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Décisions

Cass. 2e civ., 21 octobre 2004, n° 02-30.903

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dintilhac

Rapporteur :

M. Mazars

Avocat général :

M. Kessous

Avocats :

SCP Parmentier et Didier, SCP Boré et Salve de Bruneton

Bourges, du 22 mai 2002

22 mai 2002

Attendu, selon l'arrêt partiellement confirmatif attaqué, que Mlle X..., alors âgée de cinq ans, a été blessée dans un accident de la circulation dont Mme Y..., assurée par la Mutuelle générale d'assurance (MGA), a été condamnée à réparer les conséquences dommageables ; que plusieurs décisions judiciaires ont ensuite ordonné des expertises médicales et le versement de provisions pour les préjudices subis par l'enfant ou ses parents, notamment la mère qui a quitté son emploi pour s'occuper de sa fille ; qu'un rapport d'expertise médicale ayant fixé la date de consolidation de l'état de l'enfant et déterminé son préjudice corporel, tout en concluant à la nécessité de revoir la victime après son dix-huitième anniversaire, M. et Mme X... ont assigné Mme Y... et la MGA en versement d'une indemnité provisionnelle en réparation du préjudice subi par Mlle X..., tout en demandant le sursis à statuer sur son préjudice définitif, en indemnisation de leurs propres préjudices et en paiement par la MGA d'une pénalité pour ne pas avoir présenté d'offres d'indemnité ; que la Caisse primaire d'assurance maladie du Cher et la Mutualité sociale agricole ont été appelées à l'instance ;

Sur les deuxième, troisième et quatrième moyens réunis :

Attendu que M. et Mme X... font grief à l'arrêt de les avoir déboutés de leur demande tendant à obtenir le paiement d'une certaine somme au titre des frais scolaires de leur fille et d'avoir limité l'indemnité allouée à chacun d'eux en réparation de leur préjudice moral alors, selon le moyen :

1 ) que le juge doit examiner tous les éléments de preuve régulièrement versés aux débats par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en l'espèce, il résultait du rapport d'expertise des docteurs Z... et A..., que la victime n'était pas, sur le plan médical, physiquement et intellectuellement apte à poursuivre une scolarité normale, nécessitant des horaires et une formation adaptés ; que le docteur B... avait, quant à lui, conclut à la nécessité absolue pour Charlotte de suivre " une scolarité dans une structure adaptée comme celle qu'elle fréquente actuellement, avec effectif réduit et soutien scolaire" ; que ces pièces mettaient ainsi en évidence la nécessité pour la jeune fille de bénéficier d'un accompagnement scolaire plus soutenu et d'être donc dirigée vers un établissement dans lequel le rythme scolaire était plus adapté à l'état de Charlotte que celui suivi dans le cursus habituel ; que dès lors, en se déterminant comme elle l'a fait, sans analyser les rapports d'expertise régulièrement soumis à son examen, la cour d'appel a violé l'article 1353 du Code civil ;

2 ) que la cour d'appel, qui avait constaté l'impossibilité totale pour Mme X... de retrouver un emploi dans les conditions qui s'imposaient à elle eu égard à l'état de santé de sa fille, soit un emploi à temps partiel à 80 %, ne pouvait dès lors calculer la perte de salaire annuelle seulement sur la base de 20 % du salaire perçu ; qu'en décidant ainsi tout à la fois que l'état de santé de sa fille interdisait à Mme X... de retrouver son emploi et que la perte de salaire en résultant n'était pas totale, mais devait être calculée sur la base de 20 % du salaire perçu, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a, ce faisant, violé l'article 1382 du Code civil ;

3 ) que le juge ne peut statuer par voie d'affirmation générale ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui diminuait de manière substantielle les indemnités allouées par le tribunal à chacun des époux X... en réparation de leur préjudice moral, ne pouvait se borner à affirmer que la somme ainsi accordée par les premiers juges était "hors de proportion avec le préjudice réellement subi" sans motiver davantage sa décision ; qu'en statuant ainsi par un motif d'ordre général, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve et d'évaluation du préjudice que la cour d'appel a fixé comme elle l'a fait l'indemnité due à M. et à Mme X... en réparation de leurs préjudices matériel, économique et moral ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le premier moyen :

Vu les articles 4, 5 et 16 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu qu'il résulte de ces textes que le juge ne peut modifier l'objet du litige tel qu'il est déterminé par les prétentions des parties sans les avoir invitées à présenter des observations complémentaires ;

Attendu que pour évaluer le préjudice matériel et le préjudice personnel définitivement subis par Mlle X..., l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, qu'ils sont susceptibles d'être définitivement fixés, qu'il est inopportun et injustifié de surseoir à leur liquidation ; que, pour procéder à cette liquidation, il se fonde sur les demandes formées par les parents de la mineure ;

Qu'en statuant ainsi alors qu'il résulte des conclusions produites que M. et Mme X... n'avaient formulé sur ces points que des demandes d'indemnités provisionnelles, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige sans inviter les parties à compléter leurs demandes en vue de la réparation définitive de ces préjudices, a violé les articles susvisés ;

Et sur la première branche du cinquième moyen :

Vu les articles L. 211-9, L. 211-13 du Code des assurances et 4 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu qu'il résulte du premier de ces textes que l'assureur du responsable d'un accident de la circulation qui n'a pas fait, dans le délai légal, une offre d'indemnité à la victime par ricochet alors que celle-ci avait demandé en justice la réparation de son préjudice personnel, fût-ce à titre provisionnel, encourt la sanction prévue par le second ;

Attendu que pour débouter M. et Mme X... de leur demande tendant au doublement du taux de l'intérêt légal pour le paiement des sommes relatives à leur indemnisation personnelle sur le fondement de l'article L. 211-13 précité, l'arrêt retient, par motifs adoptés, que la demande d'indemnisation de ces préjudices a été faite par l'assignation du 22 mars 2000 et que la MGA a proposé une offre d'indemnité le 24 octobre 2000, soit dans le délai légal ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résulte des pièces de la procédure et des conclusions en appel des époux X... que ceux-ci avaient formé à plusieurs reprises, avant leur assignation du 22 mars 2000, des demandes en justice contre Mme Y... et la MGA tendant au paiement de provisions sur leur préjudice personnel et ayant donné lieu en particulier aux jugements des 6 mai 1994, 13 janvier et 30 juin 1995, 14 juin 1996, 13 juin 1997 et 15 mai 1998, la cour d'appel, qui n'a pas pris en considération les demandes formulées, fût-ce à titre provisionnel, dans des instances antérieures, a méconnu les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi :

CASSE ET ANNULE, mais en ses seules dispositions relatives à la fixation et à la réparation du préjudice personnel et matériel, hors préjudice vestimentaire, de Mlle X..., ainsi qu'au doublement des intérêts sur les sommes dues aux époux X... en réparation de leurs préjudices,l'arrêt rendu le 22 mai 2002, entre les parties, par la cour d'appel de Bourges ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans.