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Décisions

CA Chambéry, ch. civ. sect. 1, 18 janvier 2022, n° 19/00426

CHAMBÉRY

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Auberge Saint Hubert (SARL)

Défendeur :

J. Frères (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ficagna

Conseillers :

Mme Fouchard, Mme Real Del Sarte

Avocats :

Selarl Elodie C. Avocat, Selarl LVA

TGI Albertville, du 31 déc. 2018, n° 13/…

31 décembre 2018

EXPOSÉ DU LITIGE

La SCI J. Frères est propriétaire d'un ensemble immobilier dénommé [...]. Cet immeuble est pour sa majeure partie occupé par des locaux commerciaux exploités en hôtel (Hôtel Saint Hubert) et restaurant-bar-cabaret.

Historiquement, ces locaux commerciauxont été donnés à bail commercial en 1966 pour l'hôtel et 1968 pour le restaurant-bar-cabaret à M. et Mme Aimé M.. A la suite de cessions successives, le fonds de commerce est désormais la propriété de la société Auberge Saint Hubert, dont M. Gérard M. est le gérant.

La situation locativeest en dernier lieu la suivante :

- pour la partie hôtel, un bail sous seing privé a été conclu le 16 février 1995, à effet du 1er juillet 1993, entre la SCI J. Frères et M. et Mme Gérard M., moyennant un loyer annuel de 140.000Francs hors taxes et hors charges et un dépôt de garanti e de 35.000 Francs. Ce bail a fait l'objet d'un renouvellement au profit de la société Auberge Saint Hubert par acte du 7 mars 2003, pour une durée de neuf années à compter du 1er juillet 2002 jusqu'au 30 juin 2011, moyennant un loyer annuel de 24.553,76 € HT, révisable à chaque période triennale sur l'indice INSEE du coût de la construction.

- pour la partie bar - restaurant - cabaret, un bail sous seing privé a été conclu le 16 février 1995, à effet du 1er juillet 1993, entre la SCI J. Frères et M. et Mme Gérard M., moyennant un loyer annuel de 100.000 Francs HT et hors charges et un dépôt de garanti e de 25.000 Francs. Ce bail a été renouvelé au profit de la société Auberge Saint Hubert par acte du 7 mars 2003, pour une durée de neuf années à compter du 1er juillet 2002 jusqu'au 30 juin 2011, moyennant un loyer annuel de 17.518,32 € HT, révisable à chaque période triennale sur l'indice INSEE du coût de la construction.

Par actes délivrés le 18 juillet 2011, la société Auberge Saint Hubert a sollicité du bailleur le renouvellement des deux baux à compter du 1er octobre 2011, ceux-ci se poursuivant par tacite reconduction depuis leur échéance du 30 juin 2011.

Par actes délivrés le 17 octobre 2011, la SCI J. Frères a signifié au preneur le refus de renouvellement des deux baux avec offre de paiement d'une indemnité d'éviction.

C'est dans ces conditions que, par acte délivré le 26 août 2013, la société Auberge Saint Hubert a fait assigner la SCI J. Frères devant le tribunal de grande instance d'Albertville aux fi ns de paiement d'une indemnité d'éviction.

Par acte du 17 septembre 2013, la SCI J. Frères a fait assigner la société Auberge Saint Hubert en paiement d'une indemnité d'occupation pour l'ensemble des locaux loués.

Les deux affaires ont été jointes. Par ordonnance du 14 janvier 2015 le juge de la mise en état a ordonné une expertise confiée à M. Arnaud F., avec pour mission de fournir les éléments permettant au tribunal de fixer l'indemnité d'éviction due par la SCI J. Frères et l'indemnité d'occupation due par la société Auberge Saint Hubert jusqu'à la libération des lieux.

M. F. a déposé son rapport le 11 avril 2016.

Dans le dernier état de leurs écritures, les parties sollicitaient du tribunal :

- pour la société Auberge Saint Hubert : que le montant de l'indemnité d'éviction soit fixé à la somme globale de 11.782.891,85 €, dont 5.523.949 € au titre de l'indemnité principale, le surplus au titre des indemnités accessoires, et que celui de l'indemnité d'occupation soit fixé à 744.930 €pour la période courue du 1er juillet 2011 au 17 octobre 2016. Le preneur a sollicité que soit ordonnée la compensation entre les sommes dues de part et d'autre.

- pour la SCI J. Frères : que le montant de l'indemnité d'éviction soit fixé à la somme globale de2.122.550 €, outre les frais de licenciement sur justificatifs, et celui de l'indemnité d'occupation soit fixé à la somme de 146.700 € HT avec réactualisation par année sur l'indice du coût de la construction. Le bailleur a sollicité que le paiement de l'indemnité d'éviction soit fait entre les mains de service séquestre de l'ordre des avocats au barreau de Paris.

