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Décisions

ADLC, 13 mai 2020, n° 20-DCC-62

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

relative à la prise de contrôle exclusif des sociétés Short Brothers plc et Bombardier Aerospace North Africa SAS ainsi que de certains actifs de la société Bombardier par la société Spirit Aerosystems Inc.

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme de Silva

ADLC n° 20-DCC-62

12 mai 2020

L’Autorité de la concurrence,

Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 27 mars 2020, relatif  à  la   prise   de   contrôle   exclusif   des   sociétés   Short Brothers plc et Bombardier Aerospace North Africa SAS ainsi que de certains actifs de la société Bombardier par la société  Spirit Aerosystems Inc,  formalisée  par  un  contrat  de  cession  en  date  du  31 octobre 2019 ;

Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;

Vu les éléments transmis en cours d’instruction par la partie notifiante ; Adopte la décision suivante :

Résumé1

Aux termes de la décision ci-après, l’Autorité a procédé à l’examen de la prise de contrôle exclusif des sociétés Short Brothers plc et Bombardier Aerospace North Africa SAS ainsi que de certains actifs de la société Bombardier (ci-après, « les actifs cibles Bombardier ») par le groupe Spirit.

Le groupe Spirit et les actifs cibles Bombardier produisent tous deux des pièces pour aéronefs, essentiellement des composants d’ailes, de fuselages et de nacelles pour avions. Les clients des parties sont les avionneurs tels que Boeing, Airbus, Bombardier ou Gulfstream.

Dans le cadre de la présente décision, l’Autorité s’est appuyée sur la pratique décisionnelle antérieure2 et a analysé les différents marchés de la fourniture de composants pour avions à usage commercial ainsi que les marchés des pièces détachées et des services de maintenance.

Si l’opération emporte de nombreux chevauchements horizontaux, les parts de marché de la nouvelle entité dépassent 25 %, avec une addition de part de marché de plus de deux points sur un nombre limité de marchés3. Sur ces marchés, l’Autorité a relevé la présence de nombreux concurrents. Elle a également considéré que les parties n’étaient pas les plus proches concurrents, les actifs cibles Bombardier ayant une production de composants fortement orientée vers les avions d’affaires (notamment ceux produits par le cédant, le groupe Bombardier), tandis que le groupe Spirit produit des composants essentiellement destinés aux avions de grande capacité, en particulier aux avions de Boeing. Enfin, l’Autorité a relevé le fort contrepouvoir des avionneurs sur ces marchés, en raison d’une part de leur nombre limité (oligopsone) et de leurs capacités de production interne.

Dans le cadre de l’analyse des effets non horizontaux, l’Autorité a considéré que la nouvelle entité ne disposerait ni de la capacité ni des incitations à mettre en œuvre des mécanismes de verrouillage des intrants ou de la clientèle, en raison notamment de l’existence d’alternatives concurrentielles, de l’attribution par appel d’offres des marchés, de la durée des contrats et du contrepouvoir des avionneurs.

À l’issue de son analyse concurrentielle, l’Autorité a autorisé l’opération sans conditions.

I. Les entreprises concernées et l’opération

1. Spirit Aerosystems Inc. est une société de droit américain, détenue intégralement par Spirit Aerosystems Holdings Inc., société de tête du groupe Spirit et cotée à la bourse de New York4. Le groupe Spirit est actif dans la fourniture de pièces pour avions civils et militaires. Il dispose de plusieurs sites de fabrication situés aux États-Unis (Wichita, Biddeford, Kinston, Tulsa, McAlester et San Antonio), au Royaume-Uni (Prestwick), en France (Saint-Nazaire) et en Malaisie (Subang).

2. Les sociétés Short Brothers plc (société située  au  Royaume-Uni)  et  Bombardier Aerospace North Africa SAS (société située au Maroc) ainsi que les actifs composant la division « Aerostructures and Engineering Services » (implantée aux États-Unis) sont détenus in fine par la société Bombardier Inc., société de tête du groupe Bombardier. Ces sociétés et actifs cédés produisent des composants et pièces pour avions.

3. L’opération notifiée, formalisée par un contrat de cession conclu en date du 31 octobre 2019, consiste en l’acquisition par Spirit Aerosystems Inc. de l’intégralité du capital des sociétés Short Brothers plc et Bombardier Aerospace North Africa SAS et des actifs de la division

« Aerostructures and Engineering Services » du groupe Bombardier (ci-après ensemble « actifs cibles Bombardier » ou « actifs cibles »).

4. En ce qu’elle se traduit par la prise contrôle exclusif des actifs cibles Bombardier par le groupe Spirit, l’opération notifiée constitue une opération de concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce.

5. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d’affaires total sur le plan mondial de plus de 150 millions d’euros (groupe Spirit : [≥ 150 millions] d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2019 ; actifs cibles Bombardier : [≥ 150 millions] d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2018). Chacune de ces entreprises réalise chacune, en France, un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros (groupe Spirit : [≥ 50 millions] d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2019 ; actifs cibles Bombardier : [≥ 50 millions] d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2018). Compte tenu de ces chiffres d’affaires, l’opération ne revêt pas une dimension européenne5. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l’article L. 430- 2 du code de commerce sont franchis. La présente opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce, relatives à la concentration économique.

II. Délimitation des marchés pertinents

6. Les parties sont simultanément présentes sur les marchés de la conception, fabrication et commercialisation de pièces pour avions, en particulier de composants d’aérostructures. Les aérostructures constituent les composants structurels d’un avion et incluent notamment les ailes, le fuselage, l’empennage et les nacelles. Les producteurs de ces composants peuvent être les avionneurs eux-même tels Boeing, Airbus, Gulfstream et Dassault, ou bien des producteurs indépendants qui interviennent alors comme sous-traitants des avionneurs. Ces derniers sont divisés en producteurs dit de premier niveau (ou « tier 1 » selon la terminologie anglaise) et de deuxième niveau (ou « tier 2 »). Les producteurs de premier niveau ont généralement des capacités de montage et peuvent fournir des aérostructures assemblées (aile, nacelle, etc.), tandis que les producteurs de deuxième niveau se limitent à la production de composants ou de sous-composants, qu’ils fournissent ensuite soit aux fournisseurs de premier niveau, soit directement aux avionneurs. En effet, les avionneurs peuvent acheter directement des pièces à des producteurs et choisir d’assembler les aérostructures eux-mêmes. Les parties sont toutes deux des producteurs de premier niveau.

7. Les parties sont également actives sur les marchés de la fourniture de services après-vente de maintenance, de réparation et de révision (abrégé en MRO en anglais pour « maintenance, repair and overhaul ») et de pièces détachées.

A. MARCHÉS  DE  LA  FOURNITURE  DE  PIÈCES  POUR AÉRONEFS

1. MARCHÉ DES PRODUITS

8. La pratique décisionnelle a distingué au sein du marché des aéronefs plusieurs segments6 : les hélicoptères, les avions commerciaux, les avions dit « d’aviation générale »7 et les avions militaires8.

9. Au sein des avions à usage commercial, elle a envisagé une segmentation entre les avions commerciaux de grande capacité (supérieure à 100 passagers), les avions régionaux (entre 30 et 100 passagers) et les avions d’affaires9.

10. La pratique décisionnelle de la Commission européenne a envisagé alternativement, en fonction du cas d’espèce, (i) une approche globale, définissant un marché de la fourniture de l’ensemble des pièces impliquées dans la fabrication d’un avion, telles que les ailes, le fuselage, les pylônes ou les nacelles10 ou (ii) une approche par composant, selon laquelle chacune de ces pièces relève d’un marché spécifique11.

11. La pratique décisionnelle a ainsi identifié ou envisagé différents marchés pour chaque composant ou sous-composant d’aérostructures. Ainsi, elle a notamment analysé les marchés de la fourniture des composants ou sous-composants cités ci-dessous :

- pour les ailes : les dispositifs mobiles de bord d’attaque fixe (leurs sous-composants, les becs et les rails des bords d’attaques), les dispositifs mobiles de bord de fuite (et leurs sous-composants, les rails de bord de fuite), les bords d’attaque, les bords de fuite, les structures secondaires d’ailes et les différents composants structurels de l’aile12 ;

- pour les nacelles : les inverseurs de poussée (et leurs sous-composants : grilles d’inverseur de poussée, déflecteurs d’inverseur de poussée, tuyaux métalliques flexibles et assemblages de conduits à haute température), les capots d’entrée d’air, les cônes ou buses d’échappement, les capots de soufflante et les attaches de réacteur ;

- pour le fuselage : les fuselages de cockpit, les fuselages avant, les fuselages centraux, les fuselages arrière et les fuselages de queue ainsi que les composants structurels des parties de fuselage13.

12. La question de la délimitation des marchés peut être laissée ouverte, les conclusions de l’analyse concurrentielle restant inchangées. En l’espèce, l’analyse a été menée à la fois sur le marché global ainsi que sur chaque marché de composants.

2. MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES

13. La Commission européenne considère de pratique constante que la dimension géographique des marchés de pièces pour aéronefs est mondiale14.

14. Il n’y a pas lieu, en l’espèce, de remettre en cause la délimitation géographique des marchés.

B. MARCHÉS DES PIÈCES DÉTACHÉES ET DES SERVICES DE MAINTENANCE (« MRO »)

1. MARCHÉS  DES  PRODUITS  ET SERVICES

15. La pratique décisionnelle a envisagé une segmentation entre le marché de la fourniture de pièces détachées utilisées dans le cadre des opérations de maintenance et le marché de la fourniture de services de maintenance15.

16. Au sein des services de maintenance, la Commission européenne a distingué16 :

- les services de maintenance dite « en ligne », qui visent à s’assurer que l’avion est apte à voler, et ont lieu dans un aéroport situé sur le trajet de l’avion. Dans le cadre de la maintenance en ligne, l’avion n’est pas retiré de la circulation. La pratique décisionnelle a envisagé une segmentation de ces services de maintenance, qui sont obligatoires, entre

(i) les vérifications dites « A-check » qui ont lieu toutes les 800 heures de vol et qui nécessitent 200 à 300 heures-homme de travail et (ii) les vérifications « B-Check » qui ont lieu tous les quatre à six mois et durent généralement trois jours ;

- les services de maintenance dite « lourde », qui impliquent le retrait de l’avion de la circulation et l’inspection détaillée de l’ensemble de l’avion. De façon similaire aux services de maintenance en ligne, la pratique décisionnelle de la Commission européenne a envisagé une segmentation entre (i) les opérations de maintenance lourde dites « C-check » qui ont lieu à une échéance donnée (fixée par le constructeur en mois ou en heures de vol) et (ii) les opérations de maintenance lourde dites « D-check » qui impliquent le démontage de l’avion, la révision et l’inspection de l’ensemble des éléments ;

- les services de maintenance des moteurs, éventuellement segmentés en fonction du type de moteur ;

- la maintenance des composants, qui consiste essentiellement à remplacer des composants dont la défaillance a été détectée (par les systèmes de l’avion ou dans le cadre des opérations de maintenance lourde ou en ligne). La maintenance des composants implique aussi des révisions périodiques de certains composants ayant trait à la sécurité.

17. La pratique décisionnelle a considéré qu’une distinction supplémentaire en fonction du type d’avion était pertinente (avions commerciaux de grande capacité, avions d’affaires et avions militaires)17. Elle a également pu retenir une segmentation en fonction de la plateforme, c’est- à-dire du modèle d’avion (par exemple, Boeing 737 ou Airbus A340)18.

18. La question de la délimitation des marchés peut être laissée ouverte, les conclusions de l’analyse concurrentielle restant inchangées.

2. MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES

19. La pratique décisionnelle considère que les marchés des pièces détachées sont au moins de dimension européenne19.

20. Pour les marchés des services de maintenance, elle a envisagé20 :

- une dimension mondiale pour les marchés de la maintenance pour composants ;

- une dimension au moins européenne pour le marché de la maintenance lourde (« C- Check » et « D-Check ») et de la maintenance des moteurs21 ;

- une dimension locale (ou tout le moins infra-européenne) pour le marché de la maintenance en ligne (« A-Check » et « B-Check »), dans la mesure où cette dernière a lieu sur la route de l’avion concernée.

21. Il n’y a pas lieu, en l’espèce, de remettre en cause la délimitation géographique des marchés.

III. Analyse concurrentielle

A. ANALYSE  DES  EFFETS  HORIZONTAUX

1. MARCHÉS  DE  LA  FOURNITURE  DE  PIÈCES  POUR  AVIONS COMMERCIAUX

22. Les activités des parties se chevauchent sur les marchés de la fourniture de pièces pour les ailes, le fuselage et les nacelles pour avions commerciaux.

23. Il convient de noter que les actifs cibles sont détenus actuellement par l’avionneur Bombardier, et [confidentiel] de la production des actifs cibles est destinée à des avions Bombardier. Pour le groupe Bombardier, l’opération conduit à une externalisation de fait de la production de certains composants d’aérostructures utilisés dans la fabrication des avions Bombardier auprès du groupe Spirit.

a) Parts de mar ché de la  nouvelle entité et  de ses concur r ents

Marché global

24. La nouvelle entité disposera sur le marché global de la fourniture de pièces d’aérostructures pour avions commerciaux d’une part de marché inférieure à [10-20] % avec une addition de part de marché de [0-5] points.

25. Sur ce marché, elle fera face à la concurrence Collins Aerospace ([5-10] %), Mitsubishi Heavy Industries (ci-après « MHI », [0-5] %), Safran ([0-5] %*), Korea Aerospace Industries (ci- après, « KAI », [0-5] %), Alenia ([0-5] %), Sonaca Group (incluant LMI, [0-5] %), Kawasaki Heavy Industries (ci-après « KHI », [0-5] %), Magellan ([0-5] %) et GKN ([0-5] %) ainsi qu’à la concurrence des avionneurs produisant pour leurs propres besoins ainsi que pour ceux de leurs concurrents, Airbus ([20-30] %) et Boeing ([10-20] %)22.

Ailes

26. Les parts de marché de la nouvelle entité sur les marchés de la fourniture d’ailes et de composants d’ailes, sur lesquels les parties sont simultanément présentes, sont détaillées dans le tableau ci-dessous23.

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27. Les parts de marché de la nouvelle entité sont inférieures à 25 % sur le marché global de la fourniture de composants d’ailes quelle que soit la segmentation ainsi que sur le marché de la fourniture de dispositifs mobiles de bord de fuite (tous avions commerciaux).

28. L’addition de part de marché résultant de l’opération est inférieure à [0-5] points sur les marchés de la fourniture (tous avions commerciaux) de bords d’attaque fixe, de dispositifs mobiles de bord d’attaque et de structures secondaires d’aile. La position des actifs cibles est limitée sur ces marchés car ces derniers ne produisent des composants d’ailes que, d’une part, pour [confidentiel].

29. Par ailleurs, sur ces différents marchés, la nouvelle entité fera face à la concurrence de nombreux fournisseurs de premier niveau tels que MHI (part de marché sur le marché global des ailes : [5-10] %), Sonaca Group (incluant LMI), [5-10] %), Magellan ([0-5] %)*, *, KAI ([0-5] %), GKN ([0-5] %), Triumph ([0-5] %) et KHI ([0-5] %) et des avionneurs, Boeing ([20-30] %)24 et Airbus ([20-30] %)25.

Fuselage

30. Les parts de marché de la nouvelle entité sur les marchés de la fourniture de fuselage et de composants de fuselage sur lesquels les parties sont simultanément présentes, sont détaillées dans le tableau ci-dessous26.

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31. Les parts de marché de la nouvelle entité sont inférieures à 25 % sur :

- les marchés de l’approvisionnement en fuselage assemblé, fuselage arrière et fuselage de queue pour tous avions commerciaux ;

- le marché de la fourniture de fuselage (marché global) à destination des avions d’affaires.

32. L’addition de part de marché liée à l’opération est inférieure à [0-5] points sur :

- les marchés de la fourniture de fuselage (marché global) et de fuselage de cockpit à destination des avions commerciaux ;

- les marchés de la fourniture de fuselage (marché global) et de fuselage central à destination des avions de grande capacité.

33. Sur le marché des fuselages avant (tous avions commerciaux), la nouvelle entité disposera d’une part de marché de [30-40] %, avec une addition de part de marché limitée ([0-5] points). Elle sera en concurrence avec Airbus ([30-40] %), KHI ([10-20] %), Alenia ([5-10] %), Boeing ([0-5] %) et AVIC ([0-5] %).

34. Sur le marché des fuselages centraux (tous types d’avions commerciaux), la nouvelle entité disposera d’une part de marché de [30-40] %, avec une addition de part de marché limitée ([0-5] points). Elle sera en concurrence avec Airbus ([20-30] %27), Alenia ([10-20] %), MHI ([5-10] %), Boeing ([0-5] %) et AVIC ([0-5] %).

Nacelles

35. Les parts de marché de la nouvelle entité sur les marchés de la fourniture de nacelles et de composants de nacelles sur lesquels les parties sont simultanément présentes, sont détaillés dans le tableau ci-dessous28.

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36. Les parts de marché de la nouvelle entité sont inférieures à 25 % :

- sur les marchés de l’approvisionnement en nacelles assemblées et en capots centraux quelle que soit la segmentation ;

- sur les marchés de l’approvisionnement en nacelles (marché global), en capots de soufflante et en capots d’entrée d’air pour toutes les segmentations à l’exception de celle relative aux avions d’affaires ;

- sur le marché de l’approvisionnement en attaches de réacteurs pour tous les avions commerciaux.

37. Sur le marché des inverseurs de poussée pour tous les avions commerciaux, la nouvelle entité disposera à l’issue de l’opération d’une part de marché de [30-40] %, avec une addition de part de marché de moins de [0-5] points. En intégrant les contrats remportés récemment par les parties, cette part de marché pourra atteindre [40-50] %, avec une addition de part de marché de [10-20] points. De façon similaire, pour le segment spécifique des avions commerciaux de grande capacité, la part de marché de la nouvelle entité s’élève à [30-40] % avec une addition de part de marché marginale mais elle atteindra, à la suite de l’obtention du contrat pour la fourniture des inverseurs de poussée sur des plateformes A320neo, [40-50] % avec une addition de part de marché de [10-20] points. La nouvelle entité fera face sur les marchés des inverseurs de poussée à la concurrence de Collins Aerospace ([40-50] % de part de marché pour les avions commerciaux hors nouveaux contrats et [40-50] % sur les avions de grande capacité hors nouveaux contrats en 2018) et de Safran ([10-20] % et [10-20] %).

38. Sur les marchés spécifiques aux avions d’affaires, la nouvelle entité disposera d’une part de marché de [30-40] %, avec une addition de part de marché de [10-20] points sur le marché global des nacelles. Par ailleurs, la part de marché de la nouvelle entité atteindra [40-50] %, avec une addition de part de marché de [10-20] points, sur les marchés des capots d’entrée d’air, des capots de soufflante et des attaches de réacteurs à destination des avions d’affaires. En intégrant un contrat remporté récemment par l’acquéreur [confidentiel], les parts de marché présentées précédemment seraient augmentées de [5-10] points, atteignant [30-40] % pour le marché global et [40-50] % pour les marchés des capots d’entrée d’air, des capots de soufflante et des attaches de réacteur. Par ailleurs, la part de marché sur le marché des inverseurs de poussée atteindra [20-30] %, avec une addition de part de marché de [0-5] points. La partie notifiante indique ne pas être en mesure de communiquer les parts de marché des concurrents pour la fourniture de composants de nacelles à destination de l’aviation d’entreprise. Elle indique que les concurrents potentiels sur ce marché sont Collins, Safran, GKN et Leonardo. La partie notifiante a également transmis une étude relative aux marchés des aérostructures, dans laquelle le segment des nacelles est analysé conjointement avec celui des pylônes. Sur ce périmètre, les parts de marché des fournisseurs présentées dans le rapport sont détaillées dans le tableau ci-dessous.

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b) Proximité  concurrentielle  des parties

39. Sur les marchés des aérostructures, les parties ne constituent pas les plus proches concurrents.

40. Tout d’abord, elles ne se concentrent pas sur les mêmes types de plateformes. En effet, Spirit dispose d’une activité centrée sur les avions commerciaux de grande capacité29. La forte présence de Spirit sur les avions commerciaux de grande capacité s’explique notamment par sa relation historique avec Boeing, dont il était une filiale jusqu’en 2005*. En revanche, les actifs cibles disposent d’une activité orientée plus fortement vers les avions régionaux et d’affaires, en raison de la spécialisation de Bombardier en tant qu’avionneur.

41. Par ailleurs, les parties se rencontrent rarement sur le marché. À titre d’exemple, en se fondant sur les appels d’offres d’Airbus lancés au cours des cinq dernières années (environ [confidentiel] appels d’offres), la partie notifiante n’a identifié que [confidentiel] appels d’offres lancés par Airbus auxquels Spirit et les actifs cibles ont tous deux participé, Spirit ayant soumissionné à environ [confidentiel] appels d’offres.

42. Ainsi, sur les marchés (tous avions commerciaux confondus) relatifs au fuselage avant et au fuselage central, Spirit ne produit que des fuselages avant pour avions commerciaux de grande capacité, tandis que les actifs cibles Bombardier produisent des fuselages pour certaines plateformes d’affaires et régionales de Bombardier ainsi que pour la plateforme A220 (ancien C-Series de Bombardier). Si ce dernier avion est un avion commercial classé dans les avions de grande capacité, il s’agit du plus petit avion produit par Airbus. Dans le cadre de la décision d’autorisation de l’acquisition par Airbus d’une participation majoritaire dans cette plateforme, le Bundeskartellamt a considéré que ce modèle n’était pas frontalement en concurrence avec l’offre principale d’Airbus30.

43. De plus, il convient de noter que les parties ne sont quasiment jamais présentes sur les mêmes plateformes, à l’exception de la plateforme A320neo d’Airbus, sur laquelle les actifs cibles ont obtenu le contrat relatif aux inverseurs de poussée, (nacelles) et le groupe Spirit produit les bords d’attaque fixe et les structures secondaires d’ailes.

c) Contrepouvoir   des clients

44. À l’issue de l’opération, au-delà de la présence de concurrents, la nouvelle entité continuera de faire face à une clientèle constituant un oligopsone disposant d’un fort contrepouvoir vis-à-vis de ses fournisseurs.

45. La partie notifiante indique que Boeing et Airbus représentaient 88 % de la demande d’avions commerciaux dans le monde en 2018, cette proportion étant en croissance, avec la prise de participation majoritaire d’Airbus dans la plateforme C-Series de Bombardier (désormais A220). Boeing et Airbus ont une offre centrée sur les avions de grande capacité. Sur les segments de l’aviation régionale et de l’aviation d’affaires, sur lesquels les deux avionneurs sont peu présents, le marché est partagé entre cinq acteurs principaux : Bombardier, Gulfstream, Textron, Dassault et Embraer.

46. Cette structure en oligopsone de la clientèle des fournisseurs est renforcée par le nombre limité de plateformes produites par chaque avionneur : Airbus (16 plateformes), Boeing (11), Bombardier (13), Embraer (11), Dassault (6) et Gulfstream (6). Cette offre doublement limitée réduit les débouchés des fournisseurs et restreint le pouvoir de marché de ces derniers. Cela peut engendrer une certaine dépendance des fournisseurs à l’égard de leurs clients, qui s’observe notamment chez les parties. En effet, Boeing représente [confidentiel] % du chiffre d’affaires de Spirit, la plateforme B737 seule représentant [confidentiel] % des ventes totales de Spirit, tandis qu’Airbus (en lien avec la prise de participation majoritaire du C-Series) et Bombardier représentent [confidentiel] % des ventes totales des actifs cibles.

47. Par ailleurs, la capacité des avionneurs à internaliser la fourniture des composants contribue à limiter également le pouvoir de négociation des fournisseurs, dans la mesure où les avionneurs arbitrent entre le recours à des fournisseurs tiers et leurs propres capacités de production. Il apparaît que la production interne des avionneurs représente plus de la moitié de la production globale d’ailes et de fuselage31. Les nacelles sont peu internalisées par les avionneurs32, car, comme l’indique la partie notifiante, « elles ont une fonction aérodynamique et de protection des moteurs plutôt qu'une fonction structurelle. Les nacelles sont également étroitement liées aux moteurs que les OEM d’aéronefs sous-traitent aux constructeurs OEM de moteur ». Toutefois, la partie notifiante indique que les avionneurs développent peu à peu cette intégration, Airbus ayant décidé d’intégrer des composants pour la famille de plateformes A320neo (jusque-là produit par les actifs cibles), Boeing pour le B737MAX et Gulfstream pour les plateformes G500 et G600.

