Cass. 3e civ., 16 mars 2022, n° 20-22.037
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Teiller
Rapporteur :
M. Zedda
Avocat général :
M. Brun
Avocats :
SARL Le Prado - Gilbert, SCP de Nervo et Poupet, SCP Piwnica et Molinié
Désistement partiel
1. Il est donné acte à la société Banque CIC Est du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Hartmann et Charlier, prise en sa qualité de liquidateur de la société Wakoa entreprise (la société Wakoa), et la société Demathieu Bard construction.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 7 septembre 2020), rendu sur renvoi après cassation (3e Civ., 17 janvier 2019, pourvoi n° 17-11.853), la société Lidl a confié à la société Wakoa des travaux d'extension d'un magasin.
3. Le lot gros oeuvre a été sous-traité à la société Demathieu et Bard.
4. La société Wakoa, qui avait cédé à la société Banque CIC Est (la banque) sa créance sur la société Lidl, a été placée en liquidation judiciaire.
5. La société Demathieu Bard construction, venant aux droits de la société Demathieu et Bard, a assigné la société Lidl en paiement de dommages-intérêts, sur le fondement des articles 1382 du code civil et 14-1 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975.
6. La société Lidl a appelé, en déclaration de jugement commun, le liquidateur judiciaire de la société Wakoa et la banque, lesquels ont chacun formé contre la société Lidl une demande en paiement du solde du marché de travaux.
Recevabilité du pourvoi provoqué de la société Lidl contestée par la défense
7. La société Wakoa, représentée par son liquidateur, conteste la recevabilité du pourvoi formé par la société Lidl à son encontre, au motif qu'il a été formé après que la banque, demanderesse au pourvoi principal, s'est partiellement désistée de son pourvoi en ce qu'il était dirigé contre la société Wakoa.
8. Mais, en application des articles 549, 614 et 1010 du code de procédure civile, le pourvoi provoqué, formé dans le délai du mémoire en défense par un défendeur contre un codéfendeur à l'égard duquel le demandeur principal s'est préalablement désisté, est recevable.
Examen des moyens
Sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal
Enoncé du moyen
9. La banque fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement de sommes à l'encontre de la société Lidl, alors « que la cession de créance consentie en contravention à l'interdiction édictée par l'article 13-1 de la loi du 31 décembre 1975 est seulement inopposable au sous-traitant, lequel, s'il n'exerce pas l'action directe que cette disposition a pour objet de protéger, n'est pas concerné par le litige opposant la banque cessionnaire de la créance de l'entrepreneur principal, créancier cédé, au maitre d'ouvrage, débiteur cédé, de sorte qu'en l'absence de tout conflit entre le sous-traitant et le banquier cessionnaire, le maitre d'ouvrage n'est pas fondé à se prévaloir de ladite disposition, pour refuser le paiement de la créance cédée ; qu'en statuant comme elle l'a fait, pour rejeter la demande en paiement du CIC Est, cessionnaire de la créance litigieuse, après avoir pourtant relevé que la société Lidl, maitre d'ouvrage, avait été irrévocablement condamnée à payer au sous-traitant, par l'arrêt du 2 décembre 2016 de la cour d'appel de Colmar, une somme de 217 672 euros TTC avec intérêts, condamnation non remise en cause par l'arrêt de cassation du 17 janvier 2019, ce dont il résultait qu'en l'absence de tout conflit entre le CIC Est et le sous-traitant, la société Lidl, débiteur cédé, ne pouvait se prévaloir de l'inopposabilité de la cession de créance consentie par l'entrepreneur principal, la cour d'appel a violé la disposition susvisée, ensemble l'article L. 313-24 du code monétaire et financier. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 13-1 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 :
10. Il résulte de ce texte que le maître de l'ouvrage ne peut invoquer, à l'égard du cessionnaire, l'inopposabilité de la cession de créance faite en fraude des droits du sous-traitant que lorsque celui-ci exerce l'action directe prévue par l'article 12 de la loi précitée.
11. Le sous-traitant qui agit en indemnisation de son préjudice sur le fondement quasi-délictuel de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 n'est pas en conflit avec le cessionnaire pour l'attribution des sommes dues par le maître d'ouvrage en exécution du marché de travaux.
12. Pour rejeter la demande de la banque contre la société Lidl, l'arrêt retient que la Cour de cassation a consacré le principe de l'impossibilité pour le maître de l'ouvrage, débiteur cédé, de payer au cessionnaire le prix de travaux que le cédant n'a pas réalisés lui-même.
13. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le cessionnaire n'était pas en conflit avec le sous-traitant, lequel n'avait pas été indemnisé sur le fondement d'une action directe mais sur un fondement quasi-délictuel, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le moyen relevé d'office
14. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu l'article 1689 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
15. Il résulte de ce texte que celui qui cède valablement sa créance ne peut en poursuivre le recouvrement auprès du débiteur cédé.
16. Pour condamner la société Lidl à payer au liquidateur de la société Wakoa une somme correspondant au solde non contesté du marché de cette entreprise, l'arrêt retient qu'en l'absence de tout conflit entre le cessionnaire et le sous-traitant, il n'y a pas d'obstacle au paiement, par le maître de l'ouvrage, du prix du marché.
17. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la créance avait été cédée à la banque, qui seule pouvait en poursuivre le recouvrement, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
18. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
19. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
20. La société Wakoa ayant cédé la créance correspondant au solde du prix de son marché à la banque, la demande de la société Hartmann et Charlier, ès qualités, formée contre la société Lidl au titre de cette même créance, doit être rejetée.
21. Dès lors qu'aucun sous-traitant n'exerce d'action directe pour le recouvrement du prix des travaux compris dans le marché de la société Wakoa, la société Lidl, maître de l'ouvrage, doit être condamnée à payer à la banque cessionnaire le solde de ce marché, qui s'élève à la somme non contestée de 241 544,16 euros.
22. Cette somme produira intérêts au taux légal à compter du 31 mars 2009.
23. Les intérêts dus par années entières à compter du 15 mai 2014 produiront intérêts dans les conditions prévues à l'article 1154 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il :
- rejette les demandes de paiement de la société Banque CIC Est contre la société Lidl,
- condamne la société Lidl à payer à la société Hartmann et Charlier, en sa qualité de liquidateur de la société Wakoa entreprise, la somme de 241 544,16 euros augmentée des intérêts à compter du 31 mars 2009 avec capitalisation conformément à l'article 1154 du code civil,
- condamne la société Lidl à payer à la société Hartmann et Charlier, en sa qualité de liquidateur de la société Wakoa entreprise, la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamne la société Banque CIC Est aux dépens de première instance,
- condamne la société Banque CIC Est à payer à la société Lidl la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de cour,
- fait masse des dépens et condamne la société Lidl ainsi que la société Banque CIC Est à en assumer chacune la moitié,
l'arrêt rendu le 7 septembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi.