Cass. 1re civ., 24 janvier 1995, n° 92-17.792
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. de Bouillane de Lacoste
Rapporteur :
Mme Marc
Avocat général :
Mme Le Foyer de Costil
Avocats :
SCP Rouvière et Boutet, Me Cossa, Me Odent, Me Parmentier, SCP Guiguet, Bachellier et Potier de la Varde
Attendu que la Société d'habitations à loyer modéré travail et propriété (SATP) et sa mandataire, la Société centrale immobilière de la Caisse des dépôts (SCIC) ont fait construire, sous la maîtrise d'oeuvre de M. XH..., architecte, par la SNC Quillery, un ensemble immobilier, dénommé Le Mail, qu'elles ont vendu par appartements, en l'état futur d'achèvement ; qu'après réceptions définitives des travaux intervenues en 1975, le syndicat des copropriétaires de l'ensemble immobilier Le Mail, se plaignant de désordres, a assigné la SATP, la SCIC, M. XH... et la SNC Quillery en réparation ; que cette dernière a exercé un recours contre son sous-traitant, la société Bureau d'études et d'exécution (Betex), à qui elle avait confié des études de béton armé et aux droits de laquelle se trouve actuellement la société Omnium technique-Oth ; que plusieurs copropriétaires sont intervenus dans l'instance pour demander la réparation des préjudices afférents à leurs lots ; que la SATP et la SCI ont sollicité la garantie des assureurs maître d'ouvrage, la compagnie Assurances générales de France (AGF) et la compagnie La Préservatrice foncière ; que ces compagnies ont exercé un recours contre la SNC Quillery et d'autres constructeurs ;
que l'arrêt attaqué a mis hors de cause la SCIC, déclaré la SATP et la SNC Quillery responsables des désordres, la première, sur le fondement de l'article 1646-1 du Code civil, la seconde sur celui des articles 1792 et 2270 du même Code, condamné in solidum la SATP, les compagnies AGF et La Préservatrice foncière et la SNC Quillery à payer, en deniers ou quittances, diverses indemnités au syndicat des copropriétaires et à plusieurs copropriétaires, ordonné aux compagnies AGF et La Préservatrice foncière ainsi qu'à la SNC Quillery de relever et de garantir, en deniers ou quittances, la SATP des condamnations prononcées à son encontre, rejeté les demandes de garantie et de remboursement formées par les compagnies AGF et La Préservatrice foncière, déclaré sans objet les demandes de garantie formées par M. XH..., dont la responsabilité n'a pas été retenue et dit que dans les rapports entre la SNC Quillery et le Betex, la responsabilité des désordres sera partagée par moitié ;
Sur le premier moyen, pris en ses quatre branches, du pourvoi incident de la société Omnium technique-OTH :
Attendu que la société Omnium technique-Oth, venant aux droits de la société Betex, fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné cette dernière à garantir la SNC Quillery, à concurrence de la moitié, des conséquences dommageables des fissurations apparues dans les murs pignons, alors, selon le moyen, d'une part, que l'expert judiciaire doit répondre aux observations et réclamations des parties ; qu'en considérant que la société Betex ne pouvait se plaindre d'une violation des droits de la défense, sans rechercher si l'expert avait répondu à sa demande de communication des préconclusions d'expertise, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 276 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d'autre part, que l'expert judiciaire doit donner son avis sur les points pour l'examen desquels il a été commis ;
qu'en considérant que la société Betex ne pouvait invoquer une violation des droits de la défense, sans rechercher si l'expert avait accompli la mission qui lui avait été confiée en communiquant aux parties ses préconclusions, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 238 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'aucune disposition ne sanctionne de nullité l'inobservation des obligations imposées par l'article 238 du nouveau Code de procédure civile, et que l'inobservation des formalités prévues par l'article 276 du même Code, ayant un caractère substantiel, n'entraîne la nullité de l'expertise qu'à charge pour la partie qui l'invoque de prouver le grief que lui cause cette irrégularité ; que l'arrêt relève que la société Betex, qui a participé, le 17 janvier 1983, à une réunion sur les lieux organisée par l'expert, a pu, à cette occasion, prendre connaissance du projet de rapport établi par celui-ci et bénéficier, en outre, de l'avis d'un autre technicien ayant pris part à toutes les investigations de ce dernier en qualité de représentant d'une autre partie ; qu'il constate que non seulement la société Betex n'a fourni à l'expert qu'une "petite partie" de ses plans de béton armé, mais encore qu'elle n'a pas répondu à la lettre que lui avait adressée celui-ci, le 12 avril 1983, pour l'aviser de la clôture de ses opérations ; que par ces seuls motifs, d'où il résulte que les droits de la défense n'ont pas été méconnus, la cour d'appel a légalement justifié sa décision en ce qu'elle a rejeté la demande de complément d'expertise qu'avait formée la société Betex ;
Sur le second moyen du même pourvoi :
Attendu que la société Omnium technique-Oth fait encore grief à l'arrêt attaqué d'avoir ainsi statué alors, selon le moyen, que la faute commise par l'entrepreneur principal exonère le sous-traitant de toute responsabilité ;
qu'en mettant une partie de responsabilité à la charge de la société Betex, à la suite de l'apparition de fissures dans les murs pignons en béton armé, pour n'avoir pas prévu une quantité suffisante de ferraillage, tout en constatant que cette façon de procéder avait été imposée par la SNC Quillery, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ;
Mais attendu que le sous-traitant est tenu envers l'entrepreneur principal d'une obligation de conseil et de l'obligation contractuelle d'exécuter des travaux exempts de vices ; que la cour d'appel, qui a constaté que les désordres avaient pour cause l'insuffisance de la quantité de ferraillage prévue par la société Betex, sous-traitant de la SNC Quillery, entreprise principale, a pu retenir que la faute commise par cette dernière, pour avoir incité son sous-traitant, dans un souci d'économies, à réduire abusivement les quantités d'acier à utiliser, n'exonérait que partiellement celui-ci de ses obligations envers elle ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le moyen unique, pris en sa première branche, du pourvoi principal des compagnies Assurances générales de France et La Préservatrice foncière :
Vu l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que, pour débouter les compagnies AGF et La Préservatrice foncière de leurs demandes tendant à être garanties et remboursées par les constructeurs des condamnations mises à leur charge en tant qu'assureurs "maître d'ouvrage", l'arrêt a relevé d'office le moyen pris de ce qu'en application de l'article L. 121-12 du Code des assurances elles n'étaient pas fondées à invoquer le bénéfice de la subrogation, faute de justifier du paiement effectif par elles d'indemnités d'assurance ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans avoir invité au préalable les parties à présenter leurs observations sur ce moyen, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les deuxième, troisième et quatrième branches du moyen unique du pourvoi principal :
REJETTE le pourvoi incident ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté les demandes de garantie et de remboursement formées par les compagnies AGF et La Présertrice foncière, l'arrêt rendu le 6 mai 1992, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée.