteur de 40 % par la CDC. CDC et Artea exerceront un contrôle conjoint sur l’actif cible, dans la mesure où, conformément au projet de statuts et aux dispositions du projet de pacte d’associés de la société Arteparc [France]2, les décisions stratégiques relatives à son activité seront adoptées à la majorité de deux-tiers.
6. En ce qu’elle se traduit par la prise de contrôle conjoint de l’ensemble immobilier par Artea et la CDC, l’opération constitue une concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce.
7. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d’affaires hors taxe mondial total de plus de 150 millions d’euros (CDC : […]euros pour l’exercice clos au 31 décembre 2015 ; Artea : [….]uros pour le même exercice). Elles réalisent en France un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros (CDC : […]euros pour l’exercice clos au 31 décembre 2015 ; Artea : […]uros pour le même exercice). Les seuils de contrôle mentionnés au I de l’article L. 430-2 du code de commerce sont donc franchis. Compte tenu de ces chiffres d’affaires, l’opération ne relève pas de la compétence de l’Union européenne. La concentration est ainsi soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.
II. Délimitation des marchés pertinents
A. LES MARCHES DE PRODUITS ET SERVICES
8. L’opération entraîne un chevauchement d’activités dans le secteur des services immobiliers.
9. Les autorités de concurrence nationale3 et européenne4 ont envisagé, tout en laissant la question ouverte, différentes segmentations dans le secteur des services immobiliers selon (i) les destinataires des services (particuliers ou entreprises), (ii) le mode de fixation des prix (immobilier résidentiel libre et les logements sociaux ou intermédiaires aidés), (iii) le type d’activité exercée dans les locaux (bureaux5 , les locaux commerciaux et autres locaux d’activités), et (iv) la nature des services ou biens offerts.
10. Pour cette dernière segmentation, les services suivants ont été identifiés : (i) la promotion immobilière qui comprend les activités de construction et de vente de biens immobiliers ; (ii) la gestion d’actifs immobiliers pour compte propre ; (iii) la gestion d’actifs immobiliers pour compte de tiers (des investisseurs institutionnels, principalement des banques et des compagnies d’assurances) qui recouvre le conseil et la gestion de portefeuille immobilier (arbitrage et valorisation d’actifs), le montage des opérations d’investissement immobilier et la gestion d’actifs immobiliers et de véhicules d’investissements spécialisés (notamment les sociétés civiles immobilières) ; (iv) l’administration de biens immobiliers qui recouvre les activités de gestion des immeubles pour le compte de propriétaires et qui peut être segmentée entre la gestion locative et la gestion de copropriété ; (v) l’expertise immobilière ; (vi) le conseil immobilier ; (vii) l’intermédiation dans les transactions immobilières pour laquelle l’intermédiation dans les opérations d’achat/vente est distinguée de l’intermédiation dans les opérations de location.
11. En l’espèce, les parties sont simultanément actives sur les marchés de la gestion pour compte propre d’actifs immobiliers destinés aux entreprises à usage de bureaux.
12. S’agissant d’actifs immobiliers à usage de commerce, la pratique décisionnelle6, tout en laissant la question ouverte, a envisagé une segmentation entre centres commerciaux et locaux commerciaux en pied d’immeuble. En l’espèce, les parties à l’opération exercent une activité de gestion pour compte propre de locaux commerciaux en pied d’immeubles.
13. Il n’est toutefois pas nécessaire de trancher cette question à l’occasion de la présente opération, les conclusions de l’analyse demeurant inchangées quelles que soit la délimitation retenue.
B. LES MARCHES GEOGRAPHIQUES
14. La pratique décisionnelle7 considère que les marchés relatifs au secteur immobilier sont de dimension locale, tout en laissant la question ouverte. L’analyse a toutefois déjà pu être menée au niveau national pour les services immobiliers à destination des entreprises lorsque les opérations étaient réalisées par des groupes d’envergure nationale suivant une stratégie d’implantation selon une logique de maillage du territoire.
15. Pour la région Île-de-France, le ministre de l’économie a relevé que « la région parisienne possède des propriétés particulières de continuité des zones urbaines. En effet, il existe une vaste zone très urbanisée et homogène recouvrant la majeure partie de l’Île-de-France, desservie par un réseau global de transport ; les habitants sont toujours en mesure d’arbitrer entre différentes parties de la région. Cette substituabilité entraîne une convergence au niveau des prix. Dès lors le niveau régional est le plus approprié pour l’analyse concurrentielle »8. Pour les autres régions, les autorités de concurrence ont mené leurs analyses concurrentielles au niveau régional ou infrarégional. Ainsi, dans ses décisions récentes, l’Autorité a examiné les effets d’opérations au niveau des agglomérations9.
16. Au cas d’espèce, les activités de la cible se chevauchent avec celles de la CDC dans la région des Hauts-de-France. L’analyse sera donc menée, au niveau de la région des Hauts-de-France, au niveau du département du Nord (59) et au niveau de l’agglomération de Lille.
