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Décisions

Cass. crim., 1 juin 2016, n° 15-81.187

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guérin

Rapporteur :

M. Sadot

Avocat général :

M. Mondon

Avocats :

Me Bouthors, SCP Didier et Pinet

Metz, du 28 janv. 2015

28 janvier 2015

Vu les mémoires en demande, en défense, et les observations complémentaires produits ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 111-3, 111-4, 321-1, 321-1 alinéa 3, 321-3 et 321-9 du code pénal, préliminaire, 2, 10, 388, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

" en ce que la cour a condamné le requérant du chef de recel du bénéfice d'un contrôle Urssaf insuffisant portant sur sa société et alloué à l'URSSAF de Lorraine, déclarant recevable en sa constitution de partie civile, une somme de 31 853 euros au titre des frais de personnel engagés pour son enquête interne ;

" aux motifs que s'agissant des faits de recel du délit de fraude ou fausse déclaration dans l'encaissement ou la gestion commis par M. Y..., ces faits doivent être replacés en réalité dans une relation classique corrupteur-corrompu, non visée à la prévention vraisemblablement en raison du décès de M. Y...durant l'instruction du dossier ; que M. X..., en faisant prendre en charge par amitié personnelle, des voyages d'agrément de M. et Mme Y...par Lorraine services, a encore commis un abus de bien social au préjudice de cette société ; que surtout il a été constaté que M. Y...avait contrôlé la société Lorraine services dès 2000, puis régulièrement jusqu'au contrôle de 2009 ; qu'il avait bénéficié de la prise en charge des voyages avant et après ce dernier contrôle ; qu'il était nécessairement redevable à l'endroit de Lorraine services et de M X... ; que les résultats du contrôle créditeur, certes signés par M. A..., mais à la demande pressante de M. Y..., comparés à ceux du second ou sur-contrôle démontrent que certains aspects ont été ignorés ou passés sous silence (revenus non déclarés, acomptes ou avances consentis à M. X......) ; qu'il y a bien eu fraude au niveau du contrôle, dont M. X... a été incontestablement le bénéficiaire ; que M. X... est doublement de mauvaise foi ; que dirigeant expérimenté de sociétés, assisté de comptables, en ordonnant les opérations litigieuses, il a fait de ses prérogatives de dirigeant un usage qu'il savait nécessairement contraire aux intérêts de la société qui, dans cette période, devait être transmise à son associé ; qu'il s'agit en l'espèce d'un comportement contraire à la gestion normale d'une société et d'une confusion anormale des patrimoines ; qu'il résulte de l'ensemble des éléments susvisés qu'il a agi consciemment dans son intérêt personnel ou celui de ses relations amicales ; que ses explications visant à faire croire qu'il aurait privilégié l'intérêt de l'entreprise, même s'agissant des opérations les plus saugrenues, ne sauraient emporter la conviction de la cour ; que les infractions objet de la poursuite sont établies en tous leurs éléments constitutifs ; que le jugement entrepris sera infirmé s'agissant des faits de recel et confirmé pour le surplus ;

" 1°) alors que la cour ne pouvait retenir au titre de l'infraction originaire, support du recel, une incrimination nouvelle qui n'avait pas elle-même été visée dans la prévention initiale, statuant ainsi hors du cadre de sa saisine en violation des droits de la défense et des exigences du procès équitable ;

" 2°) alors que les éléments caractéristiques d'une éventuelle corruption de salarié en relation avec l'insuffisance prétendue du contrôle de l'URSSAF n'ont pas été établis par la cour ; que son arrêt ne se réfère à aucun texte précis d'incrimination, lors même que l'éventualité d'un simple conflit d'intérêts du chef d'un agent subordonné, qui n'était pas signataire du contrôle litigieux, ne suffirait pas à caractériser l'existence d'un « pacte corrupteur », au demeurant non établie ; qu'au surplus, l'existence d'une « fraude » éventuelle de l'assistant procédait en tout état de cause de motifs hypothétiques sinon contradictoires, de sorte que la déclaration de culpabilité du demandeur du chef de recel, en l'absence d'infraction originaire identifiable, manque de toute base légale ;

" 3°) alors que l'éventuel manque à gagner de l'URSSAF à raison d'un contrôle estimé insuffisant ne caractérise pas, du chef de l'entreprise contrôlée ou de son dirigeant, le bénéfice du « produit » d'une infraction trouvant son siège dans l'insuffisance de contrôle ; qu'à cet égard également, l'élément caractéristique d'un recel n'est pas établi " ;

Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que la société Lorraine services, dont M. X... était le dirigeant de droit, a été contrôlée à deux reprises pour la même période par l'URSSAF et que si le premier contrôle, réalisé notamment par M. Y..., a abouti à un résultat créditeur, le second contrôle a mis en évidence les carences et insuffisances du premier, et a entraîné un redressement débiteur d'un montant total de 4. 813. 201 euros ;

Attendu que, pour déclarer M. X... coupable de recel, l'arrêt énonce notamment que le premier contrôle est entaché de fraude, commise par M. Untereiner, et dont le prévenu a été incontestablement le bénéficiaire ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas opéré de requalification de l'infraction d'origine visée dans la prévention, et dès lors que le produit de cette infraction consistait dans l'économie réalisée par le défaut de paiement des cotisations éludées, a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, et de l'article du protocole additionnel n° 7 à ladite Convention, L. 242-6, 3ème, L. 242-30, L. 243-1, L. 244-1, L. 244-5, L. 246-2 du code de commerce, L. 242-6 alinéa 1 et 6, L. 249-1 du code de commerce, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

" en ce que la cour a condamné le demandeur du chef d'abus de biens sociaux ;

" aux motifs que même si les cessions de parts et des modifications au niveau de la direction de la société Lorraine services sont intervenues, il n'en demeure pas moins que l'enquête a révélé que M. X... s'est toujours comporté comme le dirigeant de cette société qu'il engageait financièrement ce qu'il n'a jamais contesté ; que devant la cour, questionné sur le fait qu'il engageait la société pour des sommes considérables (par exemple les chèques encaissés à son profit sur un compte en Suisse), il a répondu inlassablement qu'il pouvait le faire car il était le dirigeant en mesure de faire tous actes de gestion ; que les décisions en matière fiscale n'ont pas au pénal l'autorité de la chose jugée ; que si la commission des infractions fiscales a émis un avis défavorable aux poursuites non motivé s'agissant de l'impôt sur les sociétés dû au titre des exercices 2007 et 2008 et de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) 2007-2008, l'autorité de poursuite peut à bon droit tirer du contrôle fiscal les éléments factuels permettant de caractériser des infractions en matière de droit des sociétés ; qu'il en est ainsi des éléments susceptibles de caractériser des abus de biens sociaux ; que l'autorité de poursuite ne saurait être à cet égard tenue par l'avis de la CIF ; que le contrôle fiscal, tout comme le second contrôle de l'URSSAF, l'audit de l'expert-comptable et les réquisitions sur comptes bancaires des enquêteurs ont démontré que M. X... avait fait des biens de la société Lorraine services un usage qu'il savait contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles à son profit ou au profit de ses relations privées dont il prend soin de cacher l'identité, dans des proportions considérables ; que les investigations ont également permis de prouver que les avoirs ayant servi de justificatifs à l'encaissement des deux chèques de 358 000 euros et 76 178 euros sur un compte en Suisse étaient fictifs, car non justifiés au moment du contrôle et dans le cadre de l'exercice du droit de communication dans la comptabilité de la société CIAT ; que ce caractère fictif a également été relevé par Mme B...de la société DL Audit, une attestation ultérieure ayant été opportunément produite en défense ; quoiqu'il en soit, en l'absence de toute facturation régulière, M. X... ne peut se prévaloir pour échapper à sa responsabilité pénale d'une quelconque compensation entre des fonds qu'il a pu verser directement dans la société pour lui apporter un soutien financier compte tenu de ses problèmes de trésorerie, ce qui constituait une raison supplémentaire pour ne pas les accentuer par des opérations litigieuses réalisées sur un compte en Suisse non déclaré ;

" 1°) alors que, d'une part, un même fait ne peut faire l'objet d'une double poursuite ; qu'en l'état de l'avis négatif émis par la CIF sur le terrain de la fraude fiscale, le parquet ne pouvait engager de nouvelles poursuites sur les mêmes faits sous couvert de la qualification d'abus de biens sociaux ; qu'en l'absence en outre « d'acte anormal de gestion » au sens du droit fiscal, les mêmes faits ne peuvent donner lieu à une nouvelle poursuite sous la qualification d'abus de biens sociaux ;

