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Décisions

CA Paris, Pôle 4 ch. 5, 13 février 2013, n° 10/23285

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Billioud (ès qual.)

Défendeur :

Butagaz (SAS), Société ACE Europe (Sté), Geodynamique Et Structure (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Ody

Conseillers :

Mme Thevenot, Mme Beaussier

Avocats :

Me Lesenechal, Me Gayrac, Me Bolling, Me Piette, Me Autier, Me Chauchard

T. com. Paris, du 18 oct. 2010, n° 2008/…

18 octobre 2010

FAITS ET PROCÉDURE

Le 20 novembre 2007, dans le cadre d'une installation de zone de stockage de gaz, la société BUTAGAZ a confié à la société CHAUDRONNERIE DES ROCHES ci-après CDR, assurée pour sa responsabilité civile auprès de la société ACE EUROPE un marché de travaux pour un montant de 1 720 000 € concernant la fabrication d'un réservoir, son transport et son installation sur site. Les conditions de facturation et de planning des travaux étaient strictement définies par le contrat.

La société CDR a confié à la société GEODYNAMIQUE & STRUCTURES une mission de vérification des dispositions sismiques du site.

Des difficultés sont apparues en cours de chantier.

La société BUTAGAZ a saisi le juge des référés du tribunal de commerce de Paris aux fins de faire constater la résiliation du marché et d'entendre désigner expert. Le juge des référés a le 14 mars 2008 rejeté la demande de constatation de la résiliation au motif de difficultés sérieuses et a ordonné une expertise.

La société BUTAGAZ a résilié le marché le 4 avril 2008.

L'expert a déposé son rapport en octobre 2008.

La société BUTAGAZ a saisi au fond le tribunal de commerce aux fins de voir déclarée fondée, et aux torts de la CDR, la rupture des relations contractuelles intervenue. Elle a sollicité que sa créance auprès de la société CDR en liquidation depuis octobre 2008 soit fixée à un montant de 1.699.381 €

Par jugement du 18 octobre 2010 le tribunal de commerce a, notamment:

- débouté la société CDR représentée par Me BILLIOUD de ses demandes,

- mis hors de cause ACE,

- fixé au passif de la société CDR une créance de la société GEODYNAMIQUE & STRUCTURES à hauteur de 31.339,74 €,

- fixé au passif de la société CDR une créance de la société BUTAGAZ à hauteur de 591.540,13 €.

La société CDR a fait appel.

Dans ses conclusions du 22 mars 2012 elle demande à la cour de :

- lui donner acte de son désistement d'instance à l'égard de la société GEODYNAMIQUE & STRUCTURES et constater qu'il est parfait,

- prononcer la résiliation judiciaire du contrat aux torts de la société BUTAGAZ,

- condamner la société BUTAGAZ à lui payer la somme de 3.716.815,37E à titre de dommages et intérêts,

- débouter la société BUTAGAZ de ses demandes,

- condamner la société BUTAGAZ à lui payer la somme de 15.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses conclusions du 27 décembre 2011 la société BUTAGAZ demande à la cour de dire fondée la résiliation, de débouter la société CDR de ses demandes, de fixer sa créance au passif de la société CDR à la somme de 1.699.381 €, de condamner ACE à lui régler cette somme, et de lui allouer 15.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses conclusions du 24 février 2012 la société ACE EUROPE demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il l'a mise hors de cause, et de condamner la société BUTAGAZ à lui payer une somme supplémentaire de 20000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société GEODYNAMIQUE & STRUCTURES n'a pas comparu.

MOTIFS DE LA DECISION :

Il y a lieu de constater le désistement d'instance de la société CDR à l'égard de la société

GEODYNAMIQUE & STRUCTURES et en l'absence de toute conclusion antérieure de celle ci de le déclarer parfait.

La société CDR demande à la cour d'écarter des débats le rapport d'expertise au motif que l'expert a rempli de manière incomplète sa mission notamment en ne décrivant pas les travaux réalisés, en ne constatant pas de désordres, en ne donnant pas son avis sur les comptes entre parties.

Cependant ces critiques concernent non la régularité mais le contenu du rapport et il appartient précisément à la présente juridiction d'apprécier ce contenu et aux parties de le compléter le cas échéant. Par conséquent à supposer incomplets les éléments recueillis ou les avis donnés par l'expert, ce fait ne peut entraîner le rejet des débats de ce rapport.

La société CDR soutient que la résiliation notifiée par la société BUTAGAZ n'a pas été faite conformément aux dispositions de l'article 27- des conditions générales de SHELL contractuellement applicables et à l'article 1134 du code civil et que la société BUTAGAZ, ayant violé le contrat sur ce point, doit se voir imputer les torts de la résiliation.

L'article 27 des conditions générales visées prévoit que toute défaillance de l’une ou l’autre des parties dans l'exécution de ses obligations entraînera, si bon semble à l'autre partie, la résiliation immédiate de plein droit du contrat, sans préjudice des tous dommages et intérêts, huit jours après mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception (ou remise contre récépissé) rappelant la ou les obligations non exécutées, restée sans effet

La société BUTAGAZ a résilié, avec effet rétroactif au 29 février 2008, le contrat par une lettre du 4 avril 2008 qui faisait référence à une lettre précédente du 14 février 2008, à la réponse de la société CDR du 18 février 2008, à une réunion infructueuse entre parties du 29 février 2008 et, sur le fond, aux violations des règles contractuelles en matière de facturation et de conditions de paiement, de cession des factures, de présentation et de paiement des sous traitants, à la mauvaise foi et aux manoeuvres dolosives de la société CDR ayant entraîné une perte de confiance et qui faisait également référence à la nécessité de fin des travaux pour le 30 novembre 2008.

Dans sa lettre précédente, recommandée avec accusé de réception, du 14 février 2008, la société BUTAGAZ avait exposé qu'elle avait connaissance de sous traitants opérant sur le chantier alors qu'ils n'avaient pas été présentés à son acceptation et elle mettait en demeure expressément la société CDR de s'acquitter de ses obligations légales en la matière. Elle formulait également des propositions quant aux conditions de paiement des sous traitants et mettait en demeure la société CDR, à défaut de les accepter, de fournir une caution bancaire.

Les dispositions contractuelles prévoient la possibilité d'une résiliation du contrat par une partie si le co contractant, mis en demeure de remplir son obligation, n'y défère pas dans les huit jours.

Ces dispositions, non plus que celles de l'article 1184 du code civil n'imposent à la partie qui entend résilier le contrat de préciser la sanction encourue à défaut de déférer à cette mise en demeure. La procédure suivie n'est pas entachée d'irrégularité de ce chef.

Il convient seulement de vérifier si la rupture intervenue unilatéralement ne l'a pas été abusivement.

En l'espèce la mise en demeure de présenter les sous traitants et faire agréer leurs conditions de paiement a été faite le 14 février 2008 et force est de constater que le 4 avril 2008 la société CDR n'avait toujours pas déféré à cette demande alors qu'un délai suffisant de régularisation lui avait de fait été laissé.

Sur ce point précis, si BUTAGAZ savait dès octobre 2007 que le lot génie civil serait confié à la SOMAGI, il ne résulte pas des pièces produites qu'elle ait elle-même imposé ce sous traitant. Il n'est pas établi non plus qu'elle aurait agréé sur demande de CDR ses conditions de paiement. Par ailleurs le fait que CDR a adressé à SOMAGI le 18 février et le 14 avril 2008 des demandes à SOMAGI aux fins de régulariser le contrat de sous traitance et que ces demandes sont restées sans réponse ne décharge pas CDR de ses obligations.

Le maître d'ouvrage, qui engage de surcroît aux termes de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 sa responsabilité personnelle s'il ne met pas l'entreprise en demeure de régulariser la situation des sous traitants, était par conséquent en droit de sanctionner cette carence grave de l'entrepreneur par la rupture du contrat.

Il ne peut lui être reproché d'y avoir procédé sans attendre une décision de justice au fond sur ce point, alors qu'il était tenu du fait d'impératifs administratifs par des délais stricts d'exécution des travaux, lesquels étaient rappelés dans les documents contractuels, que ces délais n'étaient pas respectés par la société CDR au 30 janvier 2008 comme l'a indiqué l'expert et que le retard n'a pas été ensuite comblé.

Le fait que la société BUTAGAZ ait déclaré reporter au 29 février 2008 les effets de la résiliation, alors que celle-ci ne peut produire effet que pour l'avenir, n'a pas d'incidence sur la régularité de la rupture elle-même qui est intervenue le 4 avril 2008.

La société CDR soutient également que la rupture n'est pas fondée.

Elle expose à cet effet que société BUTAGAZ n'avait pas rempli ses obligations de paiement de ses factures en leur temps.

Cependant les vérifications de l'expert lui ont permis d'indiquer concernant les règlements des factures nous considérons que BUTAGAZ appliquait le contrat avec CDR correctement'; La société CDR n'apporte à la cour aucun élément de nature à contredire ce point et si elle se réfère à une phrase de l'expert selon laquelle les sommes auraient pu être payées en 2007", elle omet la fin de cette phrase dans laquelle l'expert précise si CDR avait fait l’effort de facturer en tenant compte des conditions de paiement du contrat';

En ce qui concerne la première facture en particulier et alors que le contrat prévoyait un paiement de 16% aux approvisionnements de matières( tôles, fonds, forgés, accessoires) , études de dimensionnement et installation chantier', il convient de constater que CDR a demandé un paiement de 20% injustifié , qu'elle a réduit sa facture pour la porter à 16% le 4 janvier 2008, que cependant cette facture ne correspondant pas aux seuls travaux réalisés, tous les approvisionnements n'ayant pas été faits, elle a été invitée à la régulariser et ne l'avait pas encore fait le 14 janvier 2008 selon le courriel de BUTAGAZ qu'elle produit ; qu'elle avait cependant transmis les premières factures à une société d'affacturage.

Il sera également noté que le chantier avait effectivement commencé en 2007, par l'exécution de travaux de génie civil du sous traitant SOMAGI, que celui-ci n'avait pas été payé de ses travaux par CDR , faute de trésorerie de celle-ci qui de son côté n'avait pas été payée par BUTAGAZ faute de facturations conformes aux prévisions du contrat.

Les éléments du rapport d'expertise et l'ensemble des pièces produites révèle que les difficultés de paiement des factures de CDR sont imputables aux fautes de celle-ci qui ne s'est pas conformée aux dispositions précises contractuelles concernant les facturations et a tenté d'obtenir le paiement de sommes sans justifier des travaux correspondants.

En définitive il apparaît comme l'a exposé l'expert que CDR connaissait des difficultés financières avant la signature du marché et a tenté d'obtenir des avances de fonds, non prévues contractuellement, pour se dégager une trésorerie lui permettant de poursuivre le marché, mais que

les contrôles de BUTAGAZ ne lui ont pas permis de procéder de cette manière.

Il ne peut être reproché à un maître d'ouvrage qui se doit d'être vigilant quant au déroulement du chantier de n'accepter de payer que les factures régulièrement établies.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a dit le contrat valablement résilié aux torts de CDR .

Sur les comptes entre parties:

L'expert judiciaire a établi qu'à la date de la rupture CDR était en droit de facturer des travaux pour un montant de 399093,56 € TTC, comprenant une facture 08-01-002 de 103 369,40 € du 28 janvier 2008 et une autre 08-02-009 du 106 397,36 € du 8 février 2008 correspondant à des travaux effectués par SOMAGI et qui ont été réglées par BUTAGAZ le 7 février 2008 mais n'a pas été réglée par CDR, ainsi qu'une facture de 189 326,80 € TTC du 28 janvier 2008 réglée par BUTAGAZ.

Il est établi que BUTAGAZ a bien réglé ces sommes et a par la suite réglé en outre directement SOMAGI des montants objets des deux factures visées ci-dessus, réglant ainsi deux fois les mêmes travaux.

L'expert judiciaire a constaté lors de ses visites en mai 2008 que le chantier était à l'arrêt, au stade de l'attente de liaison des pieux avec les armatures des radiers réservoirs et pomperie, il a estimé que les travaux de fabrication du réservoir ne dépassaient pas 15% et que les sommes réglées par BUTAGAZ correspondaient à ce stade de réalisation des travaux.

Contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, il apparaît donc que des travaux ont été effectués et rien ne corrobore le fait qu'ils aient été inutilisables. Leur coût réglé par BUTAGAZ est donc justifié. Seul constitue un préjudice le fait que BUTAGAZ ait dû payer deux fois les travaux de la SOMAGI et à ce titre la somme de 192 444,57 réglée à la SOMAGI doit lui être remboursée.

BUTAGAZ, outre cette somme, estime avoir subi un préjudice du fait d'indemnités ayant dû être versées à ses autres co contractants du fait de l'arrêt du chantier, et du fait qu'après sa reprise elle a dû faire face à des de surcoûts pour le terminer. Elle demande les sommes de 109 643 € HT et 81 133,04 € à ce titre.

Elle justifie de ces sommes par des pièces examinées et validées par l'expert figurant en annexe III 9-1-7 du rapport d'expertise, par des évaluations réalistes selon celui-ci et par divers documents relatifs aux commandes ayant dû être effectuées postérieurement au départ du chantier de CDR. La cour retient ces sommes.

BUTAGAZ réclame également la réparation de préjudices immatériels liés à la réorganisation de ses activités mais n'apporte pas de pièces justifiant de ces préjudices qui ne seront donc pas admis.

Le préjudice est donc de 192 444,57 + 109 643 + 81 133,04 = 382 220,61 €

Sur la garantie de ACE EUROPE :

BUTAGAZ soutient que la mauvaise exécution de ses travaux par CDR lui a occasionné un préjudice engageant la responsabilité civile de celle-ci laquelle est garantie par la police souscrite auprès de ACE.

Elle soutient que les conditions particulières de cette police abrogent une exclusion de garantie portant sur les dommages subis par le bien confié sur lequel l'assuré exécute sa prestation et les dommages ayant pour cause l'exécution de la prestation, que par conséquent ces dommages sont garantis, qu'en l'occurrence BUTAGAZ a confié des biens à CDR, soit des tôles, et que CDR a porté atteinte à ces biens.

Les conditions particulières indiquent :

L’exclusion figurant au 7ème et dernier point de l’extension biens confiés, page 6 des conventions spéciales responsabilité civile exploitation est abrogée';

Ce 7ème point concerne l'exclusion des dommages subis par le bien confié sur lequel l'assuré exécute sa prestation.

Cependant en l'espèce BUTAGAZ reconnaît avoir payé entre les mains de CDR les sommes de 189 326,80 € représentant les tôles livrées par TRAMETAL. Celle-ci était un fournisseur de CDR et les tôles étaient par conséquent la propriété de CDR et non des biens qui lui étaient confiés par BUTAGAZ.

Les dommages ne sont pas relatifs à des biens confiés par BUTAGAZ à CDR mais aux travaux réalisés par CDR et, en l'absence de tout dommage matériel, ne pourraient être considérés au sens de la police que des dommages immatériels non consécutifs à des dommages corporels ou matériels.

Or la garantie de ce type de dommages, exclue expressément aux termes des conventions spéciales responsabilité civile de l’entreprise produites , est acquise à l’assuré par dérogation des conditions particulières mais uniquement lorsque ces dommages résultent d'un accident, lequel est contractuellement défini comme un événement revêtant pour l'assuré un caractère fortuit, imprévisible et soudain, et indépendant de sa volonté.

Dès lors que les dommages ont en l'occurrence pour cause l'absence de réalisation des travaux par l'assuré, ce caractère accidentel ne peut être retenu.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a mis ACE hors de cause.

La société BUTAGAZ supportera les frais afférents à cette mise en cause ainsi qu'une somme de 3000 € qu'il y a lieu d'allouer à ACE au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Les autres dépens doivent être mis à la charge de la société CDR en liquidation mais la situation respective des parties commande le rejet de la demande de BUTAGAZ fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

- Déclare parfait le désistement d'instance entre la société BUTAGAZ et la société GEODYNAMIQUE ET STRUCTURES et la cour dessaisie;

- Infirme le jugement en ce qui concerne le montant de la créance de la société BUTAGAZ au passif de la Société CHAUDRONNERIE DES ROCHES et la fixe à la somme de 382 220,61 €.

- Confirme le jugement pour le surplus.

- Dit que les dépens d'appel seront à la charge de la société CHAUDRONNERIE DES ROCHES à l'exception des dépens exposés pour la mise en cause de la société ACE EUROPE qui sont à la charge de la société BUTAGAZ.

- Condamne la société BUTAGAZ à payer à la société ACE EUROPE la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Déboute les parties de leurs autres demandes.

- Autorise le recouvrement des dépens par les avocats et avoués de la cause dans les conditions prévues par l'article 699 du code de procédure civile.