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Décisions

CA Paris, 19e ch. B, 25 mars 1993

PARIS

Arrêt

CA Paris

24 mars 1993

La S.A. d'HLM LES 2 VALLEES a confié à la Sté S.C.G.P.M. le lot "maçonnerie" dans le cadre d'un marché de travaux destinés à la rénovation de dix immeubles situés à La Verrière.

Pour l'exécution des prestations de pose de sols souples et de carrelages, la Sté SCGPM s'est adressée à la Sté LES 2 G en sa qualité d'entreprise sous-traitante suivant deux contrats des 12 juillet 1991 (carrelages pour un montant de 836 000F HT) et 1er août 1991 (sols souples pour un montant de 995 000F HT).

La société maître de l'ouvrage ayant refusé d'agréer, la Sté LES 2 G, celle-ci a assigné à bref délai la Sté SCGPM afin d'obtenir la réparation de son préjudice à la suite de la résiliation des sous-traités.

Par jugement du 21 octobre 1992, le Tribunal de Commerce de Paris, après avoir refusé d'annuler l'assignation introductive d'instance a condamné la Sté SCGPM à payer à la Sté LES 2 G:

-  pour le carrelage, au titre des travaux exécutés, la somme de 21 587F57, au titre des frais avancés, celle de 644 897F60 et au titre du manque à gagner, la somme de 60 486F ;

-  pour le lot sol souple, au titre des frais avancés, la somme de 699 038F50, au titre du manque à gagner, celle de 94 880F, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 31 janvier 1992, date de l'assignation.

La Sté S.C.G.P.M. a été, en outre, condamnée à payer à son adversaire la somme de 20 000F en application de l'art. 700 du N.C.P.C. et l'exécution provisoire a été ordonnée, puis arrêtée par ordonnance du 7 janvier 1993 rendue par le délégataire de Mme le Premier Président.

Par acte du 30 octobre 1992, la Sté S.C.G.P.M. a relevé appel de cette décision. Dans des conclusions du 2 novembre 1992, elle réitère sa demande de nullité de l'assignation introductive d'instance au motif que la Sté LES 2 G n'a pas précisé son siège social lui occasionnant ainsi un grief tiré de l'impossibilité de connaître l'adresse exacte de la société demanderesse. Elle soulève, également, la nullité du jugement entrepris, car avant son prononcé et en cours de délibéré, la Sté LES 2 G a été déclarée en liquidation judiciaire et son liquidateur n'est pas immédiatement intervenu dans la procédure.

Sur le fond, la Sté SCGPM expose qu'aux termes des deux sous-traités, il était convenu que l'agrément du maître de l'ouvrage était nécessaire et que, pour cela, il fallait justifier d'une qualification OPQCB. Or, par lettre du 13 septembre 1991, la société maître de l'ouvrage déclarait refuser son agrément, ce qui était répercuté à la Sté 2G au cours d'un entretien du 17 septembre 1991 confirmé par lettre du 18 septembre reçue le 24 septembre. Selon la société appelante, il n'y a pas eu résiliation abusive puisque la résiliation a pour cause de défaut d'agrément par le maître de l'ouvrage, lui-même lié au défaut de qualification de l'entreprise sous-traitante.

La Sté SCGPM affirme qu'il ne peut lui être reproché d'avoir eu recours à d'autres sous-traitants, car il fallait pallier les conséquences du refus d'acceptation, ce qui a d'ailleurs occasionné un surcoût.

La société appelante expose qu'en application des conditions générales des sous-traités, la nullité de plein droit de ces derniers en raison du défaut d'agrément par le maître de l'ouvrage n'entraînera aucune indemnité de part et d'autre. Au surplus, la Sté LES 2 G ne démontrait la réalité d'un préjudice qu'en se bornant à produire un document non contradictoire établi par son comptable.

Par conclusions du 7 janvier 1993, Me GUILLEMONAT réplique en affirmant, tout d'abord, que l'assignation n'est pas nulle car le K bis révèle bien l'adresse du siège social de la Sté LES 2 G et, par ailleurs, que le règlement judiciaire et la liquidation de cette société ayant eu lieu en cours de délibéré, l'absence de mise en cause du liquidateur n'avait aucune incidence sur le fond du litige. Sur le fond, Me GUILLEMONAT soutient que l'argument de la Sté SCGPM suivant lequel l'agrément du maître de l'ouvrage n'aurait pas été acquis en raison de son défaut de qualification est faux car l'entreprise ENPEIR qu'elle avait proposée comme sa propre sous-traitante et qui a, d'ailleurs, repris le chantier, ne possède pas davantage la qualification OPQCB.

Me GUILLEMONAT prétend que la Sté LES 2 G a écrit à la société maître d'ouvrage afin d'obtenir son agrément mais elle n'a obtenu aucune réponse. Il estime que le défaut de qualification ne peut être invoqué par la Sté S.C.G.P.M. puisque dès le départ, cette qualification n'a jamais été exigée et que la Sté S.C.G.P.M. savait que la Sté LES 2 G ne la possédait pas. En fait, il affirme que le refus d'agrément par le maître de l'ouvrage est un prétexte pour la Sté SCGPM de se soustraire à ses obligations, car elle a trouvé, par la suite, une entreprise moins disante qui n'avait pas les mêmes exigences que la Sté LES 2 G. Il conclut à la confirmation du jugement entrepris et à la condamnation de la Sté SCGPM à lui payer une somme de 50 000F au titre de l'art.700 du N.C.P.C.

Par conclusions du 18 janvier 1993, me GUILLEMONAT fait observer que l'entreprise choisie par la Sté SCGPM pour la remplacer est dépourvue de qualification, ce qui prouve bien que le motif allégué pour la résiliation du contrat est un faux motif.

Par conclusions du 10 février 1993, la Sté S.C.G.P.M réplique en faisant observer que le refus d'agrément du maître de l'ouvrage entraînait la résiliation des marchés de sous-traitance. Mais, au surplus, outre le défaut de qualification de la Sté LES 2 G, celle-ci était dans l'incapacité d'exécuter les marchés par manque de moyens. Consciente de son incapacité, elle a proposé de sous-traiter les travaux qui lui avaient déjà été sous-traités, ce qui est inacceptable. En toute hypothèse, la Sté SCGPM estime qu'elle ne pouvait imposer au maître de l'ouvrage une société qu'il ne voulait pas. Sur le coût des travaux réalisés par les entreprises qui ont remplacé la Sté LES 2 G, la Sté SCGPM fait observer que les prix sont sensiblement les mêmes que ceux pratiqués par la Sté LES 2 G et que certaines prestations étaient différentes.

La Sté S.C.G.P.M. estime qu'aucune indemnité n'est due à la Sté LES 2 G qui, d'ailleurs, ne justifie d'aucun préjudice. Elle sollicite la condamnation de cette dernière à lui payer la somme de 30 000F à titre de dommages-et intérêts et celle de 20 000F en application de l'art.700 du N.C.P.C.

L'ordonnance de clôture est du 25 février 1993.

Motifs

Considérant que l'assignation introductive d'instance dont la nullité est demandée par la Sté SCGPM pour défaut d'indication du siège social de la Sté LES 2 G, contient les énonciations suivantes relatives à l'identité de la demanderesse: "La Sté LES 2 G, SARL au capital de 50 000F dont le siège social est à Maisons-Alfort 94700, inscrite au RCS de Créteil sous le N° 91 B 769 prise en la personne de son gérant domicilié en cette qualité audit siège.";

Considérant que par l'action combinée des articles 56 et 648 du N.C.P.C., l'assignation doit contenir, à peine de nullité, si le requérant est une personne morale, sa forme, sa dénomination, son siège social et l'organe qui la représente légalement; qu'en l'espèce le siège social est indiqué par le nom de la localité où il est installé sans mention d'une adresse plus précise, mais aucune équivoque n'est possible s'agissant d'une société qui était en lien de droit avec la SCGPM qui connaissait l'adresse précise par la mention de cette dernière sur la correspondance de cette société et dont l'extrait du registre du commerce et des sociétés porte une adresse complète, en sorte que la société destinataire de cet acte ne justifie d'aucun grief susceptible d'entraîner son annulation ;

Considérant qu'il est, également, soutenu par la Sté SCGPM que le jugement entrepris serait nul, faute par le mandataire liquidateur de la Sté LES 2 G de n'être pas intervenu dans l'instance; qu'en effet, par jugement du Tribunal de Commerce de Créteil, du 16 avril 1992, la Sté LES 2 G a été mise en liquidation judiciaire et Me GUILLEMONAT a été désigné en qualité de liquidateur; que cette circonstance constitue, aux termes de l'article 639 3 du NCPC une cause d'interruption de l'instance; que, cependant cette interruption ne produit pas ses effets si l'événement survient après l'ouverture des débats (art.371); qu'en l'espèce, l'affaire a été plaidée les 19 et 26 février 1992, puis mise en délibéré à compter de cette date; qu'il s'ensuit que le 16 avril 1992, les débats avaient déjà été ouverts et se trouvaient même clos; qu'ainsi il ne peut être fait grief à Me GUILLEMONAT de n'être pas intervenu dans la procédure en cours de délibéré;

Considérant, sur le fond, qu'en application de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1975 (laquelle est d'ordre public en vertu de l'art.15), l'entrepreneur principal doit faire accepter chaque sous-traitant et agréer les conditions de paiement; que, pour satisfaire à cette obligation, les sous-traités passés entre la Sté SCGPM et la Sté LES 2 G prévu diverses dispositions; que les conditions générales précisent dans leur art. 2.1 : "Le sous-traité prendra effet à l'acceptation du sous-traitant par le maître de l'ouvrage et l'agrément de ce dernier des conditions de paiement prévues au sous-traité ....En cas de refus d'acceptation du sous-traitant et/ou d'agrément des conditions de paiement, le sous-traité sera de nul effet: aucune indemnité ne sera due de part et d'autre."; que l'article 14 des conditions particulières stipule : " Le présent contrat est conclu sous la condition suspensive de l'acceptation du sous-traitant par le maître d'ouvrage et de l'agrément de ses conditions de paiement par ce dernier comme indiqué aux conditions générales.";

Considérant, par ailleurs, que lors de la signature des contrats de sous-traitance, la Sté LES 2 G a paraphé et signé le cahier des clauses administratives particulières (C.C.A.P.) du marché principal qui dispose, notamment, dans son article 1.2 que les demandes d'autorisation de sous traiter et la demande d'agrément des sous-traitants présentées au maître de l'ouvrage ne pourront l'être que par des entreprises qualifiées (OPQCB, QUALIFELEC, SRTP, CNSH) les certificats correspondants devant être joints auxdites demandes ;

Considérant que la Sté LES 2 G ne conteste pas être dépourvue des qualifications requises; que la demande d'agrément la concernant a été adressée le 13 août 1991 à la Sté d'HLM LES TROIS VALLEES par la Sté SCGPM, mais par lettre du 13 septembre 1991, la société maître d'ouvrage refusait d'agréer la Sté LES 2G au motif que cette dernière n'avait pas de qualification; que ce refus d'agrément a été porté à la connaissance de l'entreprise sous-traitante par téléphone du 17 septembre 1991, puis par lettre recommandée du 18 septembre 1991 suivie d'une autre lettre recommandée du 23 octobre 1991 ;

Considérant que la Sté LES 2 G a dirigé son action uniquement contre son cocontractant, la Sté SCGPM en lui faisant grief d'avoir résilié les sous-traités les unissant pour un motif inexact tiré de l'absence de qualification, puisqu'elle a, ultérieurement, fait agréer par la Sté HLM LES TROIS VALLEES la Sté ENPEIR qui n'a pas les qualifications professionnelles requises pour exécuter les travaux qui lui ont été confiés ;

Considérant, toutefois, qu'il ne s'agit pas en l'espèce de résiliation de contrats même si dans un courrier du 18 septembre 1991 adressé à la Sté LES 2 G, la Sté SCGPM parle de résiliation des marchés; qu'en effet il résulte des énonciations claires et dépourvues d'ambiguïté des sous-traités que ceux-ci ont été conclus sous la condition suspensive de l'agrément du maître de l'ouvrage; qu'il s'agit d'un événement extérieur à la volonté des cocontractants et il ne peut être fait grief à la Sté SCGPM d'avoir, elle-même, refusé l'agrément de la Sté LES 2 G ;

Considérant que le refus d'agrément par le maître de l'ouvrage est libre car la loi le protège en lui offrant la faculté de refuser le sous-traitant et les conditions du sous-traité; qu'en fait le refus du maître de l'ouvrage qui peut avoir pour cause l'inaptitude du sous-traitant ou des conditions inacceptables de paiement, n'a pas à être motivé; qu'il peut, cependant, y avoir place à la théorie de l'abus de droit, étant observé qu'en l'espèce la société maître de l'ouvrage n'est pas recherchée en responsabilité pour avoir refusé d'agréer la société LES 2 G ;

Considérant que cette société ne pourrait, d'ailleurs, rien reprocher à la Sté d'HLM LES TROIS VALLEES puisque le refus d'agrément qui est discrétionnaire et qui pouvait n'être pas motivé l'a été, en fait, pour un motif réel qui est celui du défaut de qualification de l'entreprise sous-traitance, ce que celle-ci ne nie, d'ailleurs pas ;

Considérant que l'agrément ultérieur d'une entreprise également dépourvue de qualification relève du pouvoir discrétionnaire du maître de l'ouvrage et non de l'entreprise principale; que cette dernière ne pourrait voir sa responsabilité engagée que tout autant qu'il y aurait eu collusion entre elle et la Sté LES TROIS VALLEES amenant cette dernière à commettre un abus de droit; qu'il n'est allégué aucun abus de cette sorte à l'encontre de la société maître de l'ouvrage et il n'est justifié d'aucune collusion fautive de la part de la Sté S.C.G.P.M. se traduisant par des actes positifs et non équivoques;

Considérant que les sous-traités doivent être déclarés nuls pour défaut de réalisation de la condition suspensive qu'ils contiennent ; qu'il est prévu, dans cette hypothèse, qu'aucune indemnité ne sera due de part et d'autre ; qu'ainsi, Me GUILLEMONAT, ès qualités, doit être débouté de ses demandes par voie de réformation du jugement entrepris et doit être condamné aux dépens ;

Considérant que la demande en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive formée par la Sté SCGPM contre Me GUILLEMONAT ne peut prospérer en l'absence de justification d'un préjudice et alors que les premiers juges avaient donné satisfaction à la société dont il est le liquidateur ; que l'équité ne commande pas qu'il soit fait application de l'art.700 du N.C.P.C. ;

 

Par ces motifs

La Cour, reçoit en la forme, l'appel de la Sté S.C.G.P.M. ;

Au fond, REFORME le jugement entrepris et statuant à nouveau, déboute Me GUILLEMONAT, ès qualités de liquidateur de la Sté LES 2 G de toutes ses demandes ;

Déboute la Sté S.C.G.P.M. de sa demande en paiement de dommages-intérêts ;

Dit n'y avoir à application de l'art.700 du N.C.P.C. ;

Condamne Me GUILLEMONAT, ès qualités, aux entiers dépens avec pour ceux relatifs à l'instance d'appel, un droit de recouvrement direct au profit de la SCP TEYTAUD, avoué, conformément à l'art. 699 du N.C.P.C.