Cass. crim., 27 novembre 2007, n° 07-81.441
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Farge
Rapporteur :
M. Palisse
Avocat général :
M. Salvat
Avocats :
Me Foussard, SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Waquet, Farge et Hazan
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 311-1,311-4 et 321-1 du code pénal,591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs ;
" en ce que l'arrêt attaqué a relaxé Anne X..., épouse de Michel Y..., du chef de recel de vol aggravé et rejeté les demandes formées par l'agent judiciaire du Trésor à l'encontre de l'intéressée sur ce fondement ;
" aux motifs que qualifiée d'intellectuelle brillante, même « brillantissime », bien que cela semble l'irriter, agrégée de grammaire et docteur en études grecques, chercheur à l'Institut de recherche et d'histoire des textes section « Grec » qui dépend du CNRS, s'il est constant qu'Anne X... a signé le document d'ouverture du compte au Luxembourg avec Michel Y..., elle affirme seulement avoir signé ce document en 1996 alors que ce compte était ouvert depuis deux ans ; qu'elle ne s'est pas interrogée sérieusement sur l'origine des fonds ayant servi au financement de l'appartement acquis en 1998, ni sur les causes du faux emprunt consenti par son oncle Antoine, la cour ne peut la condamner pour recel sans avoir la preuve qu'Anne X... connaissait l'origine frauduleuse des fonds ayant servi au financement de l'appartement commun, et cette recherche ne peut se faire sans s'intéresser au fonctionnement du couple Michel Y... / Anne X..., ni se pencher sur la personnalité de Michel Y... ; que non seulement la preuve n'est pas formellement rapportée par l'information et les débats, de ce qu'Anne X... connaissait l'origine frauduleuse de ces fonds, mais Michel Y... est dépeint par Nathalie Z..., épouse A..., l'une de ses collègues de travail, comme « un grand manipulateur » (D917) ; ce témoin également conservateur en chef au département des manuscrits qui a déclaré le 25 août 2004 avoir partagé le même bureau que Michel Y... avec Francis C... et Annie B..., ne cache pas que les relations qu'elle a entretenu avec Michel Y... ont été « exécrables » ; qu'elle précise avoir été victime du harcèlement moral de la part de Michel Y... parce qu'elle n'entrait pas dans son jeu de séduction et de pouvoir, parce qu'elle n'était pas sensible à son humour, à ses propos orduriers, à sa provocation permanente ; qu'eu égard à ce témoignage et à la circonstance que dans le couple Michel Y... / Anne X... « on ne se parlait pas » selon le conseil d'Anne X..., la cour estime qu'il existe un doute sur la culpabilité d'Anne X... et ce doute devant lui bénéficier, le jugement doit être infirmé en sa disposition la déclarant coupable du délit de recel ;
" alors que l'intention requise en cas de poursuite du chef de recel est établie dès lors que celui qui a profité de la chose avait connaissance de son origine frauduleuse sans qu'il soit besoin qu'il ait connaissance des conditions détaillées exactes dans lesquelles l'infraction initiale a été commise ; qu'une relaxe au bénéfice du doute ne peut être prononcée que si le juge a mis en oeuvre, au préalable, toutes les investigations auxquelles il est en mesure de procéder ; qu'en l'espèce, Anne X... n'a pas contesté que son mari ait pu commettre des vols (arrêt p. 23, dernier alinéa) ; qu'elle a admis que le couple vivait au dessus de ses moyens (arrêt p. 23, avant dernier alinéa) ; que dans ce contexte, et à supposer que le mari ait fait état de rémunérations provenant d'expertises, les juges du second degré se devaient de rechercher, comme l'ont fait les premiers juges, si eu égard à sa formation et à sa compétence, l'épouse ne pouvait manquer de savoir, compte tenu de l'importance des sommes en cause et du niveau de rémunération des expertises, que les fonds ayant figuré sur le compte commun ouvert au Luxembourg, puis sur les comptes communs ouverts en France, provenaient nécessairement d'une activité frauduleuse, et était étrangère à la rémunération éventuelle d'expertises ; que faute de s'être expliqués sur ce point, les juges du fond, qui n'ont pas mis en oeuvre toute les investigations qui leur incombaient, ont privé leur décision de base légale au regard des textes susvisés " ;
Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que Michel Y..., conservateur à la Bibliothèque nationale de France, a été poursuivi pour avoir frauduleusement soustrait un manuscrit hébraïque qu'il a revendu au prix de 100 000 dollars ; que son épouse, Anne X..., a été poursuivie pour avoir recelé les fonds provenant de ce vol, qui ont été déposés sur un compte bancaire luxembourgeois commun aux époux, dont l'origine a été faussement justifiée par la signature d'une reconnaissance de dette fictive au profit d'un oncle de la prévenue, et qui ont contribué à financer l'achat d'un appartement au nom des deux conjoints ; que Michel Y... et Anne X... ont été déclarés coupables par le tribunal correctionnel ;
Attendu que, pour infirmer le jugement à l'égard de la seconde, l'arrêt prononce la relaxe par les motifs reproduits au moyen ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, sans répondre aux conclusions de la partie civile, qui faisait valoir qu'eu égard à sa profession et à ses compétences, la prévenue ne pouvait ignorer que ces sommes avaient une origine frauduleuse et que, compte tenu de leur montant, elles ne pouvaient être, comme elle prétendait l'avoir cru, le produit d'expertises qu'auraient effectuées son mari, en dehors de son emploi, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 26 janvier 2007, en ses seules dispositions relatives à l'action civile à l'égard d'Anne X..., toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Versailles, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.