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Décisions

ADLC, 15 février 2022, n° 22-DCC-19

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

relative à la prise de contrôle exclusif de plusieurs actifs du groupe Salej par Naturalia

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Coeuré

ADLC n° 22-DCC-19

14 février 2022

L’Autorité de la concurrence,

Vu le dossier de notification adressé au service des concentrations le 19 février 2021, déclaré complet le 5 juillet 2021, relatif à la prise de contrôle des actifs du groupe Salej par Naturalia, formalisée par l’offre de reprise du 11 janvier 2021 et les jugements du tribunal de commerce de Montpellier du 28 avril 2021 ;

Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;

Vu les éléments complémentaires transmis par la partie notifiante au cours de l’instruction ; Adopte la décision suivante :

 

Résumé1

Aux termes de la décision ci-après, l’Autorité a procédé à l’examen de la prise de contrôle exclusif par la société Naturalia, filiale du groupe Casino, de quinze fonds de commerce exploités par des filiales de la société Salej Holding sous différentes enseignes (« La Nature et vous », « Bio & Sens », « On a la vie », « Au Sens Bio » et « l’Éthique Verte »).

Les fonds de commerce cibles et la société Naturalia sont actifs dans la distribution au détail de produits à dominante alimentaire issus de l’agriculture biologique.

Sur les marchés amont de l’approvisionnement en produits à dominante alimentaire biologiques, l’Autorité a écarté tout risque d’atteinte à la concurrence, l’opération soumise à son examen n’étant pas de nature à renforcer de façon significative la puissance d’achat de Naturalia ou à générer une situation de dépendance économique des fournisseurs de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché amont de l’approvisionnement compte tenu des parts de marché limitées des parties.

S’agissant du marché aval de la distribution de produits à dominante alimentaire biologiques, l’Autorité a examiné les effets de l’opération sur le marché de la distribution au détail de produits à dominante alimentaire biologiques restreint aux GSS.

L’Autorité a mené son analyse sur des zones locales correspondant aux empreintes réelles des magasins cibles. Dans les zones de chevauchement d’activité entre les parties dans lesquelles les parts de marché cumulées de celles-ci sont inférieures à 25 %, l’Autorité a écarté tout risque d’atteinte à la concurrence. S’agissant des zones dans lesquelles les parts de marché cumulées des parties se situent entre 25 % et 50 %, l’Autorité a considéré que tout doute sérieux d’atteinte à la concurrence pouvait être écarté compte tenu de la présence d’au moins trois groupes concurrents.

En conséquence, l’Autorité a autorisé l’opération sans condition.

I. Les entreprises concernées et l’opération

1. La société Naturalia France (ci-après « Naturalia ») est une filiale du groupe Casino qui exploite des magasins de distribution au détail à dominante alimentaire biologique. Le groupe Casino est lui-même actif dans le secteur de la distribution au détail à dominante alimentaire et du commerce en ligne non-alimentaire.

2. Les actifs cibles sont des fonds de commerce exploités sous différentes enseignes (« La Nature et vous », « Bio & Sens », « On a la vie », « Au Sens Bio » et « l’Éthique Verte ») par les sociétés LNV1, Nature et Bio, Au Sens Bio, Bio & Sens Holding, Société des Produits de la Nature filiales de la société Salej Holding (ci-après ensemble « le groupe Salej »), également actives dans le secteur de la distribution au détail à dominante alimentaire biologique.

3. Par jugements du 5 novembre 2019, le tribunal de commerce de Montpellier a ouvert des procédures de redressement judiciaire au bénéfice de ces sociétés.

4. Le 11 janvier 2021, Naturalia a déposé une offre de reprise concernant les fonds de commerce cibles : au total quinze fonds de commerce sis à Cugnaux, Essey-lès-Nancy, Figeac, Jacou, Jouy-aux-Arches, Juvignac, Loriol-sur-Drôme, Manosque, Pertuis, Ramonville, Saint-Jean de Vedas, Saint-Aunès, Saint-Gély-du-Fesc, Terville, et Villefranche-de-Lauragais (ci-après « l’offre de reprise »).

5. Le 25 février 2021, en application du deuxième alinéa de l’article L. 430-4 du code de commerce, l’Autorité de la concurrence a accordé à Naturalia une dérogation à l’effet suspensif du contrôle des concentrations afin qu’elle puisse procéder à la réalisation effective de l’acquisition des fonds de commerce cibles dans l’hypothèse où son offre serait retenue par le tribunal de commerce. L’Autorité a considéré que les conditions d’application du deuxième alinéa de l’article L. 430-4 du code de commerce étaient remplies en l’espèce.

6. Par jugements du 28 avril 2021, le tribunal de commerce de Montpellier a autorisé la cession des fonds de commerce cibles au profit de la société Naturalia conformément à l’offre de reprise.

7. L’opération notifiée, formalisée par l’offre de reprise et par les jugements du 28 avril 2021, consiste en la prise de contrôle exclusif par Naturalia de quinze fonds de commerce appartenant précédemment au groupe Salej. Elle constitue une opération de concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce.

8. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d’affaires total sur le plan mondial de plus de 75 millions d’euros (groupe Casino : 31 912 millions d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2020 ; cibles : [<75] millions pour l’exercice clos le 30 juin 2020). Chacune de ces entreprises réalisent en France un chiffre d’affaires supérieur à 15 millions d’euros (groupe Casino : 17 235 millions d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2020 ; cibles : [>15] millions d’euros pour l’exercice clos le 30 juin 2020). Compte tenu de ces chiffres d’affaires, l’opération ne revêt pas une dimension européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au II de l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. La présente opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce, relatives à la concentration économique.

II. Délimitation des marchés pertinents

9. Les parties sont simultanément présentes sur les marchés de l’approvisionnement et de la distribution au détail de produits à dominante alimentaire issus de l’agriculture biologique.

A. LES MARCHÉS AMONT DE L’APPROVISIONNEMENT

1. MARCHÉS DE PRODUITS

10. Sur les marchés amont de l’approvisionnement, les entreprises du secteur de la distribution à dominante alimentaire sont présentes en tant qu’acheteurs. Les autorités de concurrence distinguent autant de marchés qu’il existe de famille ou groupes de produits.

11. Les catégories suivantes ont ainsi été distinguées :

- produits de grande consommation : (1) liquides, (2) droguerie, (3) parfumerie et hygiène, (4) épicerie sèche, (5) parapharmacie, (6) produits périssables en libre-service ;

- frais traditionnel : (7) charcuterie, (8) poissonnerie, (9) fruits et légumes, (10) pain et pâtisserie fraîche, (11) boucherie ;

- bazar : (12) bricolage, (13) maison, (14) culture, (15) jouets, loisir et détente, (16) jardin, (17) automobile ;

- électroménager, photo, cinéma et son : (18) gros électroménager, (19) petit électroménager, (20) photo et ciné, (21) hi-fi et son, (22) TV et vidéo ; et

- textile : (23) textile et chaussures.

12. Dans sa décision n° 21-DCC-161 du 10 septembre 20212, l’Autorité a envisagé l’existence d’un marché distinct de l’approvisionnement en produits biologiques, et relevé un ensemble de facteurs tendant à confirmer l’existence d’un tel marché ; elle a également examiné s’il était pertinent d’envisager une segmentation de ce marché par canal de distribution, en particulier entre l’approvisionnement des grandes surfaces (ci-après « GSA ») et celui des grandes surfaces spécialisées (ci-après, « GSS »).

13. Au cas d’espèce, la partie notifiante considère que l’approvisionnement en produits biologiques constitue un marché distinct du marché de l’approvisionnement en produits traditionnels. Les parties sont simultanément présentes sur le marché amont global de l’approvisionnement en produits biologiques. Leurs activités se chevauchent également dès lors qu’un marché amont de l’approvisionnement en produits biologiques à destination des GSS est envisagé.

14. L’Autorité examinera donc l’impact de l’opération sur un marché amont de l’approvisionnement en produits biologiques. La question de la segmentation de ce marché par canal de distribution peut toutefois rester ouverte, dans la mesure où les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurent inchangées, quelles que soient les segmentations envisagées.

2. MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES

15. La pratique décisionnelle considère que les marchés amont de l’approvisionnement en produits alimentaires sont de dimension nationale.

16. Cette délimitation peut être retenue dans le cas d’espèce s’agissant des marchés amont de l’approvisionnement en produits biologiques.

B. LES MARCHÉS AVAL DE LA DISTRIBUTION AU DÉTAIL DE PRODUITS BIOLOGIQUES

1. MARCHÉS DE SERVICES

17. En ce qui concerne la distribution au détail de produits à dominante alimentaire, la pratique décisionnelle de l’Autorité distingue six catégories de commerce, en retenant plusieurs critères, notamment la taille des magasins, leurs techniques de vente, leur accessibilité, la nature du service rendu et l’ampleur des gammes de produits proposés : (i) les hypermarchés (d’une surface de vente supérieure à 2 500 m²), (ii) les supermarchés (d’une surface de vente inférieure à 2 500 m² et supérieure à 400 m²), (iii) le commerce spécialisé, (iv) le petit commerce de détail (moins de 400 m²), (v) les magasins de maxi-discompte et (vi) la vente par correspondance.

18. Les magasins spécialisés en produits biologiques appartiennent à la catégorie des commerces spécialisés.

19. Dans la décision n° 21-DCC-161 du 10 septembre 2021 précitée, l’Autorité a été amenée à se prononcer sur l’existence d’un marché spécifique de la distribution au détail de produits biologiques. Au vu de la substituabilité limitée, aux yeux des consommateurs, entre produits biologiques et produits conventionnels, des spécificités des produits biologiques notamment en termes de qualité ou de valeurs mises en avant par le produit, et des différences de prix importantes et persistantes entre les produits biologiques et les produits conventionnels, elle a conclu à l’existence d’un marché spécifique de la distribution au détail de produits biologiques3.

20. Par ailleurs, au sein de ce marché, l’Autorité a envisagé une segmentation en fonction du positionnement commercial du produit (marque de fournisseur « MDF » ou marque de distributeur « MDD »), et en fonction du canal de distribution du produit (« GSA » ou « GSS »). Dans sa décision, elle rappelle que la substituabilité imparfaite entre les GSS et les GSA a pu justifier par le passé que le Conseil de la concurrence puis l’Autorité retiennent l’existence de marchés distincts, selon les circuits de distribution et conclut au cas d’espèce à l’existence d’un marché distinct de la distribution au détail de produits à dominante alimentaire biologiques restreint aux GSS4.

21. Dans le cas présent, les parties sont simultanément présentes sur ce marché de la distribution au détail de produits à dominante alimentaire biologiques restreint aux GSS.

2. MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES

22. En ce qui concerne le secteur de la distribution au détail alimentaire, la pratique décisionnelle a défini des marchés géographiques distincts selon que les zones concernées sont situées à i) Paris intra-muros, ii) en petite couronne, iii) en grande couronne, iv) en grande ville de province, ou v) en province. Cette distinction a également été retenue s’agissant des GSS spécialisées dans la distribution de produits biologiques5.

23. Cependant, l’Autorité n’a pas encore été amenée à délimiter précisément les zones de chalandise des GSS spécialisées dans la distribution de produits biologiques.

24. Dans la décision n° 21-DCC-161 du 10 septembre 2021 précitée, l’Autorité relève plusieurs éléments indiquant que les consommateurs seraient prêts à parcourir une distance plus importante pour se rendre dans une GSS que dans une GSA de surface équivalente aux magasins cibles. Elle constate néanmoins l’absence de données suffisamment cohérentes pour converger vers une zone géographique déterminée et analyse les données d’empreintes réelles relatives aux magasins cibles, qui reflètent les temps de parcours réels des consommateurs.

25. Dans le cas présent, les parties ont communiqué des données d’empreintes réelles des magasins cibles pour la quasi-totalité des magasins cibles. La question de la délimitation géographique exacte des marchés de la distribution de produits biologiques peut donc demeurer ouverte.

26. L’analyse a donc été réalisée en tenant compte des empreintes réelles des magasins cibles. L’empreinte réelle constitue la zone de chalandise réelle du magasin cible, puisqu’elle représente la zone géographique dans laquelle résident effectivement les clients à l’origine de 80 % des ventes du magasin ou, à défaut, celle où résident 80 % de ses clients. Elle permet d’obtenir une photographie précise des clients qui fréquentent habituellement le magasin et, par construction, d’une zone de chalandise. L’Autorité ne retient de tels éléments que si elle estime qu’ils sont suffisamment fiables pour fonder son analyse concurrentielle.

27. Pour l’un des magasins cibles pour lequel les parties ne disposaient pas de données d’empreintes réelles, l’Autorité a eu recours à une analyse sur la base de l’empreinte réelle moyenne observée au niveau de l’ensemble des zones6.

III. Analyse concurrentielle

28. L’opération conduit à des chevauchements d’activités entre Naturalia et la cible sur les marchés amont de l’approvisionnement (A) et sur le marché aval de la distribution au détail de produits à dominante alimentaire issus de l’agriculture biologique (B).

A. EFFETS DE L’OPÉRATION SUR LES MARCHÉS AMONT DE L’APPROVISIONNEMENT EN PRODUITS BIOLOGIQUES

29. Sur les marchés de l’approvisionnement en produits biologiques, la partie notifiante estime que la part de marché cumulée des parties est inférieure à 5 %. L’opération entraînera une addition de parts de marchés limitée, avec un incrément inférieur à 0,5 %.

30. Sur les marchés de l’approvisionnement en produits biologiques destinés aux seules GSS, la partie notifiante estime que la part de marché cumulée des parties est de l’ordre de [10-20] %. L’opération entraînera une addition de parts de marchés limitée, avec un incrément de l’ordre de [0-5]%.

31. L’opération n’est donc pas de nature à renforcer significativement la puissance d’achat de la nouvelle entité en matière de produits biologiques et ce quelle que soit la segmentation de marché retenue.

B. EFFETS DE L’OPÉRATION SUR LES MARCHÉS AVAL DE LA DISTRIBUTION AU DÉTAIL DE PRODUITS BIOLOGIQUES

1. MÉTHODOLOGIE

32. Afin d’apprécier si une concentration entre deux distributeurs est susceptible de réduire significativement la concurrence sur un marché local, l’Autorité de la concurrence a généralement recours à une méthode qui repose sur des principes généraux énoncés dans ses Lignes directrices.

33. L’Autorité examine ainsi en priorité deux critères : (i) les parts de marché de la nouvelle entité et (ii) le degré de concentration du marché.

34. Dans les zones où les activités des parties se chevauchent, du fait de la présence concomitante de la cible et de l’acquéreur, les parts de marché cumulées de la nouvelle entité, évaluées en surface de vente, sont calculées.

35. Lorsque la part de marché est comprise entre 25 % et 50 %, l’Autorité de la concurrence procède à une analyse de la structure concurrentielle locale. Au-delà de 50 % de parts de marché cumulées, l’Autorité présume l’existence d’un pouvoir de marché et n’exclut un problème de concurrence qu’en cas de présence dans la zone concernée d’alternatives crédibles et suffisantes à la nouvelle entité7.

2. ANALYSE DES ZONES LOCALES

36. En l’espèce, l’opération aboutit à des chevauchements d’activités de distribution de produits biologiques dans 6 des 15 zones analysées.

37. Parmi les 6 zones de chevauchement identifiées, une zone a été considérée comme non problématique compte tenu de parts de marché cumulées des parties inférieures à 25 %.

Dans les 5 autres zones, les parts de marché cumulées des parties sont comprises entre 25 % et 50 % à l’issue de l’opération. Dans ces zones, l’Autorité a procédé à une étude de la structure concurrentielle locale et du degré de concentration du marché. L’Autorité a considéré, que tout doute sérieux d’atteinte à la concurrence pouvait être écarté dans les zones dans lesquelles le nombre de groupes concurrents est au moins égal à 3. L’application de ce critère aux 5 zones dans lesquelles la part de marché de la nouvelle entité est comprise entre 25 % et 50 % conduit à écarter tout risque d’atteinte à la concurrence dans chacune de ces zones.

38. L’Analyse des zones locales conduit ainsi à écarter tout risque d’atteinte à la concurrence.

DÉCIDE

Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 21-031 est autorisée.

 

NOTES :

1 Ce résumé a un caractère purement informatif. Seuls font foi les motifs de la décision numérotés ci-après.

2 Décision n° 21-DCC-161 du 10 septembre 2021 relative à la prise de contrôle exclusif de certaines activités du groupe Bio c' Bon par la société Carrefour France.

3Ibid., paragraphes 24 à 27.

4Ibid., paragraphe 41.

5Ibid., paragraphe 44.

6 Au cas d’espèce, une empreinte moyenne correspondant à un rayon de 15,87 minutes en voiture a été retenue pour la zone autour du magasin cible situé à Figeac.

7 Lignes directrices de l’Autorité de la concurrence relatives au contrôle des concentrations, paragraphe 622.