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Décisions

CA Paris, 5e ch. C, 14 janvier 1993

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

CA Paris

13 janvier 1993

La Société MATRA-TRANSPORT a mis au point un système de transport urbain par véhicules de faible gabarit appelé V A L. En Avril 1987 le Syndicat des Transports parisiens a lancé une consultation pour établir une liaison rapide entre l'aéroport d'ORLY et la gare d'ANTHONY. Deux projets lui ont été soumis et il a retenu celui de MATRA-TRANSPORT.

Une société de droit privé dénommé ORLYVAL a été constituée pour réaliser ce projet et le 29 Juillet 1988 elle a signé avec la Société MATRA-TRANSPORT un contrat dit d'étude, de réalisation et de mise en service de la liaison ORLYVAL, le dit contrat stipulant un prix forfaitaire et une date d'exécution.

Après un appel d'offres MATRA TRANSPORT confiait le 30 Novembre 1988 à la Société BORIE S A E l'exécution du lot concernant la construction d'un tunnel pour le prix forfaitaire de 97 484 547 F sur lesquels 40 400 945 F 05 ont été payés. Un délai d'exécution était fixé et des pénalités de retard prévues.

A la demande de BORIE S A E, le CREDIT LYONNAIS avait délivré à MATRA-TRANSPORT une garantie à première demande d'un montant maximal de 130 % du marché pour le cas où BORIE S A E aurait manqué à l'une de ses obligations résultant de son contrat.

Il est constant que la Société BORIE S A E a eu des retards d'exécution. La Société MATRA-TRANSPORT a procédé à des retenues pour retard qui se sont élevées à 32 170 838 F 70 avant d'être transformées en pénalités de retard à hauteur de 24 912 783 F 65. Elle a par ailleurs appelé la garantie du CREDIT LYONNAIS pour 32 487 562 F 62 somme qui lui a été versée après une ordonnance du juge des référés du 8 Février 1991 et que la banque a portée au débit de BORIE S A E.

Cette dernière a par ailleurs fait état d'un surcoût des travaux prévus en raison de la nature des terrains rencontrés. Une autre procédure à ce sujet est actuellement pendante devant le tribunal de commerce de NANTERRE, ainsi qu'une troisième diligentée par BORIE S A E à l'encontre de son tunnelier devant la Cour internationale d'arbitrage de la C. C. I. P.

La présente instance a été engagée par exploit du 14 Février 1991 devant le Tribunal de Commerce de PARIS par BORIE S A E à l'encontre de MATRA-TRANSPORT et du CREDIT LYONNAIS à l'effet d'obtenir la restitution de la somme de 32 487 562 F 62 outre paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Par jugement du 20 Septembre 1991 le Tribunal saisi a mis le CREDIT LYONNAIS hors de cause, déclaré abusif l'appel à la garantie à première demande fait par MATRA-TRANSPORT et condamné cette société à rembourser à BORIE S A E la somme de 32 487 562 F 62, ce qui a été fait au vu de l'exécution provisoire ordonnée, avec intérêts au taux légal à compter du 19 Février 1991 ; et à lui verser une indemnité de 50 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La Société MATRA TRANSPORT a régulièrement en la forme interjeté appel principal de cette décision en intimant seulement la Société BORIE S A E.

Auparavant la Société BORIE S A E avait appelé MATRA TRANSPORT et le CREDIT LYONNAIS devant le juge des référés du tribunal de Commerce de PARIS pour qu'il soit fait défense à la banque de verser le montant de la garantie à première demande et par ordonnance du 8 Février 1991 le magistrat saisi avait dit n'y avoir lieu à référé.

BORIE S A E a fait appel de cette ordonnance, mais n'a pas conclu sur cet appel qui a été radié en application de l'article 915 du Nouveau Code de Procédure Civile. La procédure a été réinscrite à la demande de MATRA-TRANSPORT qui a conclu au débouté de l'appelante. Le CREDIT LYONNAIS ne s'est pas manifesté.

La Société BORIE S A E avait encore appelé la Société MATRA-TRANSPORT devant le même juge des référés aux fins de remboursement à titre provisionnel de la somme de 29 546 561 F 41 qu'elle estimait avoir payé deux fois par les pénalités de retard et le jeu de la garantie à première demande ; et par ordonnance du 4 Avril 1991 le magistrat saisi a dit n'y avoir lieu à référé et a condamné BORIE S A E à payer à MATRA-TRANSPORT une indemnité de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 .

BORIE S A E a fait appel de cette ordonnance, mais n'a pas conclu sur cet appel qui a été radié en application de l'article 915 du Nouveau Code de Procédure Civile. La procédure a été réinscrite à la demande de MATRA-TRANSPORT qui a conclu une nouvelle fois au débouté de l’appelante.

Il y a lieu pour une bonne administration de la justice, les trois procédures se rapportant au même litige, d'ordonner la jonction des deux dernières inscrites sous les numéros 91-25037 et 25038 avec la première inscrite sous le N° 21 160 du rôle général de 1991.

 

Considérant que pour statuer comme ils l'ont fait les premiers juges ont estimé que quelle que soit la qualification que l'on puisse donner au contrat BORIE S A E n'apportait pas la preuve que soient réunies les conditions nécessaires pour qu'il puisse être déclaré nul, mais que l'appel de la garantie à première demande bien qu'autonome était manifestement abusif comme portant sur le non-respect d'une obligation de BORIE S A E qui a été par ailleurs intégralement couverte .

Que la Société BORIE reprend devant la Cour sa demande en nullité du contrat du 30 Novembre 1988, qu'elle considère comme un contrat de sous-traitance qui ne satisfait pas aux obligations de l'article 14 de la loi du 31 Décembre 1975, nullité entraînant d'après elle celle de la garantie à première demande.

Et que subsidiairement elle fait sienne l'argumentation du tribunal estimant abusif l'appel de la garantie au motif que le retard d'exécution qu'elle compensait était déjà réparé par les indemnités de retard, ajoutant que les pénalités prévues au contrat revêtent le caractère d'une clause pénale et que le cumul des indemnités de retard et de la garantie violerait les prescriptions de l'article 1152 du Code Civil.

Que la Société MATRA TRANSPORT répond que le contrat la liant à BORIE S A E n'est pas un contrat de sous traitance mais un contrat d'entreprise, car à l'égard d'ORLYVAL elle est non un entrepreneur général mais un promoteur immobilier et que la loi du 31 Décembre 1975 ne peut recevoir application.

Qu'elle ajoute que, si ce texte est applicable, BORIE S A E ne peut s'en prévaloir car elle a invoqué la nullité après que le marché eut été exécuté et qu'elle ait été payée sans avoir au surplus suivi les prescriptions de l'article 14-1 .

Et qu'elle conclut en faisant valoir que la garantie à première demande est une garantie autonome dont la mise en oeuvre est indépendante de la validité du contrat.

Qu'elle sollicite en conséquence le reversement des 32 427 562 F 62 avec intérêts.

Considérant que chaque partie réclame devant la Cour une indemnité de 100 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Considérant que la garantie à première demande du CREDIT LYONNAIS, seul élément qu'il convienne d'apprécier dans le cadre du présent litige, est ainsi rédigée : " le CREDIT LYONNAIS ... après avoir rappelé que la Société BORIE S A E doit conclure avec MATRA TRANSPORT un contrat de sous-traitance ayant pour objet la réalisation du lot de génie civil de la liaison ORLYVAL ... garantit irrévocablement et inconditionnellement ... le paiement d'un montant maximal de 126 729 937 F 62 soit 130 % du montant du lot N° 2 à MATRA-TRANSPORT sur sa première demande écrite indiquant que la Société BORIE S A E a manqué à l'une de ses obligations résultant du contrat susvisé " .

Que c'est en invoquant un retard d'exécution constituant une obligation de BORIE S A E que MATRA-TRANSPORT a sollicité du CREDIT LYONNAIS le versement de la somme de 32 487 562 F 62 entrant dans le cadre de la garantie.

Que s'agissant d'une garantie à première demande, qui revêt un caractère autonome, indépendant du contrat, il importe peu de savoir si celui-ci a ou n'a pas prévu par ailleurs des indemnités de retard.

Que la seule obligation nécessaire pour que joue la garantie était que MATRA-TRANSPORT invoque à l'encontre de BORIE S A E le manquement à l'une de ses obligations résultant du contrat.

Et que, pour qu'il y ait manquement, encore faut-il que l'obligation existe, c'est à dire que le contrat soit valable.

Qu'il convient donc d'examiner le problème de la nullité du contrat du 30 Novembre 1988.

Considérant que la Société BORIE S A E invoque l'article 14 de la loi du 31 Décembre 1975 qui stipule qu'à peine de nullité du sous-traité les paiements de toutes les sommes dues par l'entrepreneur au sous-traité sont garantis par une caution personnelle et solidaire obtenue par l'entrepreneur d'un établissement qualifié et agréé, la caution n'ayant cependant pas lieu d'être fournie si l'entrepreneur délègue le maître de l'ouvrage au sous-traitant dans les termes de l'article 1275 du Code Civil.

Qu'il est constant qu'en l'espèce MATRA-TRANSPORT n'a pas délégué ORLYVAL à BORIE S A E et n'a pas fourni la caution prévue par l'article 14.

Que le problème est donc de savoir si le contrat liant MATRA TRANSPORT à BORIE S A E revêt ou non les caractères d'un contrat de sous-traitance.

Considérant que la thèse de MATRA-TRANSPORT consiste à dire que le contrat du 29 Juillet 1988 qu'elle a conclu avec la Société ORLYVAL n'est pas un contrat d'entreprise, mais un contrat à caractère sui-généris revêtant les aspects d'un contrat de promotion immobilière, d'où, il s'en suivrait qu'elle aurait contracté avec BORIE S A E en qualité de maître de l'ouvrage et que le contrat en cause du 30 Novembre 1988 ne pourrait pas être un contrat de sous-traitance mais un contrat d'entreprise échappant aux obligations de l'article 14 de la loi du 31 Décembre 1975.

Mais que le contrat ORLYVAL - MATRA TRANSPORT, qui s'intitule contrat d'étude, de réalisation et de mise en service de la liaison ORLYVAL, ne peut être considéré comme un contrat de promotion immobilière, mais doit l'être comme un contrat d'entreprise confiant à MATRA la réalisation complète du projet de liaison ferroviaire ORLY-ANTHONY.

Qu'il importe peu que MATRA TRANSPORT n'ait pas la qualification technique nécessaire pour certaines réalisations pointues telles que le percement d'un tunnel, les stipulations extrêmement complètes et détaillées du contrat du 29 Juillet 1988 impliquant que la mission à elle confiée par le maître de l'ouvrage est celle d'un entrepreneur général devant remettre à la fin des travaux dont il est chargé l'objet commandé prêt à fonctionner, clefs en mains.

Que l'ensemble des documents produits aux débats vont dans le même sens et qu'il est inutile de s'appesantir sur tel ou tel élément particulier du contrat de promotion immobilière susceptible de se retrouver dans le contrat litigieux.

Considérant que MATRA- TRANSPORT, ainsi investie d'une mission d'entrepreneur général, n'a pu conclure qu'un contrat de sous-traitance en confiant à BORIE S A E l'exécution du lot N° 2 portant sur la construction d'un tunnel.

Qu'à ce sujet il est d'ailleurs symptomatique de relever que dans une foule de documents est employé le terme de sous-traitant et que MATRA n'avait qu'une délégation de maîtrise d'ouvrage de la part d'ORLYVAL.

Qu'il s'en suit que le contrat liant MATRA-TRANSPORT et BORIE S A E doit satisfaire aux obligations de la loi du 31 Décembre 1975 relative à la sous-traitance.

Qu'ainsi qu'il a été dit il n'y satisfait pas et que comme le proclame l'article 14 de la loi il est entaché de nullité.

Considérant que pour échapper aux conséquences de cette nullité la Société MATRA fait d'abord valoir qu'il s'agit d'une nullité relative de protection qui ne peut être invoquée que par celui à qui elle bénéficie et couverte de manière formelle ou tacite ; et invoque une renonciation tacite de la part de BORIE S A E qui n'a fait état de la nullité qu'après avoir achevé les travaux à sa charge et avoir été intégralement payée.

Mais qu'il résulte des pièces produites assez contradictoires que cette double affirmation ne peut être retenue.

Qu'il apparaît en effet de certaines situations que le pourcentage de réalisation des travaux est inférieur au taux de 100 % même si c'est de peu et qu'en dépit des affirmations de MATRA sur ce point les comptes inter-parties n'ont pas été définitivement arrêtés, le montant forfaitaire de 97 484 547 F n'ayant jamais été atteint même si on tient compte de l'incidence des pénalités de retard et du fait qu'il peut y avoir discussion sur les compléments que réclame la Société BORIE S A E.

Qu'il s'en déduit que la Société BORIE S A E était en droit comme elle l'a fait d'invoquer la nullité du contrat de sous-traitance la liant à la Société MATRA-TRANSPORT.

Considérant qu'il est encore fait grief à la Société BORIE de ne pas prendre en compte le fait que le maître de l'ouvrage n'a pas mis en demeure la Société MATRA de s'acquitter de ses obligations relatives à la caution ou à la délégation.

Mais qu'il s'agit là d'obligations qui peuvent entraîner des conséquences pour le maître de l'ouvrage et non pour le sous-traitant et qui ne jouent que pour les travaux de bâtiment et les travaux publics, alors que dans le cas d'espèce on se trouve en présence de travaux privés concernant un ouvrage d'art qui ne peut être qualifié de bâtiment.

Considérant en conséquence de ces analyses que, contrairement à l'opinion des premiers juges, il convient de dire que le contrat MATRA- BORIE du 30 Novembre 1988 est nul.

Considérant que la garantie à première demande, qui est en cause aujourd'hui, est une garantie autonome dont l'exécution ou la non-exécution ne dépend pas de la validité du contrat auquel elle se réfère.

Que cependant le CREDIT LYONNAIS s'est engagé à garantir MATRA-TRANSPORT dans la mesure où il lui serait indiqué que BORIE S A E a manqué à une de ses obligations résultant du contrat.

Que, ce contrat étant entaché de nullité, il ne peut être pris en compte pour définir une obligation de la Société BORIE et que dans ces conditions la garantie de la banque ne pouvait être mise en jeu.

Qu'il s'en suit que, pour ces motifs substitués à ceux des premiers juges, le jugement dont appel doit être confirmé en ce qu'il a mis hors de cause le CREDIT LYONNAIS ce qui ne fait pas l'objet du recours et condamné la Société MATRA TRANSPORT à rembourser à la Société BORIE S A E la somme de 32 487 562 F 62 avec intérêts au taux légal à compter du 19 Février 1991.

Considérant que, le fond étant ainsi tranché, les appels interjetés par la Société BORIE S A E à l'encontre des ordonnances du président du tribunal de commerce de PARIS des 8 Février 1991 et 4 Avril 1991 disant n'y avoir lieu à référé sur le paiement par le CREDIT LYONNAIS de la garantie à première demande et le remboursement par MATRA-TRANSPORT des pénalités de retard deviennent sans objet, les deux décisions en cause ne pouvant qu'être confirmées, y compris en ce qui concerne la seconde sur l'application de l'article 700.

Considérant que, si l'équité implique que BORIE S A E ne conserve pas à sa charge les frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés, les premiers juges lui ont fait reste de droit en lui allouant de ce chef une indemnité de 50 000 F qui n'a pas lieu d'être augmentée.

Que les dépens de la procédure seront supportés par MATRA-TRANSPORT, qui succombe, à l'exception de ceux afférents aux deux procédures de référé qui demeureront à la charge de BORIE S A E.

Et que la Société MATRA sera déboutée de sa demande pour frais irrépétibles.

 

Par ces motifs

LA COUR,

Statuant par arrêt contradictoire à l'égard de toutes les parties

Ordonne la jonction des procédures inscrites sous les Numéros 25037 et 25038 du rôle général de 1991 avec celle inscrite sous le N° 21 160 du même rôle.

Reçoit les appels interjetés réguliers en la forme

Confirme le jugement du Tribunal de Commerce de PARIS du 20 Septembre 1991 en ce qu'il a condamné la Société MATRA-TRANSPORT à rembourser à la Société BORIE S A E la somme de 32 487 562 F 62 avec intérêts à compter du 19 Février 1991 et à lui payer celle de 50 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

L'infirme pour le surplus et, statuant à nouveau,

Dit que le contrat du 30 Novembre 1988 liant MATRA TRANSPORT et BORIE S A E est un contrat de sous-traitance entaché de nullité et que BORIE S A E n'a pu manquer à une obligation contractuelle qui n'existait pas.

Déboute les parties de tous autres chefs de demandes plus amples ou contraires.

Déclare sans objet les appels interjetés par la Société BORIE S A E à l'encontre des ordonnances du président du tribunal de commerce de PARIS des 8 Février 1991 et 4 Avril 1991 statuant en référé et confirme les dites ordonnances en tant que de besoin.

Condamne la Société MATRA- TRANSPORT aux dépens de la procédure principale et la Société BORIE S A E à ceux des procédures accessoires relatives aux ordonnances de référé.

En ce qui concerne les dépens d'appel autorise les avoués de la cause à poursuivre le recouvrement de ceux qu'ils ont exposés selon les dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.