48. De plus, les avionneurs maintiennent une pression tarifaire sur les fournisseurs, même après la conclusion d’un contrat. En effet, Boeing comme Airbus disposent de programmes de réduction de coûts pour les plateformes en cours, s’appuyant notamment sur des clauses de compétitivité prévues dans les contrats. En vertu de ce type de clause, l’avionneur peut émettre des demandes d’informations et des appels d’offres en cours de contrat, pour connaître les conditions de fourniture des concurrents. Dans l’hypothèse où une ou plusieurs réponses sont plus compétitives que les conditions du contrat en cours, l’avionneur peut exiger de son fournisseur une amélioration de ses conditions tarifaires, dans le cadre d’un plan d’amélioration de la compétitivité. La partie notifiante indique que, dans le cas du contrat existant entre les actifs cibles et [confidentiel]. Les avionneurs peuvent également avoir recours à des clauses du « client le plus favorisé » en vertu desquelles le fournisseur garantit à l’avionneur que les conditions qui lui sont accordées sont au moins aussi favorables que celles accordées à un autre client.

49. En outre, la partie notifiante avance que les avionneurs possèdent la majorité des droits de propriété intellectuelle des produits et des outillages essentiels utilisés dans la conception des aérostructures par les fournisseurs. Elle souligne que les dispositions des accords conclus entre Spirit et [confidentiel].

50. Dans le cas spécifique des nacelles, les clients des fournisseurs de premier niveau ne sont pas les avionneurs mais les producteurs de moteur. En effet, les nacelles sont étroitement liées aux moteurs. Les contrats sont généralement conclus entre les producteurs de moteur et les fournisseurs de premier niveau. Toutefois, la partie notifiante indique que les avionneurs restent acteurs dans le choix du fournisseur de nacelles et que les fournisseurs de moteur disposent d’un pouvoir significatif de marché, en raison d’un nombre limité d’acteurs (comme notamment Rolls Royce, Pratt & Whitney (UTC) et General Electric) mais aussi de l’intégration verticale sur ce segment. En effet, Pratt & Witney (UTC) a acquis Goodrich en 2012 et Rockwell Collins en 2018 (désormais Collins Aerospace) tandis que General Electric et Safran ont créé une entreprise commune (CFM International).

51. Ainsi, les avionneurs et les fournisseurs de moteur disposent d’un pouvoir de négociation suffisant pour contrebalancer les positions de la nouvelle entité sur les marchés relatifs au fuselage avant et au fuselage central ainsi que sur les marchés des nacelles et de leurs différents composants.

52. En conséquence, au vu notamment de la présence de concurrents sur le marché, du relatif éloignement concurrentiel des parties et du contrepouvoir des clients des parties, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence par le biais d’effets horizontaux sur les marchés des aérostructures et de leurs composants.

2. MARCHÉS DES PIÈCES DÉTACHÉES ET DES SERVICES DE MAINTENANCE

(« MRO »)

53. Les activités des parties se chevauchent sur les marchés des pièces détachés et des services de maintenance.

54. La partie notifiante estime les parts de marché de la nouvelle entité sont inférieures à 10 % quelle que soit la segmentation retenue.

55. Spirit ne fournit des services de maintenance pour composants et des pièces détachées que pour ses propres composants et les actifs cibles ne fournissent pas de services après-vente pour les composants fabriqués par Spirit. Par ailleurs, Spirit et les actifs cibles ne fournissent pas de composants pour les mêmes plateformes.

56. En conséquence, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence par le biais d’effets horizontaux sur les marchés des pièces détachées et des services de maintenance.

B. ANALYSE  DES  EFFETS  NON HORIZONTAUX

57. Une concentration verticale peut restreindre la concurrence en rendant plus difficile l’accès aux marchés sur lesquels la nouvelle entité sera active, voire en évinçant potentiellement les concurrents ou en les pénalisant par une augmentation de leurs coûts. Ce verrouillage peut viser les marchés aval, lorsque l’entreprise intégrée refuse de vendre un intrant à ses concurrents en aval, ou les marchés amont, lorsque la branche aval de l’entreprise intégrée refuse d’acheter les produits des fabricants actifs en amont et réduit ainsi leurs débouchés commerciaux.

58. Par ailleurs, une concentration est susceptible d’entraîner des effets congloméraux lorsque la nouvelle entité étend ou renforce sa présence sur des marchés présentant des liens de connexité avec d’autres marchés sur lesquels elle détient un pouvoir de marché.

59. Cependant, la pratique décisionnelle considère en principe qu’un risque d’effet vertical ou congloméral peut être écarté dès lors que la part de marché de l’entreprise issue de l’opération sur les marchés concernés ne dépasse pas 30 %33.

60. En l’espèce, sur les différents marchés de chaque aérostructure (nacelle, fuselage, aile), il existe un lien vertical entre les marchés des composants d’aérostructure et le marché des aérostructures assemblées. Il peut également exister un lien vertical entre les marchés des sous- composants et les marchés des composants.

61. Par ailleurs, il peut exister un lien de nature conglomérale entre les différents composants des aérostructures. Toutefois, en raison du fonctionnement du marché et de la spécialisation sur un seul type d’aérostructure de certains fournisseurs, les appels d’offres ne présentent pas de caractère transversal entre les différentes aérostructures. En conséquence, il n’existe pas de réel lien de connexité entre les composants de différentes aérostructures. Une seule exception concerne les pylônes qui permettent de fixer la nacelle à l’aile et peuvent donc présenter un lien de connexité avec les nacelles.

62. En conséquence, l’analyse se concentrera donc essentiellement sur les effets non-horizontaux au sein de chaque catégorie d’aérostructure (ailes, nacelles et fuselages).

63. En préambule, concernant la capacité de la nouvelle entité à mettre en place un verrouillage des entrants, il convient de rappeler que les composants d’aérostructures des parties sont soit vendus directement aux avionneurs qui assemblent en interne l’aérostructure, soit utilisés en interne par les parties dans le cadre de l’assemblage de l’aérostructure.

64. Ainsi, en l’espèce, un éventuel verrouillage des intrants consisterait à refuser la vente directe des composants aux avionneurs pour imposer à ces derniers la prestation d’assemblage.

65. Dans ce contexte, le contrepouvoir des avionneurs et des fabricants de moteurs, tel qu’analysé aux paragraphes 37 et suivants de la présente décision, est de nature à limiter fortement la capacité de la nouvelle entité à mettre en place un tel verrouillage.

a) Ailes

66. Les marchés de composants (ou sous-composants) d’ailes sur lesquels les parties disposent d’une part de marché supérieure à 30 % en 2018 ainsi que les marchés aval concernés par un lien vertical sont détaillés dans le tableau ci-dessous.

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* La partie notifiante indique que la part de marché de l’acquéreur pour les rails de bords d’attaque a diminué en 2019 pour atteindre [confidentiel].

67. L’opération n’est pas de nature à entraîner de modification des incitations à mettre en place des stratégies de vente liées entre les différents composants des ailes en raison des faibles additions de part de marché en amont et de l’absence d’addition de part de marché en aval concernant les ailes assemblées.

68. De même, les risques de verrouillage sur les marchés des rails de bords d’attaque et des dispositifs mobiles de bord d’attaque (tous avions commerciaux) peuvent être exclus dans la mesure où l’opération ne modifie pas les incitations à mettre en place un tel verrouillage, le lien vertical préexistant à l’opération et l’addition de part de marché étant inférieure à [0-5] points sur ce marché34.

69. L’opération conduit également à la création d’un lien vertical dans les activités de la nouvelle entité entre les composants des ailes (produits majoritairement par Spirit) et les ailes assemblées (où seuls les actifs cibles sont présents). Il convient toutefois de relever que, selon la partie notifiante, les avionneurs choisissent quasi-systématiquement d’assembler eux-mêmes les ailes. Les actifs cibles ne sont présents sur ce marché qu’en raison de la prise de participation majoritaire par Airbus du C-Series de Bombardier (devenu A220), qui, a conduit mécaniquement à l’externalisation de l’assemblage de l’aile par Airbus auprès de Bombardier.

70. En tout état de cause, le risque de verrouillage de la clientèle en aval du marché des ailes assemblées peut être écarté en raison de la part de marché très limitée de la nouvelle entité (inférieure à [0-5] points).

71. Sur les marchés amont, il existera des alternatives à la nouvelle entité telles que (i) pour les bords d’attaque, Triumph (parts de marché : [5-10] % [tous avions commerciaux] et [5-10] % [avions commerciaux de grande capacité]), KAI ([0-5] % et [5-10] %), Aero Vodochody ([0-5] % et [0-5] %), (ii) pour les dispositifs mobiles de bord d’attaque, Sonaca ([40-50] % et [40-50] %) et Leonardo/Alenia ([0-5] % et [0-5] %) et (iii) pour les structures secondaires d’ailes, Triumph ([10-20] % et [10-20] %), Saab/GKN ([0-5] % et [0-5] %) et Salver/GKN ([0-5] % et [0-5] %)35.

72. Par ailleurs, les avionneurs disposent de la capacité (i) de changer de fournisseur, (ii) de sponsoriser l’entrée de nouveaux entrants, ce que la Commission a confirmé pour les rails de bord d’attaque dans le cadre de la décision Spirit/Asco précitée, et (iii) d’internaliser la production. Ainsi, Airbus, Boeing, Bombardier (hors actifs cibles) et Embraer produisent des bords d’attaque pour leurs propres besoins. La partie notifiante estime que la production interne des avionneurs représente [10-20] % de la production mondiale de bords d’attaque en 2018.

73. En conséquence, la nouvelle entité ne disposera pas de la capacité de mettre en place des mécanismes de verrouillage ou de vente liée sur les marchés relatifs aux ailes.

b) Nacelles

Les marchés de composants de nacelles sur lesquels les parties disposent d’une part de marché supérieure à 30 % en 2018 ainsi que les marchés aval concernés par un lien vertical sont détaillés dans le tableau ci-dessous36.

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74. L’opération n’est pas de nature à entraîner de risque d’effets congloméraux entre les pylônes et les différents éléments de la nacelle. Tout d’abord, ces éléments font l’objet d’appels d’offres distincts, ce qui réduit significativement la capacité des acteurs à lier leurs offres. Par ailleurs, comme indiqué aux paragraphes 37 et suivants de la présente décision, les avionneurs disposent d’un pouvoir de négociation suffisant pour désamorcer tout effet de levier dans la mesure où il existe des fournisseurs alternatifs.

75. En outre, étant donné la position de la nouvelle entité sur le marché des nacelles assemblées, quelle que soit la segmentation retenue, la nouvelle entité ne sera pas en mesure de mettre en place un verrouillage de la clientèle en aval, les fournisseurs concurrents présents à l’amont disposant d’alternatives.

76. Sur les marchés amont, la capacité de la nouvelle entité à mettre en place un tel verrouillage est limitée par l’existence de fournisseurs alternatifs de composants de nacelles comme Collins Aerospace et Safran (voir le paragraphe 32), certains fournisseurs étant verticalement intégrés à des producteurs de moteurs.

77. Par ailleurs, la nouvelle entité fera face au pouvoir de négociation à la fois des avionneurs et des fabricants de moteurs (voir paragraphes 37 et suivants de la présente décision), qui seront, à l’issue de l’opération, en mesure de désamorcer un tel comportement.

78. En conséquence, la nouvelle entité ne disposera pas de la capacité de mettre en place des mécanismes de verrouillage ou de vente liée sur les marchés relatifs aux nacelles.

c) Fuselage

79. Les marchés de composants de fuselage sur lesquels les parties disposent d’une part de marché supérieure à 30 % en 2018 ainsi que les marchés aval concernés par un lien vertical sont détaillés dans le tableau ci-dessous.

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80. L’opération ne conduit pas à la création d’un lien vertical, l’acquéreur disposant déjà d’une activité de fourniture de composants de fuselage et de fuselages assemblés. De plus, l’opération conduit à des additions de parts de marché très limitées (inférieures à [0-5] points pour les fuselages centraux et avant, inférieur à [0-5] points pour les fuselages de cockpit), ce qui n’est pas de nature à modifier significativement la capacité et les incitations de la nouvelle entité à mettre en place de stratégie de verrouillage des intrants ou de vente liée.

81. Le risque de verrouillage de l’accès à la clientèle sur ces marchés peut être exclu, les concurrents présents à l’amont disposant d’alternatives à l’aval, les parts de marché de la nouvelle entité sur le marché aval étant inférieures à 30 %.

82. La partie notifiante souligne que les avionneurs choisissent quasi-systématiquement d’assembler en interne les fuselages. Elle indique ne pas avoir connaissance d’autres fournisseurs assemblant des fuselages pour le compte d’avionneurs.

83. La présence de Spirit et des actifs cibles sur le marché des fuselages assemblés s’explique par leurs liens historiques avec respectivement Boeing et Bombardier. En effet, Spirit fournit uniquement le fuselage assemblé de la plateforme B737, ce contrat de fourniture datant de l’époque où Spirit était une filiale de Boeing. De même, les actifs cibles [confidentiel]*. En raison de la rareté de l’externalisation de l’assemblage des fuselages, il est peu vraisemblable que la nouvelle entité soit en mesure de mettre en place un verrouillage de la clientèle, dans la mesure où il n’existe pas de réelle demande pour l’assemblage de fuselage auprès des fournisseurs de premier niveau.

84. Comme développé précédemment (voir les paragraphes 27 et 28), la nouvelle entité ne disposerait pas de la capacité de mettre en place un verrouillage des intrants, dans la mesure où il existe des alternatives comme notamment Alenia, MHI, KHI et AVIC. Par ailleurs, et comme indiqué au paragraphe 40, les avionneurs disposent pour les composants de fuselage de capacités de production interne.

85. En conséquence, la nouvelle entité ne disposera pas de la capacité de mettre en place des mécanismes de verrouillage ou de vente liée sur les marchés relatifs aux fuselages.

86. Dans la mesure où la nouvelle entité ne disposera ainsi pas de la capacité à mettre en œuvre des stratégies de verrouillage ou de vente liée sur les marchés relatifs aux ailes, aux nacelles et aux fuselages, tout risque d’atteinte à la concurrence par le biais d’effets non horizontaux peut être écarté.

87. L’Autorité relève qu’à supposer qu’il soit considéré que la nouvelle entité dispose de la capacité de mettre en œuvre les stratégies précitées, elle ne disposerait pas des incitations à les mettre en œuvre.

88. S’agissant d’une stratégie de verrouillage de la clientèle, comme indiqué aux paragraphes 66, 71 et 77, la nouvelle entité ne disposera pas de la capacité de mettre en œuvre une stratégie de verrouillage de la clientèle sur l’ensemble des marchés à l’exception du marché des dispositifs mobiles de bord d’attaque. Sur ce marché, la Commission a considéré qu’il était peu probable que Spirit profite d’une telle stratégie dans la mesure où il n’a pas la capacité d’augmenter les prix sur les marchés aval en raison du contrepouvoir des avionneurs (voir paragraphes 44 et suivants).

89. La mise en œuvre d’un verrouillage des intrants serait néfaste pour la nouvelle entité à court terme en raison de la perte d’une source de revenus liée à un contrat de longue durée et à l’existence d’un risque indemnitaire en cas de non-respect des contrats de fourniture.

90. En effet, la Commission a relevé dans la décision Spirit/Asco que toute tentative de verrouillage de l’accès à des intrants dans le cadre d’un contrat de fourniture préexistant se traduirait par une perte de revenu et un risque de contentieux et de pénalités significatifs.

91. Par ailleurs, le verrouillage des intrants n’a de sens que si la nouvelle entité est en mesure d’accroître ses parts de marché à l’aval. Or, il est peu probable que la nouvelle entité soit en mesure d’y parvenir en raison du fonctionnement par appels d’offres du marché, de la longueur des contrats conclus et de la capacité des concurrents présents à l’aval à disposer d’alternatives à l’amont.

92. Cette stratégie serait également néfaste à moyen terme, dans la mesure où elle dégraderait la relation de la nouvelle entité avec les avionneurs. Comme indiqué précédemment, les avionneurs constituent un oligopsone (voir paragraphes 37 et suivants) alors que les fournisseurs sont relativement nombreux. La mise en place d’une telle stratégie pourrait nuire à la nouvelle entité dans la mesure où, comme l’indique la partie notifiante, « les [avionneurs] seront dotés de moyens efficaces pour riposter rapidement contre toute imposition de conditions supraconcurrentielles, soit en sponsorisant de nouvelles entrées, soit en internalisant les travaux correspondant, soit en exerçant des représailles contre Spirit de diverses façons par le biais des multiples liens commerciaux qui les lient actuellement à Spirit ».

DÉCIDE

Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 20-028 est autorisée.

 

NOTES :

1 Ce résumé a un caractère strictement informatif. Seuls font foi les motifs de la décision numérotés ci-après.

2 La pratique décisionnelle antérieure a segmenté les marchés entre composants pour hélicoptères, composants pour avions commerciaux (utilisés par les compagnies aériennes), avions militaires et les avions dit d’aviation générale (avions de loisir). Elle a par ailleurs envisagé de segmenter les marchés par type d’avions commerciaux (avions de ligne de grande capacité, avions régionaux et avions d’affaires) et par composant.

3 Il s’agit des marchés de fourniture de fuselage avant (tous avions commerciaux), de fuselage central (tous avions commerciaux), d’inverseur de poussée (tous avions commerciaux, avions commerciaux de grande capacité et avions d’affaires), de capot d’entrée d’air (avions d’affaires), de capot de soufflante (avions d’affaires) et d’attache de réactions (avions d’affaires).

4 Les actionnaires principaux sont Vanguard Group, Inc (11,74 %), Barrow Hanley, Mewhinney & Strauss LLC (5,35 %) et BlackRock, Inc (7,1 %).

5 Les actifs cibles ont réalisé un chiffre d’affaires inférieur à 250 million d’euros en 2018 dans l’Union européenne. Par ailleurs, les parties à l’opération n’ont pas réalisé un chiffre d’affaires combiné de 100 millions d’euros ou plus dans trois États membres de l’Union Européenne Cette conclusion ne serait pas modifiée par l’intégration du chiffre d’affaires réalisé par la société Asco dont l’acquisition par le groupe Spirit a été autorisée par la Commission européenne le 20 mars 2019.

6 Voir les décisions de la Commission européenne M. 1601 Allied Signal / Honeywell du 1er décembre 1999, M. 8425 Safran / Zodiac Aerospace du 21 décembre 2017 et M. 8985 Boeing / KLX du 1er octobre 2018.

7 Les avions dit d’aviation générale sont des avions qui peuvent contenir d’un à six passagers et qui sont généralement utilisés pour des voyages personnels, pour le tourisme aérien, pour les vols de loisirs et pour les sports aériens.

8 La pratique décisionnelle a par ailleurs envisagé un marché spécifique pour les avions militaires en raison du nombre limité d’avions produits et de la forte implication dans leur production des autorités nationales.

9 Voir notamment les décisions M. 1601 et M. 8425 précitées.

10 Voir les décisions de la Commission européenne M. 1438  British  Aerospace  /  GEC  Marconi  du  25 juin 1999  et  M. 4561  GE  /  Smiths Aerospace du 23 avril 2007.

11 Voir les décisions de la Commission  européenne M. 2168 Snecma  / Hurel-Dubois du 14 novembre 2000, M. 6410  UTC / Goodrich  du  26 juillet 2012 et M. 8948 Spirit / Asco du 20 mars 2019 ainsi que la décision M. 8425 précitée.

12 Les composants structurels des ailes incluent notamment les fixations du train d’atterrissage, les strakelets, les sangles, les portiques et fenêtres arrières du cockpit, les attaches des ailes, les poutres de spoiler, les nervures, les cadres de caisson, les pièces usinées, les longerons et les profils.

13 Les composants structurels de fuselage incluent notamment les différents types de cadres, les poutres et les plaques d’adaptation.

14 Voir les décisions M. 2168, M. 6410, M. 8425 et M. 8948 précitées.

15 Voir la décision de la Commission européenne M. 8858 Boeing / Safran / JV (Auxiliary power units) du 27 septembre 2018 ainsi que les décisions M. 6410 et M. 8425 précitées.

16 Voir les décisions de la Commission européenne M. 3280 Air France / KLM du 11 février 2004, M.3374 SR Technics / FLS Aerospace du 14 avril 2004, M. 4241 Boeing /Aviall du 18 août 2006, M. 6554 EADS/ STA/ Elbe Flugzeugwerke JV du 13 septembre 2012 et M. 6844 GE / Avio du 1er juillet 2013 ainsi que M. 6410, M. 8425et M. 8858 précitées.

17 Voir la décision JV. 19 KLM / Alitalia du 11 août 1999 ainsi que M. 3280, M. 3374, M.6844 M.8425 précitées.

18 Voir la décision M. 3280 et M. 3374 précitées.

19 Voir les décisions M.6410, M. 8425 et M. 8858 précitées.

20 Voir les décisions M. 3280, M. 3374, M. 6410, M. 6554, M. 6844 et M. 8858 précitées.

21 Sauf éventuellement pour les moteurs d’avions militaires.

22 Par exemple, Stelia et Premium Aerotec sont des filiales d’Airbus, qui produisent des composants à destination de leurs sociétés mères mais également pour des clients extérieurs. Il convient de noter également que les actifs cibles détenus jusque-là par Bombardier produisent des composants pour Airbus, Gulfstream, De Havilland et Irkut.

23 Seuls les marchés sur lesquels les parties sont simultanément présentes sont détaillés dans le tableau ci-dessous.

24 La part de marché de Boeing inclut celle de Boeing Australia que le rapport Couterpoint transmis par la partie notifiante décrit comme un exportateur majeur de composants pour Boeing, Airbus, Lockheed Martin, Bombardier et d’autres fabricants d’avion.

25 La part de marché d’Airbus inclut systématiquement celles de ses filiales Stelia et Premium Aerotec qui sont actives en tant que fournisseurs de premier niveau.

26 Seuls les marchés sur lesquels les parties sont simultanément présentes sont détaillés dans le tableau ci-dessous. Ainsi, les activités des parties se chevauchent sur le marché des fuselages avant tous avions commerciaux confondus. Cependant, Spirit produit des fuselages avant pour avions commerciaux tandis que les actifs cibles produisent des fuselages avant pour les avions régionaux et d’affaires. En conséquence, l’opération ne donne pas lieu à des effets horizontaux sur les marchés de la fourniture de fuselages avant segmentés par type d’avion.

27 La partie notifiante indique que Premium Aerotec dispose sur ce marché d’une part de marché de [20-30] %.

28 Seuls les marchés sur lesquels les parties sont simultanément présentes sont détaillés dans le tableau ci-dessous.

29 Elle dispose toutefois de quelques contrats sur des avions d’affaires, notamment d’un contrat pour la fourniture de composants de nacelles [confidentiel] et d’un contrat récemment remportée [confidentiel]. Il convient de noter que les actifs cibles ne fournissent pas de composants sur cette plateforme.

30 Voir la décision B9-165/17 du 5 décembre 2019 du Bunderkartellamt ainsi que le communiqué de presse relatif à cette décision (https://www.bundeskartellamt.de/SharedDocs/Publikation/EN/Pressemitteilungen/2017/06_12_2017_Airbus_Bombardier.pdf? blob=publ icationFile&v=3).

* Rectification d’erreur matérielle.

31 La partie notifiante estime en 2018 que la part des avionneurs sur le marché global relatif aux ailes est comprise entre [50-60] %* et [50-60] %* et que celle relative au fuselage est comprise entre [50-60] % et [50-60] %.

*Rectification d’erreur matérielle.

32 En 2018, la part des nacelles produites directement par les avionneurs était inférieure à [0-5] %.

33 Lignes directrices de l’Autorité de la concurrence relatives au contrôle des concentrations, point 384.

34 De plus, les risques de verrouillage sur ces marchés ont été analysés et écartés par la Commission européenne dans le cadre de la décision

M. 8948 relative à l’acquisition d’Asco par Spirit (voir notamment les paragraphes 57 à 79 pour le verrouillage des intrants et les paragraphes 82 à 96 pour le verrouillage de l’accès à la clientèle), la position significative de Spirit sur les rails de bord d’attaque étant initialement celle d’Asco (producteur de deuxième niveau).

35 Les parts de marchés indiquées dans le paragraphe sont celles du marché global. Pour le marché spécifique aux avions commerciaux de grande capacité, les parts de marché des concurrents sont les suivantes (i) pour les bords d’attaque, Triumph ([5-10] %), KAI ([5-10] %), Aero Vodochody ([0-5] %), (ii) pour les dispositifs mobiles de bord d’attaque, Sonaca ([40-50] %) et Leonardo/Alenia ([0-5] %) et (iii) pour les structures secondaires d’ailes, Triumph ([10-20] %) et Saab/GKN ([0-5] %) et Salver/GKN ([0-5] %).

36 Les parties ont indiqué ne pas être présentes sur les marchés des sous-composants pour nacelle.

* Rectification d’erreur matérielle.

* Rectification d’erreur matérielle.