CA Versailles, 12e ch., 18 mars 1983
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
Par acte en date du 25 février 1982, la Société Parisienne d'Armature pour le Béton Armé « SPABA » a interjeté appel d'un jugement rendu le 7 janvier 1982 par le tribunal de grande instance de Pontoise dans un litige qui l'oppose à la SCI les Nouveaux Marchés d'Osny et à Maître Regnard et Mizon, ès-qualité de syndic de la liquidation des biens de la Société Franki.
La SCI « les Nouveaux Marchés d'Osny », maître de l'ouvrage, qui entreprit la réalisation de travaux 42, rue Aristide Briand à Osny, passa directement commande, le 14 janvier 1980, du lot fondation à l'Entreprise Franki Fondations France dite Société Franki, qui de son côté a passé une commande d'armatures à la Société SPABA.
La Société Franki, ayant été déclarée en liquidation des biens par jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 3 avril 1980, la Société SPABA qui n'avait pas obtenu d'elle le règlement des armatures métalliques qu'elle lui avait fourni pour la réalisation des travaux soit la somme de 15 315 64 F, a fait assigner directement les Marchés d'Osny par exploit du 30 mai 1980.
Dans son assignation la Société SPABA lui précisait qu'elle agissait en sa qualité de sous-traitant, conformément aux dispositions de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975, relative à la sous-traitance.
Par conclusions du 18 mars 1981, les Marchés d'Osny se sont opposés à la demande, aux motifs d'une part que la Société SPABA n'avait pas la qualité de sous-traitant, d'autre part que la Société SPABA n'avait pas reçu leur agrément.
La SPABA a maintenu sa demande et subsidiairement a conclu que le refus d'agrément dans l'hypothèse où il ferait obstacle aux dispositions de la loi du 30 décembre 1975, constituerait un abus de droit justifiant le versement de dommages-intérêts d'un montant égal à la somme demandée.
Les premiers juges, tout en admettant que les armatures livrées par la Société SPABA résultaient d'un travail spécifique, qui constituait une opération de sous-traitance à l'égard du maître de l'ouvrage, au sens de la loi du 31 décembre 1975, ont néanmoins déclaré non fondée l'action directe en paiement formée par la Société SPABA, cette dernière société n'ayant pas reçu l'agrément des Marchés d'Osny.
Par ailleurs, sur la demande de dommages-intérêts fondée sur l'abus de droit, les premiers juges indiquent que l'attitude des Marchés d'Osny ne pouvait s'analyser comme un abus de droit dès lors qu'aucun élément ne vient établir qu'un tel agrément ait pu intervenir ou n'établit la réalité d'un comportement fautif des Nouveaux Marchés d'Osny.
C'est dans ces conditions que le jugement déféré :
- a débouté la Société SPABA de ses demandes en paiement,
- l'a condamnée à payer aux Nouveaux Marchés d'Osny la somme de 2500 Frs pour procédure abusive,
- a débouté les Marchés d'Osny de leur demande fondée sur l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.
La Société SPABA demande à la cour d'infirmer le jugement déféré et statuant à nouveau :
- de constater que la Société SPABA a bien eu la qualité de sous-traitant, dans le sens de la loi du 31 décembre 1975 et qu'elle a été tacitement acceptée par le maître de l'ouvrage,
- de condamner, en conséquence, les Marchés d'Osny à lui payer la somme de 15 315 64 F, montant de la facture qu'elle lui a présentée le 24 avril 1980 et ce avec les intérêts de droit à compter du 24 avril 1980 ou en toute hypothèse, de l'assignation introductive d'instance,
- d'ordonner la capitalisation des intérêts, par application de l'article 1154 du Code civil à compter de la signification des présentes (12 juillet 1982).
La SCI les Nouveaux Marchés d'Osny demandent à la Cour :
- de confirmer le jugement déféré,
- le réformant partiellement de condamner la Société SPABA à lui payer la somme de 5000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Mes Regnard et Mizon, syndics à la liquidation de la Société Franki Fondations France dite Société 3F demandent à la cour :
- de les déclarer recevables en leur intervention,
- y faisant droit :
1) de leur donner acte de ce qu'ils ont saisi le tribunal de grande instance afin d'obtenir, ès-qualité de syndic à la liquidation des biens de la Société 3F, le règlement du solde restant dû par la SCI les Nouveaus Marchés d'Osny sur le décompte définitif des travaux effectués,
2) de confirmer le jugement déféré et de dire que la Société SPABA ne saurait revendiquer la qualité de sous-traitant, ni davantage l'action directe prévue par les articles 12 et suivants de la loi,
3) de condamner la Société SPABA au paiement d'une somme de 3000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile, compte tenu des frais de représentation exposés par la masse des créanciers du fait de cette action préjudiciable introduite par la SPABA.
