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Décisions

Cass. 1re civ., 21 juin 1988, n° 85-17.583

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Fabre

Rapporteur :

M. Charruault

Avocat général :

M. Dontenwille

Avocats :

SCP Waquet et Farge, Me Baraduc-Bénabent, Me Blanc

Paris, du 18 sept. 1985

18 septembre 1985

Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que la ville de Melun a chargé la Société d'économie mixte pour l'équipement de la Seine-et-Marne de l'opération d'aménagement d'une zone à urbaniser en priorité ; que, pour la réalisation du chauffage collectif que devait comporter cette opération, la société d'économie mixte a passé un contrat avec le Bureau d'études pour l'urbanisme et l'équipement (Beture) et avec l'entreprise Laurent Bouillet, laquelle a sous-traité l'isolation des canalisations à la société Sami, qui a utilisé pour cela un produit dénommé Protexulate vendu par le fabricant, la Société commerciale de matériaux pour la protection et l'isolation (MPI) ; qu'après la réception provisoire des travaux, intervenue en 1969, la Société thermique de la ZUP de l'Almont (Sthal) a été chargée de l'exploitation du chauffage collectif ; qu'à partir de 1974, des fuites du circuit d'eau chaude se sont produites qui ont rendu nécessaire le remplacement total du circuit ; que la Sthal, invoquant sa subrogation dans les droits de la ville de Melun et de la société d'économie mixte, a engagé une action judiciaire en réparation du préjudice subi contre l'entreprise Laurent Bouillet, le Beture, la société MPI et leurs assureurs ; que la cour d'appel s'est déclarée incompétente pour statuer sur les demandes formées contre l'entreprise Laurent Bouillet et le Beture au motif que la société d'économie mixte, en contractant avec eux, avait agi pour le compte de la ville de Melun, maître de l'ouvrage ; qu'en revanche, la juridiction du second degré a retenu sa compétence en ce qui concerne l'action dirigée contre la société MPI et l'a condamnée à verser une certaine somme à la Sthal ;

Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que la société MPI reproche d'abord à la cour d'appel de s'être déclarée compétente alors que, d'une part, l'action directe du maître de l'ouvrage, personne publique, dirigée contre le fabricant d'un produit utilisé pour des travaux publics dans le cadre d'un marché public, reléverait de la compétence des juridictions de l'ordre administratif ; et alors que, d'autre part, le choix du protexulate ne résultait pas du libre choix du constructeur, mais avait été imposé dans le marché de travaux publics et était donc le fruit du choix du maître de l'ouvrage, de sorte que la fourniture du produit imposé par le marché constituait une participation directe à son exécution et que l'action dirigée contre le fabricant du produit choisi par le maître de l'ouvrage relevait nécessairement des juridictions administratives ;

Mais attendu que, bien qu'ayant pour objet la réalisation de travaux publics, et quand bien même le choix du produit incriminé aurait été le fait du maître de l'ouvrage, le contrat de vente du protexulate a été passé entre des personnes privées, de sorte que le litige mettant en cause la responsabilité de son fabricant relève de la compétence des tribunaux de l'ordre judiciaire ;

Et sur les deuxième et troisième moyens réunis :

Attendu que la société MPI fait encore grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré recevable l'action de la Sthal, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, alors que, d'une part, la Sthal se prévalant, à l'égard des constructeurs, de sa qualité de subrogé dans les droits du maître de l'ouvrage, ne pouvait agir contre le fabricant sur un fondement autre que celui de son action directe contractuelle ; alors que, d'autre part, la cour d'appel n'aurait pas recherché si la Sthal était réellement subrogée aux droits du maître de l'ouvrage et avait ainsi qualité pour agir ; alors que, de troisième part, l'action du maître de l'ouvrage ou de son subrogé est nécessairement de nature contractuelle ; alors que, de quatrième part, l'impropriété d'un produit étant constitutive d'un vice caché, l'action en garantie devait être introduite à bref délai ; et alors que, enfin, la société MPI ne pouvait être déclarée responsable de fautes contractuelles autres que le simple vice du produit que dans la limite de la prescription édictée par l'article 2270 du Code civil, de sorte qu'en s'abstenant de rechercher si le délai de garantie biennale était applicable à la cause et expiré, la cour d'appel aurait privé sa décision de base légale ;

Mais attendu que le maître de l'ouvrage jouit de tous les droits et actions attachés à la chose qui appartenait à son auteur ; qu'il dispose donc à cet effet contre le fabricant d'une action contractuelle directe fondée sur la non-conformité de la chose livrée ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, après avoir expressément retenu qu'une convention du 3 novembre 1978, signée par la ville de Melun et la Sthal, avait stipulé la subrogation de cette dernière dans les droits et actions de la commune, a relevé que la corrosion des canalisations était due à la dégradation, au-dessus de 100°, du protexulate et qu'était établie avec certitude " l'impropriété du produit à sa destination d'isolant en matière d'eau chaude et de chauffage " ; que, par ces énonciations - et abstraction faite du motif erroné mais surabondant tiré de la responsabilité délictuelle -, la cour d'appel a caractérisé un manquement contractuel de la société MPI à son obligation de livrer un produit conforme à l'usage auquel il était destiné ; que la Sthal, subrogée dans les droits et actions du maître de l'ouvrage, pouvait se prévaloir de ce manquement pour demander directement réparation à la société MPI dans le délai de droit commun ; que les moyens ne peuvent donc être accueillis ;

Et sur le dernier moyen : (sans intérêt) ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.