CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 18 mai 2022, n° 19/15252
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Au Père Tranquille (SARL)
Défendeur :
JRDB Investissements (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bala
Conseillers :
Mme Gil, Mme Bossard
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte sous seing privé en date du 8 janvier 2007, la société NCG, aux droits de laquelle vient la société Jrdb Investissements, a donné à bail à la société au Père Tranquille des locaux à usage commercial situés [...] (93400) ayant pour destination le « commerce de vins, café, brasserie, liqueur, limonadiers ». Ce bail commercial a été conclu pour une période de neuf ans à effet au 1er janvier 2007, moyennant un loyer annuel en principal de 20.000€, venant à expiration le 31décembre 2015. Les locaux comportent un commerce au rez-de-chaussée, une cave, un logement au 4e étage et un garage.
Le bail venait à expiration le 31 décembre 2015.
Par courrier du 24 juin 2015, la société au Père Tranquille a sollicité le renouvellement du bail commercial. Par acte d'huissier daté du 08 septembre 2015, la société Jrdb Investissementsa signifié à la société au Père Tranquille son refus de renouvellement du bail ainsi qu'une proposition d'indemnité d'éviction.
Par ordonnance de référé du 23 mars 2016, le juge des référés du tribunal de grande instance de Bobigny a désigné Monsieur Michel C. en qualité d'expert aux fi ns notamment de rechercher tous les éléments permettant de déterminer le montant des indemnités d'éviction et d'occupation.
Le 17 juillet 2017, Monsieur Michel C. a déposé son rapport.
Par acte d'huissier de justice du 11 décembre 2017, la société au Père Tranquille a assigné la société Jrdb Investissementsdevant le tribunal de grande instance de Bobigny en paiement de l'indemnité d'éviction.
Par jugement du 15 mai 2019, le tribunal de grande instance de Bobigny a :
- dit que la société au Père Tranquille a droit à une indemnité d'éviction correspondant à la perte de son fonds de commerce ;
- fixé à 389.960 € le montant de l'indemnité d'éviction due par la société Jrdb à la société au Père Tranquille ;
- fixé le montant de l'indemnité d'occupation due par la société au Père Tranquille à la société Jrdb à la somme de 41.570 € par an à compter du 1er janvier 2016 et jusqu'à complète restitution des lieux ;
- dit que les sommes déjà versées depuis le 1er janvier 2016 par la société au Père Tranquille en contrepartie de l'occupation des lieux seront déduites de la créance d'indemnité d'occupation du bailleur ;
- débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
- condamné la société Jrdb à verser à la société au Père Tranquille la somme de 1.000 € sur le fondement de l'article700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Jrdb aux dépens ;
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision.
Par déclaration du 23 juillet 2019, la société Au Père Tranquille a interjeté appel de ce jugement.
Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 21 février 2022, la société Au Père Tranquille demande à la Cour de :
- Confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a dit que la Société Au Père Tranquille a droit à une indemnité d'éviction correspondant à la perte de son fonds de commerce ;
- L'infirmer en ce que qui concerne les montants de l'indemnité d'éviction et de l'indemnité d'occupation ;
Et statuant à nouveau :
- fixer l'indemnité d'éviction due à la société Au Père Tranquille en fonction de la valeur du fonds de commerce à la somme cinq cent quatre vingt quinze mille euros (595 000 €) sauf à parfaire, augmentée des frais de licenciement et des sommes éventuellement dues dans le cadre des CSP qui seront dues sur justificatifs.
Dans tous les cas :
- condamner la Société Jrdb Investissements au paiement de l'indemnité d'éviction due à la société Au Père Tranquille ;
- condamner en outre la Société Jrdb Investissements au paiement, sur justi fi cati fs, des frais de licenciement incluant notamment les allocations dues en cas d'option des salariés à la Convention de reclassement professionnel (CSP) ;
- déclarer la société Jrdb irrecevable et mal fondée en toutes ses demandes ;
- la débouter en conséquence de toutes ses demandes, fi ns et conclusions.
- fixer l'indemnité d'occupation :
*Pour la période du 1er janvier au 14 mars 2020 à la somme de vingt-cinq mille cinq cent dix-neuf€ (25.519 €) HT par an à compter du 1er janvier 2016 jusqu'au 14 mars 2020 ;
*Pour la période du 15 mars 2020 à la date de libération des lieux :
À titre principal vu la baisse de la valeur locative à compter du 15 mars 2020, vu l'article 1722 du code civil
: Fixer l'indemnité d'occupation à la somme de seize mille euros (16 000 €) HT ;
Subsidiairement fi xer à la somme de dix-neuf mille cinq cents euros (19.500€) HT par an l'indemnité d'occupation ;
Dans tous les cas,
- condamner la société Jrdb à rembourser le montant de l'indemnité d'occupation trop perçue depuis le 15 mars 2020 ;
Subsidiairement, si l'indemnité d'occupation était fixée à un montant supérieur à celle versée,
- ordonner la compensation entre l'indemnité d'éviction due à la Société au Père Tranquille et le rappel d'indemnité d'occupation des lieux loués ;
- condamner la société Jrdb Investissements au paiement d'une somme de 8.000 € au titre de l'article700 du Code de Procédure Civile au titre des frais irrépétibles pour la procédure de première instance outre 8.000 € au titre de la procédure devant la cour d'appel ;
- confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a condamné la société aux dépens incluant les frais d'expertise que Maître B. pourra recouvrer sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile.
ans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 08 mars 2022, la société Jrdb, SARL, demande à la Cour de :
Juger la Société Jrdb recevable et bien fondée dans ses prétentions et y faire droit.
En conséquence :
Débouter la Société au Père Tranquille de toutes ses demandes, fi ns et conclusions ;
I. Sur l'indemnité d'éviction
Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
- retenu un chiffre d'affaires moyen de 156.100 € HT/an pour la branche « Café Bar » et de 66.900€ HT/an pour la branche « Restauration » ;
- retenu les recettes HT,
- débouté la Société au Père Tranquille de sa demande d'indemnisation au titre des frais de réinstallation ;
- débouté la Société au Père Tranquille de sa demande d'indemnisation au titre des frais de déménagement ;
- débouté la Société au Père Tranquille de sa demande d'indemnisation au titre des frais administratifs ;
- débouté la Société au Père Tranquille de sa demande d'indemnisation au titre des frais de licenciement ;
Infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
- exclu l'évaluation de l'indemnité d'éviction selon la méthode dite de l'EBE ;
- retenu l'application du coefficient 650 pour la branche « Café ' Bar » et 75 % pour la branche « Restaurant » ;
-fixé le montant de l'indemnité principale d'éviction à la somme de 345.000€ ;
- fixé l'indemnité de remploi à la somme de 34.500 € ;
- retenu l'existence d'un préjudice au titre du trouble commercial ;
Statuer de nouveau :
- appliquer un coefficient de 300 pour la branche « Café ' Bar » et 60% pour la branche « Restaurant» ;
- fixer l'indemnité principale à la somme de 176.271 € ;
- fixer les indemnités accessoires à la somme de 17.627 € ;
- fixer en conséquence l'indemnité d'éviction dont est redevable la Société Jrdb en sa qualité de bailleur à la somme globale de 193.898 € toutes causes confondues ;
- subsidiairement, la fixer à la somme globale de 202.926 € ;
- très subsidiairement, la fixer à la somme globale de 205.746 €,
- à titre infiniment subsidiaire, la fixer à la somme de 212.157 €.
II. Sur l'indemnité d'occupation
Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
- fixé la majoration pour droit de terrasses à 15 % ;
- fixé la valeur locative mensuelle de l'appartement à 12 €/m2 ;
- fixé un abattement de précarité de 10% sur la valeur locative des locaux ;
Infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
- fixé la valeur locative de la partie commerciale des locaux à 300 € HT/an/m2.
Statuer de nouveau :
- fixer la valeur locative de la partie commerciale des locaux à 410 € HT/an/m2 ;
- fixer l'indemnité d'occupation due à la Société Jrdb depuis le 1er janvier 2016 jusqu'à la restitution des locaux, à la somme annuelle de 53.260 € HT ;
III. Sur les autres demandes
Infirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la Société Jrdb aux dépens et à la somme de1000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
Statuer de nouveau :
- ordonner le partage des dépens de première instance, en ce inclus les frais d'expertise,
- juger n'y avoir lieu à article 700 du Code de Procédure Civile.
IV. En tout état de cause
- débouter la société Au Père Tranquille de l'intégralité de ses demandes, fi ns et conclusions ;
- ordonner la compensation entre les créances respectives d'indemnité d'éviction et d'indemnités d'occupation ;
- condamner la Société au Père Tranquille au paiement d'une somme de 15.000€ sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
- condamner la Société au Père Tranquille aux entiers dépens d'appel, dont distraction au profit de la Selarl 2H, Avocat aux Offres de Droit.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières conclusions précitées des parties pour ce qui concerne l'exposé détaillé de leurs moyens et prétentions.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 9 mars 2022.
Par conclusions de procédure notifiées le 11 mars 2022, la société JRDB sollicite de voir déclarer irrecevables les pièces communiquées le 9 mars 2022 à 7h44 au motif qu'elles ont été communiquées par la société Au Père Tranquille deux heures avant la clôture et qu'elle n'a matériellement pas eu le temps d'en prendre connaissance. Par conclusions de procédure en réponse notifiées le 13 mars 2022, la société Au Père Tranquille réplique qu'il n'y a pas lieu à rejeter la pièce 38-1 au motif que la communication est faite en réplique aux conclusions notifiées le 8mars 2022 par la société JRDB.
MOTIFS
Sur les pièces communiquées le 9 mars 2022
Par bordereau de communication du 9 mars 2022, la société Au Père Tranquille a communiqué peu avant la clôture, une pièce 37 intitulée « Arrêt de la cour d'appel de CHAMBERY, 18 janvier 2022 » et une pièce 38-1 inti tulée « Courrier d'un expert judiciaire en date du 7 mai 2021 ».
Ces deux pièces, communiquées alors que les parties étaient avisées de ce que l'affaire venait à l'audience de clôture le même jour à 9H30, l'ont ainsi été tardivement en violation du principe du contradictoire.
Par conséquent, il convient de les déclarer irrecevables.
Sur l'indemnité d'éviction
Aux termes de l'article L. 145-14 du code de commerce, l'indemnité d'éviction est destinée à permettre au locataire évincé de voir réparer l'entier préjudice résultant du défaut de renouvellement. Elle comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.
Il est par ailleurs usuel de mesurer les conséquences de l'éviction sur l'activité exercée afin de déterminer si cette dernière peut être déplacée sans perte importante de clientèle auquel cas l'indemnité d'éviction prend le caractère d'une indemnité de transfert ou si l'éviction entraînera la perte du fonds, ce qui confère alors à l'indemnité d'éviction une valeur de remplacement.
En l'espèce, il est constant et accepté par les parties que l'éviction entraînera la perte du fonds.
1- l'indemnité principale
L'appelante demande la confirmation du jugement en ce qu'il a fait application de la méthode par le chiffre d'affaires, conforme aux usages, et en cause d'appel, elle ne conteste plus la prise en en compte du chiffre d’affaires HT, et non TTC, sous réserve qu'il soit tenu compte des barèmes professionnels établis sur le chiffre d’affaires HT. Elle considère qu'il y doit être tenu compte en cause d'appel des bilans plus récents qu'elle produit (2017, 2018 et 2019) ; que les bilans 2020 et2021 ne sont pas encore finalisés, outre qu'ils correspondent à des années pendant lesquelles son activité a été perturbée eu égard au contexte sanitaire. Elle critique le pourcentage et le coefficient de valorisation trop faibles retenus par le jugement de première instance. Selon elle, compte tenu de l'environnement commercial favorable à son exploitation, de sa bonne desserte et de la mutation en cours du quartier, le fonds de commerce bénéficie de facultés de développements de sorte qu'il convient de retenir pour la branche limonade un coefficient de 800 x la recette journalière HT et pour la branche restauration, un pourcentage de 90% du chiffre d’affaires. Elle fait valoir que l'indemnité principale s'établit par conséquent ainsi :
- pour la branche dite limonade : 475 euros x 800 = 380 000 euros
- pour la branche restauration : 70 105 x 90% = 63 013 euros.
Après avoir considéré qu'il n'y a pas lieu d'écarter la méthode par la rentabilité pour évaluer le fonds de commerce, l'intimée, au vu de la méthode appliquée par l'expert judiciaire fondée sur le chiffre d’affaires, soutient qu'il y a lieu de retenir les chiffres d’affaires HT des exercices clos en2015, 2016 et 2017 comme y a procédé le jugement de première instance qui a actualisé les chiffres figurant dans le rapport d'expertise ; que l'appelante n'a pas produit les bilans 2020 et2021 ; que la crise sanitaire ne l'a pas privée de la jouissance de ses locaux ni de la possibilité de les exploiter. Elle expose qu'il y a lieu de retenir, un coefficient 300 pour la branche café-bar et 60 %du chiffre d’affaires pour la branche restauration aux motifs que la locataire présente un résultat d'exploitation faible ; que les locaux sont situés dans un secteur de commercialité moyenne. Selonelle, l'indemnité principale s'établit ainsi, au vu des chiffres d’affaires 2015,2016 et 2017 :
- pour la branche activité bar-café : 453,77 euros x 300 = 136 131 euros
- pour la branche activité restauration : 66 900 x 60% 40 140 euros.
ou subsidiairement, sur les chiffres d’affaires 2017,2018 et 2019
- pour la branche limonade (activité bar-café) : 474,90 euros x 300 = 142 470 euros
- pour la branche restauration : 70 015 euros x 60% = 42 009 euros.
Le jugement entrepris a, à juste titre retenu, la méthode d'évaluation de la valeur du fonds de commerce fondée sur le chiffre d’affaires HT pour évaluer l'activité exercée par la société Au Père Tranquille avec la prise en compte d'un coefficient multiplicateur pour la banche dite limonade (bar-café) et un pourcentage du chiffre d’affaires pour la branche restauration, ce qui est conforme aux usages, la cour renvoyant à la motivation dudit jugement qu'elle adopte.
Le jugement de première instance a fait application, au vu des chiffres d’affaires communiqués en première instance (2015,2016 et 2017), du coefficient 650 x la recette journalière HT pour la banche café-bar et 75% du chiffre d’affaires HT pour la branche restauration, suivant les préconisations de l'expert judiciaire.
Il est de principe que l'indemnité d'éviction doit s'évaluer au plus proche de l'éviction.
Il convient par conséquent de retenir les exercices comptables les plus récents produits par la société Au Père Tranquille, à savoir les années 2017, 2018 et 2019, les éléments de l'année 2020versés aux débats par la société JRDB étant incomplets. Il n'est pas démontré par la bailleresse en quoi les exercices clos en décembre 2017, 2018 et 2019 ne seraient pas représentatifs de l'activité de la société Au Père Tranquille et devraient être écartés, le seul fait que les bilans des années2020 et 2021 ne soient pas produits étant inopérant.
Les chiffres d'affaires HT pour les exercices clos au 31 décembre sont les suivants:
- 2017 : 251 038 euros
- 2018 : 227 551 euros
- 2019 : 221 565 euros
soit une moyenne de 233 384 euros (arrondie).
Le chiffre d’affaires se décompose ainsi : 30% pour la partie restauration et 70% pour partie bar-café, ce qui n'est pas discuté par les parties.
Il s'ensuit que pour la branche café-restaurant le chiffre d’affaires est de 163 369 euros et pour la branche restauration de 70 015 euros.
L'expert judiciaire, sans que preuve contraire n'en soit rapportée, a indiqué que, selon les usages de la profession, un fonds de commerce café-bar-brasserie s'évalue entre 400 et 900 fois la recette/jour/HT et entre 60 et 90% du chiffre d’affaires HT pour la branche restaurant et il a retenu un nombre de jours ouvrables de 344 pour calculer la recette journalière, ce chiffre n'étant pas contesté.
Il résulte du rapport d'expert judiciaire, déposé le 17 juillet 2017, que les locaux se situent dans un secteur de commercialité moyenne où réside une population cosmopolite, assez éloigné de la place de la Mairie et du Marché aux puces qui constituent les deux pôles d'attractivité du quartier, la cour relevant toutefois que la place de la Mairie reste dans la zone de chalandise du commerce expertisé puisque située à 450 mètres tel qu'il en résulte de la pièce 21 versée aux débats par la locataire.
L'indemnité principale devant s'apprécier au plus proche de la date d'éviction, étant précisé que la locataire est toujours dans les lieux, il peut être tenu compte de l'évolution de la commercialité de la zone de chalandise du commerce exploité par la société Au Père Tranquille au moment où la cour statue. Mais si le secteur est mieux desservi avec l'ouverture le 14 décembre 2020 de la station Mairie de Saint Ouen de la ligne 14, ce qui est de nature à apporter un surplus de chalands pour le quartier, l'aménagement de l'éco-quartier des docks, en cours, doit s'achever en 2025 et il n'est pas rapporté la preuve que cet éco-quartier et l'installation du siège du conseil régional seraient dans la- zone de chalandise du commerce exercé, soit usuellement 400 à 500 mètres s'agissant d'un commerce de quartier, les éléments produits aux débats sont donc insuffisants pour apprécier le caractère favorable de l'évolution de cette zone de la commune de St Ouen sur le commerce expertisé.
S'agissant de la faible rentabilité du fonds invoquée par la société Au Père Tranquille, celle-ci n'est pas significative car elle reste obérée par l'importance des postes salaires et charges sociales, bien que la situation économique de la société Au Père Tranquille se soit améliorée sur les derniers exercices, le fonds étant bénéficiaire depuis 2017.
Il s'ensuit que le coefficient retenu par l'expert judiciaire (650) et le pourcentage du chiffre (75%) d'affaires sont appropriés.
Par conséquent, la valeur du fonds de commerce s'établit ainsi :
- pour la branche café-bar : (163 369 euros HT/344 = 474,90 euros/HT/jour x coefficient 650 =308 685 euros
- pour la branche restauration : 70 015 euros HT x 0,75 = 52 511,25 euros,
soit une indemnité principale totale de 361 196,25 euros arrondie à 361 196 euros.
2. les indemnités accessoires
- les frais de remploi
Les parties s'accordent sur un pourcentage de 10% de l'indemnité principale, ce qui est conforme aux usages. L'indemnité principale étant de 361 196 euros, les frais de remploi sont de 36 119,60euros.
- le trouble commercial
Le jugement, au vu du rapport d'expertise, l'a indemnisé sur la base de 15 jours du chiffre d’affaires ce qui est conforme aux usages, l'indemnité devant toutefois être actualisée sur le chiffre d’affaires moyen des trois derniers exercices connus, soit 9 724, 33 euros.
- les frais de réinstallation
L'appelante fait grief au tribunal d'avoir écarté les frais de réinstallation soutenant que la jurisprudence retient le principe de la prise en charge par le bailleur de ces frais en cas de perte du fonds de commerce et qu'elle doit pouvoir effectuer les travaux de réinstallation nécessaires, elle sollicite ainsi la somme de 88.200 euros, après abattement pour vétusté, ce que conteste l'intimée qui fait valoir qu'en cas de perte de fonds de commerce, aucun frais de réinstallation n'est dû ;qu'en tout état de cause, le preneur ne justifie pas d'aménagements spécifiques qu'elle serait contrainte d'abandonner, outre que le devis produit n'est pas détaillé.
Il est admis que les frais de réinstallation sont dus tant dans l'hypothèse du remplacement du fonds de commerce que dans l'hypothèse de son déplacement. C'est à juste titre toutefois que le jugement de première instance a écarté l'indemnisation des frais de réinstallation alors que la société Au Père Tranquille ne justi fi e pas de la nécessité de réaliser des aménagements spécifiques en vue de sa réinstallation.
- les frais de déménagement
La société Au Père Tranquille sollicite la somme de 4 500 euros au titre des frais de déménagement de l'appartement au vu d'un devis portant sur un volume qui ne paraît pas en adéquation avec les lieux. Les locaux loués comportent un appartement de 65,56m² qui est occupé, au vu des photographies figurant au rapport d'expertise judiciaire, se trouvant au quatrième étage sans ascenseur, lequel devra être déménagé en raison de l'éviction. La somme évaluée par l'expert judiciaire à ce titre de 3000 euros est justifiée.
- les frais juridiques et administratifs
Il est de principe que l'éviction entraînera un certain nombre de formalités administratives justifiant l'indemnité de 3.000 euros proposée par l'expert judiciaire.
- les frais de licenciement
Ceux-ci seront dus sur justificatifs, ils doivent être la conséquence de l'éviction. Ils comprendront les sommes éventuellement dues dans le cadre des contrats de sécurisation professionnelle, sous réserve qu'il en soit justifié, s'agissant de sommes liées à la rupture des contrats de travail en raison de l'éviction.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, le montant de l'indemnité d'éviction s'établit ainsi :
indemnité principale : 361 196 euros
indemnité de remploi : 36 119,60 euros
trouble commercial : 9 724, 33 euros
frais de déménagement : 3 000 euros
frais juridiques et administratifs : 3000 euros
soit la somme de 413 039,93 euros arrondie à 413 040 euros, outre les frais de licenciement, incluant les sommes éventuellement dues dans le cadre des contrats de sécurisation professionnelle sur justificatifs.
Le jugement sera par conséquent infirmé sur le montant de cette indemnité.
Sur l'indemnité d'occupation
L'appelante soutient que la valeur locative de la partie commerciale ne saurait excéder la somme de200 euros ; que la majoration pour terrasse doit être ramenée à 5% eu égard au nombre de places et au droit de terrasse qu'elle règle ; que la valeur locative de l'appartement, au 4ème étage sans ascenseur, ne saurait être estimée à plus de 10 € le m² soit 7.867,12 € ; qu'il convient de faire application d'un abattement d'au moins 15 % en raison de la situation qu'elle subit depuis 6 ans et demi ; qu'ainsi l'indemnité d'occupation doit être fixée à la somme de 25.519 € HT depuis le 1erjanvier 2016 jusqu'au 14 mars 2020. Pour la période postérieure au 15 mars 2020, elle sollicite la réduction du montant de l'indemnité d'occupation de la partie commerciale de 50% (soit une indemnité fixée à 16 000 euros/an) et ce jusqu'à la libération effective des lieux compte tenu de l'impact de la crise sanitaire, se prévalant tout d'abord de la baisse de la valeur locative puis d'une perte partielle de la chose louée au sens de l'article 1722 du code civil dès lors qu'elle s'est trouvée dans l'impossibilité d'exercer son activité. Elle sollicite une indemnité d'occupation arrondie à 16000 € HT. Subsidiairement, elle soutient qu'un abattement de 35 % devrait être appliqué à partir du 15 mars 2020 en raison de la crise sanitaire et elle sollicite une indemnité d'occupation fixée à19.500 € à parti r de cette date.
L'intimée expose sur la partie commerciale que la valeur locative ne saurait être fixée à un prix inférieur à 410 € HT an se prévalant des deux baux qu'elle produit ; que la majoration de terrasse à hauteur de 15 % retenue par le jugement est justifiée, l'expert judiciaire qui a proposé 5% ayant minoré l'importance de cette terrasse. S'agissant de la partie habitation, l'expert a retenu un prix dum² uti le de 12 euros entériné par le jugement qui peut être confirmé. Elle ajoute que l'abattement pour précarité de 10% est conforme à l'usage. La société JRDB fait valoir que la société Au Père Tranquille sollicite à compter du 15 mars 2020, soit une diminution de la valeur locative sans justifier de la baisse de la valeur locative, soit un abattement pour précarité de 35%, ce jusqu'à la libération des lieux sans même distinguer les périodes de fermeture alléguées ; que l'impossibilité temporaire d'exploitation résulte de décisions politiques sur lesquelles le bailleur n'a aucune prise ;que la fermeture ne résulte pas de son fait ; que l'indemnité d'occupation reste due pendant ces périodes de fermeture et que la société Au Père Tranquille ne justifie pas des aides et subventions dont elle a nécessairement bénéficié.
Aux termes de l'article L. 145-28 du code de commerce, l'indemnité d'occupation à la charge du locataire pouvant prétendre à une indemnité d'éviction, pour la période de maintien dans les lieux, est déterminée conformément aux dispositions des sections VI et VII c'est-à-dire des articles L. 145-33 et suivants du code de commerce à l'exclusion de l'article L. 145-34. Il s'agit d'une valeur locative de renouvellement déplafonnée.
La surface pondérée de 105,50m²P pour la partie commerciale et de 65,56 m² utiles pour la partie habitation ne sont pas discutées par les parties.
L'expert judiciaire a retenu les références suivantes à St Ouen :
- renouvellements amiables : 302 euros/m²P (2012 banque), 205 euros/m²P (2012 pharmacie rue Avenue G Perri), 160 euros/m² (restauration rapide 2012)
- nouvelles locations : 396 euros/m²P (2013 body minute avenue G. Perri), 498 euros/m²P (2014banque), 572 euros/m²P (2016 Peinture de Paris)
Les deux références de location nouvelle dont se prévaut le bailleur ont été écartées de manière justifiée par l'expert en l'absence de communication des plans ou de relevés de superficie des lieux permettant d'apprécier le prix/m²P.
Au vu des références locatives, de l'emplacement des locaux tel qu'examiné précédemment, de locaux adaptés à l'activité et des obligations respectives des parties au terme du bail, la valeur locative de 300 euros/m²P retenue par l'expert judiciaire et entérinée par le jugement est justifiée.
Il résulte du rapport d'expertise judiciaire que la terrasse extérieure couverte a une capacité d'accueil d'environ 20 places assises ce qui constitue un avantage pour le commerce considéré, qui doit toutefois régler une redevance à la mairie, mais cet avantage ne justifie pas, eu égard à la capacité d'accueil, une majoration de 15% comme retenue par le jugement, celle-ci devant être ramenée à 10%.
La partie habitation, au 4e étage et sans ascenseur, a été évaluée à 12 euros/m² utile par l'expert, prix entériné par le jugement entrepris et si la société Au Père Tranquille conteste cette évaluation, elle n'en rapporte pas la preuve contraire.
La société Au Père Tranquille ne rapporte pas la preuve d'une baisse de la valeur locative à Saint Ouen en raison des mesures générales de confinement prises par l'autorité administrative et à tout le moins d'une baisse qui serait durable, étant relevé qu'elle demande une diminution de l'indemnité d'occupation du 15 mars 2020 jusqu'à la date de libération des lieux, laquelle n'est pas encore intervenue et se situe postérieurement aux mesures sanitaires de confinement.
En application de l'article 1722 du code civil, si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n'est détruite qu'en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Dans l'un et l'autre cas il n'y a lieu à aucun dédommagement.
Compte tenu du droit au maintien dans les lieux, cette disposition légale peut s'appliquer au preneur d'un bail commercial maintenu dans les lieux aux clauses et conditions du bail expiré. L'état d'urgence sanitaire et les mesures générales de confinement prises par l'autorité administrative au cours des années 2020 et 2021 ne sont pas de nature à entraîner la perte partielle de la chose louée, s'agissant de mesures générales ne privant pas les professionnels de la jouissance du bien loué, avec possibilité d'y effectuer des travaux d'entretien ou diverses tâches de gestion, même si ces mesures restrictives de circulation du public ont pu avoir un impact négatif sur l'activité commerciale, étant relevé que des aides gouvernementales ont été accordées pendant la crise sanitaire.
Enfin il n'y a pas lieu d'accorder un abattement complémentaire pour précarité en raison de la situation sanitaire alors qu'il s'agit d'un abattement pour précarité de l'occupation résultant de l'éviction.
Par conséquent, l'indemnité d'occupation s'établit ainsi :
- partie commerciale : 105,50 m²Px 300 euros = 31 650 euros + majoration de 10% pour la terrasse, soit 34 815 euros
- partie habitation : (65,56 m² x 12euros) x 12 mois = 9 440,64 euros.
Soit la somme de 44 255,64 euros à laquelle il convient d'appliquer un abattement de 10%, soit une indemnité d'occupation de 39 830,08 euros arrondie à 39 830 euros.
L'indemnité d'occupation sera donc fixée à la somme de 39 830 euros par an à compter du 1erjanvier 2016 et jusqu'à complète restitution des lieux, le jugement étant infirmé sur son montant.
Il n'y a pas lieu de condamner le bailleur à rembourser un éventuel trop perçu au titre des indemnités d'occupation, les parties devant préalablement faire les comptes.
Sur les demandes accessoires
Le jugement sera confirmé sur les dépens et l'article700 du code de procédure, la procédure étantla conséquence du refus du renouvellement du bail.
En cause d'appel l'équité commande de condamner la société JRDB à régler à la société Au Père Tranquille la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la société JRDB succombant principalement sera condamnée aux dépens de l'appel dont distraction au profit de l'avocat postulant par application de l'article 699 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Par arrêt contradictoire
Infirme le jugement entrepris sur le montant de l'indemnité d'éviction et sur le montant de l'indemnité d'occupation
Le confirme en ses autres dispositions
Statuant à nouveau et y ajoutant
Fixe le montant de l'indemnité d'éviction due par la société JRDB à la société Au Père Tranquille, à la somme totale a de 413 040 euros, outre les frais de licenciement, incluant les sommes éventuellement dues dans le cadre des contrats de sécurisation professionnelle, sur justificatifs se décomposant comme suit :
- indemnité principale : 361 196 euros
- indemnité de remploi : 36 119,60 euros
- trouble commercial : 9 724, 33 euros
- frais de déménagement : 3 000 euros
- frais juridiques et administratifs : 3000 euros
Fixe le montant de l'indemnité d'occupation due par la société Au Père Tranquille à la société JRDB à la somme de 39 830 euros par an à compter du 1er janvier 2016 et jusqu'à complète restitution des lieux;
Ordonne la compensation entre les créances respectives d'indemnité d'éviction et d'indemnités d'occupation ;
Condamne la société JRDB à régler à la société Au Père Tranquille la somme de 4 000 euros au titre de l'article700 du code de procédure civile
Condamne la société JRDB aux dépens de l'appel dont distraction au profit de l'avocat postulant par application de l'article699 du code de procédure civile ;
Rejette les demandes plus amples ou contraires.