Sur ce, la Cour :
Considérant qu'il est constant :
- que dans le courant de l'année 1980, la SCI les Nouveaux Marchés d'Osny (les Marchés d'Osny), agissant en qualité de maître de l'ouvrage, a chargé l'Entreprise Franki Fondations France dite Société Franki de réaliser des travaux de fondations,
- qu'à l'occasion de ses travaux, la Société Franki a commandé à la Société Parisienne d'Armatures pour le Béton Armé (Société SPABA) des armatures métalliques ;
Considérant que la Société SPABA n'ayant pu obtenir de la Société Franki, déclarée en liquidation des biens, le règlement de la fourniture des armatures métalliques, elle assigna directement, par exploit du 30 mai 1980, les Marchés d'Osny en paiement de sa facture, d'un montant de 15 315 64 F, en faisant valoir, à l'appui de sa demande, sa qualité de sous-traitant et les dispositions de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975, relative à la sous-traitance, notamment le titre III concernant l'action directe ;
Considérant que le jugement déféré :
- a dit que les travaux de la Société SPABA ont constitué une opération de sous-traitance,
- mais que l'action directe de la Société SPABA dirigée contre les Marchés d'Osny n'était pas fondée, ladite action ne répondait pas aux conditions légales, le maître de l'ouvrage, les Marchés d'Osny, n'ayant pas donné son agrément au contrat de sous-traitance ;
I - Sur la nature du contrat passé entre la Société Franki et la Société SPABA
Considérant que le contrat de sous-traitance passé entre la Société Franki et la Société SPABA est contesté par le maître de l'ouvrage, les Marchés d'Osny et les syndics de la liquidation des biens de la Société Franki ;
Considérant que les Marchés d'Osny soutiennent :
- que rien ne permet de penser qu'un réel sous-traité ait été conclu entre la Société Franki et la Société SPABA;
- qu'aucun contrat n'a été versé aux débats;
- que les seules pièces justifiant des rapports entre les deux sociétés sont représentées par un simple bon de commande, qui au surplus, précise les prix des marchandises au kilo et une facture;
- qu'il n'est nullement démontré que la Société SPABA après avoir livré les armatures, vendues au kilo, a procédé à leur assemblage et à leur mise en place sur le chantier d'Osny;
- que les éléments constitutifs d'un contrat de sous-traitance ne sont nullement réunis et qu'il ne s'agit en réalité que d'un simple contrat de fournitures;
Considérant que de leur côté, Maîtres Regnard et Mizon, syndics de la liquidation des biens de la Société 3F reprennent les moyens invoqués par les Marchés d'Osny, fondés sur la loi du 31 décembre 1975 et font valoir par ailleurs :
- que l'interprétation extensive de la loi de 1975 ne peut pas aboutir à privilégier un créancier d'une société en liquidation des biens par rapport aux autres créanciers notamment aux créanciers super-privilégiés ;
- qu'on « image ainsi la situation paradoxale où le fournisseur de béton ou de métaux seront réglés alors que l'URSSAF ou le Fonds national de garantie des salaires ne le serait pas »;
Considérant que les premiers juges ont dit à bon droit :
- qu'il s'agissait non pas de déterminer si de façon générale, les armaturiers accomplissent des actes de vente ou des actes de sous-traitance, mais d'apprécier in concreto si telle opération déterminée a entraîné ou non un marché de sous-traitance, indépendamment de toute intervention de pose sur le chantier;
- qu'en l'espèce il apparaît, au vu de la commande, que les barres livrées sous forme d'assemblage « de cage » ont toutes les dimensions spécifiques tant en ce qui concerne la longueur que le calibre, le pas d'enroulement des spires autour des barres principales;
- que la multiplicité des dimensions des composants aurait rendu impossible au fournisseur de stocker à l'avance de tels assemblages;
- que la Société SPABA n'avait pu satisfaire la commande de la Société Franki Fondations France qu'après avoir effectué un travail spécifique en vertu d'indications particulières rendant du reste impossible de substituer au produit commandé un autre équivalent;
- que ce travail destiné à un chantier déterminé, a constitué une opération de sous-traitance à l'égard du maître de l'ouvrage, au sens de la loi du 31 décembre 1975;
- que si la société SPABA ne l'avait pas effectué, la Société Francki aurait dû le faire;
Considérant qu'il est ainsi établi que la Société SPABA n'a pas été un simple fournisseur de la Société Franki mais qu'un sous-traité a été conclu entre la Société Franki Fondations France et la Société SPABA;
II - Sur l'exercice de l'action directe du sous-traitant : la Société SPABA contre le maître de l'ouvrage, les Marchés d'Osny