III. Analyse concurrentielle
17. Aux niveaux régional (Hauts-de-France), départemental (Nord (59)), et local (agglomération de Lille), selon les estimations des parties la part de marché de la nouvelle entité demeurera inférieure à [10]% quelle que soit la segmentation retenue.
18. La nouvelle entité restera par ailleurs soumise à la concurrence exercée par de nombreuses sociétés foncières (telles que Gecina, Foncière des Régions, GE Real Estate), des compagnies d’assurances (telles que Axa, Allianz, Generali, Groupama) ou des fonds d’investissements (tels que Genica).
19. Par conséquent, l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les différents marchés de la détention et de la gestion pour compte propre d’actifs immobiliers.
DECIDE
Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 16-271 est autorisée.
NOTES
1 Voir l’article L. 518-2 du code monétaire et financier.
2 Article 18.2 du pacte d’associés et article 18 des statuts.
3 Voir notamment les décisions de l’Autorité de la concurrence n° 16-DCC-02 du 11 janvier 2016 relative à la prise de contrôle conjoint d’un actif immobilier situé à Marseille par le groupe BPCE et la Caisse des Dépôts et Consignations ; n° 15-DCC-128 du 21 septembre 2015 relative à la prise de contrôle conjoint d’un actif immobilier situé à Rennes par le groupe BPCE et la Caisse des Dépôts et
Consignations ;n° 09-DCC-16 du 22 juin 2009 relative à la fusion entre les groupes Caisse d’Épargne et Banque Populaire, n° 14-DCC-46 du 1er avril 2014 relative à la prise de contrôle conjointe d’un actif immobilier industriel en Moselle par la Norges Bank et Prologis ; n° 15-DCC-156 du relative à la prise de contrôle conjoint d’un actif immobilier à usage de bureaux par Sogecap et Predica ainsi que la décision C2008-79 / Lettre du ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi du 22 août 2008, aux conseils des sociétés CDC et Eurosic, relative à une concentration dans le secteur de l’immobilier, BOCCRF N° 8 bis du 23 octobre 2008.
4 Voir les décisions de la Commission européenne COMP/M.2110 Deutsche Bank / SEI / JV du 25 septembre 2000, IV/M.2825 Fortis AG SA / Bernheim-Comofi SA du 9 juillet 2002 COMP/M.3370 BNP Paribas/ARI du 9 mars 2004.
5 Voir les décisions de l’Autorité de la concurrence n° 12-DCC-156 du 12 novembre 2012 relative à la prise de contrôle conjointe d’une société civile immobilière pour l’acquisition d’un immeuble à usage de bureaux par CNP Assurance et Sogecap, n° 12-DCC-157 du 15 novembre 2012 relative à la prise de contrôle conjoint d’une société civile immobilière pour la détention d’un immeuble de bureaux situé à Lyon par les sociétés Prédica et la Caisse des Dépôts et Consignations et n° 16-DCC-50 du 7 avril 2016 relative à la prise de contrôle conjoint d’un actif immobilier situé à Toulouse par la société Oppidéa, la société Immo Retail et la Caisse des Dépôts et Consignations.
6 Voir les décisions de l’Autorité de la concurrence n° 11-DCC-178 du 13 décembre 2011et n° 14-DCC-36 du 18 mars 2014 et la lettre du ministre de l’économie C2007-52 du 22 mai 2007.
7 Voir notamment les décisions n° 09-DCC-16 précitée et C2005-108 / Lettre du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie du 25 novembre 2005 aux conseils de la société Foncière des Régions relative à une concentration dans le secteur immobilier, BOCCRF n°6 bis du 21 juin 2006 ainsi que la décision de la Commission M. 2825 précitée.
8 Voir la décision C2006-151/ Lettre du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie du 10 janvier 2007 au conseil du groupe Société
Nationale Immobilière, relative à une concentration dans le secteur du développement et de la gestion de parc immobilier à vocation essentiellement résidentielle, BOCCRF n° 3 bis du 23 mars 2007.
9 Voir les décisions de l’Autorité de la concurrence n° 14-DCC-36 du 18 mars 2014 relative à la prise de contrôle exclusif par le groupe Carrefour d’un portefeuille de 57 galeries commerciales auprès la société Klépierre, n° 14-DCC-164 du 13 novembre 2014 relative à la prise de contrôle exclusif par le groupe carrefour d’un portefeuille de six galeries commerciales auprès la société Unibail-Rodamco, la décision n° 14-DCC-166 du 13 novembre 2014 relative à la prise de contrôle exclusif par Klépierre SA de Corio NV et la décision n°14-DCC-193 du 24 décembre 2014 relative à la prise de contrôle conjoint d’un ensemble immobilier à Nice par la CDC et par la société Immo Retail.