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Décisions

Cass. com., 11 avril 1995, n° 92-20.985

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Lassalle

Avocat général :

M. de Gouttes

Avocats :

SCP Vier et Barthélemy, Me Capron

Bordeaux, du 9 oct. 1992

9 octobre 1992

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 9 octobre 1992), que le représentant des créanciers et l'administrateur du redressement judiciaire de la société Sur les quais ont, dans la perspective d'un procès en responsabilité, demandé au président du tribunal de commerce, statuant en référé, d'ordonner, sur le fondement de l'article 145 du nouveau Code de procédure civile, que leur soit remis le dossier interne afférent au concours que le Crédit lyonnais a consenti à la société, notamment les procès-verbaux des comités de crédit, les études bilantielles, notes de service et d'une façon générale tout ce qui se rapporte aux opérations de crédit considérées ; que le président du tribunal a accueilli la demande ;

Sur le premier moyen, pris en ses cinq branches :

Attendu que le Crédit lyonnais fait grief à l'arrêt d'avoir confirmé l'ordonnance, alors, selon le pourvoi, d'une part, que le nouveau Code de procédure civile ne range sous la rubrique " les mesures d'instruction " que les vérifications personnelles du juge (article 179 à 183), la comparution personnelle des parties (articles 184 à 198), les déclarations des tiers (articles 199 à 231) et les mesures d'instruction exécutées par un technicien (articles 232 à 284-1), sans y inclure la communication de pièces entre les parties ou l'obtention des pièces détenues par un tiers (articles 132 à 142) qui, en revanche, sous la rubrique " les pièces ", font l'objet de dispositions particulières et étrangères à la réglementation des mesures d'instruction ; qu'il en résulte que la communication ou la production forcée de pièces ne sont pas des " mesures d'instruction légalement admissibles " pouvant être ordonnées en référé avant tout procès, sur le fondement de l'article 145 du Code, dont la cour d'appel a fait en conséquence une fausse application ; alors, d'autre part, que la communication ou la production forcée de pièces ne peuvent, par nature, être au nombre des mesures d'instruction prévues à l'article 145 du nouveau Code de procédure civile ; qu'en effet les mesures envisagées par ce texte sont destinées à conserver ou à établir des preuves, dans le but de permettre la solution d'un litige éventuel ; que la communication ou la production forcée des pièces ont un objet différent, car elles portent sur des pièces existantes et non sur des preuves à constituer ; que leur but est également différent, dès lors qu'elles ont pour fin d'assurer le respect du principe du contradictoire entre les parties à un procès et l'information du juge et non de sauvegarder ou d'établir des preuves ; qu'en conséquence, c'est à tort et au prix, derechef, d'une fausse application de l'article 145 du nouveau Code de procédure civile, que la cour d'appel a cru pouvoir ordonner, sur le fondement des dispositions de ce texte, la communication forcée de pièces, hors de tout procès ; alors, en outre qu'il ressort des termes des articles 138 et 142 du nouveau Code de procédure civile que l'obtention ou la production de pièces détenues par un tiers ou une partie ne peuvent être demandées et ordonnées que " dans le cours d'une instance " ; qu'en conséquence, ces mesures ne sauraient être prescrites en référé sur le fondement de l'article 145 du même Code, qui ne s'applique, selon ses propres termes, qu'avant tout procès ; qu'en ordonnant au Crédit lyonnais de communiquer des pièces à l'administrateur judiciaire, bien qu'aucun procès n'eût été intenté entre eux, la cour d'appel a violé tout à la fois les dispositions de l'article 145 et celles des articles 138 et 142 du nouveau Code de procédure civile ; alors, au surplus, qu'il résulte des dispositions des articles 138 à 142 susvisés du nouveau Code de procédure civile que les pièces communiquées entre les parties ou dont le juge peut ordonner l'obtention d'un tiers ou la production sont ensuite soumises à la libre discussion des parties, dans le cours de l'instance ; que l'article 145 du même Code ne pouvant s'appliquer qu'en dehors de tout procès et n'assurant pas ainsi cette nécessaire possibilité de discuter les pièces produites et, partant, le respect du principe du contradictoire, la communication ou la production forcée de pièces ne peuvent être ordonnées sur ce fondement, sans violer à nouveau et par fausse application les

dispositions dudit article 145 et de l'article 16 du nouveau Code de procédure civile et méconnaître le principe de la contradiction ; et alors, enfin, que le droit au procès équitable conféré à toute personne par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme implique que nul ne puisse être condamné à fournir des preuves contre lui-même, de telle sorte qu'en enjoignant au Crédit lyonnais de communiquer, en dehors de tout procès des documents internes à l'administrateur judiciaire, la cour d'appel a en outre violé les dispositions de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;

Mais attendu qu'ayant, à bon droit, énoncé qu'il entre dans les pouvoirs du juge des référés, saisi sur le fondement de l'article 145 du nouveau Code de procédure civile, d'ordonner, aux conditions prévues par ce texte, une communication de pièces, c'est sans violer les dispositions de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que la cour d'appel a apprécié la légitimité des motifs invoqués par l'administrateur judiciaire et le représentant des créanciers au soutien de leur demande de communication, avant tout procès, de documents internes à la banque de nature à établir que celle-ci, tenue d'apporter son concours à cette mesure d'instruction, avait soutenu abusivement l'entreprise en difficulté ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le second moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que le Crédit lyonnais fait grief aussi à l'arrêt d'avoir statué comme il a fait, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'en se bornant à relever en l'espèce, pour écarter l'exception de secret professionnel soulevée par le Crédit lyonnais, que le secret du banquier est de simple protection et que le client bénéficiaire peut y renoncer, la cour d'appel qui n'a pas caractérisé en l'espèce, l'existence d'une telle renonciation de la part de la société Sur les Quais, a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 378 du Code pénal ; et alors, d'autre part, que les dispositions des articles 19 et 20 de la loi du 25 janvier 1985, qui dérogent à l'obligation des établissements de crédit au secret bancaire, sont d'interprétation stricte ; qu'il en résulte que seul le juge-commissaire peut obtenir communication de renseignements de nature à lui donner une exacte information sur la situation de l'entreprise, à l'exclusion de tout autre organe de la procédure ; qu'en affirmant que ces dispositions emportaient disparition du secret professionnel allégué, au bénéfice de l'administrateur judiciaire, la cour d'appel a violé les dispositions précitées, ensemble l'article 378 du Code pénal ;

Mais attendu qu'ayant énoncé exactement que le secret professionnel du banquier est de simple protection de son client et que celui-ci peut y renoncer, ce qui résultait de la demande de communication des pièces émanant de l'administrateur de la société en redressement judiciaire, qui avait reçu du tribunal les pleins pouvoirs de gestion, la cour d'appel, abstraction faite du motif surabondant pris des pouvoirs du juge-commissaire a légalement justifié sa décision ; que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.