Considérant qu'il résulte de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975, relative à la sous-traitance, que le sous-traitant n'a une action directe contre le maître de l'ouvrage que si le sous-traitant a été accepté par le maître de l'ouvrage et que celui-ci a accepté les conditions de paiement du contrat;
Considérant que la Société SPABA fait grief aux premiers juges de lui avoir dénié une action directe contre les Marchés d'Osny aux motifs :
- que ces derniers avaient ignoré l'existence du marché de sous-traitance jusqu'à leur demande en paiement du 15 avril 1980,
- qu'elle même alléguait vainement l'agrément tacite des Marchés d'Osny pour exercer contre eux son action directe en paiement;
Considérant que la SPABA fait valoir :
- que l'action directe est ouverte au sous-traitant non accepté sauf opposition du maître de l'ouvrage;
- qu'en effet, le législateur a eu pour principal objectif la protection du sous-traitant et n'a conféré au maître de l'ouvrage qu'un droit de veto destiné à lui permettre de récuser un entrepreneur qui risquerait de compromettre la bonne réalisation de l'ouvrage;
- que ce droit de veto perd tout son sens, s'il est utilisé après l'exécution des travaux alors que, deux ans après cette exécution, celle-ci n'a donné lieu à aucune observation;
- qu'en tout état de cause, elle entend invoquer la théorie de l'enrichissement sans cause du maître de l'ouvrage; qu'en effet il ne ressort d'aucune pièce versée aux débats devant le tribunal que le maître de l'ouvrage ait réglé le montant de la somme réclamée, soit 15 315 64 F entre les mains des syndics désignés par le jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 3 avril 1980;
Considérant que les Marchés d'Osny pour s'opposer à l'action directe en paiement, dirigée à leur encontre, par la Société SPABA font valoir :
- que non seulement ils n'ont ni accepté le prétendu sous-traité liant la SPABA à la Société Franki, ni agréé les conditions de paiement,
- mais encore qu'ils n'ont pas eu connaissance de l'intervention de la Société SPABA;
Considérant que la loi du 31 décembre 1975 a pour objectif de protéger le maître de l'ouvrage qui a traité avec un entrepreneur principal, de la mauvaise exécution des travaux par un sous-traitant qu'il n'aurait pas agréé;
Considérant que s'il est bien exact que les Marchés d'Osny n'ont jamais par écrit agréé la Société SPABA, liée à la Société Franki par un contrat de sous-traitance, il n'en demeure pas moins,
- que la bonne exécution des travaux effectués depuis plus de 2 ans par la Société SPABA n'a jamais été contestée par les Marchés d'Osny,
- que par ailleurs les Marchés d'Osny n'allèguent pas que le montant de la facture ne correspondrait pas à la prestation fournie par la Société SPABA;
Considérant qu'il convient d'admettre que la Société SPABA sous-traitante a été accepté tacitement par les Marchés d'Osny et que dès lors c'est à bon droit que la Société SPABA lui demande le règlement de la somme de 15 315 64 F avec les intérêts de droit à compter du 30 mai 1980, date de l'exploit introductif d'instance ainsi que la capitalisation des intérêts à compter de la demande formulée dans ses conclusions signifiées le 12 juillet 1982;
Considérant que c'est en vain que les syndics de la liquidation des biens de la Société Franki s'opposent à l'action directe de la Société SPABA;
Qu'en effet leur moyen fondé sur les articles 35 et 40 de la loi du 13 juillet 1967, relative à la liquidation des biens n'est pas fondée, le principe de la suspension des poursuites individuelles à compter du jugement déclaratif ne pouvant s'appliquer à la Société SPABA qui exerce son action contre le maître de l'ouvrage, en vertu de la loi du 31 décembre 1975;
Par ces motifs :
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort;
En la forme, reçoit l'appel;
Au fond, infirme le jugement déféré et statuant à nouveau;
Constate que la SPABA :
1) a bien eu la qualité de sous-traitant au sens de la loi du 31 décembre 1975,
2) a été tacitement acceptée par le maître de l'ouvrage.
Condamne la SCI « Les Nouveaux Marchés d'Osny » à payer à la SPABA la somme de 15 315 64 F, montant de la facture qu'elle lui a présentée le 24 avril 1980 et ce avec les intérêts de droit à compter de l'acte introductif d'instance du 30 mai 1980;
Ordonne la capitalisation des intérêts, par application de l'article 1154 du Code civil à compter de la demande par conclusions signifiées le 12 juillet 1982;
Déboute les parties de leurs conclusions plus amples ou contraires;
Condamne la SCI « Les Nouveaux Marchés d'Osny » aux dépens de première instance et d'appel et autorise Maître Bommart, avoué et la SCP Jullien et Lecharny, titulaire d'un office d'avoué, à recouvrer directement les dépens d'appel dans la mesure prévue en l'alinéa 1er de l'article 699 du Nouveau Code de procédure civile.