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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 30 mai 2012, n° 08/16913

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Clichy Vosges (SCI)

Défendeur :

Société Le Sanglier Bleu (Sté), Société Le Top Less (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bartholin

Conseillers :

Mme Blum, Mme Reghi

Avocats :

Me Dubelloy, Me Olivier, Me De Capua

TGI Paris, du 1 juill. 2008, n° 06/16486

1 juillet 2008

EXPOSE DU LITIGE

Faits et prétentions :

Suivant acte sous seing privé du 30 décembre 1998, la société Clichy Vosges a donné à bail en renouvellement à la société Auberge du sanglier bleu des locaux à destination de bar-brasserie-restaurant, situés [...]. La locataire a été autorisée, par lettre du 28 janvier 1999, à exercer, en outre, l'activité de cabaret.

Par acte du 10 mars 1999, la société Top less a acquis le fonds de commerce. Par ordonnance du président du tribunal de grande instance de Paris du 21 juin 1999, la société Top less a été autorisée à donner son fonds en location-gérance à la société Le sanglier bleu. L'acte a été conclu le1er octobre 1999. Les locaux auraient ensuite été donnés en gérance libre à la société Le Magic.

Par acte du 9 octobre 2006, la société Clichy Vosges a fait délivrer à la société Top less un commandement visant la clause résolutoire d'avoir à remettre une copie du contrat de location-gérance et une copie de l'ordonnance judiciaire qui aurait réduit ou supprimé le délai de deux ans- prévue par l'article L. 144-3 du code de commerce, à exploiter les lieux conformément au bail, alors qu'ils sont exploités en salle de strip-tease et à les remettre dans l'état conforme à la désignation faite au bail.

Par acte du 8 novembre 2006, la société Top less et la société Le sanglier bleu ont fait assigner la société Clichy Vosges en opposition à commandement devant le tribunal de grande instance de Paris qui, par jugement du 1er juillet 2008, a :

- déclaré sans effet les commandements délivrés les 9 octobre 2006 et 12 juin 2007,

- dit que le congé avec refus de renouvellement a mis fi n au bail le 30 juin 2007 mais qu'il ouvre droit, sous réserve de la prescription de deux ans de l'article L. 145-60 du code de commerce, au locataire de réclamer le paiement d'une indemnité d'éviction

- débouté le surplus des demandes,

- condamné la société Clichy Vosges aux dépens.

Par déclaration du 29 août 2008, la société Clichy Vosges a fait appel du jugement.

Par arrêt du 3 février 2010, la cour d'appel de Paris a confirmé le jugement et, y ajoutant, a :

- rejeté la demande d'expulsion de la société Top less et de la société Le sanglier bleu,

- ordonné une expertise aux fi ns de recueillir les éléments propres à déterminer le préjudice résultant de l'éviction de la société Top less,

- condamné la société Clichy Vosges au paiement de la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

L'expert a déposé son rapport le 19 mai 2011.

Dans ses dernières conclusions, signifiées le 8 février 2012, la société Clichy Vosges demande :

- le rejet de la demande de nouvelle expertise, subsidiairement la désignation du même expert en limitant sa mission à la seule estimation du droit au bail,

- la fixation du montant de l'indemnité d'éviction à la somme de 235 000 €, soit 205 000 € au titre de l'indemnité de droit au bail, 22 500 € au titre des frais de remploi et 3 000 € au titre des frais de déménagement, 1 450 € au titre du trouble commercial et 2 500 € au titre des frais divers,

- de dire que la société Top less devra remettre les lieux pour le premier jour du terme d'usage suivant l'expiration du délai de quinzaine à compter du versement de l' indemnité d'éviction,

- d'ordonner, à défaut, son expulsion,

- la fixation de l'indemnité d'occupation mensuelle due depuis le 30 juin 2007 à la somme de 71600 € hors taxes et hors charges, par an, et à titre du solde de l'indemnité pour la période expirant le 1er janvier 2012, la somme de 227 062,16 € hors taxes et charges,

- d'ordonner la compensation,

- le débouté de toutes les demandes de la société Top less et la société Le sanglier bleu,

- la condamnation de la société Top less au paiement de la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens, dont distraction.

Dans leurs dernières conclusions, signifiées le 6 février 2012, la société Top less et la société Le sanglier bleu demandent :

- la désignation d'un expert et la réserve des dépens,

subsidiairement :

- la condamnation de la société Clichy Vosges au paiement de la somme de 602 625 € au titre de l'indemnité d'éviction avec intérêts au taux légal à compter du prononcé de l'arrêt, à titre subsidiaire, la somme de 464 250 €,

- la fixation de l'indemnité d'occupation à la somme de 61 600 € hors taxes et charges par an,

- la condamnation de la société Clichy Vosges au paiement de la somme de 6 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens, dont distraction.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 15 février 2012.

CELA EXPOSE,

Sur la demande d'expertise

Considérant que les intimées soutiennent que l'expert a omis de soumettre au principe de la contradiction le résultat de ses investigations et ses réflexions personnelles ; qu'il a, d'abord, dans un projet de rapport, indiqué qu'il estimait le montant de l' indemnité d'éviction à la somme de 460000 €, pour l'évaluer, dans son rapport définitif, à la somme de 235 000 €, sans inviter les parti es à débattre de cette minoration ;

Considérant que la société Clichy Vosges réplique que l'expert avait demandé la communication de pièces à la société Top less pour le 30 juillet 2010, que la société Top less ne lui a adressé quelques documents que le 18 octobre ; que l'expert lui a demandé des compléments qui ne lui ont jamais été fournis ; que l'expert a sollicité les observations des parti es sur son projet de rapport ; qu'elle-même a produit des observations sur le déplafonnement du loyer, dont l'expert a tenu compte dans son rapport définitif ; qu'en revanche, la société Top less n'a pas adressé la moindre observation ;

Considérant que, dans la chronologie des opérations d'expertise, figurent la date de réception des pièces de la part des parti es, la date des demandes de pièces de la part de l'expert et d'envoi de notes, la date de réception des observations des parti es ; que, notamment, l'expert a relevé qu'il avait adressé une note aux avocats début octobre 2010, que le 18 octobre 2010, la société Topless lui avait communiqué des pièces complémentaires, que le 20 octobre, il avait demandé à la société Top less des éléments d'explications complémentaires, que le 28 octobre 2010, la société Clichy Vosges lui avait adressé un dire portant sur le déplafonnement du loyer, que la date butoir de réception des dires était fixée au 15 novembre et que le rapport définitif avait été rédigé début décembre 2010 ; qu'au vu de ces éléments, la société Top less n'est pas fondée à soutenir que l'expert aurait manqué au principe de la contradiction, la seule circonstance qu'il aurait pris en compte le dire de la société Clichy Vosges ne pouvant constituer une violation de ce principe, dans la mesure où la société Top less disposait du délai nécessaire entre le 28 octobre et le 15 novembre pour formuler toutes observations utiles ; que la demande de nouvelle expertise n'est, en conséquence, pas fondée ;

Sur le calcul de l'indemnité d'éviction

Considérant que les intimées font valoir que l'autorisation donnée le 28 janvier 1999 d'adjoindre une activité de cabaret, sur laquelle se fonde l'expert pour justifier le déplafonnement du loyer, ne peut constituer une modification significative des obligations des parti es dans la mesure où cette autorisation a été donnée quasi concomitamment à la conclusion du bail, n'entraînant aucune revalorisation du loyer ; que cet accord des parti es sur la destination des lieux loués n'aurait pu constituer un motif de déplafonnement du loyer si le bail du 30 décembre 1998 avait été renouvelé ;

Considérant, en effet, qu'un changement de destination ou une adjonction d'activité ne peut suffire, par eux-mêmes, à constituer une modifiation notable des éléments de la valeur locative ; que ni l'expert, en estimant que cette modification paraît substantielle ou notable, ni la société Clichy Vosges, en se contentant de soutenir que l'adjonction a considérablement valorisé le bien puisqu'une activité nouvelle a pu y être exploitée et que cela a facilité la cession du fonds de commerce, n'établissent en quoi cette nouvelle activité, autorisé un mois après le renouvellement du bail, a amélioré la commercialité du fonds et constitue une modification notable ;

Considérant que la description des lieux n'est pas discutée par les parti es ; que le local commercial occupe le sous-sol et le rez de chaussée, que des locaux d'habitation sont situés au 1er étage, avec une chambre de service au 7ème étage et un box à usage de garage et de remise à marchandises, pour une surface totale de 371,60 m2 ; que les lieux sont en bon état d'entretien et que l'immeuble est d'un bon niveau qualitatif ; que les lieux sont situés dans un quartier animé, que la destination contractuelle est conforme à la vocation de l'emplacement, que toutefois, la surface de vente est peu étendue, l'accès automobile lent et le stationnement difficile mais que la clientèle est abondante et très cosmopolite ;

Considérant que n'est pas non plus discuté le principe de la perte du fonds ; que l'expert rappelle, sans observations de la société Top less, qu'il a été conduit à raisonner en l'absence de chiffres d'affaires réalisés, la société Top less n'ayant fourni qu'un tableau de compte d'exploitation 2009-2010, sur papier libre, concernant la société Top less et la société Le Magic, gérante des lieux, ainsi que des liasses fiscales pour les périodes 2007-2009 concernant cette dernière société et d'autres établissements ; qu'il en a conclu que la seule réalité pouvant être appréhendée était la valeur du droit au bail et que l'exploitation était faible ou nulle ou indéfinie ou variable dans le temps ; que les valeurs locatives qu'il a retenues par m2 pondérés, au vu de la situation, de la consistance et de l'état d'entretien du bien ainsi que du marché immobilier local, conduisent à une valeur locative totale de 117 350 €, admise par les parties ;

Considérant, en revanche, que les parti es discutent du coefficient multiplicateur retenu par l'expert, la société Top less évoquant, en outre, un abattement de 25% qu'aurait appliqué l'expert tandis que la société Clichy Vosges se fonde sur le loyer déplafonné pour admettre le coefficient proposé par l'expert ;

Considérant qu'en tenant compte de la situation des lieux dans un quartier animé, à caractère particulier, mais aussi de l'état de qualité moyenne des locaux et de leur distribution peu rationnelle, de la présence d'un appartement attenant au fonds mais exposé au bruit, le coefficient doit être fixé à 5 ; que, dès lors, la valeur locative étant de 117 350 €, le loyer s'élevant à 28 610 €,la valeur du droit au bail s'élève à 443 700 € ;

Considérant que si la société Top less mentionne un montant des indemnités accessoires de 48000 € hors taxes, elle ne conteste aucunement le montant évalué par l'expert, soit 22 500 € au titre des frais de remploi et 3 000 € au titre des frais de déménagement, 1 450 € au titre du trouble commercial et 2 500 € au titre des frais divers, compte non tenu des frais de licenciement qui seront dus sur justificatifs ;

Sur l'indemnité d'occupation

Considérant que la société Top less fait valoir que, pour la fixation de l'indemnité, c'est un abattement de 30% qui aurait dû être retenu pour tenir compte de la précarité de l'occupation et du fait qu'un bar-restaurant-cabaret, placé dans cette situation, ne peut obtenir d'autorisation de terrasse, celle-ci nécessitant un bail en cours ;

Considérant, cependant, que c'est à juste titre que la société Clichy Vosges réplique que l'abattement de 10 % proposé par l'expert correspond à la réalité de la situation, la société Top less ne subissant aucune précarité supplémentaire dans la mesure où elle n'exploite pas les lieux, donnés en gérance libre à la société Le Magic ; que, par ailleurs, la société Top less ne produit aucun élément de nature à justifier le coefficient d'abattement qu'elle demande ; qu'en conséquence, l' indemnité d'occupation sera fixée à 79 100€ par an, hors taxes et hors charges, à compter du 30 juin 2007 soit la valeur de renouvellement telle qu'estimée par l'expert diminuée du coefficient de précarité de 10% ; que, compte tenu de cette fixation, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande en paiement global de la société Clichy Vosges ;

Considérant qu'au vu des dispositions de l'article L. 145-29 du code de commerce, la demande de la société Clichy Vosges en remise en état des lieux par la société Top less n'est pas fondée ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu à paiement au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Considérant que la société Clichy Vosges doit être condamnée aux dépens de l'appel.

PAR CES MOTIFS

Vu l'arrêt de la cour d'appel du 3 février 2010,

Fixe à la somme de 473 150 € l'indemnité d'éviction due par la société Clichy Vosges à la société Top less, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision, outre les indemnités de licenciement qui seront payées sur justificatifs ;

Condamne la société Top less à payer à la société Rostand la somme de 79 100 € par an, hors taxes et hors charges, à compter du 30 juin 2007, au titre de l'indemnité d'occupation ;

Ordonne la compensation entre les sommes dues,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Dit n'y avoir lieu à paiement au titre de l'article 700 du code de procédure civil

Condamne la société Clichy Vosges aux dépens d'appel, avec droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.