Cass. 3e civ., 21 avril 2022, n° 21-10.375
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Teiller
Rapporteur :
Mme Andrich
Avocats :
SCP Alain Bénabent, SCP Boullez
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 19 novembre 2020), après avoir conclu un bail dérogatoire de deux années à compter du 2 mai 2006 portant sur des locaux commerciaux, la société Txomin (la locataire), restée dans les lieux, et [Y] [K] et Mme [I], son épouse, (les bailleurs) ont conclu, le 7 avril 2010, un bail commercial prenant effet le 2 mai 2006 pour s'achever le 1er mai 2015.
2. Ce bail contient une clause de renonciation par le preneur à « la propriété commerciale » acquise en 2008, à l'issue de ce bail de neuf années.
3. La locataire, s'étant maintenue dans les lieux au-delà du 1er mai 2015, a opposé à la demande en expulsion, formée par la bailleresse, le caractère réputé non écrit de la clause de renonciation.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi incident , ci-après annexé
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. La locataire fait grief à l'arrêt de juger qu'elle ne bénéficie pas, pour le local litigieux, de la propriété commerciale et qu'elle est occupante sans droit ni titre depuis le 2 mai 2015, d'ordonner son expulsion et celle de tout occupant de son chef et de la condamner à payer une indemnité mensuelle d'occupation égale au montant du loyer et charges, jusqu'à son départ effectif des lieux loués, alors « qu'en ce qu'elle a modifié l'article L. 145-15 du code de commerce, en substituant à la nullité des clauses ayant pour effet de faire échec aux dispositions des articles L. 145-37 et L. 145-41 du code de commerce, leur caractère réputé non écrit, la loi du 18 juin 2014 est d'application immédiate aux baux en cours et s'oppose désormais à ce que le preneur renonce au bénéfice du statut des baux commerciaux, en toute circonstance ; qu'en se déterminant en considération des dispositions de l'article L. 145-15 du code de commerce, dans leur rédaction en vigueur au jour de la conclusion du bail du 7 avril 2010 prenant effet le 2 mai 2006, pour en déduire qu'il était au pouvoir de la société Txomin de renoncer au bénéfice du statut des baux commerciaux qu'elle avait acquis en conséquence de son maintien dans les lieux à l'expiration du premier bail dérogatoire conclu le 4 avril 2006, quand l'article L. 145-15 du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi du 18 juin 2014 était d'application immédiate aux baux en cours en tant qu'il répute non écrite toute clause ayant pour objet de faire échec au droit au renouvellement du bail commercial, la cour d'appel a violé les dispositions précitées, ensemble l'article 2 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2 du code civil et L. 145-15 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 :
6. Il résulte du premier de ces textes que la loi nouvelle régit les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées.
7. Le second de ces textes, dans sa rédaction issue de la loi du 18 juin 2014, qui a substitué à la nullité des clauses, stipulations et arrangements ayant pour effet de faire échec au droit de renouvellement institué par le chapitre IV du code de commerce, leur caractère réputé non écrit, est applicable aux baux en cours lors de l'entrée en vigueur de cette loi.
8. Pour rejeter la demande de la locataire tendant à ce que la clause de renonciation au renouvellement du bail à échéance du 1er mai 2015 soit déclarée non écrite, l'arrêt retient que, antérieurement au bail du 7 avril 2010, avait été signé un bail dérogatoire à l'expiration duquel la locataire avait acquis la propriété commerciale le 2 mai 2008, que la renonciation est intervenue postérieurement à la naissance du droit acquis et en parfaite connaissance du preneur, et que le fait que le bail du 7 avril 2010 ait été conclu pour une durée de neuf années, qui ont commencé à courir rétroactivement à compter du 2 mai 2006 pour se terminer le 1er mai 2015, n'a pas eu pour effet d'anéantir rétroactivement le bail dérogatoire, étant rappelé qu'il y est expressément mentionné que le preneur, en parfaite connaissance du bail dérogatoire antérieur, a renoncé à la propriété commerciale.
9. En statuant ainsi, alors que la clause de renonciation avait pour effet de faire échec, au terme de neuf années, au droit de renouvellement du bail commercial conclu à effet du 2 mai 2008, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 19 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux.