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Décisions

ADLC, 6 novembre 2018, n° 18-DCC-188

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

relative à la prise de contrôle exclusif de la société Avenir par la société Groupe Bernard Hayot

ADLC n° 18-DCC-188

5 novembre 2018

L’Autorité de la concurrence,

Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 1er octobre 2018, relatif à la prise de contrôle exclusif par la société Groupe Bernard Hayot de la société Avenir, formalisée par un contrat de cession de titres en date du 20 septembre 2018 ;

Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;

 Adopte la décision suivante :

I. Les entreprises concernées et l’opération

1. Groupe Bernard Hayot est une société par actions simplifiée, à la tête d’un groupe du même nom (ci-après, « GBH »), principalement actif dans trois pôles d’activité : la distribution alimentaire et non-alimentaire, la distribution automobile, et des activités industrielles diverses (agroalimentaire, matériaux de construction, rechapage de pneumatiques). GBH est actif dans la zone Antilles-Guyane, mais également à la Réunion, à Cuba, à Saint Domingue, à Trinidad et Tobago, en France métropolitaine, en Nouvelle-Calédonie, en Algérie, au Maroc, au Ghana et en Chine. En Guyane, GBH exploite un hypermarché sous l’enseigne Carrefour, d’une surface de 5 000 m², situé dans la commune de Matoury. Il exerce par ailleurs une activité sur le marché de la distribution en gros de produits à dominante alimentaire, à la fois en qualité de grossiste-importateur via les sociétés Sodicar, Pamagel et Héritiers Clément et de centrale d’achats via la société Bamappro. Sa filiale Héritiers Clément produit également du rhum.

2. La société Avenir (ci-après, « Avenir ») exploite un supermarché, actuellement sans enseigne nationale1, d’une surface de 1 850 m², situé dans la commune de Rémire-Montjoly, en Guyane. Elle est contrôlée par la famille NG Kon Tia.

3. L’opération envisagée consiste en l’acquisition par GBH de la totalité des titres de la société Avenir. À la suite de cette opération, le supermarché exploité par la société Avenir passera sous enseigne « Carrefour Contact ».

4. En ce qu’elle se traduit par la prise de contrôle exclusif par GBH de la société Avenir, l’opération notifiée constitue une concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce.

5. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d’affaires total hors taxes sur le plan mondial de plus de 75 millions d’euros (GBH : [> 75 millions] d’euros pour le dernier exercice clos au 31 décembre 2017 ; Avenir : [< 75 millions] d’euros pour le même exercice). Chacune de ces entreprises a réalisé, en Guyane, un chiffre d’affaires supérieur à 5 millions d’euros (GBH : [> 75 millions] d’euros pour le dernier exercice clos au 31 décembre 2017 ; Avenir : [> 5 millions] d’euros pour le même exercice). Compte tenu des chiffres d’affaires réalisés par les entreprises concernées, l’opération ne relève pas de la compétence de l’Union européenne. En revanche, les seuils mentionnés au III de l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.

II. Délimitation des marchés pertinents

6. Les parties sont simultanément actives sur les marchés de la distribution de détail à dominante alimentaire.

7. Selon la pratique décisionnelle constante des autorités de concurrence, deux catégories de marchés sont délimitées dans ce secteur. Il s’agit, d’une part, des marchés « amont » de l’approvisionnement des entreprises de commerce de détail en biens de consommation courante et, d’autre part, des marchés « aval » de la distribution de détail à dominante alimentaire2. Des marchés « intermédiaires » du commerce de gros peuvent également être définis, compte tenu de la présence de GBH sur ces marchés.

A. LES MARCHÉS AMONT DE L’APPROVISIONNEMENT

1. LES MARCHÉS DE PRODUITS

8. Dans le secteur de la distribution de détail à dominante alimentaire, les entreprises sont présentes, en tant qu’acheteurs, sur les marchés amont de l’approvisionnement, qui comprennent la vente de biens de consommation courante par les producteurs à des clients tels que les grossistes, les détaillants (grandes surfaces alimentaires, ci-après, « GSA », et grandes surfaces spécialisées, ci-après, « GSS ») ou d’autres entreprises (par exemple, les cafés/hôtels/restaurants)3.

9. Les autorités de concurrence distinguent habituellement autant de marchés qu’il existe de familles ou groupes de produits4.

Les catégories suivantes ont ainsi été distinguées :

− Produits de grande consommation : (1) liquides, (2) droguerie, (3) parfumerie et hygiène, (4) épicerie sèche, (5) parapharmacie, (6) produits périssables en libre-service ;

 − Frais traditionnel : (7) charcuterie, (8) poissonnerie, (9) fruits et légumes, (10) pain et pâtisserie fraîche, (11) boucherie ;

− Bazar : (12) bricolage, (13) maison, (14) culture, (15) jouets, loisir et détente, (16) jardin, (17) automobile ;

− Électroménager, photo, cinéma et son : (18) gros électroménager, (19) petit électroménager, (20) photo et ciné, (21) hi-fi et son, (22) TV et vidéo ;

− Textile : (23) textile et chaussures.

10. La Commission européenne a également envisagé une segmentation en fonction des canaux de distribution5. Dans sa décision Carrefour/Promodès, elle relève qu’« il existe des indices sérieux permettant de penser que certains marchés de l’approvisionnement peuvent également être définis en fonction des canaux de distribution, de telle sorte que l’approvisionnement du secteur du commerce de détail à dominante alimentaire pourrait constituer un marché autonome ». L’Autorité de la concurrence a également identifié un marché distinct de l’approvisionnement en produits alimentaires destinés aux GSA6.

11. Par ailleurs, au sein de ce canal, l’Autorité de la concurrence a envisagé une sous-segmentation en fonction du positionnement commercial du produit (marque de fournisseur ou « MDF », marque de distributeur ou « MDD »)7.

12. En l’espèce, les parties sont simultanément actives en qualité d’acheteur pour l’approvisionnement de leurs GSA. Par ailleurs, GBH est actif sur ces marchés pour l’approvisionnement de ses GSS, ainsi que pour ses activités de grossiste-importateur et de centrale d’achats. Enfin, GBH est également actif, en amont de ces marchés, en qualité d’offreur, sur le segment de l’approvisionnement en liquides en tant que producteur de rhum.

2. LES MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES

13. Les autorités de concurrence considèrent que la délimitation géographique des marchés de l’approvisionnement est essentiellement nationale, tout en n’excluant pas que, pour certaines catégories de produits, la dimension du marché puisse, en partie, être plus étroite.

14. En ce qui concerne les départements et régions d’outre-mer (ci-après, « DROM »), l’Autorité de la concurrence a souligné le caractère spécifique des circuits d’approvisionnement en produits de grande consommation et ses effets sur l’équilibre concurrentiel des marchés concernés8. De plus, une partie de l’approvisionnement des enseignes de distribution de détail à dominante alimentaire provient de producteurs locaux, afin notamment de répondre aux goûts et habitudes alimentaires locales, mais aussi de limiter les coûts d’importation dont celui du fret maritime et celui de l’octroi de mer. Les marchés géographiques en matière d’approvisionnement pourraient donc être limités à chaque DROM, d’une part, et à la zone Antilles-Guyane, d’autre part9.

15. En l’espèce, les parties sont simultanément actives dans la zone Antilles-Guyane et, plus précisément, en Guyane.

B. LES MARCHÉS DE LA DISTRIBUTION EN GROS DE PRODUITS ALIMENTAIRES ET NON ALIMENTAIRES À DESTINATION DES GSA

1. LES MARCHÉS DE PRODUITS

16. Du fait notamment de la forte spécialisation des grossistes-importateurs dans les DROM, l’Autorité de la concurrence a retenu une segmentation des marchés de la distribution en gros de produits alimentaires et non alimentaires à destination des GSA par grandes familles de produits (boissons, produits frais, produits secs, produits surgelés, produits périssables en libre-service, droguerie-parfumerie-hygiène, etc.)10.

17. Au titre de l’activité de grossiste-importateur de GBH et de la présence simultanée des parties sur les marchés aval de la distribution de détail à dominante alimentaire, les effets verticaux de l’opération seront examinés sur ces marchés.

2. LES MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES

18. La spécificité de ce circuit d’approvisionnement et son caractère essentiel dans l’approvisionnement des GSA domiennes plaident pour qu’un marché de la distribution en gros de produits alimentaires et non-alimentaires soit retenu pour chaque DROM11.

19. En l’espèce, l’analyse concurrentielle sera menée au niveau de la Guyane.

C. LES MARCHÉS AVAL DE LA DISTRIBUTION DE DÉTAIL À DOMINANTE ALIMENTAIRE

1. LES MARCHÉS DE PRODUITS

20. L’Autorité de la concurrence a distingué six catégories de commerce en utilisant plusieurs critères, notamment la taille des magasins, leurs techniques de vente, leur accessibilité, la nature du service rendu et l’ampleur des gammes de produits proposés : (i) les hypermarchés (surface légale de vente supérieure à 2 500 m²), (ii) les supermarchés (entre 400 et 2 500 m²), (iii) le commerce spécialisé, (iv) le petit commerce de détail ou supérettes (moins de 400 m²), (v) les maxi discompteurs et (vi) la vente par correspondance12.

21. En l’espèce, le magasin cible, qui dispose d’une surface de vente de 1 850 m², entre dans la catégorie des supermarchés.

2. LES MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES

22. Le magasin cible étant un supermarché, l’analyse concurrentielle est menée sur la base d’une zone de chalandise correspondant au marché où se rencontrent la demande de consommateurs et l’offre des supermarchés et formes de commerce équivalentes, situés à moins de 15 minutes environ de temps de déplacement en voiture. Ces dernières formes de commerce peuvent comprendre, outre les supermarchés, les hypermarchés situés à proximité des consommateurs et les magasins discompteurs13.

23. D’autres critères peuvent néanmoins être pris en compte pour évaluer l’impact d’une concentration sur la situation de la concurrence sur les marchés de la distribution de détail, ce qui peut conduire à affiner les délimitations usuelles en zones isochrones, tels que l’analyse du comportement réel des consommateurs (sondages, calcul de ratios de diversion) et des empreintes réelles des magasins cibles.

24. Au cas d’espèce, l’analyse concurrentielle sera menée sur un marché incluant les hypermarchés, les supermarchés et les magasins discompteurs situés dans un rayon de 15 minutes de temps de trajet en voiture à partir du magasin cible.

III. Analyse concurrentielle

A. ANALYSE DES EFFETS HORIZONTAUX

1. MARCHÉS AMONT DE L’APPROVISIONNEMENT

a) Au niveau national

25. Sur les marchés amont de l’approvisionnement, l’opération, qui concerne le changement de contrôle d’un seul magasin sans enseigne, n’est pas susceptible de renforcer significativement la puissance d’achat de GBH (enseigne Carrefour), tous produits confondus, comme par famille ou groupe de produits.

26. Sur le canal des GSA, GBH est présent tant pour l’approvisionnement de ses 25 magasins à dominante alimentaire14 que par le biais de son activité de grossiste-importateur, via plusieurs filiales établies en Martinique, Guadeloupe, Guyane et à la Réunion, et de sa propre centrale d’achat en métropole, Bamappro.

27. Le renforcement de sa puissance d’achat du fait de l’opération demeure limité, la part d’achat de l’hypermarché cible représentant moins de [0-5] % du total des approvisionnements en France. En tout état de cause, à l’issue de l’opération, quelle que soit la segmentation envisagée, la part d’achat de GBH demeurera inférieure à 1 % sur ces marchés.

28. Si l’on considère le marché amont de l’approvisionnement en MDD « Carrefour » auprès de la centrale d’achat de l’enseigne, l’opération n’est pas non plus de nature à renforcer significativement la puissance d’achat de GBH. En effet, en 2016, le montant des achats de l’hypermarché cible en produits MDD (U) représentait [0-5] % de ses achats totaux et ses ventes de produits MDD ne dépassaient pas [5-10] % de ses ventes totales. Les magasins de GBH réalisent [5-10] % de leurs ventes avec des produits MDD (Carrefour). Si la cible maintenait ce ratio de vente en produits MDD Carrefour, cela ne viendrait que marginalement renforcer le poids de GBH dans les achats de produits MDD Carrefour dont il représente une part négligeable. Au surplus, comme l’Autorité de la concurrence l’a souligné en 200915, il convient de rappeler le faible rôle joué par les produits MDD dans l’animation concurrentielle des marchés domiens.

b) Au niveau local

29. Tous canaux de distribution confondus, les parts de marché de la nouvelle entité sur les marchés amont de l’approvisionnement, en tant qu’acheteur, sont inférieures à 25 %, quels que soient les familles et groupes de produits et la délimitation géographique retenus.

30. S’agissant plus précisément de l’approvisionnement des GSA, la nouvelle entité détiendra une part de marché globale estimée à [10-20] % ([10-20] % pour GBH ; [0-5] % pour le supermarché cible) au niveau de la Guyane et à [10-20] % ([10-20] % pour GBH ; [0-5] % pour le supermarché cible) au niveau de la zone Antilles-Guyane.

31. Conformément aux délimitations de marché envisagées, il convient par ailleurs d’examiner si l’opération est susceptible de renforcer la puissance d’achat de GBH par familles et groupes de produits.

32. Dans la zone Antilles-Guyane et en Guyane, les parts de marché de la nouvelle entité sont systématiquement inférieures à 25 % pour chaque famille et groupes de produits, à l’exception de l’approvisionnement en produits hifi-son dans la zone Antilles-Guyane ([30-40] %16) et en charcuterie en Guyane ([30-40] %17). Ces parts de marché cumulées restent toutefois limitées.

33. Ce renforcement, même limité, de la puissance d’achat de GBH au niveau local intervient sur des marchés où le secteur de l’offre est beaucoup moins concentré que celui de la demande et peut donc avoir pour effet de placer des fournisseurs des parties en situation de dépendance économique.

34. La partie notifiante a identifié les fournisseurs communs aux parties, dans la mesure où ceux-ci sont les plus susceptibles de voir s’accroître leur flux d’affaires avec la nouvelle entité et être ainsi placés en situation de dépendance économique du fait de l’opération. Le risque de dépendance économique s’apprécie notamment au regard de la part que représente un débouché dans l’ensemble des ventes du fournisseur. Les autorités de concurrence considèrent qu’il existe un « seuil de menace » au-delà duquel la survie du fabricant peut être remise en cause, la disparition éventuelle de ce débouché poussant, à plus ou moins brève échéance, le fournisseur dans une situation financière difficile, voire vers une faillite. Le niveau de ce seuil n’est toutefois pas fixe et dépend d’un grand nombre de paramètres spécifiques selon les secteurs concernés, la structure et la situation financière des entreprises, l’existence et le coût d’éventuelles solutions alternatives18.

35. Lors de l’examen d’une opération de concentration dans le secteur de la distribution de détail à dominante alimentaire19, la Commission européenne a estimé à 22 % le seuil au-delà duquel un producteur ne peut remplacer la perte d’un client sans subir de pertes financières considérables, sachant que le passage à d’autres canaux de distribution (GSS, par exemple) peut s’avérer difficile, coûteux, voire même impossible.

36. En l’espèce, aucun élément recueilli dans le cadre de la présente instruction n’a permis de s’écarter de ce niveau de seuil de menace, l’exiguïté du territoire de la Guyane limitant par ailleurs la recherche de nouveaux débouchés pour les fournisseurs locaux.

37. Selon l’analyse menée par GBH20, un producteur local et deux grossistes réaliseraient actuellement plus de [20-30] % de leurs ventes auprès de la nouvelle entité :

38. Il convient de relever que l’incrément résultant de l’opération est limité, puisque ces tiers réalisaient moins de [5-10]% de leurs chiffres d’affaires chez l’une ou l’autre des parties avant l’opération. Cette dernière n’a donc pas pour effet de créer une situation de dépendance économique chez ces fournisseurs.

39. En tout état de cause, comme l’a relevé le Conseil de la concurrence dans son avis de 199721, dans l'hypothèse où une opération de concentration aurait pour conséquence de placer en situation de dépendance économique à l'égard de la nouvelle entreprise issue de la concentration un ou un petit nombre de fournisseurs, cette circonstance serait à elle seule insuffisante pour justifier une interdiction ou une remise en cause de l'opération, elle ne pourrait constituer qu'un élément parmi d'autres du bilan économique. L’appréhension des cas individuels d’abus de dépendance économique relève, ainsi que l’a rappelé l’Autorité de la concurrence dans son avis de 2015 sur les centrales d’achat22, de la compétence de la DGCCRF au titre des règles relatives aux pratiques commerciales restrictives, et en particulier de l’article L. 442-6 du code commerce, ainsi que de celle de la répression des pratiques anticoncurrentielles par l’Autorité de la concurrence sur le fondement de l’article L. 420-2 alinéa 2 du code de commerce concernant l’abus de dépendance économique.

40. De plus, comme le précisent les lignes directrices précitées, « en soi, la dépendance économique ne constitue cependant une atteinte à la concurrence que si elle a un effet sur la concurrence sur un marché et, finalement, sur le surplus du consommateur, et non simplement sur un fournisseur, dans la mesure où l’objectif des autorités de concurrence n’est pas de protéger une entreprise en tant que telle, qu’elle soit concurrente, cliente ou fournisseur »23.

41. En l’espèce, la position de GBH en tant qu’acheteur sur les marchés amont n’est que très faiblement renforcée par l’opération. Le risque de création d’une dépendance économique des fournisseurs de la nouvelle entité, du fait du renforcement de la puissance d’achat de GBH à l’issue de l’opération, apparaît donc limité.

2. MARCHÉ AVAL DE LA DISTRIBUTION DE DÉTAIL À DOMINANTE ALIMENTAIRE

42. Dans la zone de 15 minutes définies autour du supermarché cible24, sont présents les magasins suivants :

43. Il convient de préciser que les magasins à l’enseigne Leader Price, d’une surface de 1 700 m², sis à Matoury, et d’une surface de 945 m², sis à Rémire Montjoly, en italique dans le tableau ci-dessus, ont été pris en compte bien que non ouverts au jour de la notification de la présente opération. En effet, conformément à la pratique décisionnelle constate de l’Autorité de la concurrence en matière de commerce de détail, les magasins qui bénéficient d’une décision de la Commission départementale d’aménagement commerciale (« CDAC ») purgée de tout recours doivent être pris en compte si leur ouverture est prévue à court terme. En tout état de cause, la non-prise de ces deux magasins ne modifie pas les conclusions de l’analyse concurrentielle.

44. Compte tenu de ces éléments, la part de marché estimée de GBH, à l’issue de l’opération, est de [20-30] %, devant les groupes Fabre ([20-30] %) et Jan Du ([20-30] %). L’Autorité relève par ailleurs que le nombre d’hypermarchés concurrents dans la zone n’est pas modifié par l’opération (trois) et qu’il y subsistera un nombre important de supermarchés (neuf auxquels s’ajoutent deux qui doivent ouvrir prochainement).

43. Il convient de préciser que les magasins à l’enseigne Leader Price, d’une surface de 1 700 m², sis à Matoury, et d’une surface de 945 m², sis à Rémire Montjoly, en italique dans le tableau ci-dessus, ont été pris en compte bien que non ouverts au jour de la notification de la présente opération. En effet, conformément à la pratique décisionnelle constate de l’Autorité de la concurrence en matière de commerce de détail, les magasins qui bénéficient d’une décision de la Commission départementale d’aménagement commerciale (« CDAC ») purgée de tout recours doivent être pris en compte si leur ouverture est prévue à court terme. En tout état de cause, la non-prise de ces deux magasins ne modifie pas les conclusions de l’analyse concurrentielle.

44. Compte tenu de ces éléments, la part de marché estimée de GBH, à l’issue de l’opération, est de [20-30] %, devant les groupes Fabre ([20-30] %) et Jan Du ([20-30] %). L’Autorité relève par ailleurs que le nombre d’hypermarchés concurrents dans la zone n’est pas modifié par l’opération (trois) et qu’il y subsistera un nombre important de supermarchés (neuf auxquels s’ajoutent deux qui doivent ouvrir prochainement).

45. De plus, l’opération ne se traduit pas par la disparition d’une enseigne nationale de la grande distribution, les consommateurs de la zone examinée conservant un choix inchangé entre les trois principales enseignes nationales : Carrefour ([30-40] %)25, Leader Price ([20-30] %) et U ([20-30] %).

46. Compte tenu de ces éléments, dans la mesure où elle ne crée ou n’accroît pas de manière significative une position importante dans la zone examinée et ne conduit pas à une réduction du nombre d’enseignes nationales présentes, l’opération n’est pas susceptible d’engendrer des effets horizontaux sur le marché de la distribution au détail à dominante alimentaire concerné.

B. ANALYSE DES EFFETS VERTICAUX

47. Une concentration verticale peut restreindre la concurrence en rendant plus difficile l’accès aux marchés sur lesquels la nouvelle entité sera active, voire en évinçant potentiellement les concurrents ou en les pénalisant par une augmentation de leurs coûts. Ce verrouillage peut viser les marchés aval, lorsque l’entreprise intégrée refuse de vendre un intrant à ses concurrents distributeurs, ou les marchés amont, lorsque la branche aval de l’entreprise intégrée refuse d’acheter les produits des fabricants et réduit ainsi leurs débouchés commerciaux. Cependant, la pratique décisionnelle des autorités de concurrence considère en principe, qu’un risque d’effet vertical ou congloméral peut être écarté dès lors que la part de marché de l’entreprise issue de l’opération sur les marchés concernés ne dépasse pas 30 %26.

48. GBH étant essentiellement présent sur les marchés intermédiaires de la distribution en gros de produits alimentaires et non-alimentaires27, il convient d’examiner les éventuels effets verticaux qu’entraînera l’acquisition du supermarché cible.

49. Outre son activité à l’aval dans le secteur de la distribution alimentaire de détail, GBH est également présent sur ces marchés, en Guyane, via sa société Bamyrag.

50. Sur le canal de l’approvisionnement en gros des GSA, Bamyrag distribue, sur le territoire de la Guyane, les marques nationales relevant des groupes de produits « épicerie sèche » et, dans une moindre mesure, « DPH »28, « boulangerie-pâtisserie fraîche », « bricolage », « jardin », « parapharmacie » et « jouets ».

51. Même si la présente opération ne concerne l’acquisition que d’un seul supermarché (1 850 m², soit [0-5] % des surfaces de vente de GSA en Guyane), il convient d’évaluer si GBH sera en mesure de forclore ses concurrents sur les marchés de la distribution en gros de produits alimentaires et non-alimentaires en les privant du débouché représenté par les achats du supermarché cible (verrouillage de l’accès à la clientèle). L’analyse portera également sur la capacité de GBH, fort de sa position sur les marchés de la distribution en gros, à restreindre l’approvisionnement de ses concurrents distributeurs ou à en dégrader les conditions tarifaires ou la qualité (forclusion par les intrants) en Guyane29.

a) Effet de verrouillage d’accès à la clientèle

52. En l’espèce, les concurrents de GBH présents au stade de l’approvisionnement en gros de produits, en particulier alimentaires, en Guyane, pourraient se voir privés des achats actuellement effectués par le supermarché cible et, potentiellement, être conduits à sortir du marché.

53. Premièrement, la position de GBH, à l’issue de l’opération, sur les marchés aval de la distribution de détail à dominante alimentaire sur l’ensemble de la Guyane ([10-20] % des surfaces de vente) n’est pas de nature à permettre au groupe d’adopter une stratégie de verrouillage ayant un effet sensible sur le marché de l’approvisionnement, notamment auprès des grossistes-importateurs concurrents, et rend par conséquent le risque d’éviction très peu probable. Comme rappelé au paragraphe 47 ci-dessus, les autorités de concurrence retiennent un seuil de 30 % de parts de marché en-deçà duquel une opération est présumée ne pas porter atteinte à la concurrence par le biais d’effets verticaux.

54. La prise en compte du potentiel d’achat total du supermarché cible, achats locaux et nationaux confondus, en valeur, confirme cette analyse. Les parties ont estimé les achats de ce magasin à environ […] millions d’euros, soit environ [0-5] % du marché total des dépenses d’approvisionnement des GSA en Guyane. Si l’on retient le montant d’achat du supermarché cible auprès des seuls grossistes de Guyane, sa part d’achat sur le marché local du commerce en gros de produits alimentaires et non-alimentaires est inférieure à [0-5]%, l’incrément est donc faible.

55. Ainsi, l’acquisition du supermarché cible n’est pas de nature à permettre à GBH de mettre en œuvre une stratégie de verrouillage des débouchés ayant un effet sensible sur le marché de l’approvisionnement en gros, notamment auprès des grossistes-importateurs concurrents.

b) Effet de verrouillage par les intrants

56. En l’espèce, le risque encouru par les distributeurs concurrents de GBH sur le marché aval est qu’ils soient défavorisés, par rapport aux magasins exploités par GBH, dans leurs relations avec GBH, agissant en tant que grossiste.

57. Sur un marché tous produits (incluant les ventes effectuées par la société Bamappro, centrale d’achats de GBH), la part de marché de GBH en Guyane sur le marché de l’approvisionnement en gros des GSA est estimée à [5-10] %. Cette part de marché est par ailleurs systématiquement inférieure à 25 %, quelle que soit la famille ou groupe de produits examiné.

58. Ces parts de marché sont donc inférieures au seuil de 30 %, qui présume l’absence de problème de concurrence lié à une intégration verticale. Elles signifient également que GBH, en sa qualité de grossiste, ne dispose pas d’une position incontournable sur les marchés de la distribution en gros en Guyane.

59. Par ailleurs, les magasins de GBH en Guyane, à l’issue de l’opération, ne représenteront qu’une part limitée des achats auprès de la société Bamyrag ([20-30] %), laquelle devra nécessairement conserver des débouchés. Les magasins de détail concurrents de GBH ne seront donc pas privés d’une importante source d’approvisionnement à l’issue de l’opération.

60. Compte tenu de ces éléments, l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence par le biais d’effets verticaux.

DÉCIDE

Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 18-200 est autorisée.

NOTES

1 Anciennement exploité sous enseigne Super U, le magasin cible est, depuis le 1er juillet 2018, exploité sous l’enseigne ad hoc « Super NKT Montjoly », à la suite de la résiliation du contrat qui liait le groupe NG Kon Tia au groupe Système U.

2 Voir notamment les décisions de la Commission européenne COMP/M.1684 du 25 janvier 2000, Carrefour/Promodès et COMP/M.5112 du 3 juillet 2008, Rewe Plus/Discount, les avis du Conseil de la concurrence n° 97-A-14 du 1er juillet 1997 relatif à la prise de participation de la société Carrefour dans le capital de la société Grands Magasins B (GMB), n° 98-A-06 du 5 mai 1998 relatif à l’acquisition par la société Casino-Guichard-Perrachon de la société TLC Béatrice Holdings France SA (enseignes Franprix-Leader Price) et n° 00-A-06 du 3 mai 2000 relatif à l’acquisition par la société Carrefour de la société Promodès. Voir, plus récemment, les décisions de l’Autorité de la concurrence n° 13-DCC-90 du 11 juillet 2013 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Monoprix par la société Casino Guichard-Perrachon et n° 17-DCC-11 du 30 janvier 2017 relative à la prise de contrôle de Colruyt France SAS par Metro AG.

3 Voir notamment la décision COMP/M.1684 et les décisions n° 13-DCC-90 et n° 17-DCC-11, précitées.

4 Voir notamment les décisions COMP/M.1221 et COMP/M.1684, précitées. Voir également la lettre du ministre C2008-32 du 9 juillet 2008, Carrefour/SAGC et la décision de l’Autorité de la concurrence n° 09-DCC-50 du 1er octobre 2009 relative à l’acquisition du groupe Team Ouest par la société France Frais et la décision n° 13-DCC-90, précitée.

5 Voir la décision de la Commission COMP/M.1221 du 3 février 1999, Rewe/Meinl.

6 Voir notamment les décisions n° 13-DCC-90 et n° 17-DCC-11 précitées, ainsi que les décisions de l’Autorité de la concurrence n° 15-DCC-80 du 26 juin 2015 relative à la prise de contrôle par Pomona SA de huit adhérents du réseau Relais d’Or Miko et de la société Lux Frais et n °15-DCC-141 du 27 octobre 2015 relative à la prise de contrôle exclusif de Davigel par Bain Capital.

7 Voir les avis n° 97-A-14 et n° 98-A-06 précités, l’avis de l’Autorité de la concurrence n° 15-A-06 du 31 mars 2015 relatif au rapprochement des centrales d’achat et de référencement dans le secteur de la grande distribution et la décision n° 17-DCC-11, précitée.

8 Voir l’avis du Conseil de la concurrence n° 09-A-45 du 8 septembre 2009, relatif aux mécanismes d’importation et de distribution des produits de grande consommation dans les départements d’outre-mer.

9 Voir les décisions de l’Autorité de la concurrence n° 10-DCC-25 du 19 mars 2010 relative à la prise de contrôle exclusif d’actifs du groupe Louis Delhaize par la société H Distribution (groupe Hoio), n° 10-DCC-197 du 30 décembre 2010 relative à la prise de contrôle d’un fonds de commerce par la société Ho Hio Hen Investissements Outre-Mer, n° 11-DCC-45 du 18 mars 2011 relative à l’acquisition du contrôle exclusif du fonds de commerce de l’hypermarché Cora Desmarais par la société Sodex Desmarais, n° 17-DCC-214 du 20 décembre 2017 relative à la prise de contrôle exclusif d’actifs du groupe Ho Hio Hen par la société JKS Finances et n° 18-DCC-142 du 23 août 2018 relative à la prise de contrôle exclusif des sociétés SDRO et Robert II par la société Groupe Bernard Hayot.

10 Voir notamment les décisions de l’Autorité de la concurrence n° 11-DCC-173 relative à la cession du fonds de commerce de la SED Saint François aux sociétés Carcom et Établissements Jacques Nouy et n° 11-DCC-134, précitée.

11 Voir l’avis n° 09-A-45 et la décision n° 11-DCC-134, précités.

12 Voir la décision de l’Autorité de la concurrence n° 14-DCC-66 du 30 mai 2014 relative à la prise de contrôle de trois fonds de commerce de distribution alimentaire par le groupe SAFO-GHD et les décisions n° 13-DCC-90, n° 17-DCC-214 et n° 18-DCC-142 précitées.

13 Voir notamment les décisions de l’Autorité de la concurrence n° 09-DCC-24 du 23 juillet 2009 Floritine/C.S.F, n° 09-DCC-10 du 28 mai 2009 Frandis/Financière Perdis, n° 09-DCC-06 du 20 mai 2009 Evolis/ITM et n° 09-DCC-04 du 29 avril 2009 Carrefour/Noukat.

14 Quatre hypermarchés en Martinique, un hypermarché et un supermarché en Guadeloupe (l’ouverture d’un second supermarché est prévue pour la fin d’année 2018), un hypermarché en Guyane, trois hypermarchés à la Réunion, un hypermarché en République Dominicaine et quatorze points de vente en Nouvelle-Calédonie (deux hypermarchés, onze supermarchés et un commerce de proximité).

15 Voir l’avis n° 09-A-45, précité.

16 GBH : [10-20] % ; supermarché cible : [10-20] %.

17 GBH : [10-20] % ; supermarché cible : [20-30] %.

18 Voir les lignes directrices de l’Autorité de la concurrence relatives au contrôle des concentrations, paragraphes 447 à 452.

19 Voir la décision M.1221, précitée.

20 Cette analyse repose sur les déclarations des fournisseurs locaux et des grossistes recueillies par GBH. Seuls six producteurs locaux sur […] ont répondu. 24 grossistes sur […] ont quant à eux répondu.

21 Avis n° 97-A-04, précité.

22 Avis n° 15-A-06, précité.

23 Lignes directrices précitées, paragraphe 502.

24 Les magasins situés en bordure de zone ont été inclus dans le périmètre de l’analyse concurrentielle, conformément à la pratique décisionnelle constante de l’Autorité de la concurrence en matière de commerce de détail.

25 Aux magasins exploités par GBH, il convient d’ajouter les magasins sous enseignes Carrefour Market et 8 A Huit.

26 Voir les lignes directrices précitées, §§453 et 483.

27 GBH est marginalement active sur le marché amont de l’approvisionnement en produits liquides en Guyane par le biais de la société Héritiers Clément, laquelle produit du rhum et du chocolat et réalise des ventes sur ce territoire pour un montant s’élevant à […] euros en 2016. Dans la mesure où le supermarché cible représente moins de [0-5] % des achats de liquide en Guyane et dans la zone Antilles-Guyane, l’opération n’est pas susceptible d’engendrer des effets verticaux sur les marchés concernés.

28 Droguerie, parfumerie, hygiène.

29 Voir les lignes directrices précitées, §§444 et suivants et la communication de la Commission sur l’appréciation des concentrations non-horizontales.