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Décisions

Cass. com., 6 juin 1990, n° 88-19.420

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Defontaine

Rapporteur :

Mme Loreau

Avocat général :

M. Curti

Avocats :

SCP Lyon-Caen, Fabiani et Liard, Me Garaud

Colmar, du 9 sept. 1988

9 septembre 1988

Joint les pourvois n° 88-19.420 et n° 88-19.783 qui attaquent le même arrêt ;.

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Colmar, 9 septembre 1988), que Mme veuve Alfred Z..., Mlles Yvette et Annie Z..., M. Jean-Pierre Z..., Mmes X... Y..., A... et Hardy (les consorts Z...), porteurs de parts dans la société à responsabilité limitée Huber et compagnie (la société Huber), ont assigné celle-ci en nullité des assemblées générales des années 1978 à 1984, ainsi qu'en dommages-intérêts ;

Sur le moyen unique du pourvoi n° 88-19.420, pris en ses deux branches :

Attendu que la société Huber reproche à l'arrêt, confirmatif de ce chef, d'avoir annulé les délibérations des assemblées générales tenues en juin 1980 et juin 1984 aux motifs que le vote des associés majoritaires ayant affecté les bénéfices des exercices 1979 et 1983 aux réserves, sans les attribuer aux associés, était entaché d'abus de droit au préjudice des associés minoritaires, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'il ne ressort pas de ses motifs que les délibérations litigieuses aient été prises contrairement à l'intérêt social et dans l'unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment des membres de la minorité ; que spécialement la cour d'appel, qui s'est bornée à énoncer, par un motif général, que la constitution de réserves apparaît comme une politique de prudence qui " ne saurait être systématique ", n'a aucunement montré en quoi cette politique était, en l'espèce, contraire à l'intérêt social, ni même établi son caractère systématique ; que pas davantage la cour d'appel n'a expliqué en quoi les délibérations litigieuses conféraient un avantage aux associés majoritaires, la seule référence aux rémunérations allouées à ceux-ci étant à cet égard insuffisante dès lors qu'il n'était ni constaté que leur montant fût excessif, ni précisé en quoi elles auraient été permises ou accrues par les délibérations litigieuses ; que de la même façon, la cour d'appel n'a nullement exposé en quoi la mise en réserve des bénéfices, qui accroissait la valeur des parts de tous les associés, aurait causé aux associés minoritaires un préjudice que ne subissaient pas les associés majoritaires, se bornant à cet égard à affirmer l'existence d'un préjudice qu'elle tient pour évident mais ne caractérise pas ; qu'ainsi, faute d'avoir caractérisé l'abus de droit par elle retenu, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1382 du Code civil ; et alors, d'autre part, que l'abus du droit, étant exclusivement sanctionné au titre de la responsabilité civile de son auteur, ne peut fonder qu'une mesure prise à l'encontre de celui-ci et constituant un mode de réparation adéquat du préjudice causé par l'abus ; que par suite, la cour d'appel ne pouvait, en se fondant sur l'abus prétendument commis par certains associés, prononcer à l'encontre de la société l'annulation des délibérations litigieuses dès lors que celle-ci, n'impliquant aucunement la distribution des sommes mises en réserves, ne constitue pas un mode adéquat de réparation du préjudice résultant de l'absence de distribution des bénéfices ; qu'en prononçant néanmoins l'annulation de ces délibérations, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu, d'une part, que l'arrêt a retenu par motifs propres et adoptés que, depuis la création de la société Huber, tous les bénéfices d'exploitation avaient été affectés entièrement aux réserves, portant le montant de celles-ci à vingt deux fois celui du capital, sans que cette mise en réserve n'ait eu aucun effet sur la politique d'investissement de l'entreprise, tandis que les deux associés détenant les 4/5 du capital social disposaient de rémunérations importantes dont la croissance a été anormalement rapide et qui ont permis en particulier au gérant de réaliser des investissements personnels se substituant à ceux qui auraient dû être réalisés normalement par la société Huber s'agissant des immeubles qu'elle occupait et dont elle devait payer le loyer au gérant ; qu'en outre, le fait que les réserves constituées n'avaient jamais été incorporées au capital, ainsi que les restrictions apportées par les statuts à la cessibilité des parts à des tiers étrangers à la société privaient les associés minoritaires de toute perspective de récupération des profits non distribués qui auraient pu accroître la valeur des parts ; que la cour d'appel qui a ainsi fait ressortir que l'affectation systématique des bénéfices aux réserves n'a répondu ni à l'objet ni aux intérêts de la société Huber et que ces décisions ont favorisé les associés majoritaires au détriment des associés minoritaires, a caractérisé l'abus du droit de majorité ;

Attendu, d'autre part, que l'abus commis dans l'exercice du droit de vote lors d'une assemblée générale affecte par lui-même la régularité des délibérations de cette assemblée ;

Qu'il s'ensuit que le moyen n'est fondé ni en l'une ni en l'autre de ses branches ;

Sur le moyen unique du pourvoi n° 88-19.783, pris en ses deux branches :

Attendu que les consorts Z... reprochent à l'arrêt, infirmatif de ce chef, d'avoir déclaré irrecevable leur demande de dommages-intérêts aux motifs qu'elle était dirigée à l'encontre de la société Huber et non contre les associés majoritaires, conformément à l'article 41 de la loi du 24 juillet 1966, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'aux termes de l'article 41 de la loi du 24 juillet 1966, l'action en responsabilité doit être dirigée contre les associés et les premiers gérants lorsque le dommage résulte de la nullité de la société, qu'en l'espèce, il ne s'agissait pas du dommage découlant de la nullité de la société mais du dommage résultant de délibérations abusives de l'assemblée générale des associés ; d'où il suit que la cour d'appel a fait une fausse application et par suite a violé les dispositions de l'article 41 de la loi du 24 juillet 1966 ; et d'autre part, que la responsabilité civile d'une société est engagée par les agissements fautifs de ses organes, que l'assemblée générale des associés, organe de décision de la société, ayant commis un abus de pouvoir, la société est responsable des conséquences dommageables vis-à-vis de ce détournement, d'où il suit que la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu qu'abstraction faite du motif surabondant justement critiqué par la première branche, la cour d'appel, après avoir retenu que les délibérations litigieuses avaient été adoptées par abus du droit de majorité, a décidé à bon droit que seuls les associés majoritaires qui avaient commis cet abus devaient en répondre à l'égard des demandeurs et qu'en conséquence, l'action dirigée contre la société Huber n'était pas recevable ; que le moyen ne peut être accueilli ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois.