CA Besançon, 1re ch. civ. et com., 11 mai 2021, n° 19/01657
BESANÇON
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Seiko France (SAS)
Défendeur :
Christ Elec (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mazarin
Conseillers :
Mme Uguen Laithier, M. Leveque
Avocats :
Me Auge, Me Pauthier, Me Menegazzi
Faits et prétentions des parties
La société UCI Technologie a confié à la SARL Christ Elec la sous-traitance de travaux d'installation d'équipement électrique dans le cadre de l'aménagement d'une boutique de la SAS Seiko France, pour un montant de 43 858,74 euros HT.
Suivant jugement de la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Strasbourg en date du 2 mai 2017, la société UCI Technologie a été placée en redressement judiciaire.
Après vaine sommation faite à la SAS Seiko le 15 mai 2017 de régler le solde du marché, la société Chris Elec a, par exploit d'huissier délivré le 25 juillet 2018, fait assigner la société Seiko France devant le tribunal de commerce de Besançon en recouvrement des sommes dues.
Par jugement rendu le 19 juin 2019, ce tribunal estimant l'action directe recevable et fondée a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire condamné la société Seiko France à payer à la société Christ Elec la somme de 5 537,60 euros HT au titre du solde de facture due et une indemnité de procédure de 1 000 euros ainsi qu'aux dépens.
Suivant déclaration reçue au greffe le 2 août 2019, la société Seiko France a relevé appel de ce jugement et aux termes de ses dernières écritures transmises le 29 avril 2020 elle demande à la cour de l'infirmer en toutes ses dispositions et de :
- dire l'action directe du sous-traitant irrecevable faute pour les conditions d'agrément visées à l'article 3 de la loi d'ordre public du 31 décembre 1975 d'être réunies,
- subsidiairement, l'exonérer de toute responsabilité à l'égard de la société Christ Elec,
- condamner celle-ci à lui verser 5 000 euros au titre de ses frais irrépétibles en sus des dépens de première instance et d'appel, avec droit pour son conseil de se prévaloir des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par ultimes écrits déposés le 13 mai 2020, la société Christ Elec demande à la cour de :
- infirmer le jugement déféré sauf en ce qu'il a déclaré son action directe à l'encontre de la société Seiko recevable et bien fondée,
- condamner la SAS Seiko France à lui payer la somme de 11 258,48 euros au titre de l'action directe, outre intérêts de l'article L.441-6 du code de commerce à compter de la mise en demeure du 15 mai 2017,
- subsidiairement, dire que la société Seiko France a manqué à ses obligations découlant de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 et la condamner à lui payer la somme de 26 343,44 euros, outre intérêts de l'article L. 441-6 du code de commerce à compter du 15 mai 2017,
- en tout état de cause, condamner l'appelante à lui verser 5 000 euros au titre des frais irrépétibles en sus des dépens d'appel.
Pour l'exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 9 mars 2021.
Discussion
Attendu que, conformément à l'article 12 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, le sous-traitant dispose d'une action directe contre le maître de l'ouvrage si l'entrepreneur principal ne paie pas les sommes dues en vertu du contrat de sous-traitance, un mois après réception d'une mise en demeure, dont copie est adressée au maître de l'ouvrage, et ce quand bien même l'entrepreneur principal serait placé en redressement ou liquidation judiciaire ;
Que cependant la faculté d'exercer l'action directe susvisée est subordonnée à l'acceptation préalable du sous-traitant et à l'agrément de ses conditions de paiement par le maître de l'ouvrage ;
Attendu qu'en l'espèce, la société UCI Technologie, choisie comme entrepreneur principal par la société Seiko France pour la rénovation de sa boutique à Lille, a sous traité à la société Christ Elec le lot électricité suivant contrat de sous-traitance du 13 juillet 2016 moyennant un coût de 43 585,74 euros HT ;
Que la société Christ Elec justifie avoir mis la société UCI Technologie en demeure par lettre recommandée avec avis de réception du 7 décembre 2016 de lui payer la somme de 26 343,44 euros HT sous peine d'actionner directement le maître d'ouvrage et avoir adressé la copie de ce pli recommandé à la société Seiko France sous la même forme, cette dernière l'ayant réceptionnée le 9 décembre 2016 par une signature et un tampon ;
Que la société Christ Elec a ensuite adressé à la société Seiko France une mise en demeure par lettre recommandée avec avis de réception du 15 mai 2017, au visa des dispositions d'ordre public de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975, d'avoir à lui régler la somme restante due de 26 343,44 euros et a transmis par lettre recommandée avec avis de réception sa déclaration de créance de même montant au représentant des créanciers de la société UCI Technologie le même jour ;
Attendu que pour contester le bien-fondé de l'action directe formée à son encontre, la société Seiko France fait valoir que l'agrément sans équivoque du sous-traitant et de ses conditions de paiement sont des conditions impératives et d'ordre public, de sorte qu'en l'absence d'agrément du contrat de sous-traitance de la société Christ Elec, le tribunal ne pouvait retenir l'action directe de celui-ci à son encontre au seul motif qu'elle n'aurait pas opposé ce moyen à réception de la sommation ;
Que la société Christ Elec soutient au contraire être recevable en son action directe engagée plus d'un mois après l'envoi de sa mise en demeure au maître de l'ouvrage conformément à l'article 12 de la loi du 31 décembre 1975, que le maître d'ouvrage avait parfaitement connaissance de son contrat de sous-traitance et qu'il en avait tacitement accepté les termes, faute de justifier d'un refus exprès d'agrément auprès de la société UCI Technologie et d'une protestation à réception de la mise en demeure puis de sa sommation de payer ;
Attendu qu'en l'espèce, il n'est en effet justifié d'aucun agrément exprès ; qu'il est cependant communément admis que l'acceptation et l'agrément peuvent être implicites, sous réserve de résulter d'actes manifestant sans équivoque la volonté du maître de l'ouvrage d'accepter le sous-traitant et d'agréer ses conditions de paiement et qu'ils ne peuvent, en tout état de cause, résulter du seul comportement passif du maître de l'ouvrage ;
Que l'appelante n'a pas réagi à la réception de la mise en demeure du 7 décembre 2016 pour opposer l'absence d'agrément ;
Qu'elle a répliqué à celle du 15 mai 2017 qui lui était personnellement adressée par un courrier de son conseil du 15 juin 2017 en invoquant, non pas l'absence d'agrément et d'acceptation des modalités de paiement, mais en opposant avoir apuré sa dette au titre du lot électricité entre les mains de son cocontractant à la date de réception de cette mise en demeure ;
Que c'est donc à juste titre que les premiers juges ont considéré que le maître d'ouvrage avait implicitement mais sans ambiguïté agréé le sous-traitant ;
Attendu toutefois que l'appelante fait subsidiairement et légitimement valoir que le sous-traitant ne peut obtenir, par l'action directe, que le paiement des travaux qu'il a effectivement exécutés à la date de réception de la mise en demeure et que le maître de l'ouvrage n'est tenu de payer à celui-ci que les sommes qu'il doit encore à son cocontractant ; qu'elle en déduit qu'aucune créance n'est démontrée dès lors qu'elle a payé l'intégralité du marché à son cocontractant, la société UCI Technologie, à hauteur d'une somme de 49 838,36 euros et qu'au surplus l'intimée ne démontre pas avoir effectué l'intégralité des travaux à la date de la mise en demeure ;
Que la société Christ Elec affirme au contraire qu'à la date de la mise en demeure du 7 décembre 2016 le maître de l'ouvrage restait devoir à la société UCI Technologie la somme de 11 258,48 euros et que la ventilation des sommes versées à cette dernière par l'appelante au titre du marché global ne saurait lui être opposée ;
Attendu qu'en vertu de l'article 13 de la loi susvisée, l'action directe ne peut viser que le paiement correspondant aux prestations prévues par le contrat de sous-traitance et dont le maître de l'ouvrage est effectivement bénéficiaire et les obligations du maître de l'ouvrage sont limitées à ce qu'il doit encore à l'entrepreneur principal à la date de la réception de la copie de la mise en demeure prévue à l'article précédent ;
Qu'en l'occurrence la société Seiko France a réceptionné la copie de la mise en demeure visée au texte précité le 9 décembre 2016 ;
Qu'il ressort clairement d'un courriel adressé le 24 novembre 2016 par la société Christ Elec à la société UCI Technologie que l'équipe qui devait intervenir sur le chantier au cours de la semaine a été déprogrammée en raison de l'absence de règlement des deux factures précédemment expédiées et qu'elle serait engagée à réception du paiement des deux factures ; qu'il ressort de ce document qu'à la date du 24 novembre 2016 soit quinze jours avant la réception de la mise en demeure les travaux d'électricité incombant au sous-traitant n'étaient pas achevés mais conditionnés à un paiement d'acomptes ;
Qu'il ressort au surplus du contrat passé avec la société UCI Technologie que le coût global du lot "électricité" s'élevait à une somme de 55 375,96 euros et que le maître de l'ouvrage justifie avoir acquitté au titre de ce lot, les 12 juillet et 18 octobre 2016, la somme totale de 49 838,36 euros, soit un reliquat restant dû de 5 537,60 euros ;
Que cependant faute pour la société Christ Elec de justifier de l'achèvement de sa prestation convenue au devis, dont il résulte au contraire du courriel précédemment évoqué qu'elle l'avait conditionné au règlement des deux dernières factures en attente, elle échoue à administrer la preuve qui lui incombe du bien-fondé de la créance invoquée à l'encontre du maître de l'ouvrage ;
Que le jugement déféré sera par suite infirmé en ce qu'il a condamné ce dernier à lui payer la somme de 5 537,60 euros ;
Attendu que la société Christ Elec invoque subsidiairement la responsabilité délictuelle du maître de l'ouvrage en vertu de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975, dès lors qu'il n'a pas exigé de son cocontractant la régularisation de l'intervention du sous-traitant, dont il avait connaissance, puisqu'il a admis avoir reçu la demande d'agrément de l'intimée par la société UCI Technologie et qu'en ce qui la concerne elle n'avait pas l'obligation de se manifester auprès de lui pour obtenir l'agrément ;
Qu'à ce titre elle explique qu'en raison de ce manquement elle subit un préjudice puisqu'elle est privée des sommes qu'elle aurait pu obtenir par le bais de l'action directe et prétend que ce dommage se matérialise en valeur économique, soit 26 343,44 euros HT ;
Mais attendu que c'est à juste titre que l'appelante considère que sa responsabilité délictuelle ne peut être engagée à l'égard de l'intimé au regard du texte invoqué dans la mesure où il n'est pas démontré qu'elle a eu connaissance de l'existence de ce sous-traitant avant la réception de la mise en demeure, le 9 décembre 2016, et qu'il a été établi qu'à cette date aucune somme ne pouvait légitimement lui être réclamée au titre d'un solde ;
Que cette demande de dommages intérêts, formée pour la première fois en appel, sera rejetée ;
Par ces motifs
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Infirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Besançon le 19 juin 2019 en toutes ses dispositions.
Statuant à nouveau,
Dit l'action directe engagée par la SARL Christ Elec à l'égard de la SAS Seiko France recevable mais mal fondée.
Déboute la SARL Christ Elec de sa demande en paiement à l'encontre de la SAS Seiko France.
La déboute de sa demande de dommages intérêts.
Condamne la SARL Christ Elec à payer à la SAS Seiko France la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne la SARL Christ Elec aux dépens de première instance et d'appel.
Autorise Mme Fabienne Augé, avocat, à recouvrer ceux d'appel dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision conformément à l'article 699 du code de procédure civile.