Par jugement contradictoire rendu le 31 décembre 2018, le tribunal de grande instance d'Albertville a :

condamné la SCI J. Frères à payer à la société Auberge Saint Hubert au titre de l'indemnité d'éviction la somme de 2.893.536 € outre intérêts au taux légal à compter du jugement et frais de licenciement sur justificatifs,

condamné la société Auberge Saint Hubert à payer en deniers ou quittances à la SCI J. Frères une indemnité d'occupation HT et hypothèque conventionnelle à compter du 17 octobre2011, date du refus de renouvellement du bail et jusqu'à la libération des lieux d'un montant annuel initial de 138.000 € outre indexation pour les années postérieures à 2011 sur l'indice INSEE du coût de la construction en prenant pour référence l'indice du second semestre 2011, outre intérêts au taux légal à compter de la décision,

ordonné la compensation des créances ainsi fixées, en application de l’article 1289 ancien du code civil,

ordonné le séquestre des sommes restant dues après compensation à la société Auberge Saint Hubert au titre de l'indemnité d'éviction auprès du service séquestre de l'ordre des avocats au barreau de Paris,

débouté les parties de leurs autres demandes,

condamné la SCI J. Frères à payer à la société Auberge Saint Hubert la somme de 2.500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné la SCI J. Frères au paiement des entiers dépens dont distraction au profit de me F., avocat au barreau d'Albertville.

Par déclaration du 12 mars 2019, la société Auberge Saint Hubert a interjeté appel de ce jugement.

L'affaire a été clôturée à la date du 25 octobre 2021 et renvoyée à l'audience du 9 novembre 2021,à laquelle elle a été retenue et mise en délibéré à la date du 18 janvier 2021.

Par conclusions d'appelant récapitulatives n° 5 notifiées le 20 octobre 2021, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, la société Auberge Saint Hubert demande en dernier lieu à la cour de :

Vu les baux consenti s le 7 mars 2003,

Vu les refus de renouvellement de bail signifiés suivant exploits du 17 octobre 2011,

Vu les dispositions de l'article L. 145-14 du code de commerce,

infirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions sauf en ce qui concerne la compensation entre l'indemnité d'éviction et l'indemnité d'occupation et le débouter de la bailleresse de sa demande de maintien sous séquestre des sommes dues au titre des indemnités accessoires,

Et statuant à nouveau,

A titre principal :

fixer l'indemnité d'éviction due à la société Auberge Saint Hubert à la somme de 6.028.000 €augmentée des frais de licenciement sur justificatifs et du montant de l'imposition relative à la plus-value sur justificatif de l'expert-comptable de la société Auberge Saint Hubert,

Subsidiairement, en cas de réintégration du quart de la demi-pension dans le chiffre d'affaires restaurant :

fixer l'indemnité d'éviction du à la société Auberge Saint Hubert à la somme de 5.688.000 €,

dire que l'indemnité d'éviction sera augmentée des frais de licenciement sur justificatifs, et du montant de l'imposition relative à l'imposition assimilable à la plus-value résultant du versement de l'indemnité d'éviction qui sera fixée sur justificatifs de l'expert-comptable de la société Auberge Saint Hubert,

Dans tous les cas,

condamner la SCI J. Frères au paiement de l'indemnité d'éviction fixée, en outre des frais de licenciement (incluant les sommes pouvant être dues dans le cadre de la CSP) et du montant de l'imposition assimilable à plus-value générée par l'éviction, des productions du justificatif de l'expert-comptable de la société évincée,

fixer le montant de l'indemnité d'occupation à la somme de 83'822 € par an HT et HC à compter du 17 octobre 2011,

infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a ordonné l'indexation de l'indemnité d'occupation,

confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a ordonné la compensation entre l'indemnité d'éviction et le rappel d'indemnité d'occupation,

infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a ordonné le séquestre de l'indemnité restant due à la société Auberge Saint Hubert après compensation avec l'indemnité d'occupation,

subsidiairement, si la cour devait faire droit à une telle mesure, dire et juger qu'elle autorise la SCI J. Frères à séquestrer les sommes dues après compensation entre l'indemnité d'éviction et le rappel d'indemnité d'occupation, à défaut d'autre accord entre les parties dans les 2 mois de la signification de la décision, et ce aux frais du bailleur,

débouter la SCI J. Frères de ses demandes de maintien sous séquestre des frais de remploi, le règlement intervenant sur justificatifs, et subsidiairement de son offre subsidiaire de régler ceux-ci sur justificatifs entre les mains de la société Auberge Saint Hubert,

débouter d'une manière générale la SCI J. Frères de toutes ses demandes, fins et conclusions,

condamner la SCI J. Frères bailleresse au paiement d'une somme de 15.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile en outre de celle de 2.500 € alloués en première instance,

condamner la SCI J. Frères en tous les dépens incluant les frais d'expertise judiciaire que Me F. pourra recouvrer sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile.

Par conclusions d'intimée n° 4 contenant appel incident notifiées le 11 octobre 2021, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, la SCI J. Frères demande en dernier lieu à la cour de :

Vu les dispositions des articles L. 145-14, L. 145-28 et R. 145-10 du code de commerce,

Vu le rapport d'expertise judiciaire de Monsieur Arnaud F.,

Vu le jugement du tribunal de grande instance d'Albertville du 31 décembre 2018,

Vu les pièces versées aux débats,

déclarer la SCI J. Frères recevable et bien fondée en ses demandes et l'y recevant :

débouter la société Auberge Saint Hubert de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

Sur l'indemnité d'éviction,

infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la SCI J. Frères à payer à la société Auberge Saint Hubert au titre de l'indemnité d'éviction la somme de 2.893.536 €, outre intérêts au taux légal à compter du jugement et frais de licenciement sur justificatifs,

Statuant à nouveau :

A titre principal :

fixer l'indemnité d'éviction principale selon la seule méthode par les usages,

en conséquence, condamner la SCI J. Frères à payer à la société Auberge Saint Hubert, au titre de l'indemnité d'éviction principale, la somme de 2.213.517 €, sauf à parfaire dans l'attente des comptes de l'exercice clôt le 30 juin 2020,

subsidiairement, si la cour estime ne devoir retenir que les 3 derniers exercices comptables, condamner la SCI J. Frères à payer à la société Auberge Saint Hubert, au titre de l'indemnité d'éviction principale, la somme de 2.430.056 €, sauf à parfaire dans l'att ente des comptes de l'exercice clôt le 30 juin 2020,

Subsidiairement, si la cour estime devoir retenir la moyenne des 2 méthodes :

condamner la SCI J. Frères à payer à la société Auberge Saint Hubert, au titre de l'indemnité d'éviction principale, la somme de 2.353.158 €, sauf à parfaire dans l'att ente des comptes de l'exercice clos le 30 juin 2020,

encore plus subsidiairement, si la cour estime ne devoir retenir que les 3 derniers exercices comptables, condamner la SCI J. Frères à payer à la société Auberge Saint Hubert, au titre de l'indemnité d'éviction principale, la somme de 2'585'635 €, sauf à parfaire dans l'att ente des comptes de l'exercice clôt le 30 juin 2020,

En tout état de cause, sur les indemnités accessoires :

condamner la SCI J. Frères à payer à la société Auberge Saint Hubert :

- 99.010 € à titre d'indemnité de remploi, outre le cas échéant un pourcentage de l'indemnité d'éviction ne pouvant pas excéder 5 %,

- 23.265 € à titre d'indemnité pour trouble commercial,

- 7.913 € à titre de pertes sur stocks, sauf à parfaire dans l'att ente des comptes de l'exercice clos le30 juin 2020,

- les frais de licenciement sur justificatifs à l'exclusion des indemnités compensatrices de congés payés, des indemnités de préavis et des sommes pouvant être dues dans le cadre d'un contrat de sécurisation professionnelle (CSP),

Sur l'indemnité d'occupation,

infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Auberge Saint Hubert à payer en deniers ou quittance à la SCI J. Frères une indemnité d'occupation HT et HC à compter du 17octobre 2011, date de refus de renouvellement du bail et jusqu'à la libération des lieux d'un montant annuel initial de 138.000 € outre indexation pour les années postérieures à 2011 sur l'indice INSEE du coût de la construction en prenant pour référence l'indice du second semestre 2011, outre intérêts au taux légal à compter de la décision,

statuant à nouveau, condamner la société Auberge Saint Hubert à payer en deniers ou quittances à la SCI J. Frères une indemnité d'occupation hors taxes et hors charges à compter du 17 octobre 2011, date de refus de renouvellement du bail et jusqu'à la libération des lieux d'un montant annuel initial de 162.752 €, TVA en sus, outre indexation pour les années postérieures à 2011 sur l'indice INSEE du coût de la construction en prenant pour référence l'indice du 4ème trimestre 2011, outre intérêts au taux légal à compter du jugement,

Sur la compensation,

confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné la compensation des créances ainsi fixées, en application de l'article 1289 anciens du Code civil,

Sur le séquestre,

confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné le séquestre des sommes restant dues après compensation à la société Auberge Saint Hubert au titre de l'indemnité d'éviction auprès du service séquestre de l'ordre des avocats au barreau de Paris,

infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de consignation de l'indemnité de remploi,

statuant à nouveau, ordonner que le montant de l'indemnité de remploi soit consigné entre les mains du service séquestre de l'ordre des avocats au barreau de Paris, ledit montant étend payé sur justificatifs,

donner acte à la SCI J. Frères de son offre subsidiaire de régler ladite indemnité sur justificatifs directement entre les mains de la société Auberge Saint Hubert,

Sur les dépens et l’article 700,

infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la SCI J. Frères au paiement des entiers dépens de première instance dont distraction au profit de Me F., avocat au barreau d'Albertville,

statuant à nouveau,

faire masse des dépens de première instance, en ce compris les frais et honoraires de l'expertise judiciaire de M. Arnaud F., et dire qu'ils seront supportés par moiti é par chacune des parties et qu'ils seront recouvrés dans les conditions prévues à l'article 699 du code de procédure civile, dont distraction au profit de Me Élodie C., avocat,

condamner la société Auberge Saint Hubert à régler à la SCI J. Frères la somme de 10.000 €en application de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner la société Auberge Saint Hubert au paiement des entiers dépens d'appel dont distraction au profit de Me Élodie C. avocat.

MOTIFS ET DÉCISION

1/ Sur l'indemnité d'éviction

En application de l'article L. 145-14 du code de commerce, le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.

Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.

1-a. L'indemnité principale

A. Sur la méthode d'évaluation retenue

La société Auberge Saint Hubert fait grief au jugement déféré d'avoir validé la méthode d'évaluation de l'expert qui a retenu la moyenne des deux méthodes, selon les usages et par comparaison, qui serait purement artificielle. Elle entend faire appliquer des coefficients correcteurs différents de ceux appliqués dans chacune des deux méthodes et critique l'ensemble des calculs de l'expert.

La SCI J. Frères demande pour sa part que seule soit retenue l'évaluation selon les usages, critiquant l'utilisation d'une moyenne, alors que le fonds de commerce ne peut avoir qu'une seule valeur.

Le tribunal a rappelé à juste titre, ce qui n'est aujourd'hui plus discuté, que pour l'évaluation par les usages il convenait de retenir les chiffres d'affaires hors taxes.

Sur les coefficients multiplicateurs appliqués par l'expert judiciaire aux chiffres d'affaires pour évaluer la valeur du fonds de commerce de 200 % pour la partie hôtel et de 80 % pour la partie restaurant, en l'absence d'éléments nouveaux, c'est par des motifs pertinents que la cour adopte expressément que le tribunal a validé les coefficients de l'expert judiciaire en les comparant à ceux utilisés par les différents experts sollicités par les parties et en soulignant leur cohérence.

En effet, l'établissement exploité par la société Auberge Saint Hubert ne présente pas une notoriété telle qu'elle justifie d'appliquer un coefficient plus élevé, et ce quand bien même il s'agit d'un établissement de gamme moyenne supérieur (3 étoiles selon la classification en vigueur au 1er avril 2016) bénéficiant d'un emplacement privilégié, ce dont l'expert a bien tenu compte.

Il n'est pas démontré par l'appelante que l'évolution de l'activité depuis l'expertise de M. F. justifierait une augmentation des coefficients dans les proportions qu'elle réclame, étant souligné que tout au long de son argumentation elle compare des coefficients multiplicateurs appliqués à des chiffres d'affaires TTC et HT, alors que ces coefficients sont sensiblement différents (les coefficients appliqués au chiffre d'affaires TTC étant supérieurs d'au moins 20 % aux chiffres d'affaires HT ici pris en compte).

Concernant le grief fait par l'appelante à l'expert judiciaire de n'avoir pas retraité l'excédent brut d'exploitation, il convient de rappeler que l'expert a expressément écarté la méthode d'évaluation dite « financière » en raison de la forte baisse des indicateurs de rentabilité. Si ces indicateurs semblent avoir remonté depuis l'expertise, cela ne décridibilise pas pour autant la méthode retenue qui s'affranchit de ces indicateurs qui ont présenté d'importantes variations, contrairement au chiffre d'affaires (lequel a progressé depuis l'expertise).

Enfin, l'évaluation du fonds de commerce doit se faire en tenant compte des données objectives et actuelles et non en considération d'extrapolations purement hypothétiques de développement ou au contraire de crise futurs (changement climatique notamment évoqué par les parties, dans des sens opposés). Ces arguments sont donc inopérants.

Concernant la répartition des chiffres d’affaires par activité, il n'est pas contestable qu'une partie significative du chiffre d'affaires du restaurant est directement liée à la demi-pension des clients de l'hôtel, de sorte que c'est à juste titre que l'expert a indiqué qu'il convenait de réintégrer 1/4 du chiffre d'affaires de la demi-pension dans le chiffre d'affaires du restaurant (ce 1/4 étant déduit de la partie hôtel).

S'il existe deux baux, il n'a jamais été contesté que la société Auberge Saint Hubert n'exploite qu'un seul fonds de commerce avec deux activités : hôtel et restaurant-bar-cabaret. Ainsi, la partie restaurant ne peut pas être évaluée sans tenir compte du lien avec l'activité hôtelière qui lui apporte une clientèle garanti e, mais conduit aussi à l'application d'un coefficient multiplicateur plus faible (ici 80 %) que dans le cas d'un restaurant exploité de manière totalement autonome. C'est d'ailleurs la position argumentée retenue par M. P. qui assistait la société Auberge Saint Hubert durant l'expertise judiciaire, lequel appliquait même un coefficient de 75 % seulement (pièce n° 4de la SCI J. Frères).

Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a retenu les coefficients multiplicateurs du chiffre d'affaires HT de 200 % pour la partie hôtel et de 80 % pour la partie restaurant, et l'actualisation à laquelle il sera procédé ci-dessous tiendra compte de la réintégration d'un quart de la demi-pension dans le chiffre d’affaires du restaurant, pour l'évaluation par les usages.

La société Auberge Saint Hubert critique l'évaluation par comparaison à laquelle l'expert a également procédé en soutenant que les éléments de comparaison retenus ne seraient pas pertinents et en avançant d'autres.

Toutefois, en l'absence d'éléments nouveaux, c'est par des motifs pertinents que la cour adopte expressément que le tribunal a rejeté ces critiques, les éléments de comparaison de l'expert judiciaire étant pertinents puisque tous situés en station en Savoie et concernant des établissements comparables avec l'Auberge Saint-Hubert, contrairement aux élément proposés par l'appelante qui concernent des établissements bénéficiant d'un classement très supérieur (le Byblos à Courchevel, ou le Christiania à Val d'Isère), ou encore des cessions ou décisions de justice trop anciennes ou concernant des fonds de commerce de nature différente (restaurant seul notamment).

Le coefficient multiplicateur de 2 appliqué par l'expert au chiffre d’affaires moyen des trois derniers exercices sera donc retenu, puisqu'il ressort des prix de cession constatés par l'expert dans les éléments de comparaison retenus (le prix de cession des fonds de commerce étant proche de deux fois le chiffre d’affaires hors taxes). Ce coefficient est cohérent avec celui déjà appliqué dans la méthode par les usages.

Par ailleurs, c'est à juste titre que le tribunal a relevé que la moyenne des deux méthodes devait être appliquée, celle-ci permettant de rapprocher la valeur par les usages de celle par comparaison, les différences étant ici peu significatives et la moyenne apparaissant cohérente. L'expert indique d'ailleurs (page 42) que les deux méthodes de valorisation qu'il a utilisées sont les mêmes, mais fondées sur des sources différentes

B. Sur les exercices à prendre en compte

L'indemnité d'éviction doit être évaluée à la date la plus proche possible du départ du locataire.

La société Auberge Saint Hubert soutient qu'il convient de procéder à l'évaluation du fonds de commerce en se fondant sur les chiffres d’affaires réalisés au cours des trois exercices clos le 30 juin des années 2017, 2018 et 2019, en excluant les exercices 2020 et 2021 compte tenu de l'impact de la crise sanitaire.

La SCI J. Frères soutient au contraire qu'il convient de prendre en compte la moyenne du chiffre d'affaires des six dernières années et que l'année 2020 devra être prise en compte.

Sur le nombre d'exercices à retenir, la nécessité d'évaluer le fonds de commerce à la date la plus proche du départ du locataire conduit nécessairement à prendre en compte les trois derniers exercices qui donnent ainsi l'image la plus actualisée possible de sa valeur.

Sur ce point, l'argument ti ré par la SCI J. Frères de l'augmentation du chiffre d’affaires lié à une augmentation des tarifs pratiqués par la société Auberge Saint Hubert est inopérant dès lors qu'il n'est pas démontré que cette augmentation serait artificielle et aurait été faite uniquement pour les besoins de la cause, alors qu'elle a persisté dans le temps, peut s'expliquer par la montée en gamme de la station de Val d'Isère, comme avancé par le preneur, qui souligne à juste titre que sa masse salariale a également augmenté dans des propositions similaires.

Concernant l'exercice 2020, pour lequel la société Auberge Saint Hubert a communiqué les chiffres d'affaires réalisés, et aucune rétention d'information ne saurait lui être reprochée. Compte tenu de la fermeture administrative des établissements pendant les premiers mois de la crise sanitaire, qui a eu un impact évident mais ponctuel sur l'activité exercée, les chiffres de l'année 2020 doivent être écartés comme non significatifs.

Il convient de souligner que l'attestation de l'expert-comptable de la société Auberge Saint Hubert en date du 20 octobre 2020 (pièce n° 53 de l'appelante) précise que les chiffres d’affaires réalisés en 2020, pour les périodes d'ouverture, comparés à ceux de 2019 pour les mêmes périodes, révèlent une progression de ce chiffre d’affaires. Cet élément est donc de nature à confirmer que si l’exercice clos au 30 juin 2020 avait été un exercice entier, les chiffres d’affaires réalisés auraient été supérieurs à ceux de 2019. Ainsi, la prise en compte des seuls exercices 2017 à 2019, demandée par la société Auberge Saint Hubert, n'est pas de nature à nuire à la SCI J. Frères, qui ne démontre pas que le fonds de commerce aurait perdu de la valeur du fait de cet exercice incomplet et de la crise sanitaire.

Les chiffres de l'exercice clos au 30 juin 2021 ne sont pas connus à la date des dernières conclusions des parties et il n'y a pas lieu d'en attendre la production pour procéder à l'évaluation de l'indemnité d'éviction.

C. Sur le montant de l'indemnité d'éviction principale

Le calcul auquel l'expert a procédé doit ainsi être actualisé en fonction des chiffres d’affaires réalisés par la société Auberge Saint Hubert au cours des exercices clos le 30 juin des années 2017,2018 et 2019.

Valeur par les usages :

2017

2018

2019

CA Hôtel

1.166.810 €

1.340.801 €

1.444.169 €

dont 1/2 pension

376.281 €

445.835 €

508.414 €

1/4 à déduire sur 1/2 pension

- 94.070 €

- 111.459 €

- 127.104 €

CA hôtel rectifié

1.072.740 €

1.229.342 €

1.317.065 €

moyenne CA hôtel sur les trois exercices = 1.206.382 €

CA Restaurant

160.043 €

148.909 €

136.308 €

à ajouter 1/4 sur 1/2 pension

94.070 €

111.459 €

127.104 €

CA restaurant rectifié

254.113 €

260.368 €

263.412 €

moyenne CA restaurant sur les trois exercices = 259.298 €

Ainsi, la valeur vénale du fonds de commerce selon la méthode par les usages s'établit à:

- hôtel : 1.206.382 x 200 % 2.412.765 €

- restaurant : 259.298 € x 80 % 207.438 €

- total 2.620.203 €

Valeur par comparaison :

Il convient d'appliquer le coefficient multiplicateur de 2 retenu par l'expert à la moyenne du chiffre d'affaires HT total réalisé par la société Auberge Saint Hubert pour l'exploitation du fonds.

- CA total 2017 1.326.852 €

- CA total 2018 1.340.801 €

- CA total 2019 1.444.169 €

- Moyenne des 3 exercices 1.370.607 €

- valeur vénale : 1.370.607 x 200 % 2.741.214 €

La moyenne des deux méthodes amène ainsi à fixer le montant de l'indemnité d'éviction principale à la somme de 2.680.708,50 €, arrondis à 2.680.710 €.

2.b. Les indemnités accessoires

A. Les frais de déménagement

La SCI J. Frères fait grief au jugement d'avoir alloué la somme retenue par l'expert, alors que les frais de déménagement ne seraient dus qu'en cas de réinstallation.

Toutefois, c'est par des motifs pertinents que la cour adopte expressément que le tribunal a retenu les frais de déménagements pour 26.252 € dans la mesure où les lieux devront être restitués vides.

Le jugement déféré sera donc confirmé sur ce point.

B. L'indemnité de remploi

Cette indemnité est destinée à compenser les frais d'actes, de négociation et les taxes liés à l'acquisition d'un autre fonds ou droit au bail. Son versement ne peut être différé puisqu'il est précisément destiné à permettre l'acquisition d'un nouveau fonds au preneur évincé.

C'est à juste titre que le tribunal a retenu que cette indemnité est généralement évaluée à 9 à 10 % du montant de l'indemnité principale, ce qui n'apparaît pas excessif et n'est pas utilement contesté par les pièces et les explications de la SCI J. Frères.

Compte tenu de l'évaluation de l'indemnité principale ci-dessus, il convient de fixer l'indemnité de remploi à 10 % du montant alloué ci-dessus, soit 268.071 €. Le jugement sera réformé en ce sens.

C. L'indemnité pour trouble commercial

Ce poste correspond au préjudice résultant du transfert du fonds lui-même : temps perdu, fermeture temporaire entre l'éviction et la réinstallation notamment. Il a été estimé par l'expert à 3mois de bénéfices net de l'année 2015, dernier exercice connu de lui, soit 23.265 €.

Cette indemnité doit être réactualisée. La société Auberge Saint Hubert sollicite qu'elle soit calculée sur le fondement de l'excédent brut d'exploitation retraité par son expert-comptable. Toutefois, c'est à juste titre que la SCI J. Frères souligne que le retraitement n'est pas accompagné des pièces qui en justifieraient le calcul, de sorte que le calcul sera réalisé à parti r du résultat net de l'exercice clos au 30 juin 2019, soit 138.387,51 € / 4 = 34.596,88 € arrondis à 34.597 €.

Cette somme sera donc allouée à la société Auberge Saint Hubert.

D. Les frais de licenciement

Les parties ne critiquent pas le jugement déféré en ce qu'il a dit que les frais de licenciement seront remboursés sur justificatifs.

E. La perte de stock

L'expert a retenu la valeur du stock qui figure au bilan clos au 30 juin 2015, soit 9.572 €.

Il convient d'actualiser ce montant pour retenir celui figurant au bilan clos au 30 juin 2019, soit 8.340 € qui seront alloués à la société Auberge Saint Hubert.

F. L'indemnité pour surcroît de charges

Il s'agit d'indemniser les frais que le preneur va devoir supporter pour mettre en place dans ses nouveaux locaux des aménagements similaires à ceux qu'il a perdus.

Cette demande a été rejetée par le tribunal et la société Auberge Saint Hubert ne forme plus aucune demande à ce titre.

G. L'indemnité de réinstallation

L'expert judiciaire a écarté cette indemnité en indiquant que l'indemnité principale ayant été calculée pour un fonds de commerce équivalent, une indemnité de réinstallation reviendrait à indemniser deux fois le même préjudice, faute d'aménagements spécifiques justifiés.

Le tribunal a alloué à ce titre à la société Auberge Saint Hubert la somme totale de 199.827 € se décomposant comme suit :

- 12.964 € de frais d'enseigne

- 11.423 € de frais d'aménagement d'un local à ski

- 175.440 € valeur nette des immobilisations.

L'article L. 145-14 du code de commerce dispose que l'indemnité d'éviction est augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ce qui suppose que de tels frais soient effectivement exposés par le preneur évincé.

Le fonds de commerce perdu par la société Auberge Saint Hubert ne dispose d'aucun aménagement spécifique qui le distinguerait particulièrement d'un fonds similaire, par exemple en terme de décoration ou d'aménagements intérieurs, qu'elle serait fondée à vouloir reconstituer dans son nouvel établissement, à l'exception des postes retenus à juste titre par le tribunal à savoir :

- les frais d'enseigne justifiés pour 12.964 €

- les frais d'aménagement d'un local à skis, dont le coût est justifié à hauteur de 24.487 € (et non 11.423 €, pièce n° 36 de l'appelante),

- la valeur nette de ses immobilisations lors de son départ des lieux qu'il convient d'actualiser en retenant celle figurant au bilan clos au 30 juin 2019, soit la somme de 212.965 €, l'amortissement s'étant poursuivi avec l'occupation des lieux sur certains postes, tandis que d'autres ont nécessité de nouveaux investissements, non discutés par la SCI J. Frères, en raison de la poursuite d'exploitation (pièces n° 27 et 51 de l'appelante).

Pour le surplus, les sommes réclamées par la société Auberge Saint Hubert ne sont pas justifiées, notamment l'indemnité réclamée de 6.000 € par chambre et celle de 1.200 € par m² pour le restaurant, dont le montant et le fondement ne sont pas expliqués, alors que les immobilisations non amorties ont été prises en compte ci-dessus.

Le montant alloué au titre de la réinstallation sera donc de :

12.964 + 24.487 + 212.965 = 250.416 €

H. Autres frais et imposition sur la plus-value

La société Auberge Saint Hubert réclame la somme de 3.000 € au titre de frais juridiques et administratifs dont la nature n'est pas explicitée alors ce type de frais est déjà pris en compte au titre de l'indemnité de remploi. Cette demande sera donc rejetée.

Elle réclame encore une indemnité au titre de l'imposition pour la plus-value à laquelle elle serait soumise du fait de son éviction.

Toutefois, c'est par des motifs pertinents que la cour adopte que le tribunal a rejeté cette demande, l'imposition résultant de l'enrichissement du preneur évincé et non de son éviction elle-même. Le jugement sera confirmé sur ce point.

En définitive, le montant total des indemnités accessoires s'élève à :

26.252 + 268.071 + 34.597 + 8.340 + 250.416 = 587.676 €.

C'est donc une somme globale de 2.680.710 + 587.676 = 3.268.386 € qui sera allouée à la société Auberge Saint Hubert au titre de l'indemnité d'éviction.

2/ Sur l'indemnité d'occupation

En application de l'article L. 145-28 du code de commerce, aucun locataire pouvant prétendre à une indemnité d'éviction ne peut être obligé de quitter les lieux avant de l'avoir reçue. Jusqu'au paiement de cette indemnité, il a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat de bail expiré. Toutefois, l'indemnité d'occupation est déterminée conformément aux dispositions des sections VI et VII, compte tenu de tous élément d'appréciation.

Par dérogation au précédent alinéa, dans le seul cas prévu au deuxième alinéa de l’article L. 145-18, le locataire doit quitter les lieux dès le versement d'une indemnité provisionnelle fixée par le président du tribunal de grande instance statuant au vu d'une expertise préalablement ordonnée dans les formes fixées par décret en Conseil d'Etat, en application de l’article L. 145-56.

M. F. a estimé la valeur locative des locaux selon la méthode hôtelière pour la partie hôtel et selon la méthode par comparaison pour les locaux annexes, essentiellement le restaurant.

La société Auberge Saint Hubert souligne que la valeur locativeproposée par l'expert judiciaire, même après abattement de 15 % pour précarité, est trois fois supérieure au dernier loyer en vigueur avant le refus de renouvellement du bail et qu'elle serait surévaluée. Elle propose de fixer l'indemnité d'occupation à 83.822 € HT par an et critique l'évaluation de l'expert sur différents points, ce qu'elle ne faisait pas devant le premier juge.

La SCI J. Frères demande que l'indemnité d'occupation soit fixée à la valeur locative déterminée par l'expert judiciaire, soit 162.752 € HT par an, sans abattement pour précarité dès lors que l'exploitation du fonds n'est manifestement pas perturbée par la prochaine éviction du preneur.

Concernant l'abattement de 10 % appliqué par l'expert au titre des remises consenties aux tour operators, la cour ne peut que constater que la société Auberge Saint Hubert n'a formulé aucune observation sur ce point auprès de M. F., dont les conclusions ne sont ainsi pas utilement critiquées, les éléments sur lesquels s'appuie l'appelante n'apparaissant pas probants. Le taux de 17% avancé, qui correspond au taux de commission des intermédiaires, ne pourrait être validé que sila totalité du chiffre d’affaires est réalisée par ce biais, ce qui n'est pas démontré et d'ailleurs contredit par la lecture du rapport de M. P. qui a examiné les modes de réservation plus dans le détail (pièce n° 4 de l'intimée). L'argument n'est donc pas fondé.

La même observation doit être faite pour les pourcentages sur recettes appliqués par l'expert qui n'ont pas été critiqués en cours d'expertise.

Quant à l'imbrication des locaux à usage d'hôtel et de restaurant, l'argument est inopérant puisque, s'il existe deux baux, la société Auberge Saint Hubert a toujours reconnu exploiter l'ensemble hôtel et restaurant comme un seul fonds de commerce.

Au demeurant l'estimation de la valeur locative de la partie restaurant faite par M. F. tient incontestablement compte de ce fait, contrairement aux conclusions de M. R. (pièce n° 5 de l'intimée) dont l'appelante se prévaut mais seulement sur les points qui lui sont favorables (la valeur locative estimée par M. R. pour l'ensemble des deux fonds ressortant à 153.000 €).

C'est encore en vain que l'appelante critique le prix au m² retenu par M. F. qui a pris en compte l'ensemble des éléments de comparaison utiles, y compris le caractère saisonnier de l'activité (hiver et été).

De la même manière, le calcul de la surface utile pondérée n'est pas utilement critiquée, l'expert judiciaire ayant répondu à toutes les observations qui lui ont été soumises à ce sujet et les valeurs retenues apparaissant adaptées aux espaces concernés.

La société Auberge Saint Hubert demande l'application d'un abattement pour clause exorbitante. Toutefois un tel abattement n'a pas été retenu par l'expert et la lecture des baux ne révèle l'existence d'aucune clause justifiant un tel abattement. Celle invoquée par l'appelante qui prévoit que le preneur « doit se conformer à toutes les mesures qui pourraient être prescrites à raison du commerce exercé dans les lieux présentement loués, le tout de manière que le bailleur ne soit jamais inquiété à ce sujet » est trop générale et ne permet pas de dire qu'elle met à la charge du preneur des travaux de mise aux normes administratives qui incomberaient normalement au bailleur.

Il n'y a donc pas lieu à un tel abattement qui n'a d'ailleurs pas été retenu par l'expert et n'a fait l'objet d'aucune observation devant lui.

Enfin, concernant l'abattement pour précarité, c'est par des motifs pertinents que la cour adopte expressément que le premier juge a retenu le taux de 15 % proposé par l'expert, mais aussi par les experts amiables. En effet, et même si les résultats de la société Auberge Saint Hubert ne semblent pas avoir été affectés à la baisse par l’incertitude liée à l’éviction, il n’est pas contestable que l'exploitant ne peut s'engager dans des investissements de rénovation lourds ou de modernisation (installation d'un ascenseur par exemple) dès lors qu'il sait qu'il devra quitter les lieux. La durée de la précarité (plus de dix ans à ce jour), justifie également le taux de 15 % retenu, sans qu'un taux plus élevé, réclamé par l'appelante, apparaisse justifié.

Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a fixé l'indemnité d'occupation due par la société Auberge Saint Hubert à la SCI J. Frères depuis le 17 octobre 2011 à la somme de 138.000 € hors taxes et hors charges par an.

C'est encore à juste titre que le tribunal a dit que cette indemnité serait indexée annuellement sur l'indice du coût de la construction, cette indexation étant d'autant plus justifiée que le maintien du preneur dans les lieux se prolonge (aujourd'hui au-delà de la durée normale d'un bail), ce qui assure au bailleur le versement d'une indemnité d'occupation correspondant réellement à la valeur locative, laquelle évolue dans le temps.

3/ Sur le séquestre de l'indemnité d'éviction

En application de l'article L. 145-29 du code de commerce, en cas d'éviction, les lieux doivent être remis au bailleur à l'expiration d'un délai de trois mois suivant la date du versement de l'indemnité d'éviction au locataire lui-même ou de la notification à celui-ci du versement de l'indemnité à un séquestre. A défaut d'accord entre les parties, le séquestre est nommé par le jugement prononçant condamnation au paiement de l'indemnité ou à défaut par simple ordonnance sur requête.

L'indemnité est versée par le séquestre au locataire sur sa seule quittance, s'il n'y a pas d'opposition des créanciers et contre remise des clés du local vide, sur justification du paiement des impôts, des loyers et sous réserve des réparations locatives.

La société Auberge Saint Hubert fait grief au jugement d'avoir ordonné le versement de l'indemnité d'éviction principale à un séquestre, alors, selon elle, que la constitution d'un séquestre, qui n'est pas obligatoire, génère des coûts supplémentaires et est de nature à retarder le versement de l'indemnité dont le preneur a besoin pour envisager une réinstallation.

La mesure de séquestre, pour pouvoir être ordonnée, doit être justifiée par des circonstances qui, en raisondes désaccords existant entre les parties, laissent entrevoir une difficulté sur le compte à faire entre elles, ou de nature à faire supposer une réticence du preneur à libérer les lieux.

En l'espèce il n'est fait état d'aucune circonstance parti culière de cet ordre, la présente décision ayant pour objet de trancher le litige et permettant ainsi le compte entre les parties. Il n'est pas démontré, ni même allégué, que la société Auberge Saint Hubert s'opposerait par principe à la libération des lieux.

Le séquestre a aussi pour objet de garanti r le paiement des créanciers ayant inscrit un nantissement sur le fonds de commerce, or il n'est pas prétendu que de telles inscriptions existeraient.

Aussi, le séquestre ordonné par le premier juge n'apparaît pas justifié et la demande de la SCI J. Frères à ce titre sera rejetée.

4/ Sur les autres demandes

Les parties s'accordent pour qu'il soit procédé à la compensation des créances réciproques existant au titre de l'indemnité d'éviction et de l'indemnité d'occupation. Cette compensation sera donc ordonnée, à charge pour les parties de procéder aux comptes dans les conditions fixées par la présente décision.

C'est à juste titre que le tribunal a mis les frais d'expertise à la charge de la SCI J. Frères dès lorsque la procédure résulte de son refus de renouvellement du bail. Il n'y a donc pas lieu de partager ces frais entre les parties.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Auberge Saint Hubert la totalité des frais exposés en appel, et non compris dans les dépens. Il convient en conséquence de lui allouer la somme supplémentaire de 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, soit une indemnité procédurale totale de 6.500 €.

La SCI J. Frères supportera les entiers dépens avec, pour ceux d'appel, application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Me F., avocat.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Confirme partiellement le jugement rendu par le tribunal de grande instance d'Albertville le 31décembre 2018, mais statuant à nouveau sur le tout pour une meilleure compréhension de la décision,

Condamne la SCI J. Frères à payer à la société Auberge Saint Hubert la somme de 3.268.386 € au titre de l'indemnité d'éviction, outre intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et frais de licenciement sur justificatifs,

Condamne la société Auberge Saint Hubert à payer à la SCI J. Frères une indemnité d'occupation hors taxes et hors charges de 138.000 € par an à compter du 17 octobre 2011, jusqu'à la libération effective des lieux, avec indexation annuelle sur l'indice INSEE du coût de la construction, l'indice de base étant celui du deuxième semestre de l'année 2011, outre intérêts au taux légal à compter du présent arrêt pour les indemnités déjà échues,

Ordonne la compensation des créances réciproques des parties, conformément aux dispositions de l'article 1289 ancien du code civil,

Dit n'y avoir lieu à séquestre de l'indemnité d'éviction,

Déboute la société Auberge Saint Hubert de ses demandes supplémentaires d'indemnités,

Condamne la SCI J. Frères à payer à la société Auberge Saint Hubert la somme de 6.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais exposés en première instance et en appel,

Condamne la SCI J. Frères aux entiers dépens, comprenant les frais d'expertise judiciaire de M. Arnaud F., avec, pour ceux d'appel, distraction au profit de Me F., avocat, en application de l'article 699 du code de procédure civile.