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Décisions

ADLC, 27 décembre 2019, n° 19-DCC-267

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

relative à la prise de contrôle exclusif des sociétés Laboratoires Iprad Santé et Laboratoires Iprad Pharma par la société Biocodex

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Vice-Président :

M. Combe

ADLC n° 19-DCC-267

27 décembre 2019

L’Autorité de la concurrence,

Vu le dossier   de   notification   adressé   complet   au   service   des   concentrations   le   22 novembre 2019, relatif à la prise de contrôle exclusif des sociétés Laboratoires Iprad Santé et Laboratoires Iprad Pharma par la société Biocodex, formalisée par une résolution du conseil d’administration de Biocodex en date du [confidentiel] et un projet de contrat de cession d’action confirmé par un contrat de cession d’actions en date du [confidentiel] ;

Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;

Vu les autres pièces du dossier ; Adopte la décision suivante :

I. Les entreprises concernées et l’opération

1. La société Biocodex (ci-après, « Biocodex ») est un laboratoire français actif dans la conception, la fabrication et la distribution de produits de santé en France et à l’étranger. Les activités de Biocodex se répartissent principalement autour de deux familles de produits : les médicaments (vendus sur prescription ou en accès direct) et les compléments alimentaires (gamme Symbiosys, à base de souches probiotiques). Originellement, Biocodex a développé son portefeuille autour de la gastro-entérologie, avec le médicament commercialisé en France sous la marque « Ultra-levure », [confidentiel].

2. Biocodex SAS est détenue principalement par [confidentiel] qui ne détiennent aucune participation contrôlante dans des sociétés tierces.

3. Le groupe Iprad (constitué des sociétés Laboratoires Iprad Santé et Laboratoires Iprad Pharma, ci-après, respectivement, « Iprad Santé » et « Iprad Pharma » ou, ensemble, « la cible ») est actif dans la conception, la fabrication et la distribution de produits de santé et de bien-être en France et à l’étranger. Il est notamment actif dans le domaine de la gynécologie et de l’hygiène intime féminine.

4. Préalablement à l’opération, la cible est contrôlée par [confidentiel].

5. L’opération notifiée est constituée de deux opérations interdépendantes :

- d’une part, l’acquisition, par Biocodex, d’environ 90 % du capital social de la société SPMD, laquelle détient l’intégralité du capital social d’Iprad Pharma et 96 % du capital social d’Iprad Santé ;

- d’autre part, l’acquisition, par Biocodex, du solde du capital social d’Iprad Santé.

6. En ce qu’elle se traduit par la prise de contrôle exclusif du groupe Iprad par la société Biocodex, l’opération notifiée constitue une concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce.

7. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d’affaires total sur le plan mondial de plus de 150 millions d’euros (Biocodex : [≥ 150] millions d’euros pour l’exercice clos en 2018 ; groupe Iprad : [≤ 150] millions d’euros pour l’exercice clos au 31 décembre 2018). Chacune de ces entreprises réalise, en France, un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros (Biocodex : [≥ 50] millions d’euros pour l’exercice clos en 2018 ; groupe Iprad : [≥ 50] millions d’euros pour l’exercice clos au 31 décembre 2018). Compte tenu de ces chiffres d’affaires, l’opération ne revêt pas une dimension européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. La présente opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce, relatives à la concentration économique.

II. Délimitation des marchés pertinents

8. Biocodex et le groupe Iprad sont actifs sur les marchés des principes actifs utilisés dans la fabrication de produits pharmaceutiques (A), des produits pharmaceutiques (B) et des compléments alimentaires (C).

A. LE MARCHÉ DES PRINCIPES ACTIFS UTILISÉS DANS LA FABRICATION DE PRODUITS PHARMACEUTIQUES

1. MARCHÉ DE PRODUITS

9. La Commission européenne considère, depuis sa décision Sanofi/Synthelabo1, qu’il existe des marchés spécifiques pour les principes actifs (ou « API », pour active pharmaceutical ingredients), qui se situent en amont des marchés des produits pharmaceutiques.

10. La Commission, reprise par la pratique décisionnelle nationale, envisage chaque API comme constituant potentiellement un marché de produits pertinent en tant que tel, tout en relevant, qu’il ne peut être exclu que certains API soient substituables entre eux pour tout ou partie des gammes d’applications2.

11. En toute hypothèse, la question de la délimitation exacte du marché des principes actifs utilisés dans la fabrication de produits pharmaceutiques peut être laissée ouverte dans la mesure où les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurent inchangées quelle que soit la délimitation retenue.

12. En l’espèce, les parties sont actives sur le marché de l’approvisionnement en principes actifs étant précisé que les médicaments qu’elles commercialisent sont composés de principes actifs différents.

2.   MARCHÉ GÉOGRAPHIQUE

13. Dans les décisions précitées, la Commission européenne a considéré que le marché des principes actifs est de dimension géographique plus large que celui des produits pharmaceutiques finis, et possiblement de dimension mondiale3.

14. En toute hypothèse, la question de la délimitation géographique exacte du marché des principes actifs utilisés dans la fabrication de produits pharmaceutiques peut être laissée ouverte dans la mesure où les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurent inchangées quelle que soit la délimitation retenue.

B. LE   MARCHÉ   DES  PRODUITS PHARMACEUTIQUES

1. MARCHÉ DE PRODUITS

15. Selon la pratique décisionnelle nationale et européenne4, les marchés des médicaments peuvent être segmentés selon leur classe thérapeutique en référence à la classification « Anatomical Therapeutic Chemical » (ci-après « ATC ») élaborée par l’European Pharmaceutical Marketing Research Association (ci-après « EphMRA ») et utilisée par l’International Medical Statistics (ci-après « IMS »). Cette classification des médicaments contient 16 catégories déclinées en quatre niveaux, en fonction de la composition et des indications thérapeutiques : le niveau ATC1 est le plus général, le niveau ATC4 est le plus détaillé. Le troisième niveau de la classification, ATC3, regroupe les médicaments en fonction de leurs indications thérapeutiques, c’est-à-dire de l’utilisation envisagée. Ce niveau est généralement utilisé comme point de départ de l’analyse des effets d’une opération de concentration par les autorités de concurrence, même si elles ont pu être amenées à examiner les effets d’une opération de concentration au niveau de classification ATC4 ou à estimer les parts de marché à partir de données différentes de façon à prendre en compte les produits substituables du point de vue de la demande.

16. Dans certains cas, l’analyse a ainsi été menée au niveau de la molécule. La Commission européenne a analysé, s’agissant des médicaments génériques, les chevauchements d’activités au niveau le plus étroit, basé sur la molécule ou le groupe de molécules concernées, estimant que la demande peut être propre à une molécule et que les fournisseurs de médicaments génériques se font concurrence en considération de la molécule de référence5.

17. La pratique décisionnelle a également opéré une distinction entre (i) les médicaments sur prescription et les médicaments sans ordonnance ; (ii) les médicaments finis et les produits en cours de développement ; et (iii) les médicaments selon leur forme galénique.

18. En toute hypothèse, la question de la délimitation exacte du marché des produits pharmaceutiques peut être laissée ouverte dans la mesure où les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurent inchangées quelle que soit la délimitation retenue.

19. En l’espèce, les parties commercialisent toutes deux produits pharmaceutiques, qui appartiennent toutefois à des classes ATC3 distinctes6. L’opération ne conduit donc à aucun chevauchement sur le marché des produits pharmaceutiques.

2.   MARCHÉ GÉOGRAPHIQUE

20. Il résulte d’une pratique décisionnelle constante7 que le marché des produits pharmaceutique est de dimension nationale.

21. En tout état de cause, la question de la délimitation géographique du marché des produits pharmaceutiques peut être laissée ouverte dans la mesure où les conclusions de l’analyse concurrentielle seraient inchangées quelle que soit la délimitation retenue.

C. LE   MARCHÉ   DES  COMPLÉMENTS ALIMENTAIRES

1. MARCHÉ DE PRODUITS

22. Selon les informations communiquées par la partie notifiante, les compléments alimentaires se distinguent des produits pharmaceutiques ou des produits alimentaires, en raison de leurs caractéristiques. En effet, contrairement aux denrées alimentaires de base, les compléments alimentaires disposent d’un effet nutritionnel ou physiologique particulier. Par ailleurs, ils se distinguent également des produits pharmaceutiques, compte tenu notamment du cadre réglementaire qui leur est applicable. En particulier, les compléments alimentaires mis sur le marché sont soumis à un contrôle réglementaire de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Ce contrôle vise notamment à vérifier qu'aucun ingrédient susceptible d'être préjudiciable à la santé n'a été introduit dans ces produits. Les médicaments sont soumis quant à eux au contrôle de l’Agence nationale de sécurité du médicament, qui procède à une vérification de la sécurité des produits de santé, et notamment des médicaments.

23. Selon les éléments recueillis dans le cadre de l’instruction, plusieurs segmentations du marché des compléments alimentaires peuvent être envisagées.

24. Tout d’abord, les compléments alimentaires ont des usages variés. Par analogie avec le secteur des médicaments, sur lequel les marchés sont segmentés en fonction de l’indication thérapeutique du médicament (« ATC3 »), une segmentation du marché des compléments alimentaires pourrait donc être faite selon les usages.

25. Le syndicat national des compléments alimentaires les regroupe en deux grandes familles, les produits « beauté » (minceur, beauté) et les produits « santé » (sommeil/stress, vitalité, digestion, circulation, articulations, etc.). La partie notifiante considère quant à elle qu’il est possible d'envisager une segmentation des compléments alimentaires selon qu’il s’agisse de produits destinés aux usages suivants : (i) digestion/transit, (ii) sommeil/stress/humeur,

(iii) vitalité,  (iv)  minceur/drainage,  (v) articulations,  (vi)  voies  respiratoires,  (vii)   beauté,

(viii) vision, (ix) génito-urinaires, (x) circulation, (xi) santé de la femme, (xii) défenses immunitaires, (xiii) solaires, (xiv) mémoire/concentration et (xv) équilibre.

26. Ensuite, il résulte des informations fournies par la partie notifiante qu’une segmentation des compléments alimentaires pourrait également être envisagée au regard de la composition des compléments alimentaires, en distinguant (i) les compléments alimentaires à base de plantes,

(ii) les compléments alimentaires à base de souches organiques et (iii) les compléments alimentaires à base de vitamines et de minéraux.

27. Enfin, dans la cadre de la notification du présent dossier, la partie notifiante a indiqué que « les compléments alimentaires sont vendus par l’intermédiaire de circuits de distribution variés » à savoir les pharmacies (près de 50 %), la vente directe et la vente à distance notamment sur internet (18,7 %), les circuits spécialisés comme les magasins bio (15,5 %), les grandes et moyennes surfaces (10,3 %) et les parapharmacies (5,9 %). En conséquence, une segmentation du marché des compléments alimentaires selon le type de circuit de distribution pourrait être envisagée.

28. En toute hypothèse, la question de la délimitation exacte du marché des compléments alimentaires peut être laissée ouverte dans la mesure où les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurent inchangées quelle que soit la délimitation retenue.

2.   MARCHÉ GÉOGRAPHIQUE

29. La partie notifiante considère que le marché des compléments alimentaires peut être considéré comme étant de dimension nationale. Les distributeurs s'adressent en effet à une clientèle sur l'ensemble du territoire national.

30. En tout état de cause, la question de la délimitation géographique du marché des compléments alimentaires peut être laissée ouverte dans la mesure où les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurent inchangées quelle que soit la délimitation retenue.

III. Analyse concurrentielle

A. EFFETS   HORIZONTAUX

31. Les parties sont simultanément présentes sur le marché des compliments alimentaires : en effet, Biocodex et le groupe Iprad fabriquent et commercialisent des compléments alimentaires. Sur le marché français des compléments alimentaires, tous produits confondus, la part de marché cumulée des parties est inférieure à 1 %.

32. Au sein de ce marché global des compléments alimentaires, les parties sont simultanément présentes sur les éventuels segments « digestion/transit » et « génito-urinaire » :

- sur le segment de marché des compléments alimentaires destinés à la digestion ou au transit, selon les estimations fournies par la partie notifiante, les parts de marché cumulées des parties sont inférieures à 10 %. Les parties sont confrontées à la concurrence d’un nombre important d’acteurs significatifs, parmi lesquels les sociétés Probiotil, Hygiaflore ou Philaromal ;

- sur le segment de marché des compléments alimentaires destinés aux organes génito- urinaires, selon les estimations fournies par la partie notifiante, les parts de marché cumulées des parties sont inférieures à 10 %. En outre, les parties sont confrontées à la concurrence d’un nombre important d’acteurs significatifs, en particulier Pileje.

33. La partie notifiante a indiqué que la part de marché de la nouvelle entité resterait inférieure à 10 % y compris dans l’hypothèse où le marché des compléments alimentaires était segmenté en fonction de la composition des produits (plantes, souches organiques et vitamines et minéraux).

34. Enfin, la partie notifiante a indiqué que la part de marché de la nouvelle entité resterait inférieure à 25 % y compris dans l’hypothèse où le marché des compléments alimentaires était segmenté en fonction du réseau de distribution concerné.

35. En conséquence, compte tenu de la part de marché limitée de la nouvelle entité sur les différents segments du marché des compléments alimentaires, et de la présence de concurrents importants, tout risque d’effet horizontal lié à l’opération sur le marché des compléments alimentaires peut être écarté.

B. EFFETS   CONGLOMÉRAUX

36. Une concentration a des effets congloméraux lorsque la nouvelle entité étend ou renforce sa présence sur plusieurs marchés dont la connexité peut lui permettre d’accroître son pouvoir de marché ; si les concentrations conglomérales peuvent susciter des synergies pro- concurrentielles, certaines peuvent néanmoins produire des effets restrictifs de concurrence lorsqu’elles permettent de lier, techniquement ou commercialement, les ventes ou les achats des éléments constitutifs du regroupement de façon à verrouiller le marché ou à en évincer les concurrents. La pratique décisionnelle écarte en principe les risques d’effets congloméraux lorsque la part de l’entreprise issue de l’opération sur les  marchés  concernés  ne  dépasse  pas 30 %.

37. En l’espèce, les marchés des produits pharmaceutiques et des compléments alimentaires peuvent être considérés comme connexes, compte tenu notamment de l’identité des acheteurs de la nouvelle entité. Toutefois, sa part de marché sur ces différents marchés restera, à l’issue de l’opération, inférieure à 30 %. En conséquence, l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence par le biais d’effets congloméraux entre ces deux marchés.

DÉCIDE

Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 19-297 est autorisée.

NOTES :

1 Commission européenne, décision M. 1397, Sanofi/Synthelabo, 17 mai 1999.

2 Voir la décision n° 13-DCC-106 du 6 août 2013 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Warner Chilcott plc par la société Actavis, Inc., point 13 et la décision n° 14-DCC-49 du 31 mars 2014 relative à la prise de contrôle exclusif de SPL Acquisition Corp par Shenzhen Hepalink Pharmaceutical Co Ltd, point 6.

3 Commission européenne, décision M. 1397, Sanofi/Synthelabo, 17 mai 1999, et Commission européenne, décision M. 3394, Johnson & Johnson/MSD Europe, 29 mars 2004.

4 Voir notamment les décisions de la Commission européenne n° COMP/M.5295, Teva/Barr, 19 décembre 2008, n° COMP/M.5253, Sanofi- Aventis/Zentiva, 4 février 2009, n° COMP/M.5555, Novartis/EBEWE, 22 septembre 2009, la décision du Ministre C2006-142, du 20 décembre 2006 relative à l’acquisition de 3M par Meda et la décision de l’Autorité de la concurrence n° 10-DCC-191 du 19 décembre 2010 relative à la prise de contrôle exclusive du groupe Théramex par le groupe Teva et n° 13-DCC-106 du 6 août 2013 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Warner Chilcott plc par la société Actavis, Inc., points 5 à 8.

5 Voir notamment la décision de la Commission européenne n° COMP/M.5865, Teva/Ratiopharm, 3 août 2010.

6 En pratique, les produits commercialisés par les parties appartiennent à des classes ATC1 distinctes (A et N pour l’acquéreur, G, P et D pour la cible).

7 Commission européenne, décision M. 3394, Johnson & Johnson/MSD Europe, 29 mars 2004.