" 2°) alors que, d'autre part, dans ses conclusions circonstanciées devant la cour d'appel, le demandeur a fait valoir que dans le contentieux fiscal en cours l'administration n'avait pas retenu la qualification « d'acte anormal de gestion » pour les chefs de rectification visés quant aux prétendus « avoirs fictifs » et aux « charges non-fondées » (concl. p. 4 à 10 sur les dépenses ayant un caractère personnel à hauteur de 600 000 euros) ; qu'en cet état, le juge répressif, qui n'a pas examiné le bien fondé de cet élément de défense du dirigeant, a privé son arrêt de tout motif ;

" 3°) alors que, de troisième part, dans ses conclusions circonstanciées devant la cour d'appel, le requérant a fait valoir que le tirage des chèques litigieux de 358 000 euros et de 76 178, 13 euros, établis dans le cadre de l'allègement Fillon n'étaient pas fictifs mais justifiées économiquement et juridiquement pour les raisons indiquées par sa défense ; qu'en cet état, le juge répressif, qui n'a pas examiné le bien fondé de la défense du requérant sur ce point, a derechef privé son arrêt de tout motif " ;

Attendu que, pour retenir la culpabilité de M. X... du chef d'abus de biens sociaux, la cour d'appel énonce, notamment, que le contrôle fiscal, tout comme le second contrôle de l'URSSAF, l'audit de l'expert comptable et les réquisitions sur comptes bancaires des enquêteurs ont démontré qu'il avait fait des biens de la société Lorraine services un usage qu'il savait contraire à l'intérêt de celle-ci, à des fins personnelles, ou au profit de ses relations privées ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, et dès lors que le juge pénal n'était pas lié par la décision administrative de la commission des infractions fiscales de ne pas poursuivre la société Lorraine services et son dirigeant pour fraude fiscale mais qu'il pouvait trouver, notamment, dans les actes de l'enquête fiscale, les éléments constitutifs de l'infraction distincte d'abus de biens sociaux visée à la prévention, la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen qui, en sa troisième branche, revient à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne peut qu'être écarté ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 2, 10, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

" en ce que la cour a déclaré recevable l'URSSAF de Lorraine venant aux droits de l'URSSAF de la Moselle et accordé à cet organisme une somme de 31 853 euros à titre de dommages et intérêts, outre 2 000 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale ;

" aux motifs que seule l'URSSAF de Lorraine venant aux droits de l'URSSAF de la Moselle soutient son appel ; que cette partie civile demande par conclusions du 6 janvier 2015 développées à l'audience la condamnation des sommes de 873 717 euros au titre des cotisations éludées et celle de 31 853 euros au titre des frais de personnel ; que l'organisme social ne peut être victime des faits d'abus de biens sociaux, mais uniquement des faits de recel de fraude ou fausse déclaration dans l'encaissement ou la gestion par agent d'un organisme de sécurité sociale ; qu'il y a lieu d'infirmer le jugement entrepris et de déclarer recevable la constitution de partie civile de l'URSSAF de la Moselle ; que pour mettre en évidence cette fraude, l'URSSAF a engagé des frais qui constituent son entier préjudice ; que M. X... sera donc déclaré seul et entièrement responsable du préjudice subi par l'URSSAF de Lorraine et sera condamné à lui payer le somme de 31 853 euros, outre celle de 2 000 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale ;

" 1°) alors que était irrecevable la constitution de partie civile de l'URSSAF de Lorraine pour la première fois en cause d'appel ; que le seul fait pour cet organisme de déclarer « venir aux droits » de l'URSSAF de la Moselle, appelante non comparante devant la cour, à défaut du moindre élément susceptible de fonder en titre pareille « succession » et de la situer dans le temps, ne permettait pas d'établir la qualité pour agir de l'URSSAF de Lorraine ;

" 2°) alors, en tout état de cause, que seul est réparable le préjudice né directement de l'infraction poursuivie ; que tel n'est pas le cas des frais de personnel allégués par l'organisme social dans le cadre de ses procédures internes de contrôle, et qui ne sont pas en lien nécessaire et direct avec le recel reproché au requérant " ;

Attendu que, pour condamner M. X... à payer à la partie civile la somme de 31 853 euros, sollicitée comme correspondant à des frais de personnel, la cour d'appel énonce que, pour mettre en évidence cette fraude, l'URSSAF a engagé ces frais qui, constituent son entier préjudice ;

Attendu qu'en statuant ainsi, et dès lors que la somme ainsi allouée correspond au dommage découlant de l'infraction de recel dont elle a déclaré le prévenu coupable, la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen, irrecevable en sa première branche comme nouveau et mélangé de fait, ne saurait être accueilli ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi.