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Décisions

ADLC, 23 mars 2020, n° 20-DCC-40

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

relative à la prise de contrôle conjoint d’un fonds de commerce de détail à dominante alimentaire par la société Soresum aux côtés de l’Association des Centres Distributeurs E. Leclerc

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme de Silva

ADLC n° 20-DCC-40

22 mars 2020

L’Autorité de la concurrence,

Vu le dossier de notification adressé au service des concentrations le 17 décembre 2019 et déclaré complet le 17 février 2020, relatif à la prise de contrôle conjoint d’un fonds de commerce de détail à dominante alimentaire par la société Soresum aux côtés de l’Association des Centres Distributeurs E. Leclerc, formalisée par un protocole d’accord transactionnel en date du 9 décembre 2019 et un contrat de bail commercial en date du 14 février 2020 ;

Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;

Vu les éléments transmis par les parties au cours de l’instruction ; Adopte la décision suivante :

I. Les entreprises concernées et l’opération

A. LES ENTREPRISES CONCERNÉES

1. LES ACQUÉREURS ET LA CIBLE

1. La société Soresum est contrôlée par la famille Chong Fah Shen  (ci-après  le  « groupe  Chong Fah Shen »). Le groupe Chong Fah Shen est composé de plusieurs sociétés actives à la Réunion, en particulier dans les secteurs de l’acier, de l’immobilier et de la grande distribution. Il exploite à la Réunion, sous l’enseigne E. Leclerc, deux hypermarchés, situés au Tampon et à Sainte Clotilde, ainsi que deux supermarchés situés au Tampon et à Plaine des Cafres. Le groupe Chong Fah Shen exploite également conjointement avec le groupe Excellence un hypermarché situé à Saint-Leu.

2. L’Association des Centres Distributeurs E. Leclerc (ci-après, l’« ACDLec ») est l’organe qui définit la stratégie du mouvement E. Leclerc, dont sont adhérentes toutes les personnes physiques qui dirigent les sociétés d’exploitation de magasins E. Leclerc. L’ACDLec détermine notamment les conditions d’agrément au mouvement E. Leclerc et signe les contrats d’enseigne (ou « de licence de marques ») dont les exploitants de magasins de commerce de détail

E. Leclerc doivent être titulaires.

3. Le magasin cible est un hypermarché, anciennement sous enseigne Auchan, dont l’exploitation a cessé à la suite de l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire, situé à Saint-Pierre de la Réunion (974), d’une surface de vente de 5 685 m².

2. LE CONTRÔLE DES ENTITÉS CONCERNÉES

4. À l’issue de l’opération, le fonds de commerce cible sera détenu par une société d’exploitation, laquelle sera conjointement contrôlée, au sens du droit des concentrations, par l’ACDLec et le groupe Chong Fah Shen. En effet, comme l’Autorité l’a relevé dans de précédentes décisions1, les obligations que l’ACDLec fait peser sur les sociétés d’exploitation des magasins E. Leclerc, telles que la société en cours de création, lui permettent d’exercer une influence déterminante sur celles-ci. Cette analyse de l’influence déterminante exercée par l’ACDLec est transposable à la présente opération, au vu des documents contractuels qui lieront la société d’exploitation à l’ACDLec2.

B.       L’OPÉRATION

5. L’opération, formalisée par un protocole transactionnel en date du 9 décembre 2019 et un contrat de bail en date du 14 février 2020, consiste en l’acquisition par le groupe Chong Fah Shen de l’hypermarché sans enseigne situé à Saint-Pierre de la Réunion (974). Le point de vente cible sera exploité par une société en cours de création dont les statuts seront conformes aux statuts-types E. Leclerc. Elle a vocation à être titulaire d’un contrat de licence de marques

E. Leclerc par l’intermédiaire du groupe Chong Fah Shen3. La centrale d’achat des centres distributeurs E. Leclerc SCA Normande détiendra une action au sein du capital de la société Soco Invest.

6. En ce qu’elle se traduit par la prise de contrôle conjoint du magasin cible par Soresum aux côtés de l’ACDLec, l’opération constitue une concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce.

7. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d’affaires hors taxes total sur le plan mondial de plus de 75 millions d’euros (mouvement E. Leclerc : [≥75 millions] d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 20184 ; groupe Chong Fah Shen : [≥75] millions d’euros pour le même exercice ; le magasin cible : [≤75] millions d’euros pour l’exercice clos le 31 mars 2019). Deux de ces entreprises réalisent en France un chiffre d’affaires supérieur à 15 millions d’euros (mouvement E. Leclerc : [≥15 millions] d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 20185 ; groupe Chong Fah Shen : [≥15] millions d’euros pour le même exercice ; le magasin cible : [≥15] millions d’euros pour l’exercice clos le 31 mars 2019).

8. Les seuils de notification de l’article 1 paragraphe 2 du règlement (CE) 139/2004 ne sont pas franchis, l’opération ne relève pas de la compétence de l’Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle relatif au commerce de détail mentionnés au II de l’article L. 430- 2 du code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles

L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.

II. Délimitation des marchés pertinents

A. LES MARCHÉS AMONT DE L’APPROVISIONNEMENT

1. MARCHÉS DE PRODUITS

9. En ce qui concerne les marchés de l’approvisionnement, la Commission européenne6 retient l’existence de marchés de dimension nationale par grands groupes de produits, délimitation suivie par les autorités nationales7.

10. Il n’y a pas lieu de remettre en cause cette délimitation à l’occasion de la présente opération.

2. MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES

11. Du point de vue géographique, la pratique décisionnelle constante des autorités de concurrence considère que les marchés de l'approvisionnement sont de dimension nationale8.

12. En ce qui concerne les départements et régions d’outre-mer (ci-après « DROM »), l’Autorité a souligné le caractère spécifique des circuits d’approvisionnement en produits de grande consommation et ses effets sur l’équilibre concurrentiel des marchés concernés9. De plus, une partie de l’approvisionnement des enseignes de distribution de détail à dominante alimentaire provient de producteurs locaux, afin notamment de répondre aux goûts et habitudes alimentaires locaux, mais aussi de limiter les coûts d’importation, dont celui du fret maritime et celui de l’octroi de mer. Les marchés géographiques en matière d’approvisionnement peuvent donc être limités à chaque DROM10.

13. En l’espèce, les parties sont simultanément actives à la Réunion.

B. LES MARCHÉS AVAL DE LA DISTRIBUTION DE DETAIL A DOMINANTE ALIMENTAIRE

1. MARCHÉS DE PRODUITS

14. En ce qui concerne la vente au détail des biens de consommation courante, l’Autorité distingue six catégories de commerce de détail de biens de consommation courante, en utilisant plusieurs critères, notamment la taille des magasins, leurs techniques de vente, leur accessibilité, la nature du service rendu et l’ampleur des gammes de produits proposés : (i) les hypermarchés (magasins à dominante alimentaire d’une surface légale de vente supérieure à 2 500 m²), (ii) les supermarchés (entre 400 et 2 500 m²), (iii) le commerce spécialisé, (iv) le petit commerce de détail (moins de 400 m²), (v) les maxi-discompteurs, (vi) la vente par correspondance11. Ces seuils de surfaces doivent toutefois être utilisés avec précaution : ils peuvent être adaptés à chaque cas d’espèce, en particulier si des magasins dont la surface est située à proximité d’un seuil, soit en-dessous, soit au-dessus, se trouvent en concurrence directe avec les magasins d’une autre catégorie.

15. Si chaque catégorie de magasin conserve sa spécificité, il existe une concurrence asymétrique entre certaines de ces catégories. L’Autorité distingue ainsi : (i) un marché comprenant uniquement les hypermarchés et (ii) un marché comprenant les supermarchés et les formes de commerce équivalentes (hypermarchés, hard-discount et magasins populaires) hormis le petit commerce de détail (moins de 400 m²)12.

16. En l’espèce, le magasin cible dispose d’une surface de vente de 5 685 m² : il entre donc dans la catégorie des hypermarchés. L’opération sera donc analysée sur les deux marchés définis ci- avant.

2. MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES

17. Les autorités de concurrence examinent les effets des concentrations dans le secteur de la distribution de détail à dominante alimentaire au niveau local, qui correspond à la zone de chalandise associée à chaque magasin et dont l’étendue est fonction du temps de déplacement en voiture pour le consommateur (hors Paris)13.

18. Pour les magasins dont la superficie est supérieure à 2 500 m², l’Autorité considère que les conditions de la concurrence s’apprécient sur deux zones différentes (hors Paris) :

- un premier marché où se rencontrent la demande des consommateurs d’une zone et l’offre des hypermarchés auxquels ils ont accès en moins de 30 minutes de déplacement en voiture et qui sont, de leur point de vue, substituables entre eux ;

- et un second marché où se rencontrent la demande de consommateurs et l’offre des supermarchés et formes de commerce équivalentes situés à moins de 15 minutes de temps de déplacement en voiture14.

19. Ces délimitations sont toutefois susceptibles d’être affinées au cas par cas, en fonction des caractéristiques de la zone locale, puisque d’autres critères peuvent être pris en compte pour évaluer l’impact d’une concentration sur la concurrence.

20. En l’occurrence, le magasin cible entrant dans la catégorie des hypermarchés, l’opération sera analysée sur le marché incluant uniquement les hypermarchés dans un rayon de 30 minutes de déplacement en voiture à partir du magasin cible et, d’autre part, sur le marché incluant les hypermarchés, les supermarchés et formes de commerce équivalentes situés dans un rayon de 15 minutes.

III. Analyse concurrentielle

21. Le groupe Chong Fah Shen exploite actuellement, sous enseigne E. Leclerc, deux hypermarchés et un supermarché à la Réunion. Il résulte toutefois de l’instruction que le groupe Excellence exploite également plusieurs hypermarchés et supermarchés sous enseigne E.Leclerc à la Réunion. Ces magasins seront intégrés à l’analyse.

A. LES MARCHÉS AMONT DE L’APPROVISIONNEMENT

1. AU NIVEAU NATIONAL

22. En ce qui concerne les marchés amont de l’approvisionnement, l’opération ne concerne qu’un seul magasin, dont le montant des achats totaux représente une part marginale du marché national de l’approvisionnement.

23. La puissance d’achat du mouvement E. Leclerc et du groupe Chong Fah Shen n’est donc pas susceptible d’être renforcée, tous produits confondus comme par catégories de produits, à l’issue de l’opération.

2. AU NIVEAU LOCAL

24. Au niveau local, la puissance d’achat du mouvement E. Leclerc et du groupe Chong Fah Shen est renforcée par l’acquisition du magasin cible. Toutefois, les parts de marché cumulées des parties sont inférieures à 25 %, quelle que soit la segmentation retenue.

B. LES MARCHÉS AVAL DE LA DISTRIBUTION

25. Sur le marché comprenant les hypermarchés situés dans une zone correspondant à un déplacement en voiture de 30 minutes à partir de l’hypermarché cible, le magasin cible représente [10-20] % des surfaces de vente. Trois hypermarchés sous enseigne E. Leclerc sont également présents sur la zone, à 11, 20 et 23 minutes, et représentent [20-30] % des surfaces de la zone concernée. La part de marché de l’enseigne E. Leclerc est donc de [40-50] %. Les magasins sous enseigne E.Leclerc feront face à la concurrence de quatre enseignes concurrentes, Système U ([10-20] %), Carrefour ([10-20] %), Jumbo Score ([10-20] %) et Auchan ([10-20] %), situés à respectivement 11, 5, 7 et 11 minutes.

26. Afin de tenir compte des fortes disparités des enseignes en termes de rentabilité rapportée à la surface de vente, l’analyse a été complétée par un examen de leur position sous l’angle du chiffre d’affaires. L’enseigne E. Leclerc disposera de [50-60] % de part de marché sur la zone. Si cette part de marché est élevée, l’intensité de la concurrence qui subsistera permet d’éviter les risques d’atteinte à la concurrence. En effet, quatre enseignes nationales sont présentes dans la zone, toutes plus proches ou à distance équivalente du premier point de vente E. Leclerc. Par ailleurs, les magasins E. Leclerc de Saint Leu et Saint Joseph, sont éloignés du magasin cible, qui exerce sur eux une faible pression concurrentielle.

27. Compte tenu de ces éléments, tout risque d’atteinte à la concurrence peut être écarté sur la zone de 30 minutes.

28. Sur le marché comprenant les hypermarchés, supermarchés et formes de commerce équivalentes situés dans une zone correspondant à un déplacement de 15 minutes en voiture à partir de l’hypermarché cible, le magasin cible représente [10-20] % des surfaces de vente. Les autres magasins sous enseigne E. Leclerc représentent [10-20] % des surfaces de vente de la zone concernée. La part de marché de l’enseigne E. Leclerc est donc de [20-30] %. Les magasins sous enseigne E. Leclerc feront face à la concurrence de six enseignes concurrentes dont notamment Jumbo Score ([20-30] %), Système U ([10-20] %), Carrefour ([10-20] %), Leader Price ([10-20] %) et Auchan ([5-10] %). En termes de chiffre d’affaires, l’enseigne

E. Leclerc disposera de [40-50] % de part de marché sur la zone. Tout risque d’atteinte à la concurrence peut donc être écarté sur la zone de 15 minutes.

29. Par conséquent, l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence que ce soit sur les marchés aval de la distribution, ou sur les marchés amont de l’approvisionnement.

 

DÉCIDE

Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 19-337 est autorisée.

 

NOTES :

1 Décisions de l’Autorité n° 16-DCC-14 du 29 janvier 2016 relative à la prise de contrôle conjoint d’un magasin de commerce de détail à dominante alimentaire par la société Attindis aux côtés de l’Association des Centres Distributeurs E. Leclerc, n° 16- DCC-53 du 15 avril 2016 relative à la prise de contrôle conjoint d’un fonds de commerce de détail à dominante alimentaire sous enseigne E. Leclerc par les époux Bernard aux côtés de l’Association des Centres Distributeurs E. Leclerc, n° 16-DCC-211 du 13 décembre 2016 relative à la prise de contrôle conjoint d’un fonds de commerce de la société Sodix par l’Association ACDLec aux côtés de la société Lacdis et n° 19-DCC-63 du 9 avril 2019 relative à la prise de contrôle conjoint d’un fonds de commerce de détail à dominante alimentaire par la société Thegadis aux côtés de l’Association des Centres distributeurs E. Leclerc.

2 Voir les paragraphes 6 à 17 de la décision de l’Autorité n° 19-DCC-63 du 9 avril 2019 relative à la prise de contrôle conjoint d’un fonds de commerce de détail à dominante alimentaire par la société Thegadis aux côtés de l’Association des Centres Distributeurs E. Leclerc.

3 Le groupe Chong Fah Shen est titulaire d’un contrat de licence de marques mentionnant l’exploitation de la société SODHYNORD, conclu le 21 mars 2018. Si le contrat de licence de marques existant ne mentionne pas l’exploitation du point de vente de Saint-Pierre de la Réunion, il ne fait aucun doute que la société d’exploitation en cours de création a vocation à être affiliée au Mouvement E. Leclerc et à figurer à l’avenir sur le contrat de licence de marques E. Leclerc.

4 L’ACDLec exerçant un contrôle conjoint sur certains magasins à l’enseigne E. Leclerc, 50 % du chiffre d’affaires des magasins a été affecté à l’ACDLec aux fins du calcul du chiffre d’affaires, conformément aux dispositions des paragraphes 186 et 187 de la communication consolidée de la Commission européenne.

5 Id.

6 Décisions de la Commission européenne M.1684 du 25 janvier 2000 Carrefour / Promodès et M.2115 du 28 septembre 2000 Carrefour / GB.

7 Lettres du ministre chargé de l’économie C2005-98 du 10 novembre 2005 Carrefour/Penny Market, C2006-15 du 14 avril 2006 Carrefour/ Groupe Hamon, C2007-172 du 13 février 2008 relative à la création de l’entreprise commune Plamidis et C2008-32 du 9 juillet 2008 Carrefour/SAGC, ainsi que les décisions n° 16-DCC-53 et n° 16-DCC-211 précitées.

8 Décisions COMP/M.1684,COMP/M.4096, n° 16-DCC-53 et n° 16-DCC-211 précitées.

9 Avis du Conseil de la concurrence n° 09-A-45 du 8 septembre 2009 relatif aux mécanismes d’importation et de distribution des produits de grande consommation dans les départements d’outre-mer et avis 19-A-12 du 4 juillet 2019 concernant le fonctionnement de la concurrence en Outre-Mer.

10 Décision de l’Autorité n° 18-DCC-142 du 23 août 2018 relative à la prise de contrôle exclusif des sociétés SDRO et Robert II par la société Groupe Bernard Hayot.

11 Décisions n° 16-DCC-53, n° 16-DCC-211 et n° 19-DCC-63 précitées.

12 Id.

13 Id.

14 Id.