ADLC, 29 décembre 2017
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
relative à la prise de contrôle exclusif de la société Business & Décision par la société Orange
L’Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 6 décembre 2017, relatif à la prise de contrôle exclusif de la société Business & Decision par la société Orange, formalisée par un contrat de cession d’actions en date du 25 octobre 2017 ;
Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;
Vu les éléments complémentaires transmis par la partie notifiante au cours de l’instruction ;
Adopte la décision suivante :
I. Les entreprises concernées et l’opération
1. Orange est une société anonyme cotée sur les marchés d’Euronext Paris et du New York Stock Exchange, dont le capital est détenu à 72 % par des actionnaires institutionnels et individuels, à 23 % par l’État et BPI France, et à 5 % par des salariés. Elle est à la tête du groupe Orange (anciennement France Telecom), opérateur de communications électroniques à destination d’une clientèle de particuliers, de professionnels, et de grandes entreprises. Orange Business Services est l’entité du groupe Orange qui fournit des services de télécommunications et des services informatiques en France et dans le monde.
2. Business & Decision est une société anonyme cotée sur le marché d’Euronext Paris, dont le capital est majoritairement détenu par la famille Bensabat1. Elle est à la tête d’un groupe composé de 28 filiales actives dans la fourniture de services informatiques, en particulier dans l’analyse de données, et le développement et l’intégration de logiciels et d’applications, à destination d’une clientèle professionnelle.
3. L’opération envisagée, formalisée par un contrat de cession d’actions en date du 25 octobre 2017, consiste en l’acquisition de 63,98 % du capital, représentant 76,02 % des droits de vote, de Business & Decision par la société Network Related Services, filiale du groupe Orange.
4. En ce qu’elle se traduit par la prise de contrôle exclusif de Business & Decision par le groupe Orange, l’opération notifiée constitue une concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce.
5. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d’affaires hors taxes total sur le plan mondial de plus de 150 millions d’euros (Orange : […] d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2016 ; Business & Decision : […] d’euros pour le même exercice). Chacune de ces entreprises a réalisé en France un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros (Orange : […] d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2016 ; Business & Decision : […] d’euros pour le même exercice). Compte tenu de ces chiffres d’affaires, l’opération ne relève pas de la compétence de l’Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.
II. Délimitation des marchés pertinents
6. L'opération envisagée concerne à titre principal le secteur des services informatiques2.
A. LES MARCHÉS DE SERVICES
7. Les autorités de concurrence européenne et nationale ont identifié, au sein du marché des services informatiques, sept catégories fonctionnelles de service3 : (i) les services de gestion globale, (ii) les services de gestion d’entreprise, (iii) le développement et l’intégration de logiciels, (iv) le conseil, (v) la maintenance de logiciels et de support logistique, (vi) la maintenance de matériels informatiques et de support logistique, et (vii) l’enseignement et la formation. Il n’a toutefois pas été exclu que ces sept catégories de services puissent être considérées comme appartenant à un marché global des services informatiques dans la mesure où les clients recherchent en général un service intégrant l’ensemble des activités décrites ci-dessus, et qu’il existe un fort degré de substituabilité du côté de l’offre4.
8. La Commission européenne a également envisagé plusieurs sous-segments au sein du segment des services de gestion globale selon le type de service offert5 : (i) les services de type « Public Cloud Computing », (ii) les services IaaS (« infrastructure as a service »), (iii) les services d’externalisation des infrastructures informatiques incluant les services de centres de données, l’externalisation de réseaux, l’externalisation pour les équipements d’utilisateur final ainsi que l’externalisation d’activités d’assistance informatique, et (iv) les services d’externalisation d’applications. L’Autorité s’est également interrogée sur l’existence d’un segment distinct de la sécurité informatique (sécurité et confidentialité des données informatiques)6.
9. Différentes segmentations alternatives ou complémentaires ont également été envisagées7 selon :
− le type de clientèle : PME/PMI ou grands comptes ;
− les types de systèmes d’information et de communications : (i) les systèmes d’applications de gestion, qui incluent les services informatiques utilisés pour remplir une fonction horizontale au sein des entreprises ou des administrations ; (ii) les systèmes d’applications scientifiques techniques industrielles embarquées ; (iii) les systèmes d’applications génériques ; (iv) les systèmes d’infrastructures IT ; et (v) les systèmes d’infrastructures de communication et de réseaux d’entreprise ;
− le secteur d’activité, à savoir : (i) les communications, (ii) l’enseignement, (iii) l’énergie et réseaux locaux, (iv) les services financiers, (v) le secteur public, (vi) la santé, (vii) l’industrie, (viii) le commerce et la distribution, (ix) les services et (x) le transport.
10. Au cas d’espèce, la question de la délimitation exacte de ces marchés peut être laissée ouverte, les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurant inchangée, quelle que soit la définition retenue.
B. LES MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES
11. L’Autorité a considéré que le marché des services informatiques est de dimension nationale, notamment en raison de la nécessité pour les prestataires de ces services de communiquer régulièrement dans la langue de leurs clients et de maintenir une relative proximité avec ces derniers8. La Commission européenne n’a pas exclu une dimension européenne de ce marché9.
12. Au cas d’espèce, la question de la dimension exacte de ces marchés peut être laissée ouverte, les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurant inchangées, quelle que soit la définition retenue.
III. Analyse concurrentielle
13. Les parties sont simultanément actives sur le marché des services informatiques (A). En outre, le groupe Orange est également acheteur sur ce marché, puisqu’il s’approvisionne, de manière marginale, auprès de Business & Decision (B). Le groupe Orange est également actif sur les marchés des communications électroniques considérés comme des marchés connexes au marché des services informatiques10 (C).
A. ANALYSE DES EFFETS HORIZONTAUX
14. Sur le marché national des services informatiques, la part de marché cumulée des parties est estimée à [0-5] % en 201611. Selon les estimations de la partie notifiante, la part de marché la plus élevée de Business & Decision s’est élevée, en 2016, à [0-5] %12.
15. Par ailleurs, quelles que soient les segmentations envisagées des marchés des services informatiques, la part de marché cumulée des parties reste limitée13 et, en tout état de cause, inférieure à 20 %. Par ailleurs, la nouvelle entité fera face à la concurrence des grands groupes mondiaux, tels que Capgemini, Atos ou IBM, actifs sur l’ensemble des marchés concernés.
16. Par conséquent, l’opération n’est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence par le biais d’effets horizontaux.
B. ANALYSE DES EFFETS VERTICAUX
17. Une concentration verticale peut restreindre la concurrence en rendant plus difficile l’accès aux marchés sur lesquels la nouvelle entité sera active, voire en évinçant potentiellement les concurrents ou en les pénalisant par une augmentation de leurs coûts. Ce verrouillage peut viser les marchés aval, lorsque l’entreprise intégrée refuse de vendre un intrant à ses concurrents en aval ou les marchés amont lorsque la branche aval de l’entreprise intégrée refuse d’acheter les produits des fabricants actifs en amont et réduit ainsi leurs débouchés commerciaux.
18. Cependant, l’Autorité considère néanmoins qu’il est peu probable qu’une entreprise ayant une part de marché inférieure à 30 % sur un marché donné puisse verrouiller un marché en aval ou en amont de celui-ci.
19. Selon les estimations de la partie notifiante, la position de la nouvelle entité sur le marché des services informatiques sera limitée et, en tout état de cause, très inférieure à 30 %, quelles que soient les segmentations envisagées.
20. S’agissant plus particulièrement de la fourniture de services informatiques aux entreprises actives dans le secteur des communications, la part de marché de Business & Decision sur ce segment a été estimée à environ [0-5] % au niveau national14. En effet, Business & Decision fournit ses services principalement aux entreprises actives dans le secteur de la banque et de l’assurance15, de sorte qu’aucun des dix principaux clients de Business & Decision n’est actif dans le secteur des communications. En outre, Business & Decision ne propose pas de services informatiques incontournables aux entreprises actives dans le secteur des communications et doit faire face à la concurrence de très nombreux opérateurs. Dès lors, à l’issue de l’opération, les concurrents du groupe Orange continueront à avoir accès à un large choix d’entreprises pour répondre à leurs besoins en services informatiques.
21. Enfin, la part des achats réalisés par le groupe Orange sur le marché des services informatiques marché est inférieure à 25 %, quelles que soient les segmentations envisagées par l’Autorité16. Dès lors, à l’issue de l’opération, les concurrents de Business & Decision continueront à avoir accès à une large base de clientèle à l’issue de l’opération, y compris dans le secteur des communications.
22. Par conséquent, l’opération n’est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence par le biais d’effets verticaux.
C. ANALYSE DES EFFETS CONGLOMÉRAUX
23. Une concentration est susceptible d’emporter des effets congloméraux lorsque la nouvelle entité étend ou renforce sa présence sur plusieurs marchés dont la connexité peut lui permettre d’exploiter un effet de levier. L’entreprise augmente ainsi les ventes d’un produit sur un marché en exploitant la forte position sur le marché d’un autre produit auquel le premier produit est lié ou groupé. De la même manière que pour les effets verticaux, la pratique décisionnelle des autorités de concurrence considère en principe qu’un risque d’effet congloméral peut être écarté dès lors que la part de l’entité issue de l’opération sur les marchés concernés ne dépasse pas 30 %.
24. Avant l’opération, le groupe Orange est déjà actif sur les marchés des communications électroniques, ainsi que sur l’ensemble des segments du marché des services informatiques sur lesquels Business & Decision est active, de sorte que l’opération ne permettra pas au groupe Orange de pénétrer un segment sur lequel il n’est pas déjà modestement présent. Par ailleurs, l’opération ne lui permettra pas davantage de renforcer sensiblement sa position sur l’un des marchés connexes, au vu des incréments de part de marché limités issus de l’opération. Pour mémoire, selon les estimations de la partie notifiante, la part de marché maximale de Business & Decision s’est élevée, en 2016, à [0-5] % sur le segment sectoriel de la santé.
25. Par conséquent, l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence par le biais d’effets congloméraux.
DÉCIDE
Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 17-237 est autorisée.
1 La famille Bensabat détient 63,98 % du capital de Business & Decision (représentant 76,02 % des droits de vote), le reste du capital et des droits de vote est flottant.
2 Les marchés connexes où seul Orange est actif ne seront pas présentés ci-après dans la mesure où l’opération n’a que des effets très limités sur ces derniers compte tenu de la position marginale de Business & Decision sur les marchés des services informatiques (voir infra).
3 Voir notamment les décisions de la Commission européenne COMP/M.7428 du 15 décembre 2014, IBM/INF Business of Deutsche Lufthansa ; COMP/M.6921 du 19 juin 2013, IBM Italia/Ubis ; COMP/M.5301 du 13 octobre 2008, Cap Gemini/BAS ; COMP/M.5197 du 25 juillet 2008, HP/EDS ; COMP/M.3995 du 1er décembre 2005, Belgacom/Telindus ; COMP/M.3571 du 18 novembre 2004, IBM/Maerskdate/DM Data et COMP/M.2365 du 4 avril 2001, Schlumberger/Sema. Voir également les décisions de l’Autorité de la concurrence n° 17-DCC-17 du 7 février 2017 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Feel Europe Groupe par le groupe Société pour l’Information Industrielle ; n° 16- DCC-22 du 15 février 2016 relative à la prise de contrôle exclusif des sociétés Dactyl Buro du Centre et OMR Impression par le groupe Konica Minolta ; n° 15-DCC-131 du 2 octobre 2015 relative à la prise de contrôle exclusif de la société APX Invest par la société Vinci SA ; n° 14- DCC-181 du 9 décembre 2014 relative à la prise de contrôle exclusif des sociétés du Groupe Desk et de Holding Lease France par Naxicap Partners ; n° 14-DCC-62 du 29 avril 2014 relative à la prise de contrôle exclusif du groupe Telindus France par le groupe Vivendi et n° 11- DCC-139 du 20 septembre 2011 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Large Network Administration et de sa filiale FGD par la société SCC France.
4 Voir la lettre du ministre de l’économie C2006-132 du 19 décembre 2006 au conseil de la société France Télécom, relative à une concentration dans le secteur de la réalisation de logiciels.
5 Voir notamment les décisions COMP/M.7428 et COMP/M.6921 précitées.
6 Voir notamment les décisions n° 15-DCC-131 et n° 14-DCC-62 précitées.
7 Voir notamment les décisions n° 17-DCC-17 et n° 14-DCC-62 précitées.
8 Ibid.
9 Voir notamment les décisions COMP/M.7428 et COMP/M.6921 précitées.
10 Voir notamment la décision n° 14-DCC-62 et la lettre du ministre de l’économie C2006-132 précitées.
11 Au niveau européen, la part de marché cumulée des parties a été estimée à [0-5] % en 2016.
12 Il s’agit du segment de la fourniture de services informatiques aux entreprises actives dans le secteur de la santé.
13 S’agissant de la segmentation fonctionnelle, la part de marché cumulée maximale au niveau national s’est élevée à [0-5] % sur le segment des services de sécurité informatique au niveau national (et sera inférieure à [0-5] % au niveau européen quelles que soient les segmentations envisagées). S’agissant de la segmentation sectorielle, la part de marché cumulée maximale au niveau national s’est élevée à [0-5] % sur le segment des services publics (et sera inférieure à [0-5] % au niveau européen quelles que soient les segmentations envisagées). Enfin, s’agissant des segments additionnels envisagés par l’Autorité selon le type de clientèle et les types de systèmes information et de communication, la partie notifiante a estimé que la part de marché cumulée n’excède pas 20 %, quelles que soient les segmentations envisagées par l’Autorité.
14 La part de marché de Business & Decision a été estimée à environ [0-5] % au niveau européen.
15 Les entreprises actives dans ce secteur représentent environ [30-40] % du chiffre d’affaires de Business & Decision réalisé en France.
16 Le groupe Orange a indiqué que le montant de ses dépenses en services informatiques s’est élevé à […] d’euros en 2016 en France (sur 28 milliards s’agissant du marché total) et à […] d’euros au niveau européen (sur 215 milliards d’euros s’agissant du marché total). Sans pouvoir estimer avec précision la part que représentent ses achats sur chaque segment du marché des services informatiques, le groupe Orange a indiqué que cette part n’excède pas 25 % sur chacun des segments du marché des services informatiques.